Chapitre 24: Il peut bien neiger, leurs cœurs brûlent

Retour présent

Il n'y a plus un seul bruit, ni d'agitation dans le couloir. Lorsque je me m'approche de la porte, je ne distingue pas le souffle régulier de Caleb, mais un silence de mort. J'ai cessé de « pleurer » depuis bien longtemps, mais rester assise au sol m'a fait du bien en réalité. Ma vie explose, mes amis ont presque disparu de la map et la personne que je dois soutenir vient de relever une face de lui-même que je n'aurais aimé jamais connaître. Sur l'horloge numérique sur le chevet, il est indiqué qu'il est presque minuit.

Je n'ai jamais passé un Noël aussi pourri, et pourtant j'ai un certain tableau de chasse en la matière.

Brusquement, me tirant de mes pensées, j'entends quelqu'un frapper à la porte et entrer sans que je ne l'invite. C'est la femme de ménage, qui s'apparente presque plus à une majordome, qui rentre, un petit plateau de victuailles dans les pinces de ses mains. Elle le dépose à mes pieds et, tout en attrapant la bombe de chantilly, déclare :

« Il serait temps d'aller vous coucher. Ce serait plus raisonnable pour vous. Vous avez très mauvaise mine, explique-t-elle en aspergeant le chocolat fumant d'une immense couche blanche. »

Elle ne sait pas si bien dire, dormir m'est un luxe maintenant. Annabella me tend sa main et m'installe sur le lit doucement.

« Retournez-vous que je retire cette robe. Je vous ramènerais un ensemble de nuit et de quoi vous vêtir demain, ordonne-t-elle.

— Annabella ? Je peux vous appeler Anna s'il vous plaît, ce sera plus court ? marmonne une voix qui semble être la mienne qui est étouffée par le polochon en plume.

— Évidemment ! Ça me rappelle ma jeunesse chez les Barnes... Le bon vieux temps...

— Roh, je ne me parlez surtout pas d'eux, je n'ai pas envie de me reprendre la tête... »

Je me glisse sous la couette lorsqu'il ne me reste plus que ma lingerie sur moi. La gentille femme n'a pas à me déshabiller jusque là quand même.

« Pouvez-vous juste me ramener chez moi ? J'étouffe ici... L'atmosphère est invivable, glissé-je, alors qu'Anna me donne ma tasse. »

Son expression trahit sa déception, mais je sais qu'elle comprend ma décision.

« Bien mademoiselle, je demanderais à Samuel de vous rallier chez vous. En attendant, reposez-vous, vous devez être morte de fatigue. Ses pas se font pressants au moment où elle sort de la pièce et que je me retrouve seule. »

Certes, je suis à la limite de l'épuisement, mais étrangement, je n'arrive pas à fermer l'œil. Mon esprit est englobé par des images qui compilent ces quelques derniers jours. Je vois des photos en papier glacé se balader sur mes paupières dès que je ferme les yeux, des formes étranges de souvenirs récents. Des bribes de conversation avec Caleb, cet horrible agent de la sécurité qui m'a pris pour une abrutie, les révélations à foison, etc, etc. Je commence sincèrement à me demander comment j'arrive à être encore debout.

Enfin, actuellement, je suis allongée, prenez ça au sens figuré de la chose.

La couette est toute douce, on pourrait la comparer à un nuage tellement elle est moelleuse. Je soupire, passe mes ongles sur mon cou pour le gratter puis m'enfonce plus profondément dans le lit. À force, il y a plus que mon nez et mes yeux qui dépassent de l'édredon. Les cheveux en bataille, je dois ressembler à une timbrée.

Encore une fois, Annabella se faufile dans la chambre, se moquant de ma position plus qu'étrange. Dans ses bras, une pile monstrueuse de vêtements qui se retrouve au bout de mes pieds en l'espace de quelques secondes.

« C'est tout ce que j'ai pu trouver dans les tiroirs. Et je peux vous dire qu'il y en a vraiment beaucoup, des tiroirs.

— C'est si gentil d'avoir récupéré tout ce butin pour moi. Je ne saurais jamais comment vous remercier... bâillé-je, un peu plus exténuée tandis qu'elle effectue un geste de la tête, en reconnaissance.

