Chapitre 5: Merry Christmas d'avance !

Mardi, 6h30

Très sincèrement, j'emmerde mon patron.

On ne va pas y aller par quatre chemins, je n'ai pas dormi de la nuit. Pas fermer l'œil une seconde, ou juste pour cligner les yeux. Je me suis tournée et retournée dans tous les sens, de tous les côtés. Clairement, ce fut la pire nuit de toute ma vie, pire que celle de mon examen final des études, pire que celle précédant mon départ pour les États-Unis, pire que... Pire que toutes celles que j'ai pu passer sur cette Terre. 24 ans que j'y suis dessus et c'est parce qu'il y a un petit changement que je commence à me remettre complètement en question.

Toute la nuit, je n'ai pas cessé de me poser deux questions :

— Est-ce que je vais réussir à tenir deux semaines avant de faire un burn-out ?

— Est-ce que je suis assez douée pour garder mon emploi sans perdre mes principes fondamentaux ?

Oui, je suis absolument pathétique et c'est pour cette raison que l'on devrait appeler des scientifiques pour observer mon cas. Je suis sûre que ça ferait avancer les recherches sur le fait d'être pitoyable... Si ça existe évidemment.

Alors qu'il soit 6h30 du mat' ou 7h45, je suis réveillée et si je veux réussir, je vais devoir me la jouer conquérante et d'humeur agréable. Mais ne vous fiez pas aux apparences, je suis plutôt d'humeur parisienne actuellement, si vous voyez ce que je veux dire par là. Je crois que le manque de sommeil y est pour quelque chose, mais on va dire que ça ne doit pas être ça, n'est-ce pas ?

Chaussons Monsters & cie aux pieds, mes jambes traînent contre le plancher. Je baille à ne plus en finir quand j'ouvre enfin le frigo. Dedans, c'est une situation plus que précaire. Un vrai remake de Man VS Wild, mais à Brooklyn. Je ne pense pas aller jusqu'à boire mon urine, ne vous inquiétez pas, je ne suis pas aussi atteinte. Du moins, je crois. Une pomme, une laitue qui ne doit plus être toute fraîche, deux tranches de bacon presque périmées et un œuf. Je suis refaite pour toute ma journée avec un petit déjeuner de la sorte. Dans un coin de la porte du frigidaire, il y a même un reste de jus d'orange qui semble presque vide et je ne vais pas vous mentir, je suis chanceuse aujourd'hui, j'ai de quoi manger un peu.

Car si l'on devait la liste de mes défauts, on peut noter que je ne suis pas prévoyante. Mais, au contraire, je déteste le retard et aime être en avance. Ce n'est pas pour autant que je suis la meilleure à ce niveau, vous l'avez sans doute remarqué.

J'attrape la nourriture et la dépose sur le comptoir sans précaution. Si l'œuf se casse eh bien, cela me fera un aliment en moins dans mon estomac. Sur l'horloge du four m'indique qu'il est à présent 6h40, il ne me reste plus qu'à me préparer et manger. Facile.

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8h50, dans les bureaux de Mediatics

Cela fait dix minutes que je suis assise sur mon siège, un verre de café en plastique entre mes dents. Je ne cesse de le mordiller depuis que je l'ai fini. Hier soir et ce matin, j'ai dû regarder une trentaine de fois mes mails professionnels pour ne pas louper une deuxième information très importante du style « réunion de dernière minute ». Je suis tellement à cran que je ne suis même pas allée chercher des boissons et parler à Ashton comme tous les matins.

Quand je tourne la tête vers le bureau de Dorothy, je ne pense plus pouvoir l'appeler Dory, je vois qu'il est vide sans l'être. Il y a encore un cadre-photo de son petit-frère à côté de l'écran et des posts-it collés en pêle-mêle tout autour. Mais ça n'empêche que je ne peux rester longtemps à regarder cette case à présent vide. J'ai l'impression d'avoir failli à ma mission de collègue et d'amie. C'est comme si je l'avais trahi. Non, rectification, je l'ai trahi de la façon la plus sale qu'il existe sur Terre.

J'ai clairement fait mon égoïste, mais bon, le mal est fait et m'apitoyer sur mon sort ne changera pas le passé.

Merry rentre la première, de grands cernes mal-camouflés par son maquillage. Elle s'est brossée les cheveux à la va-vite et a enfilé son haut des mauvais jours. Une espèce de pull rouge et noir en col V qui ne le lui sied clairement pas. Elle avance furieusement jusqu'à son poste, sans me jeter un regard. À sa suite, il y a le gentil Dave qui entre, un visage frais et reposé qui ne semble pas de trop dans cet ensemble de femmes de mauvaise humeur. Il ne change pas à ses habitudes, même en temps de crise, ce qui est réellement revigorant.

Contrairement à Merry, il s'arrête à mon niveau et se penche vers moi.

