Chapitre 2 : ...Bonjour le jeune

Lundi matin

Les rues du sud de Manhattan tout comme les bouches de métro sont bondées ce matin. Les bouches d'aération font jouer les jupes de ces dames, les petits traders courent rejoindre leurs postes et les autres s'agglutinent pour rentrer dans leurs locaux respectifs. Cette atmosphère est suffocante, mais on s'y habitue finalement. Je me souviens de mes premiers jours ici. J'avais failli manquer l'entrée, emportée par le flux quotidien des travailleurs pressés. À croire qu'ils sont toujours en retard et qu'ils aiment l'amour du risque. Avec cette histoire, je m'étais presque cassé un de mes talons dans une des fameuses bouches que je haïs comme on déteste une belle-mère. Belle comparaison n'est-ce pas ?

Chaque matin, et parce que c'est mon travail, je me rends au Starbucks le plus proche. Cliché new-yorkais qui s'applique aussi aux assistants du grand service. J'ai retenu la liste des boissons de chacun, c'est devenu mécanique pour moi. Pour Dory, c'est un Latte Macchiato qu'elle prend en hiver comme en été. Merry choisit très souvent un Green Tea Latte, mais se porte pour un petit Frappuccino chocolaté quand elle est un peu triste. En été, Dave boit son Refresher à la fraise et en hiver, c'est Dolce Latte à la cannelle. Petite gymnastique mentale du matin pour se réveiller.

J'entre dans le Starbucks qui est étrangement calme et vide aujourd'hui. Au comptoir, il y a le jeune Ashton, surnommé Hashtag par mes confrères et moi-même. Toujours sur Twitter, il maîtrise cet art comme personne. Une Kim Kardashian ou un petit Olivier Rousteing à lui tout seul. Et puis il a un style qui se démarque. Apparemment, il fabrique ses vêtements lui-même, allant vers les plus grands retranchements de la mode.

Le jour où il me sert avec un filet de pêche avec de vieilles moules encore accrochées dessus, je vous jure que je les lui fais bouffer et que je ne viens plus le saluer.

« Salut Liv', comment ça va ce matin ? T'as une petite mine. Je te mets comme d'habitude ? Ton weekend a été fastidieux ? Des nouvelles de tu sais qui ? Il enchaîne les questions sans que je ne puisse lui répondre. Je hoche la tête et paie machinalement la commande. »

Ashton s'active à préparer les boissons tandis qu'il me parle. Très énergique ce garçon.

« Explique-moi ce qui ne va pas ma puce ! Il te reste, coup d'œil sur l'horloge, un peu moins d'un quart d'heure avant de commencer. »

Je prends une grande inspiration et me lance :

« Tu sais, la semaine dernière je t'avais dit que le grand patron prenait sa retraite et qu'il faisait rentrer la boîte à Wall Street pour son départ vendredi soir.

— Oui, je me souviens bien, tu étais excitée comme une puce qu'il se barre ce « connard ». Il sort le porte-boisson en carton et y dépose la première. Dessus, je lis le nom de Merry. Tu n'es plus contente ?

— Oh si si. Mais c'est légèrement plus compliqué maintenant.

— Par compliqué, tu veux dire, il se tourne bien en face de moi, les mains sur le bar, « compliqué » ?

— Oui compliqué comme « compliqué ».

— C'est une histoire de coucheries, c'est ça ? Il devient tout excité et tape dans ses mains. Ouh, c'est très intéressant tout ça ! Raconte !

— Ma commande Ashton, elle est en train de refroidir là. Je pointe la machinerie tandis que Hashtag se rend compte de sa bêtise. Et non, ce n'est pas une histoire de coucherie. Et ça ne risque pas d'en être une.

— C'est ce qu'elles disent toutes ! répond-il, un mince sourire sur ses petites lèvres.

— C'est ça, fous-toi de moi ! Bref, je suis allée à la soirée de lancement et j'ai découvert mon futur patron. Caleb Barnes.

— Sur l'échelle d'Efron, il est combien ? »

Je me penche sur le comptoir, palpe mon menton en mimant une intense réflexion. Après quelques petits bruits étouffés, je déclare, sûre de moi :

« 8,5 facile. »

Ashton siffle et sort la dernière boisson, la mienne, puis la pose dans son emplacement.

« Eh bien, il dépasse garçon sexy n°10 de 0,25 ! En plus, il travaille avec toi ! Ouh l'aubaine pour... il me regarde avec ses yeux pleins de connotations...

S'il te plaît Ash', tout le monde nous regarde là... Et non, je ne compte pas lui faire des avances...

— Du moins pas encore, petite tigresse anglaise. Il va craquer sur toi, c'est certain ! J'en mets ma main à couper !

— T'es chiant Ashton, allez, à demain !

— Je ne suis pas « chiant », je suis réaliste ! »

Je prends les boissons et sors du bâtiment. Alors que la porte se referme, je l'entends encore m'appeler :

« Eh, Olivia, ne nous fais pas une Anastasia Steele ! Puis la porte se ferme entièrement et le son de sa voix est étouffé, mais je sais qu'il doit ricaner. »

Vous voyez, j'aime beaucoup Ashton, mais qu'est qu'il peut être lourd sur les bords, surtout en matière de galipettes et de parties de jambes en l'air.

