Chapitre 28 : Il nous faut un plan

« Alors tout ceci n'était qu'une mascarade ? s'écrie Merry qui s'enfonce dans un petit fauteuil rembourré à son maximum. Elle s'agite comme un asticot sous nos regards interrogatifs. »

Nous sommes tous assis autour de la table-basse, Dave est assis confortablement, les mains jointes tandis que Caleb se tient avec élégance, le mollet droit reposant sur son genou gauche, posé dans le creux du sofa. L'ambiance de l'endroit, cosy et remplie de souvenirs (nous ne rappellerons pas la présence des petits cadres vides qui affichent des images de personnes inconnues au bataillon, Dave dit qu'il n'a jamais pris le temps de mettre des photos, mais je pense plutôt que cet homme ne s'est jamais constitué une famille). Par exemple, sur une étagère de la grande bibliothèque qui recouvre le mur, il y a une petite sculpture en acajou provenant d'un voyage sur le continent africain, sculpture représentant une femme avec un enfant entre ses bras. Lorsque je lui ai demandé ce qu'il représentait pour lui, en octobre dernier, il m'a vaguement regardé et a articulé que cette figurine représentait tout ce qu'il n'avait pas eu par le passé, ce qu'il n'avait pas sur l'instant et qu'il n'aurait sans doute jamais dans le futur.

« Donc si j'ai bien compris, vous avez imposé à votre employée qu'elle vous assiste dans votre entreprise complètement, excusez-moi du terme, idiote et maintenant, vous êtes tous les deux dans le pétrin ? Juste à cause d'une nana ? Dave prend son air d'amuseur de galerie puis se penche vers nous, poings sur les hanches. Mais dites-moi, vous n'avez pas un problème Monsieur Barnes ?

— Tout le monde a des défauts, Monsieur Ingram, moi le premier, ricane Caleb.

— Mais c'est quand même beaucoup de risques pour pas grand-chose, au final. Vous étiez un couple libéral ? questionne Merry.

— J'étais libéral, ma femme était libérale, mais jalouse. Il y a une extrême nuance. »

Je me tourne violemment ma tête vers lui et demande avec un ton peu approprié :

« T'es libéral toi ? C'est nouveau ça ! m'esclaffé-je. »

Merry et Caleb expulsent un rire qui se veut contaminant puisqu'il m'atteint à mon tour. Seul Dave reste sérieux et impassible. Je l'observe du coin de l'œil et en conclus qu'il se prépare à formuler ses pensées sous la forme d'une idée. Au point où nous en sommes, ce n'est pas quelque chose dont on peut cracher dessus. Caleb est le premier à s'arrêter en replaçant sa cravate sur le plat de son torse.

« Vous savez ce qui me pose problème Monsieur Barnes ? commence Dave, d'un ton grave.

— Caleb, coupe l'intéressé, appelez-moi ainsi en dehors du travail. »

Dave Ingram soupire en agitant la tête de gauche à droite, puis reprend, sûr de lui :

« Bien. Caleb, ce qui me gêne, c'est vous et votre attitude. Vous ne prenez pas conscience que vos actes mettent en danger votre – non – vos employés. Nous sommes maintenant trois dans la confidence et on peut chacun risquer quelque chose ici. Tous les deux, vous êtes entièrement exposés.

— Vous croyez que je ne m'en suis pas rendu compte ? Je ne suis pas un idiot, je connaissais les risques et je les pris. Il s'avance vers lui tout en restant assis et le regarde avec un air que je n'avais vu qu'une fois, à la première réunion. Il est amer. Je sais pertinemment où cela nous a menés et je n'ai pas besoin de subir des remontrances. Vous êtes un bon élément Dave, ce serait bête de tout gâcher. »

Dave reste silencieux tandis que Merry et moi sommes à bout de souffle. Brusquement et de manière inattendue, mon ami rit de manière sarcastique et pointe du doigt notre patron, le défiant clairement. Je commence à sincèrement me sentir mal à l'aise. Les personnes que j'apprécie le plus se déchirent devant moi et je ne peux pas encore faire quelque chose ou élever ma voix.

« C'est une menace ? Vous ne savez que faire ça Caleb. Vous vivez sans vous rendre compte de vos actes, vous êtes le déni à vous seul. Il se lève et rejoint la cuisine en trois foulées. Je vous invite à vous joindre à moi dans la cuisine, je n'ai pas envie que mes amies entendent la suite de cette conversation.

