Chapitre 4: Hashtag = Esprit mal tourné #1

« Vraiment ? Il a fait ça ? Ashton écarquille les yeux et ouvre grand la bouche.

— Si, si, je te jure ! Tout le monde dans la boîte est en stress complet ! C'est juste invivable ! Je porte mon chocolat chaud aux lèvres et avale une grande goulée. C'est divin. »

Ashton se lève et va vers la porte de sortie puis l'ouvre en grand.

« Mesdames, messieurs, la boutique ferme plus tôt que prévu aujourd'hui, merci de vous rendre vers la sortie, merci ! Il fait un geste théâtral et indique la rue. Les clients grognent et je sais d'avance que Hashtag va se prendre un blâme par son supérieur. Les joies de la vie professionnelle, vous dis-je, les joies ! »

Il se rassoit en face de moi après avoir fermé l'enseigne à clef. Ses doigts tapotent la surface en bois frénétiquement.

« Tu sais ce que ça veut dire ma grande...

— Je peux sauter à tout moment. Je sais.

— Et tu peux être sautée à tout moment aussi. Il ricane de sa blague potache tandis que je le frappe gentiment avec une serviette en papier, un petit sourire taquin.

— Arrête de te faire des films à la Cameron, on n'est pas dans un film d'amour ! Je simule l'excès, mais ne peux m'empêcher de rire à sa remarque.

— Parce que tu te crois dans Titanic ?

— Si tu estimes que je suis Rose, que Mediatics est le Titanic et que Barnes est l'iceberg, ça tombe sous le sens !

— Et Jack dans tout ça ? Tu le personnifies en quoi ou en qui ?

— Jack ? On s'en fout, il meurt à la fin.

— Wow, spoiler ! Ash' recule avec sa chaise aussi loin qu'il le peut puis tape contre une autre table.

— Ashton... Tout le monde le sait qu'il meurt à la fin et à cause de Rose qui est juste la plus grosse égoïste de la Terre, je me reprends, – non, de l'univers entier ! »

Ashton reprend sa chaise et revient vers moi en la portant de ses bras frêles. Il la repose violemment ce qui me fait sursauter de surprise, prend appui sur la table et se penche sur moi, revêtant son regard et son costume d'inquisiteur.

« N'insulte jamais Rose, elle n'arrivait juste pas à se mouvoir sur son bout de bois et Jack était trop gros pour qu'elle puisse le faire monter avec elle. Leur propre masse les aurait fait couler !

— Car tu te crois physicien maintenant ? Je pouffe puis ajoute, en retrouvant mon sérieux. Bref, cela fait moins d'une journée qu'il est là et c'est déjà le chaos ! Je n'ose même pas imaginer le résultat que ça va être le 31 décembre. Plus de la moitié des salariés de cette foutu boite sera licencié par un mec qui a ses règles ! »

Je reporte mon gobelet à ma bouche et avale la fin de ma boisson d'un trait. Il m'en faut un deuxième de toute urgence. Comme si Ashton lisait dans mes pensées, il se retourne vers la machine et commence sa préparation avec le maximum de professionnalisme qu'il peut. Plus j'y réfléchis, je connais mieux Ashton en 5 mois ici que moi-même en 24 ans de vie. Par exemple, je sais qu'il déteste les donuts. À chaque fois qu'il doit en vendre, il doit se laver les mains, enfiler un gant en plastique et prendre une pince stérilisée pour le sortir du présentoir en verre. Si je me souviens bien, c'est à cause d'un ver qu'il avait à moitié mangé sans le vouloir lorsqu'il était enfant. Je crois que ça l'a dégoûté à vie. Bref ce sont des petites choses comme ça qui font que je le connais bien.

« Ça n'empêche que ce mec va te retourner et dans tous les sens du terme. Il tire sur une poignée au même moment. Il faut que tu aies un plan de secours si ça se passe mal d'ici la fin d'année. Je peux te dire d'avance que Starbucks ne recrute plus ici, c'est bouché de partout.

— Je ne sais pas quoi faire Ash'... J'ai vraiment peur. Dory est la première à avoir subi ça et je n'ai pas envie d'être la prochaine sur la liste noire de mon patron. Je me gratte la tête et masse mes tempes.