« Il faut qu'on parle de ce qui s'est passé hier. Rendez-vous à la cafétéria à 12h40. »

Je hoche la tête et il s'éloigne pour se placer derrière moi. Je jette le gobelet qui vient de se fissurer sous mes dents. Je n'ai pas envie de me retrouver la lèvre en sang. Et c'est au moment où je me baisse vers la poubelle, en jupe, que Monsieur Barnes déboule dans le bureau, son téléphone fixé à son oreille, visiblement énervé. Alors que je me relève rapidement, Dave me regarde en me lançant des signaux d'alarme propres à notre service. Il cligne de l'œil droit trois fois ce qui me fait rougir de honte. Barnes détaillait mon derrière, tout comme son père le faisait.

« Non Marcus, j'avais demandé des explications ! Non, pas de délais, je veux signer ! Pas dans un an, pas dans un mois, pas demain, maintenant ! Je me retrouve vers lui et cours lui ouvrir la porte qu'il ne peut actionner par lui-même. Il me fixe un instant et rentre comme une furie dans son espace personnel. Lawford ! Fermez la porte ! »

Je la referme dans la seconde et jette un regard vers mes confrères qui ont le souffle coupé.

« Joyeux Noël d'avance Olivia, dit Merry, les bras croisés sur sa chaise. Elle a un ton aussi froid que l'Antarctique.

— Merry, s'il te plaît, laisse-moi t'expliquer... »

Elle lève la main pour m'arrêter.

« Non, je ne veux pas de tes explications hasardeuses. Si je dois subir ça, ce sera en pause ou en dehors du travail. Mais pas là. Elle allume son écran et me tourne le dos. »

Elle ne boude plus, elle est remontée comme un coucou. Dave a un très faible sourire et allume son écran à son tour. Une nouvelle journée de travail qui s'annonce être aussi nulle que la précédente, ça fait toujours plaisir...

« Madame Clarke, présentez-vous dans mon bureau. Immédiatement ! dit la voix de Barnes qui, même à travers les haut-parleurs, se fait très colérique. Son appel n'est clairement pas de bon augure. »

Lorsque le bruissement se tue, Merry attrape un bloc-notes, un stylo et se rue devant la porte du PDG, essayant d'être sûre d'elle. Elle rentre après alors replacée ses cheveux et ajuster son pull.

« Tu crois qu'il se passe quelque chose ? demande la voix de Dave, alors qu'il répond à des mails.

— Je crois surtout que beaucoup de choses vont changer et que ce n'est que le début d'une nouvelle ère pour Mediatics parce que même s'il paraît tyrannique au possible, je pense qu'il agit pour le bien de sa société.

Tu parles comme si tu le connaissais. »

Je me retourne vers lui et le regarde, plus sérieuse que jamais.

« Crois-moi, je ne le connaissais pas avant-hier. »

Faux.

« C'est étrange que ce soit toi qu'il fixe ou s'attarde quand il rentre ici. La preuve est là, il te matait la culotte de cheval ! Malgré le fait que Merry me blacklist, il ricane de moi sans se cacher.

— Chut Dave ! On pourrait nous entendre ! On en reparlera plus tard. Excuse-moi, mais j'ai des choses à faire qui ne vont pas se remplir toutes seules. J'ouvre le tableur et la boîte mail puis commence ma besogne, droite sur ma chaise. »

Clarke sort, son petit bloc couvert de notes qu'elle arrache et pique sur le mur prévu à cet effet. Mur plus utilisé de Mathusalem. Son papier y indique une liste que Merry s'empresse d'expliquer.

« D'après les volontés de Monsieur, voici la liste de nos tâches du jour. Dave, tu es chargé de répondre et transférer ses appels professionnels et personnels puis de donner le résumé financier général du dernier trimestre. Dans mon cas, je dois imprimer des documents, répondre à des mails et organiser son emploi du temps, mais pour toi, ma chère Liv', tu dois t'occuper des requêtes, alimentaires, vestimentaires, etc. de Monsieur. Et d'ailleurs, tu dois te rendre dans son bureau pour qu'il te parle d'une chose que tu dois gérer en plus de faire des tableurs. Je crois que j'ai fini. Merry s'éloigne du mur et rejoint sa place. »

Je rejoins le bureau de Barnes en quelques pas et tapote la porte.

Une fois à l'intérieur, Caleb Barnes est debout, mains derrières le dos, une pile monstrueuse de dossiers sur le plateau de la table.