— Vous vous sentez prête à partir ? demande-t-elle, dans un souffle. »

Je souris lentement. Mes commissures de lèvres sont presque figées, mais je finis par lui répondre, à demi-mot :

« Il le faut bien. Je ramène ma couette blanche contre ma poitrine en m'asseyant sur le lit pour attraper quelques fringues.

— Vous avez une vingtaine de minutes pour vous préparer. Je vous ferais sortir en douce par l'ascenseur des employés.

— Il n'en saura rien avant demain ? Promettez-le-moi.

— Il y a une infime chance pour qu'il soit encore éveillé. Mais ce petit n'a pas dormi depuis si longtemps que ce serait improbable qu'il ne dorme pas encore. »

Je hoche la tête puis commence à enfiler les vêtements qui sont légèrement trop serrés. Sharon et sa taille de guêpe, je la lui ferais bouffer, ça aussi. Caleb a peut-être raison finalement, de ce côté.

Les minutes qui suivent filent à une vitesse impressionnante. Je me retrouve à jouer à la copie féminine de Tome Cruise dans Mission Impossible, me faufilant et rasant les murs en silence quand je souhaite rejoindre la cuisine qui est à l'opposé de ma localisation. Lorsque j'entends des pas dans les couloirs, je me plaque contre une paroi blanche, assez lourdement. C'est le visage perplexe d'un homme que je ne connais pas qui se démarque de l'obscurité quand il arrive à mon niveau.

« Qu'est-ce vous foutez ? Vous allez réveiller tout l'immeuble avec vos tentatives idiotes de je ne sais quoi, exprime la voix de celui-ci, qui joue sur les aiguës et les graves, comme un adolescent en pleine puberté. Pas très sexy pour ma part. »

Je colle mon plus beau sourire de faux-cul et passe à côté de lui.

« Absolument rien du tout Monsieur...

— Anatole, je suis un membre de la famille d'Annabella. Son fils Benjamin pour être plus précis. Il ne porte aucun accent et doit osciller les dix-huit ans à tout casser.

— Anatole ? Ce n'est pas un nom d'âne ça ?

— Je suis offusqué Mademoiselle, déclare-t-il, sans aucune expression, sentiment. »

Je me retire, gênée par ce jeune garçon et me rue dans la cuisine dont j'ai pu reconnaître la porte. Il y a une trace d'alcool dessus. La mère d'Anatole m'attend devant, se triturant les mains avec vigueur. Lorsqu'elle m'aperçoit, elle m'attrape par le col de la chemise blanche qui j'ai trouvé et m'attire à l'intérieur. Elle me fait penser à un Ninja quand elle sort ma veste de la penderie attenante. Annabella l'installe sur mes épaules tandis que je dis :

« Je viens de voir votre fils. Il a un prénom très... original.

— Son père était bourré à sa naissance et je n'étais pas vraiment apte à m'opposer à ce choix. Il devait s'appeler Emilio Jr, comme son grand-père, mais la boisson a parlé. Je regrette amèrement m'être marié avec cet homme des fois. Elle jette un coup d'œil sur sa montre et me pousse vers l'ascenseur. À bientôt, Mademoiselle Olivia, ce fut un plaisir de m'occuper de vous aujourd'hui. »

Je n'ai pas le temps de lui répondre que les portes se ferment déjà et que la cabine descend les étages. Arrivée en bas, il y a une espèce de chute de neige qui donne une petite couche de neige marron boueuse sur le trottoir et la route. Samuel m'ouvre automatiquement la porte de la voiture en m'apercevant sortir du bâtiment. Son visage est fermé.

Lorsque la voiture commence à s'activer, je tourne la tête vers l'entrée de l'enfer. Je déglutis difficilement en voyant le maître de cet endroit sortir, le visage défait. Meurtri. Il m'appelle, m'invite à rester, qu'il s'expliquera, etc.

« Mademoiselle Olivia ? m'interpelle Samuel.

— Vous savez quoi ? Il s'expliquera demain ou après-demain, j'en ai plus qu'assez aujourd'hui. Démarrez au plus vite, je vous en supplie. »

Je sais bien ce que vous pensez, ou pas. Laisse-lui une chance de s'expliquer, pardonne-lui, mariez-vous, bla-bla-bla... Eh bien, ça pourra attendre demain. J'ai été beaucoup trop « consentante » ces derniers temps. On m'a rabaissé mille pieds sous terre, on m'a traité comme un animal de compagnie, j'ai besoin de repartir à zéro.