— Tu vas t'accrocher parce que tu le dois et parce que ta famille et moi te soutenons dans toutes les épreuves. Il revient avec mon chocolat, mais reste debout. Tu es une battante Olivia, ne t'inquiète pas. Je vais pour le rendre la monnaie, mais il pose sa main sur mon poing. Non, non, c'est cadeau de la maison après ta longue et fastidieuse journée de reprise. Et puis c'est bien connu, tout le monde déteste les lundis.

— Pas tout le monde Ashton, pas tout le monde... Il y a toi qui sers l'exception. »

Il rit et acquiesce.

« Bien, mon cher ami, mais j'ai encore de la route avant de rentrer chez moi, demain tu me confirmes si tu viens bien pour Noël à la maison ? Je me lève à mon tour, attrape mon sac et m'approche de la sortie en faisant la bise à mon éternel Ashton qui croise les bras. Ça fait deux semaines que je te demande, mais que tu ne réponds pas. Allez, bonne soirée mon grand.

— Bonne soirée Liv', tu vas en avoir besoin ! Il m'ouvre pour me laisser sortir et ferme boutique quand je passe le pas de la porte. »

Sous le vent gelé qui frise New York, je replace mon écharpe et marche vers la bouche de métro, mon verre bien maintenu dans ma main. Mes pas se font mécaniquement à travers le dédale des lignes et je monte dans la première rame qui vient. La journée sera vraiment finie quand j'arriverai vers Prospect Lefferts Gardens, dans Brooklyn. À la maison.

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Mon appartement se trouve à quelques pâtés de maisons du parc. Je rêvais de vivre près de Coney Island depuis j'étais enfant alors quand la proposition de venir travailler et vivre à New York, je n'ai pas hésité une seconde. Enfin, si, j'ai hésité, mais pendant une heure. Dire au revoir à ma routine londonienne, ou plutôt oxfordienne, allait me faire bizarre. Plus d'amis, plus de famille à proximité, plus de petits plats faits par ma mère, je partais pour l'aventure, la découverte d'un autre continent.

En plus, je pouvais crâner, car j'avais fait des grandes études dans le commerce et que je devais une expatriée dans la grande ville économique d'Amérique du Nord. Une vraie aubaine me direz-vous. En premier temps, oui, c'est la nouveauté, on vit une nouvelle expérience, on quitte le nid familial. Sur le papier, c'est plutôt fun, mais la réalité est toute autre.

C'est pour ça que j'ai quand même voulu réaliser mon rêve d'enfant de vivre près d'un parc d'amusement. Mais la vie a fait que je n'habite pas à côté, mais plutôt à une demi-heure de ce lieu d'amusement extrême. Cependant, ça ne veut pas dire que j'y suis allée, mais si maintenant que j'y suis, j'en meurs d'envie et c'est que je ne prends pas le temps de m'y rendre. Des fois, je passe devant, mais ne m'y arrête pas, des fois je la regarde au loin, en sirotant ma boisson et puis des fois, j'ouvre la fenêtre pour essayer d'entendre le bruit des attractions. Mais c'est plutôt les prouesses sexuelles de mes voisins et le bruit de la circulation que j'entends, même fenêtre fermée. Et puis, on ne va pas se mentir, je suis à des kilomètres et des kilomètres du fameux parc d'attractions.

Alors, oui, New York, c'est bien, c'est nouveau, c'est l'inattendu à chaque instant, mais c'est aussi la routine, la solitude et le Coca-Cola partout sur la moquette toute neuve. True story, un vieux chat est rentré dans mon salon un soir et a malencontreusement bousculé la petite bouteille en verre de la célèbre boisson gazeuse qui se trouvait sur ma table basse de récupération. Elle a fait un plat sur la moquette et ne s'est pas brisée, mais, le temps que je réagisse et fasse partir le fauteur de trouble, la moitié de son contenu s'était renversé sur la fameuse moquette grise. Maintenant, il y a une vieille tâche moche à côté d'un des pieds de table et je redoute les chats comme la peste. Bref, c'est ça New York et Brooklyn. Un mélange de routine et de petites joies.

