Chapitre 20: Ce nouveau visage

12h, dans un café au cœur de Greenpoint, Brooklyn

« Alors, comme ça, tu es revenue, dis-je, d'une voix pas du tout affirmée.

— Si je suis en face de toi en ce moment même, c'est que cela doit être le cas Livi. Riley affiche une espèce de sourire de comédienne qui me broie le cœur. »

La tasse que je tiens entre les mains est vide depuis bien longtemps. Je la tourne sans arrêt, histoire de m'occuper une partie de l'esprit, et ce, depuis une dizaine de minutes. Ça m'aide à me calmer. J'avais pris les devants pour la revoir le plus rapidement possible. Nous avions échangé quelques messages et elle m'avait donné rendez-vous ici, dans un café à l'esprit industriel et presque miteux de Greenpoint, Brooklyn.

1 an et demi d'absence, de peur et d'incompréhension pour en arriver à ça.

Bien sûr que je suis heureuse d'elle soit encore en vie, ce serait inhumain de penser le contraire, mais quelque chose d'indéfinissable germe dans mon esprit depuis que je suis arrivée.

Riley est la source de mes problèmes et je suis un bon toutou qui s'amuse à récupérer la balle. Un bon toutou qui commence à vraiment en avoir marre de se faire avoir de la sorte.

J'ai toujours su que mon amie aimait jouer. Je savais aussi qu'elle adore la tromperie. Mais je ne connaissais pas la Riley prête à disparaître dans la nature et abandonner sa meilleure amie sans rien dire, sans aucune raison valable. Celle qui me disait tout est devenue muette et je suis devenue sourde de sa voix.

« Pourquoi ? dis-je, la fixant sans ciller, presque en colère. Ou complètement, je ne sais pas exactement.

— Parce que toutes les questions du monde se commencent par un « pourquoi « ? Pas vraiment original Livi.

— Cesse de m'appeler ainsi, c'est un droit réservé à mes amis proches. Je détourne le regard pour me focaliser sur ma gauche, vue sur la rue.

— Mais je suis ta meilleure amie Livi.

— Tu ne l'es plus depuis longtemps Riley et ton « merveilleux » retour ne changera en rien le passé. Mon ton est grave, à la limite de l'inquisitrice. Tu m'as abandonnée sans remords.

Parce que tu t'imagines que te laisser a été facile peut-être ? Son caractère bouillonnant fait surface comme dans mes souvenirs. Parce que tu crois vraiment que je l'ai fait de bonté de cœur ? Elle s'exclame devant l'assemblée composée d'une barman blasée, d'un vieux docker rougi par l'excès d'alcool dans son sang et de moi. Foutaises ! »

Riley siffle et se lève de sa chaise dans un grand fracas. Elle s'approche à grands pas du comptoir et hèle la femme aux cheveux à moitié bleus.

« Casey, j'ai besoin d'un remontant. Un shot de vodka pour ta serveuse préférée ? »

La fameuse Casey lui adresse un drôle de regard et dépose mécaniquement le shot puis le remplit. La serveuse porte le liquide à ses lèvres et le repose violemment avant de revenir vers moi, sans rien dire.

La Riley Cordell qui me fait face n'a plus rien à voir avec l'ancienne. Celle-ci est bien plus impulsive.

« Tu sais Livi, je n'ai jamais voulu en arriver là, mais mes actions m'ont menée ici, que tu le veuilles ou non. Si c'était à refaire, je le ferais sans hésiter une seconde. Quitte à briser plus de cœurs qu'il n'en faut pour recouvrer la liberté.

— « Recouvrer ta liberté » à n'importe quel prix ? Même celui de me ruiner la vie ? Vraiment ? »

Elle m'adresse un sourire plus qu'hypocrite et penche sa tête sur le côté.

« Qu'est-ce que tu as pu changer Livi... Tu ressembles enfin à une femme.

— J'aimerais vraiment te retourner le compliment, mais ce serait un mensonge qui sortirait de ma bouche. Je lui retourne la même expression puis elle rigole grassement.

— Ah, Livi... Livi, Livi, Livi... Tu étais si naïve, si tu avais su regarder de plus près, tu aurais su bien plus tôt l'idée de mon départ. Bien trop innocente et centrée sur toi-même, tu n'as même pas vu mon mal-être. Tu es peut-être plus âgée aujourd'hui, tu ressembles de plus en plus à une femme, mais dans ta tête, tu es toujours une enfant.

— Mon innocence m'aura au moins permis de rester intègre, contrairement à toi. Je veux savoir... Je me coupe en me mordant la lèvre, apercevant le regard interrogateur de Casey dans un coin.