« Bien, je vois que Clarke vous a bien indiqué votre programme. Il pointe les dossiers qui sont sur son bureau avec un grand sourire sadique. Voici votre tâche principale de la journée. Envoyer des messages à chaque personne qui est licenciée. Toutes celles-ci sont répertoriées ici. J'ai cru comprendre que vous étiez douée pour annoncer ça. Poignard dans la poitrine. Il s'arrête en me voyant blêmir puis ajoute en touchant un petit papier qui gît sous ses papiers. Aussi, j'aimerais vous parler avant que vous n'alliez manger. Je reste interdite en regardant mon supérieur qui, étrangement, me fuit. Une affaire assez importante que vous ne devrez pas délivrer, sous aucun prétexte.

— Que se passe-t-il si j'en parle à quelqu'un ? balancé-je, sans réellement réfléchir. »

Surpris de ma réaction, il me regarde bien en face et répond après toute réflexion :

« Je serais obligé de vous tuer, tout naturellement. »

Je reste muette. Ce mec est un grand malade. En voyant ma réaction, il pouffe, d'une façon très sexy.

« Je n'irais pas jusque là, rassurez-vous !

Oh, je ris jaune et m'avance vers mes dossiers.

— Ah et aussi, si vous êtes en retard, car je veux que tout ça soit fini avant midi, il indique la fameuse pile que je prends entre mes bras, je serais obligé de vous virer. »

Je sais qu'à ce moment précis, je deviens blanche aspirine alors pour couper court à cette conversation, j'attrape mon travail et sors, sans demander la permission. Si je me fais virer pour ça, je porte plainte, sans blague.

Dehors, je souffle pour évacuer un bon coup et m'attèle à ma tâche. Le premier dossier me fait pouffer de rire. Un certain Arthur Dane, aka trompeur de femme à mi-temps, vient de perdre son emploi pour je cite « Manque de compétence et respect à autrui ».

« Hey Merry ! L'intéressée relève sa tête, un air blasé peint sur son visage. « Merry Christmas « d'avance à toi aussi ! »

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11h59

J'appuie sur le bouton envoyer et le dernier courrier électronique quitte ma boite. Les quelques dizaines de dossiers sont faits alors je me dirige, très fière de moi vers le bureau de Barnes.

« Entrez ! entends-je, avant même de frapper. »

Le PDG est encore debout, en train de boutonner sa veste noire. Il m'observe et se penche pour prendre son iPhone entre ses mains.

« J'ai fini les dossiers que vous vouliez que je transfère. Je marque une pause et ajoute avant qu'il ne puisse dire quelque chose. J'ai aussi envoyé vos demandes à l'administration pour gérer cette vague de renvois le plus rapidement possible. Commence à fixer le sol comme une idiote et attends ma sentence. »

Sentence qui me surprend, par ailleurs.

« Merci Olivia. Vous avez fait du bon travail. Il se rapproche de la porte et pose sa main sur la poignée avant de se retourner vers moi. Je m'apprête à manger seul, souhaitez-vous vous joindre à moi. J'aimerais en savoir un peu plus que ce qu'il y a sur vous dans ce foutu dossier qui n'indique pas grand-chose en soi. »

Je déglutis et louche sur le visage de mon supérieur, surprise.

« Êtes-vous réellement sérieux quand vous me proposez ça ?

— Plus sérieux, il n'y a pas. Bon, décidez vous rapidement, ma réservation est pour 12h15, au Daniel.

— Daniel ?

— Oui, le restaurant français, à l'angle de Park Avenue et East 65 Street. »

Je roule des yeux insolemment. Je ne suis pas une abrutie non plus.

« J'ai toujours rêvé d'y aller, mais je ne veux pas profiter de votre gentillesse. Et puis c'est bien trop cher pour que je puisse payer mon plat, c'est pourquoi que je vais...

— Je payerais votre part, ce n'est pas un problème Olivia. De toute façon, je vous y obligerais donc ne me rendez pas la tâche plus difficile, je vous en prie. Il s'approche dangereusement de moi alors instinctivement, je me recule.

— Bien... Je crois que... C'est un oui. »

Il frappe dans ses mains, ouvre la porte et dit :

« Rendez-vous en bas du bâtiment dans ce cas-ci. Une Mercedes noire sera devant l'entrée, et moi de même. Il sort enfin de la pièce tandis que je commence à me poser des questions. »

Sur le pas de la porte, Dave et Merry me regardent, interrogatifs alors que je prends mes affaires.

« Je crois que tu as une date avec le boss Liv', ne te plante pas ! dit Dave, souriant. Et puis si tu peux nous obtenir un treizième mois, ça nous arrangerait.

— Profitez bien Liv', ajoute Merry, qui a du mal à rester en colère très longtemps. »

Je prends mon sac et enfile mon manteau puis, alors que je m'apprête à sortir, je leur réponds :

« J'essayerais de faire honneur à vous deux, et à moi, par la même occasion ! Bon repas et à dans une heure ! »

J'entre dans l'ascenseur et appuie sur le bouton du rez-de-chaussée.

Un dîner avec le patron, c'est une opportunité professionnelle à saisir non ?

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