Chapitre 23 : Joyeux Noël Liv' (Partie 2)
Plus tard dans la soirée, juste avant son réel commencement
Je passe mes doigts manucurés de rouge sur le tissu blanc avec précaution, déplissant les derniers réticents qui se baladent sur la jupe immaculée. Sa texture est si soyeuse, si douce que je ne cesse de la caresser. Bien qu'elle ne soit pas mienne, puisqu'il s'agit d'une robe de ma « bonne amie » Sharon, j'ai l'impression qu'elle se fond sur ma peau et ne fait qu'un avec mon corps.
« C'est un magnifique arbre de Noël que nous avons là. On pourrait même croire que c'est un vrai, dis-je, en observant, une coupe de champagne dans la main, le sapin en plastique blanc.
— En effet, c'est du bon travail. Malgré la couleur étrange des épines. »
Nous penchons en même temps la tête sur la droite, perturbés par son apparence étrange, observant l'arbre, puis revenons dans nos positions initiales après s'être rendus compte de notre geste commun. Caleb porte sa flûte aux lèvres avec élégance puis me sourit étrangement. Depuis son petit essai langoureux, plus tôt dans l'après-midi, nous sommes restés relativement éloignés l'un de l'autre. Même pour installer l'étoile en plastique recouvert de fausses paillettes d'or, il n'a posé que légèrement ses mains sur mes hanches. J'ai frissonné à ce contact et, comme de coutume, j'ai failli glisser de l'échelle. Il m'a rattrapé de peu avant de s'inquiéter sur le fait que je me sois fait mal ou pas. Je commence sincèrement à me dire que l'on me joue des tours pour que je me ramasse toujours en présence de mon patron.
« Nous ne serons pas seuls pour cette soirée si j'en comprends le nombre impressionnant de couverts installés dans la salle à manger, déclaré-je alors, commençant à m'éloigner considérablement de mon interlocuteur, rejoignant la table.
— À peine une vingtaine de convives, des amis de longue date, des employés de Mediatics triés sur le volet, mais aucun membre de la si-respectée famille Barnes. Ce n'est pas si mal pour un premier Noël réussi.
— Je crois ne pas avoir la même définition si tu veux mon avis. Je donne un petit coup de coude ce qui le fait sursauter.
— Oh, dommage, sorry, not sorry ! Il me retourne le petit coup en ajoutant un clin d'œil qui fait palpiter mon cœur plus vite. »
J'éclate de rire en commençant le tour de la grande table. Il y a de petits cartons blancs sur chacune des nombreuses assiettes avec l'identité de tous les invités. Mon regard roule sous le nombre impressionnant de noms que je ne connais pas le moins du monde, mais m'arrête devant celui d'un certain directeur commercial que je haïs de tout mon cœur.
« Oh non, articulé-je, avec douleur. »
Caleb se retourne vers moi, interrogatif, alors qu'il joue avec son verre à moitié vide.
« Qu'est-ce qu'il se passe ?
— Tu l'as invité ? Je prends le carton et l'agite devant lui, qui s'est rapproché entre temps. Sincèrement ? La pire raclure de Mediatics ? »
Après Papa Barnes, évidemment.
Il attrape le carton qui se balance sous ses yeux et y décrypte l'écriture classique qui y est inscrite.
« Jeremiah Kowalski ? Le directeur commercial ? demande-t-il, en reposant délicatement le petit indicatif cartonné à son emplacement.
— Oui, cet abruti qui se croit meilleur que tous !
— Cet « abruti » est un de mes meilleurs employés, il a sa place à ma table. De plus, Caleb contourne la table pour me rejoindre, il ne me tournera pas le dos si malheur advient.
— Ne sois-en pas si sûr, je croise les bras contre ma poitrine et me décale plus encore. »
Il soupire puis rejoint l'arbre en plastique avant de stationner devant durant quelques instants.
« J'espère sincèrement que tu as tord Lawford.
— Je l'espère aussi Barnes... Je l'espère aussi... »
Je sors de la pièce en grandes enjambées, l'air ambiant étant étouffant. Ce n'est pas vraiment le Noël que je souhaitais vivre.
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Plus tard, encore
Une dizaine de collaborateurs sont debout, un verre de vin ou d'autres alcools à la main, en train de s'esclaffer entre eux. Cependant, certains sont affalés sur des petits fauteuils. Je suis près d'une fenêtre, le regard dans le vague, sans rien faire d'autre qu'observer avec patience les vaisseaux sanguins de New York City. J'ai presque l'impression qu'elle bat au rythme de mes émotions lorsqu'une voiture de police débarque dans la rue, sirène allumée, courant après un autre véhicule qui doit rouler bien trop vite.