Mais étrangement, je regarde dans le reflet du rétroviseur que j'arrive à voir d'ici, en me contorsionnant un peu. La silhouette masculine de Caleb habille le trottoir d'une nouvelle couleur qui lui va à ravir. Un noir sombre, qui se détache de la molasse brune et blanc.

Tout le reste du voyage, j'ai le cœur aux portes des lèvres et lorsque les yeux se ferment, ce ne sont plus que les images du visage de Caleb qui flottent. Plusieurs fois, j'ai remarqué Samuel regarder quand son rétroviseur et j'y ai vu de la pure pitié. Je sais déjà ce qu'il pense. « Oh pauvre demoiselle. »

Quand il se stationne devant ma porte, alors que je n'ai pas vu le temps passé – note à moi-même, acheter des fauteuils aussi moelleux que ceux de cette voiture pour le salon –, il décroche ses dernières paroles de la soirée :

« Palpitante soirée n'est-ce pas ?

— Palpitante n'est pas nécessairement le mot qui définirait ma soirée. C'est plutôt...

— Catastrophique ? demande-t-il. »

Je hoche la tête et tire la poignée de la porte.

« Exactement Samuel. Merci de m'avoir ramenée ici.

— Ce fut un plaisir Olivia. Joyeux Noël, finit-il, fermant sa porte et s'avançant sur le perron de la mienne. »

J'effectue un dernier signe de la main quand j'entre dans mon antre, vérifiant que le chauffeur soit bien parti. Enfin seule pour se remettre à pleurer toutes les larmes de mon corps. Super. Notez le sarcasme.

En poussant l'ouverture de mon salon, je balaie la pièce du regard. J'ai l'impression de ne pas être venue ici depuis des lustres. Il ne manquerait que les moutons de poussières et les fines pellicules grises sur les meubles et le compte serait bon.

J'ai bien passé deux bonnes heures allongée sur mon lit, emmitouflée dans ma couette, sans pouvoir fermer l'œil. Mais, soudainement, en pleine nuit, j'ai entendu un bruit.

Logiquement, vous commencez à le voir venir à cinquante kilomètres à la ronde. Vous sentez cette odeur d'after-shave un peu lésé ? Non ? Eh bien moi, si.

Reprenons. J'ai entendu quelqu'un taper à ma porte. J'ai regardé l'heure avec dédain, 2:36 a.m, puis ai appuyé mes talons contre le sol gelé. J'ai déambulé en pyjama, sans enfiler mes chaussons Monsters & cie, jusqu'à la porte d'entrée, un vieux châle jeté sur les épaules.

Et me voilà à présent devant celle-ci, mes petits doigts recroquevillés sur le bouton craquelé, le souffle coupé, la vue accaparée sur Monsieur Jolie-Cœur, qui est recouvert de petits flocons non fondus.

« Avant que tu ne dises quoi que ce soit, sache que je suis venu en métro jusqu'ici pour toi donc tu as tout intérêt à me laisser entrer, plaisante-t-il, la voix toujours un peu brisée. J'ai affronté la marée des morues qui sentent l'alcool et la transpiration, si tu veux tout savoir et un homme a failli dégoupiller sur moi, donc, s'il te plaît, laisse-moi entrer... »

Le voir dans cette posture pourrait être tordant, mais je n'ai pas vraiment le cœur à rire. Cependant, je lui réponds, avec toute ma meilleure répartie :

« Et qu'est-ce qu'il se passe si je te referme la porte au nez ? Je subis les fougues de Monsieur ? Il se transforme en Hulk ?

— Non, Monsieur serait extrêmement déçu.

— Déçu à cause de quoi exactement ? dis-je, au tac au tac.

— À cause de ça. »

Après avoir pris une grande inspiration qui m'immobilise, il se penche très – non, trop – rapidement de moi et ma respiration se coupe comme mon cerveau. Je suis littéralement en stand-by. Ses doigts maintiennent mon menton avec grande douceur.

Et nous nous embrassons lentement.

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