— Ce qui s'est passé avec ton cher Caleb Barnes, c'est ça ? Elle ricane tandis que je lui demande de parler moins fort. Et bien... J'ai bien pris mon pied et lui aussi d'ailleurs. Je me souviens de ses gémissements sous la couette... Pur moment d'extase si tu veux mon avis tout à fait personnel. Un de mes meilleurs coups sans doute. Elle s'arrête un instant en observant avant de sourire malicieusement. C'est lui qui t'a envoyé à ma rencontre, non ? »

Je déglutis avec difficulté. À vrai dire, il ne m'a pas invité à aller la visiter directement, mais je l'ai senti, il voulait savoir.

« Non, je l'ai fait de moi-même.

— Quelle menteuse de piètre qualité ! Même ma mère ferait mieux ! »

Aïe, ça fait mal. Dans mes souvenirs, Georgia Cordell, une Italienne pure souche venant de Sicile, n'arrive jamais à mentir. Elle se sent honteuse et révèle tout. C'est pour cette raison que Riley ne lui dit jamais ses secrets. Cette dernière a déjà perdu un peu de sa dignité au collège à cause de sa chère maman. Elle n'a plus jamais refait une erreur dans le genre.

« Tu sais Liv –...

— Olivia. »

Elle hausse des épaules puis reprend en accentuant bien mon prénom.

« Tu sais Olivia, si je ne te connaissais pas aussi bien, j'aurais pu croire à ton petit jeu, mais, par mes actions et celles de ton prétendu petit ami, je sais que tu mens. Elle se frotte les ongles avec attention avant de poursuivre, tout obnubilée par ses cuticules. Au moins, tu peux t'estimer heureuse d'avoir une personne qui connaît la vérité et à qui tu peux parler. Tout le monde n'a pas cette chance, moi la première. »

Je replace une mèche derrière mon oreille et cesse enfin de tourner la tasse contre la table.

« Tu l'aurais si tu étais restée à Londres, réponds-je, calmement tandis que mon cœur se serre.

— J'aurais aimé rester à tes côtés Li –... Olivia. Sa lèvre se coince entre ses dents et elle la mord légèrement. Crois-le ou non, rien n'était prévu à l'avance et je pensais pouvoir revenir un jour... Mes conneries m'ont menée sur une pente glissante et j'ai sincèrement pensé que partir t'éloignait de toute cette merde. Elle soupire. J'avais tort, encore une fois. Tout ceci n'était une erreur parmi tant d'autres... Coucher avec Barnes est sans doute la plus grosse. Elle s'arrête puis sourit. N'empêche, c'était vraiment un coup du tonnerre, il est bon au lit celui-là !

— Et tu penses que cela va te faire pardonner tout le mal que tu as fait ? Il n'y a pas que moi dans l'histoire, il y a aussi tes amis, ta famille... Ils ont énormément souffert de ton départ « anticipé ». Malgré quelques trémolos dans la voix, je parviens par miracle à me contenir.

Si tu savais à quel point ils me manquent... Je ne vais pas te mentir davantage, je regrette d'être partie aussi vite et sans nouvelles, mais, dans un sens, c'était mieux ainsi. Riley avance sa main vers la mienne pour la caresser, mais je la retire vivement. Je n'arrive même pas encore à me rendre compte de tout ce que tu as pu faire pour m'aider et l'aider, sans vraiment le vouloir...

— Je sers uniquement les intérêts de mon, les mots me brûlent la trachée et j'ai du mal à finir, patron.

— Olivia, pardonne-moi... Je ferais tout pour que tu acceptes de redevenir amie avec moi... Cela fait si longtemps... J'ai l'impression qu'elle va fondre en larmes à présent. »

Je me relève de ma chaise que je recule avant d'enfiler mon manteau et poser le plat de ma main sur la table en bois.

« N'importe quoi ? demandé-je.

— N'importe quoi, répond-elle, au tac au tac. »

Je tente un sourire qui se veut chaleureux puis m'éloigne lentement d'elle.

« Je t'appellerais si besoin. À bientôt Riley. »

Je m'approche de la sortie en faisant de grands pas tandis que la chaise en bois sombre où siégeait Riley, quelques secondes plus tôt, grince.

« Merci de me faire confiance Olivia, je t'en serais à jamais reconnaissante. »

Sa voix se meurt comme mon cœur en sortant de l'endroit. Un dernier coup d'œil vers l'intérieur et je vois Riley qui se lève de sa chaise, l'air brisée. Je me sens comme broyée de l'intérieur, mise à feu et à sang, complètement vide. En m'éloignant du petit café, je sors mon téléphone et compose le numéro professionnel de Caleb. Après deux sonneries, il répond enfin sans rien dire.

« C'est fait, elle est avec nous, dis-je, simplement avant de raccrocher. »

La Riley que je connaissais ne ressemblait pas à ce que j'ai pu voir aujourd'hui. Elle n'est plus qu'une version détériorée d'elle-même. Et c'est bien ce qui me fait peur.

Je ne la reconnais plus vraiment.

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