Quant à mon cher « ami » Caleb, je ne l'ai pas revu depuis quelque temps. Je me mets à supposer qu'il doit s'être noyé dans la masse informe des convives, dont je fais partie d'ailleurs.
« Miss Lawford ? Dans l'enceinte de la demeure de son patron ? Ne dois-je pas n'être plus surpris par ce genre de frasque ? prononce la voix enjouée d'un homme que je ne connais que trop bien. »
En guise de réponse, je tourne lentement ma tête vers lui et adresse mon plus beau sourire hypocrite. Il l'est tellement que s'il avait été une entité palpable, j'aurais plus le toucher longuement.
« Monsieur Kowalski ! Dois-je être étonnée de toujours vous avoir dans les pattes ? N'en avez-vous pas assez de me côtoyer dans l'enceinte des bureaux, il faut maintenant que vous veniez à Noël ? »
Jeremiah s'esclaffe de rire avant de subtiliser sur un plateau, une petite bouchée avec laquelle, je l'espère du plus profond de mon âme, s'étouffera jusqu'à la mort.
« Dis celle qui s'est retrouvée dans le lit du fils de son ancien employeur, quelques jours avant que celui-ci prenne la place qui lui est due ! Vous m'épaterez toujours Olivia ! Avec vos grands airs de fille modèle et respectable sous toutes les coutures, vous n'êtes qu'une petite profiteuse qui cherche le sexe et l'argent... »
Avant même que je ne puisse répliquer d'un ton cinglant, je vois une autre personne bien familière dans mon champ de vision. Dans son costume sobre, il s'avance avec une expression exaltée et nous rejoint en quelques pas.
« De quoi parlez-vous Olivia, Monsieur Kowalski ? Il nous regarde tour à tour, en ping-pong.
— Appelez-moi Jeremiah en dehors de la vie professionnelle ! rectifie immédiatement l'intéressé qui me jette un regard qui en dit long sur ce qui m'arrivera si je révèle à Caleb ce que je viens de prendre en temps de réflexion.
— Si vous le souhaitez Jeremiah, ce sera un plaisir de vous l'accorder. Il lui tend une poignée de main virile puis se penche doucement vers moi et glisse à mon oreille. Besoin de sortir ? »
Je réponds d'un hochement de tête avec hâte et, bras dessus bras dessous, nous nous éloignons comme un seul homme après de courtes excuses pour nous éclipser.
« Merci beaucoup, tu lui as littéralement sauvé la vie. Je tapote son avant-bras du plat de la main. J'allais lui faire regretter d'être sorti du ventre de sa mère !
— Je n'en doute pas une seule seconde, répond-il, en riant. »
Des gens se répartissent en petits groupes dans tous les coins, je reviens à mes années universitaires, lors des fêtes qu'organisent les étudiants. Certes, on ne m'avait jamais invité, mais je ne souhaitais clairement pas m'y associer, surtout que j'avais entendu de sales histoires qui avaient pu se produire durant celles-ci. Riley me les racontait le lendemain et ce n'était pas plus mal d'ailleurs.
Mon verre est vide depuis bien longtemps, j'ai dû le boire inconsciemment. Quant à Caleb, il exhibe un grand sourire qui illumine son visage marqué par la fatigue. J'entends et ressens mon ventre gargouiller avec acharnement, mon déjeuner avec Riley n'apaisant plus ma faim.
« Tiens, mon verre est vide et mon estomac aussi, dis-je, en agitant mon verre sous son nez, ma mission est d'aller le remplir !
— Je peux demander que l'on apporte les petits fours si tu le souhaites. Avec un grand verre de n'importe quel alcool ! »
Je tapote le pectoral gauche gentiment et réponds, amusée :
« Je vais aller me le chercher moi-même, je ne suis pas une assistée quand même. Et puis, tous ces gens inconnus me donnent la nausée, j'ai besoin de prendre l'air.
— Je peux venir avec toi si tu veux. Il attrape ma main et la presse contre son cœur. Ce serait un plaisir. »
Je retire ma main dans un sourire et commence à m'éloigner. Caleb me suit au pas. Il me faut une idée pour qu'il me lâche ! J'observe les environs en un coup d'œil puis eurêka !
« Monsieur ? m'adressé-je alors à un homme lambda qui discute avec une femme. J'ai remarqué son regard insistant sur Caleb Barnes depuis leur arrivée. J'ai cru comprendre que vous souhaitez vous entretenir avec le chef d'orchestre de la soirée. Je tourne la tête vers Caleb qui se trouve toujours derrière moi. Il me regarde avec un air apeuré que seule je peux remarquer. Le voici, bonne soirée ! »
Je ne laisse même pas le temps au couple de me remercier et m'échappe des griffes du Croque-Mitaine. Il se retourne un instant vers moi, comme s'il était affligé par cet affront puis se joint à la conversation, un masque d'hypocrisie sur son doux visage. J'ai réussi mon coup avec succès. Caleb est coincé et je suis libre de vagabonder dans les couloirs, loin de l'agitation.