— Bien, répond Barnes, qui le suit sur les talons, parlons peu, parlons bien. Je suis prêt à vous entendre. »

Ils ferment la porte derrière eux et le son de leurs voix se fait sourd. Merry semble complètement déboussolée et je me place à côté de son flanc droit, en posant ma main sur la sienne. Ce n'est que le début et Merry ne semble pas se sentir complètement en adhésion alors que rien n'a été encore proposé.

« Merry... Écoute, je vois bien que cette situation ne te convient pas, tu peux sortir d'ici et aller chez toi pour essayer d'oublier ce qui vient d'arriver. Ce n'est pas grave. Je me sentirais mieux si tu n'es pas mêlée à tout ce micmac. »

L'intéressée réagit en tournant précipitamment la tête, l'œil vif, elle est entièrement avec moi à présent.

« Hors de question, je serais là pour toi, quoiqu'il arrive. Je me sentirais plus mal en ne faisant absolument rien pour aider. Elle ferme ses yeux et déglutit. Tu es prête à tout pour lui ?

— Si ça peut l'aider, ça ne me dérange pas, même si je me prends des immondices sur la gueule. Notre patron n'est pas le si odieux personnage qui a débarqué comme une fleur lundi dernier. Cependant, je trouve son virement de port étrange. Si jeudi, il était désagréable, vendredi soir, samedi, je tique, et dimanche, il a été « charmant ».

— Trouves tes excuses hein, tu pinces sur lui, ça se voit comme nez au milieu du visage, elle glousse.

— Ne raconte pas de bêtises !

— Tu rougis ! Ah ah ! Merry joue avec son index et une mèche de cheveux tout en riant aux éclats. C'est du propre ça ! »

Ah. Aïe. Les paumes de mes mains commencent à se couvrir d'une fine pellicule de sueur, je les retire prestement de Merry. Mes joues chauffent intensément alors je les tâte pour les refroidir. Tout ce que je veux dire est bloqué dans ma trachée, je vais m'étouffer. Je ne peux pas mourir aussi jeune ! Je suis au comble d'être mal à l'aise. Pour vous dire, la sueur perle comme le jet d'un pommeau de douche empli de calcaire. Ce n'est clairement pas une bonne vision des choses. J'ai envie de me cacher dans un coin à présent. Je panique et mon premier réflexe est de me mettre debout afin de me placer loin du point de collision. En l'occurrence, les étagères de la bibliothèque. Je me tourne vers elle en attrapant un livre, le premier qui me vient. Je l'observe intensément et décrypte le nom du roman. « Le Diable s'habille en Prada ». C'est une blague ?

« Cesse de dire des conneries Merry. Je me retourne vers elle, qui se tient comme une enfant qui veut entendre les ragots, et agite le livre. Je savais bien que je l'avais prêté à quelqu'un ! »

C'est faux, mon exemplaire signé est exposé chez moi. Mais comprenez, il me faut absolument une excuse pour changer de sujet et ce livre est peut-être ma porte de sortie. Merry s'apprête à me répondre quand les deux mâles sortent de la cuisine, en se donnant une poignée de main virile.

« Le problème est réglé ? On peut passer à la prochaine phase ? dis-je, expressément, en plaçant le livre derrière mon dos. »

Caleb me regarde avec un petit sourire sincère et donne une petite tape sur l'épaule de Dave.

« Je crois que nous pouvons avancer. Dave, je vous laisse parler. Il se sépare de lui pour s'approcher de moi. Merry me lance des regards qui veulent en dire longs.

— Merci Caleb, il frappe dans ses mains et déclare, avec force, il nous faut un plan. Un plan qui doit durer jusqu'au premier jour de l'année prochaine. J'ai déjà une petite idée en tête, mais j'aimerais savoir si vous êtes prêts à vous lancer à corps perdu dans l'aventure. »

Il s'adresse à chacun tour à tour en s'arrêtant légèrement plus longtemps sur moi. C'est Caleb qui prend parole le premier.

« Je suis dedans. »

Suivi de la petite voix féminine de Merry, qui semble se voir pousser des ailes :

« Qu'importe, cela changera de la monotonie du quotidien. Comptez sur moi. »

Elle se lève de son fauteuil et les trois se tournent entièrement vers moi, en attente d'une réponse. Tout repose sur mon accord. Plus de retour en arrière après cette décision qui me donne de l'adrénaline. Plus de routine, un plan pour redorer les images, soit. Que l'on perde des plumes, si le destin l'indique. Ma gorge se fait sèche et une petite boule d'appréhension se forme. Je prends une profonde inspiration et leur rends leurs regards appuyés.

« Bien. Allons-y. Faisons le show. Par où commençons-nous ? » 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top