Chapitre 39 : Argent de poche
Immeuble Mediatics, un des ascenseurs
Caleb est fébrile et n'arrête pas de bouger dans tous les sens alors que nous sommes dans l'ascenseur qui suit sa progression lentement. Trop lentement pour lui qui joue avec ses mains et grogne.
« Tu sais que tout ça, ma main fait un demi-cercle dans l'air, ne sert à rien. On ne montera pas plus vite si tu t'agites. Il tourne la tête vers moi et me lance un regard froid. Donc, je t'invite à t'arrêter et à attendre, comme tout le monde. Je rabats mes bras contre mon poitrail et me détourne de lui.
— Argh ! Il se stoppe dans ses mouvements circulaires et lève les bras au ciel, théâtral. Ce n'est pas possible ! Il n'est pas si long d'habitude ! Il faudra appeler un des techniciens pour qu'il fixe le problème. Il me regarde un instant, m'indiquant de l'œil de noter.
— Tiens, je redeviens la chère Olivia secrétaire dévouée, fais-je sarcastique, bon à savoir. J'attrape un morceau de papier dans le fond de mon sac et un stylo puis gribouille. C'est noté.
— Liv', je... Il s'appuie dos à dos à une paroi de l'ascenseur, les yeux en l'air, évitant ainsi de poursuivre. Purée, ce n'est pas possible, on a besoin d'être avec Dave, mais un foutu ascenseur a décidé de m'emmerder ! Fais chier ! »
À mon tour, je me presse contre la paroi opposée, augmentant un maximum ma distance avec lui, énervée. La journée avait commencé plutôt agréablement et voilà que cela change drastiquement. Je baisse la tête pour éviter de m'intéresser aux allers-retours de mon compagnon d'ascenseur et fixe avec intérêt mes chaussures comme s'ils étaient en train de me parler longuement.
La traversée est digne d'un film trop long, celui qui, même s'il ne dure que deux heures, semble paraître en avoir trois de plus tant il est ennuyeux et lent dans l'action. Les scènes de monologue s'enchaînent, Caleb ne cessant pas une seule fois de se plaindre, soit en hurlant contre le panneau de commandes, soit en tapant du pied comme un gamin qui veut un jouet. Pour le coup, il veut son information et il n'est pas prêt de l'avoir. Mais entendre toutes les cinq secondes des injures de sa part, cela devient réellement insupportable. Il faut que je trouve un moyen de le faire taire. Tout est bon à prendre. Le pire peut être fait entre ces quatre murs. Une idée me parvient aussitôt. Idée idiote certes, mais une idée quand même.
Recroquevillée dans un coin, en attente silencieuse, je relève les yeux vers lui et croise son regard puis le maintien le plus longtemps que je peux. Il semble surpris que je ne me détache pas de lui, ce qui le fait cesser de s'égosiller. Doux silence.
« Pourquoi me regardes-tu ainsi ? C'est extrêmement dérangeant ! »
Et voilà qu'il recommence ! Dans mon for intérieur, je bouillonne et en viens presque à lui montrer la langue pour me calmer. Mais rapidement et sans réfléchir :
« Mais ferme-la, merde ! Je fais quelques pas rapides vers lui et me retrouve presque contre lui. Arrête de parler ! J'en ai marre !
— Si je veux gueuler, je gueule ! Son visage prend une teinte plus rougeâtre et il me surplombe. Je ne me sens pas si minuscule cependant. »
Dans ma tête, mille et une pensées atterrissent comme des avions en papier, mais la colère me fait tonner et je me colle presque à lui, le soutenant encore plus du regard, furieuse. Je reste ainsi quelques instants, sentant son cœur battre à travers ses vêtements. Sa peau est brûlante, ses yeux incendiaires, il n'est plus un homme, mais une sorte de flamme qui s'agite brutalement. Mêlée entre deux eaux contraires et contrariées, je ne sais pas ce que je dois faire ou ne pas faire. Mon corps me pousse dans une direction qui déplaît à mon cerveau, c'est le jeu du cœur et de la raison.
« Je te supplie de bien vouloir arrêter, c'est insupportable, je n'ai qu'une seule hâte, tout comme toi, c'est de quitter le plus rapidement possible cet endroit alors, pour abréger nos souffrances, je te demande une ultime fois de cesser, cesser de parler... »
Son soupir devient éloquent, son buste se rapproche plus encore du mien, comblant tout l'espace libre qu'il restait entre nous. Il tente une tactique qui déplaît à ma raison, mais pas à mon cœur. Fourbe. Sa tête prolonge une longue traversée vers mon oreille gauche, me faisant profiter de sa respiration hachée. Un petit sourire moqueur se lit sur son visage alors que sa voix pénètre mon tympan sans aucune forme de pitié.
« Que vas-tu faire pour m'arrêter, Olivia ? Je suis un vrai moulin à parole, tu le sais trop bien. »
La phalange de mon index s'écrase contre son épaule et presse de toutes ses forces pour le repousser, dernier geste d'intelligence de ma part avant de sombrer. Il ricane doucement, fier de lui alors que je me mords l'intérieur de la joue pour me retenir. Que ce maudit ascenseur abrège mes souffrances bordel de merde !