Rapidement, et sans beaucoup de recherches, je rejoins la Saint-Graal cuisine où sortent de nombreux amuse-bouche sur des plateaux transparents. Lorsque je rentre à l'intérieur de celle-ci, il ne reste plus d'Annabella qui donne un petit coup de poussière sur le sol. Le cuisinier – ou la cuisinière – est absent aux fourneaux, mais la pièce est emplie d'une bonne odeur qui agite mes papilles gustatives.
Annabella lève la tête lorsqu'elle m'entend entrer, et, avec un grand sourire et les bras grands ouverts, se jette littéralement sur moi.
« Je suis si heureuse ! Cela fait si longtemps que la joie n'est pas rentrée dans cette maison ! Je lui rends son embrassade, interrogative.
— Que voulez-vous dire par là ?
— Vous savez, je suis au service de la famille Barnes depuis si longtemps que j'ai pu en voir et en apprendre des choses...
— Liam ? Ce prénom me brûle les lèvres depuis cette nuit et Annabella semble surprise que je ne le prononce.
— Oh, parlez plus bas mon enfant... C'est un sujet banni entre ces quatre murs.
— S'il vous plaît, parlez-moi de lui... Je ne connais que la piètre image que m'a servi Andrew Barnes... »
Annabella indique le comptoir où je me permets de m'accouder puis ferme les deux portes à clef avant de me rejoindre.
« Liam était le premier enfant de la fratrie, celui qui se devait de diriger Mediatics après le départ en retraite de son père. Il était intéressé, intelligent, volontaire, c'était un vrai ange. On l'adorait pour ses capacités et sa beauté naturelle. Mais, en étant l'aîné, il était responsable de la fierté familiale et sa vie était contrôlée par les demandes de son père. À l'opposé, son petit frère n'était presque pas chapeauté et vaquait à ses occupations qui lui plaisaient.
— Liam était quelqu'un de bien.
— En effet. Le problème quand on ne vous laisse pas vous forger une vie qui vous plaît et que vous le faites sans l'aval des parents, c'est que tout peut exploser. C'est ce qui est arrivé.
— C'est-à-dire ? interrogé-je, en attrapant une serviette pour jouer avec.
— Liam n'a jamais eu le goût de l'argent. Il préférait le donner que le garder pour son propre bien.
— Les deux frères sont deux enfants de chœur alors.
— Mais ce n'est pas le cas de la benjamine, c'est elle qui veut détenir Mediatics et je pense qu'elle est prête à tout pour remporter la mise. Revenons à Liam. Cet enfant était très doué avec l'argent cependant et c'est grâce à ses capacités qu'il a découvert l'impensable sur son père. Il a volé l'entreprise à son co-fondateur et a fait fructifier son argent dans des paradis fiscaux. Le véritable dirigeant est Mr Kowalski, mais n'a pas autant de droits qu'il ne devrait en avoir.
— Vous êtes en train de me dire que Barnes Senior a falsifié ses parts pour contrôler l'entreprise ? Sans le consentement de Kowalski ?
— Il y a une modification dans le contrat sans que le principal intéressé ne s'en rende compte. Le conseil l'a fait passer comme une lettre à la poste et, étrangement, Monsieur Kowalski n'aurait pas réagi. Lorsque Liam l'a découvert, il s'est disputé avec son père pour cette raison. Il voulait qu'Andrew paie pour ses actes.
— Comment savez-vous tout ça ?
— Le petit et moi étions très proches, j'étais comme sa seconde mère. Un soir, il m'a expliqué ce qui le tracassait tant. Il voulait partir et ne plus avoir à penser à la honte qui pesait sur ses frêles épaules, mais il ne voulait pas que son frère vive ce qu'il vivait.
— Qu'est-ce qu'il est advenu ensuite ?
— Liam devait épouser la fille de Monsieur et a refusé l'union. Monsieur Barnes a voulu le remettre sur le bon chemin et l'a emmené loin d'ici. À Londres, pour être plus précise, au début de l'été 2015. Je ne l'ai plus jamais revu, le petit avait tout bonnement disparu.
— Cela me rappelle quelqu'un, vous ne pouvez pas savoir comment. »
Elle sourit faiblement et passe sa main sur la mienne. Elle est écailleuse et sèche comparée aux miennes.