Je longe les trottoirs en sirotant mon Starbucks. Des gens discutent en marchant, d'autres prennent la moindre gouttière en photo tandis que certains avancent seuls, le col relevé et la casquette vissée sur le crâne. Malgré le froid, des citadins font des shootings en plein milieu de la rue, en tenue courte. La pauvre fille qui est en robe doit bien se geler les miches à se pavaner devant le regard pervers du photographe qui ne cesse de se passer la langue sur ses lèvres, goulûment. J'avance, regardant mes pieds et, sans le vouloir, me cogne à une autre personne qui grommelle, car j'ai failli l'éclabousser et lui ruiner sa chemise. Je ne l'écoute pas en train de se plaindre et trace ma route le plus rapidement possible. Plus que quelques portes avant la maison et je serais tranquille.

La façade de mon immeuble est la devanture d'un petit Drugstore. Je vis au second étage, dans un croisement de rues. Le matin, je vois le bus passer devant ma fenêtre et il m'arrive de m'asseoir dans l'escalier de secours, le soir. Je m'allonge souvent pour écouter les bruits de mon quartier et regarder le ciel. À un moment, j'ai même installé une petite terrasse à mon étage, mais le propriétaire m'a traitée d'inconsciente alors j'ai dû remballer mon installation précaire. Quant à l'immeuble en lui-même, il est un peu vétuste, mais agréable à vivre. À part les petits soucis de canalisation et d'insonorisation des murs, je ne trouve rien à redire. Avec les économies que j'avais faites depuis mon entrée au lycée, je n'ai pas eu besoin de prendre un colocataire et la solitude le soir ne me dérange plus comme avant.

Lorsque je monte les escaliers, j'aime entendre le doux bruit des planches qui craquent sous mes talons. Je passe souvent ma main sur la rembarre et monte le plus vite possible en fermant les yeux. Mon propriétaire a ajouté à sa liste de locataires qu'après être inconsciente, je suis complètement folle. Folle et éprise par la liberté qui s'offre à moi.

Car il y a bien des choses qui se font à New York, mais qui ne sortent jamais de New York.

Quand j'ouvre la porte, je jette mes chaussures dans tous les sens, je retire ma veste que je pends maladroitement sur le porte-manteau et je m'avance lentement vers mon tourne-disque. Dessus, y réside quelques fois des 45 tours de musique des années soixante, soixante-dix, mais mon instant rien qu'à moi est quand je lance celui qui se joue tous les soirs de déprime, ceux où je m'enroule dans mon pyjama pilou-pilou, un plaid sur les jambes et où je bois mon chocolat chaud, celui qui te dit qu'en fait, ta vie, ce n'est pas de la merde. Mais c'est peut-être le morceau qui me ramène le plus souvent à la réalité. Je m'approche de lui, je place le bras de lecture où j'ai fait une petite coche pour ne pas me tromper et je lance le morceau.

Dans mon séjour, la chanson se lance et je danse comme si je pouvais mourir. Pendant 3 minutes 47, il n'y a plus personne, je suis seule avec moi-même, je danse jusqu'à en crever.

Mes pas se font d'abord lents, je sens ma patrie qui s'éloigne de moi, l'Angleterre que je quitte sans remords.

Alors je valse seule. Bien sûr qu'il me manque, mais c'est un mal pour un bien.

Je m'arrête et réfléchis à voix haute.

« Peut-être que quand je reviendrai d'ici, mes amis, ma famille ne me reconnaîtra plus... »

Alors dans ma rage, je valse plus rapidement, imaginant chaque fois avec un homme différent. Un partenaire d'une danse, rien de plus. Une fois, ce fut Ashton qui était à mes bras.

Je ferme les yeux et danse, encore et encore alors que la chanson se termine. Quand je rouvre les yeux, c'est le visage de Caleb Barnes qui pénètre mon esprit. Il semble si réel, plus que d'habitude.

Je recule et me cogne contre une poutre puis referme les yeux le plus fort possible. En les recouvrant, je constate qu'il n'est plus là. J'en conclus une seule chose.

Plus jamais je ne prends les chocolats chauds qu'Ashton m'offre sans vérifier qu'il n'y a pas de la drogue dedans.

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