« Me repousser du doigt ? C'est bien ça ta technique pour me faire taire ? Son ricanement devient plus profond. C'est ridicule, mais mignon. »
Brusquement, je le plaque avec une force qui m'était inconnue jusqu'alors contre la paroi et m'approche trop dangereusement de ses lèvres, à bout. Il ne semble pas si surpris que ça tandis que je tente de traverser la petite barrière qui me sépare de lui. Je suis déchaînée. Mais ma tentative d'intrusion est arrêtée alors que je sens les mains de Caleb me repousser en arrière doucement et calmement. Je n'ai plus de moyens d'entrée.
« Je crois qu'il est plus judicieux pour toi ainsi que pour moi que cela cesse avant que cela ne commence. Il semble légèrement déçu et gêné. La situation deviendra trop compliquée. «
Quant à moi, je suis morte de honte et me recroqueville comme je peux dans un coin, espérant disparaître à mille pieds sous terre. Les derniers étages avant la destination finale se font dans un silence de mort, chacun perdu dans ses pensées respectives. Avant que les portes ne s'ouvrent, je parviens à enfin ouvrir la bouche après ce long moment de mutisme.
« Caleb ? Prononcer son prénom m'écorche la gorge. Samedi soir, ce n'était qu'une erreur de parcours ? »
Les portes en métal s'ouvrent lentement sur nous tandis que Caleb effectue une petite rotation vers moi, un moule triste sur le visage, sa colère semble s'être évaporée, comme par magie.
« La seule erreur que j'ai pu faire est de t'avoir entraîné hors de l'œil du cyclone. Souviens-t'en Olivia. Et ne refais plus jamais ce cirque, je ne le cantonnerais plus désormais. Son ton se durcit et revoilà le Caleb énervé et ressemblant à celui des premiers jours. »
Sur le seuil de l'ascenseur, Merry nous attend, tout sourire. Elle s'agite dans tous les sens, comme si elle avait la bougeotte. Alors que Caleb sort en premier de la cage, elle ne semble pas remarquer le malaise qui s'entretient entre nous deux, plus rouge de colère, moi échevelée comme si j'avais couru un marathon. Sa bonne humeur me donne une baume au cœur, me tirant presque un sourire.
« Ça y est ! On la tient, on a trouvé un fichier fantôme, du style comme dans les films ! Il faut que vous veniez voir ça ! Merry sautille sur ses hauts talons, un miracle qu'elle ne tombe pas tant ils sont hauts justement.
— Vite, montre-moi ! Caleb s'active pour rejoindre le bureau qu'officie provisoirement Dave, suivi de très près par Miss Merry qui clopine. Je reste en retrait, ne sachant plus quoi faire ni dire, toujours à la recherche d'une issue inexistante. »
Lorsque je débarque dans la zone de combat, les troupes sont déjà formées, les hommes sont nez collés contre le petit écran, Merry me regarde avec un grand sourire et m'indique du menton de m'approcher pour profiter du spectacle. La suite de nombre s'est transformée et des lignes et des lignes d'informations sans queue ni tête apparaissent. Dave et Caleb se tapent dans la main tandis que je tente de déchiffrer ce que je peux voir.
« Qu'est-ce que tout ça veut dire ?
— C'est ce qui prouve que Sharon est allée farfouiller assez loin, répond l'assistant. Assez loin pour tout couler et profiter d'une minuscule part des profits. Toujours juste assez pour la faire fructifier sans éveiller des soupçons.
— « Sans éveiller les soupçons » ? fais-je, en faisant des guillemets avec mes doigts. Ça se résume à combien un peu près ?
— Quelques milliers de dollars, pas grand-chose. Assez pour monter les bases d'une petite entreprise, ça c'est sûr. Sharon est quelqu'un d'influent contrairement, il se tourne vers Caleb puis revient vers moi, pardon, à son ex-mari.
— Merci de me le rappeler Dave, ça me fait extrêmement plaisir de l'entendre, débite-t-il, sarcastique.
— Je sais, je sais. Tout ça pour dire qu'avec toute cette histoire, elle s'est mis tout le monde dans sa poche en jouant les justicières à la télé. En effet, l'argent ne l'intéresse pas plus que ça, mais ce qu'elle peut faire avec... Voilà quelque chose qui vaut le coût si vous voulez mon avis.
— Donc si j'ai bien compris, elle a fait tout ça juste pour potentiellement, ce n'est qu'une hypothèse, créer une entreprise ? Ce n'est pas un peu tiré par les cheveux ?
— Ça ne le serait pas si je n'avais pas jeté un coup d'œil sur les différents comptes bancaires de Madame. Il fait un petit clin d'œil et clique sur un autre onglet, une impression écran des mouvements bancaires de Sharon s'affiche. Je hoquette de surprise.
— Mais comment tu as eu accès à ça ?
— Ne va pas t'imaginer que je suis un hacker, j'ai juste cherché les numéros de compte et les mots de passes de Sharon. Elle ne les cache pas très bien d'ailleurs.
— Alors c'était ça, murmure Caleb pour lui-même avant de poursuivre à voix haute. Pourquoi je ne me sens pas mieux maintenant ? »
C'est le silence qui prend le relais, nous laissant tous à la recherche d'une réponse viable. C'est Merry qui prend les devants.
« Car Sharon est quelqu'un d'intelligent et qu'elle peut toujours détenir quelque chose. Ou qu'elle a un tour d'avance sur nous et qu'elle voulait qu'on découvre de nous-mêmes ce qu'elle trafique.
— Tout ça me parait trop facile, ajouté-je.
— Elle s'est fait son argent de poche avant de la faire la fête, répond Caleb. Il faut peut-être encore creuser.
— Alors, creusons, finit Dave. »
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top