« Liam était quelqu'un de bien, mais Caleb a la même nature de cœur. N'hésitez pas une seule seconde dessus...
— Parlez-moi aussi de lui, Annabella. C'est encore un mystère pour moi.
— Pensez-vous à quelque chose en particulier ? »
L'espace d'un instant, je réfléchis à ce que je pourrais bien demander. Je replis la serviette correctement et la repose sur le comptoir.
« Son pouce. Il tremble depuis quelque temps. Je trouve ça étrange.
— Son pouce ? Oh, ce n'est rien ! Son rire sonne faux. Vous vous posez vraiment trop de questions mademoiselle.
— Peut-être, mais elles me semblent justifiables, dis-je, le ton monocorde. Répondez-moi, je vous en supplie... »
Annabella m'adresse un regard triste et dépose tendrement sa main sur ma joue.
« Posez-lui directement la question si vous le souhaitez. Elle la retire puis son regard brun diverge derrière moi. »
Quelqu'un tousse et s'avance derrière moi tandis qu'Annabella disparaît dans l'obscurité. On pose un contact sur mon épaule, je frissonne.
« Tu veux une réponse, n'est-ce pas ? Tu recherches les réponses, mais finalement, tu ne veux pas vraiment les connaître, car tu sais qu'elles changeront sans doute la donne.
— Certes, mais elles nous feront avancer ensemble. Parle-moi de ça. Dans un élan de « courage », j'enroule mes doigts aux siens et touche son pouce.
— Bien... D'abord... Comment dire... Il semble un peu contrarié, peut-être même ailleurs et ne poursuit. Dans l'espoir de le faire réagir, je reparle.
— Je sais pour ton frère. Je sais que ton père et toi m'avez choisi. Je viens d'apprendre pour Kowalski. Maintenant, je veux ta version, dis-je, presque détachée. »
Caleb est effaré, ses yeux sont plus ronds que ronds, il se recule précipitamment et cogne un placard fermé. Son visage se déforme brusquement et change presque de couleur. Une veine de son front gonfle tandis que je reste muette et bouche bée. Il bouillonne vraiment très rapidement.
« Oh merde Caleb ne réagit pas ainsi ! Cesse de faire l'enfant deux secondes ! dis-je, plus fort que je ne l'aurais souhaité. Je ne te demande pas la lune non plus !
— Okay, il prend une grande inspiration pour tenter de se calmer, tu veux la vérité ? Mon père est un despote familial ! Tout ce qu'il touche devient or, mais détruit tout sur son passage ! Tu veux savoir pour mon petit problème de nerf ? Bien, ce que Madame veut, Madame obtient ! C'est à cause de ma volonté de devenir peintre et de savoir pour la disparition de mon frère que j'ai eu ce petit problème ! Ça a détruit mon rêve ! À cause de mon foutu père qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez ! hurle-t-il, en attrapant une fourchette qui traîne à ses côtés. Lors d'un dîner, j'ai posé trop de questions, beaucoup beaucoup trop de questions et tu sais quoi ? Il regarde sa fourchette avec passion et caresse les dents en argent. Monsieur Andrew a réalisé l'irréparable. Sa fourchette s'abat contre le comptoir en marbre avec force. Il l'a planté dans un excès de colère. Elle ricoche au sol et tombe finalement à mes pieds. »
Caleb semble fou à présent, il hurle sa douleur, désordonne sa chevelure tandis qu'un mélange d'émotions violentes m'emplit. Je suis en colère, j'ai peur, j'ai envie de dégoupiller, je suis à deux doigts de pleurer de rage et voir mon ami se livrer ainsi me donne un coup de poing dans le ventre. Ses propos sont presque insensés. Il met un temps avant de se reprendre, secoué et déclare, cinglant :
« Madame est contente, elle connaît la vérité sur le vrai visage de la si respectée famille Barnes. Liam était le meilleur, mon père voulait que je sois une pâle copie de lui. Et tu sais quoi Lawford ? J'aurais aimé être à sa place pour ne jamais à avoir subir ça ! »
Une lueur furieuse anime son regard, je n'ai jamais eu aussi peur de lui. Il m'apparaît presque monstrueux en s'approchant lentement de moi. Alors, et même si je voudrais le soutenir, je m'échappe de la pièce. Je cours dans les couloirs, enlève mes talons puis les abandonne. Dans l'un d'eux, Annabella est là et me récupère lorsque je m'effondre enfin. Elle me prend dans ses bras et chante une petite berceuse qui m'apaise, en passant sa main sur ma chevelure. Je ne pleure pas, je suis à bout de souffle, les yeux écarquillés. Je suis retournée.
« Calme-toi ma petite, la vérité n'est jamais bonne à entendre ni à voir... »
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