Je jette un dernier regard sur ma montre, 8h51, je suis dans les temps. Comme toujours, je peux m'en féliciter. Je m'avance, le porte-boisson dans ma main, mon Nokia dans l'autre dans le dédale des salariés qui sont manifestement en retard. J'arrive devant la grande façade du bâtiment, celle que je vois tous les matins et tous les soirs. À noter que je m'extasie devant depuis le début et que je ne me lasse pas de son style Art déco. Grandes voûtes pour les fenêtres, pierres brunes et ornements. Un vrai bonheur de s'arrêter un instant observer l'architecture d'une ville.

Le hall est immense et décoré par un sapin de Noël aux tons chauds. Guirlandes grenade et or étincelantes, petites boules de mêmes teintes et une énorme étoile en forme de stalactite, une création d'un artiste de Philadelphie, un ami de Monsieur Barnes qui le lui a offert l'année de création de Mediatics, si j'ai bien compris. Bref, une référence de l'histoire de notre chère boite.

Je le traverse, souriant vaguement au mec de la sécurité qui m'indique de passer mon badge.

« Bonjour Madame Lawford, passez une bonne journée au sein de Mediatics. Ne soyez pas en retard.

— En retard ? Phff, moi ? Jamais, mais merci Jackson, vous de même. Mon pass actionne la porte du sas pour atteindre les escaliers ou les ascenseurs. Je doute que celui qui travaille au vingtième prenne les escaliers, mais je vois une femme qui bosse ici le faire tous les jours. Apparemment, c'est pour pouvoir rentrer dans une robe pour Noël. »

Mon cerveau se déconnecte un instant quand j'appuie sur le bouton de mon étage et que les portes se referment.

La cage monte jusqu'au vingtième lentement. Beaucoup trop lentement d'ailleurs. Vingt tintements d'étages montés plus tard, je me retrouve aux portes du bureau que tous voudraient occuper. Celui d'assistant, ou d'esclave, tout dépend de comment vous le voyez, de l'homme le plus influent financièrement parlant des médias américains. J'ai cité Mr le PDG de Mediatics.

Pour prouver la gloire qu'est de rentrer dans ces locaux, sur la porte en verre y est écrit en lettres d'or le sceau de la société, deux micros de radio et de télé qui sont reliés ensemble par une alliance et le nom du service associé. Il en va de même avec les lettres A.B qui désignent le bureau de Andrew Barnes.

Ma main sur la poignée de la porte, je pousse dessus et m'apprête à être assiégée par trois confrères en manque de Starbucks. Je ferme les yeux et dis :

« Bonjour, le service est arrivé ! Puis je rouvre les yeux avec un grand sourire. »

Personne. Il n'y a personne. C'est assez étrange, ils sont toujours là au moment où j'arrive pour la distribution. Je pose le porte-gobelet sur mon bureau, enlève mon sac et mon manteau avant de distinguer une note sur un post-it collé à l'écran de mon Mac.

« Vu que tu n'es toujours pas là, nous en avons déduit que tu n'avais pas lu le mail de notre nouveau PDG que nous avons tous les quatre reçu dans le weekend. Rejoins vite la salle de conférence, la réunion commence à 9h00. – Dory, Merry et Dave «

Alerte rouge ! Regard sur l'horloge, je pâlis, il est 8h58. La salle de conférence est à l'autre bout de l'étage.

Je me lève d'un coup, prends un bloc-notes et sors en courant pour rejoindre la salle de réunion. L'adrénaline s'envoie dans chacune des parcelles de ma peau. S'il y a bien quelque chose, à part le fait qu'un invité prenne le dernier petit four sans demander si quelqu'un d'autre en veut, que je déteste, c'est bien le retard. Motif d'irrespect par excellence.

Alors que j'atteins l'arrivée, mes deux pieds s'entremêlent entre eux et me voilà les quatre fers en l'air, un magnifique futur hématome sur le derrière et deux pouffiasses qui ricanent après m'avoir vu me viander.

« C'est ça, rigolez, rigolez, le jour où vous vous casserez la gueule, je me foutrai de vous avec joie, dis-je à ces deux pimbêches qui s'éloignent, mortes de rire.

— Je pense qu'on ne pouvait pas faire pire chute, madame... C'est une voix masculine que j'entends dans mon dos.

— Ne m'en parlez pas, j'ai du faire un soleil juste pour arriver à l'heure à une stupide réunion sur je ne sais quoi qui risque de me faire dormir debout. Encore un débriefing de Jeremiah Kowalski sans doute... Je me relève, excédée puis commence à me retourner.

À vrai dire, c'est plutôt moi qui ai programmé cette « stupide » réunion de présentation à mon service et mes directeurs. Après, si vous pensez que c'est inutile, vous pouvez rejoindre votre bureau. Vous ne dérangerez personne, soyez en sûre Madame Lawford, dit-il, un ton sévère. »

Immédiatement, je rougis en croisant son regard. Effectivement, j'ai en face de moi mon patron qui ne semble pas très content de mes propos.

« Bon, excusez-moi, mais j'ai une réunion « stupide » à animer donc si vous voulez bien vous pousser, ça m'arrangerait. Je me décale sur la gauche et le laisse passer. Alors qu'il est derrière moi, je l'entends se retourner et dire :

Soit vous vous dispensez en retournant à votre place, soit vous venez, madame. Faites votre choix rapidement. »

Je réagis en le suivant et en bafouillant un minable « excusez-moi Monsieur ». À ceci, il répond :

« Croyez-moi Olivia, si mon père était quelqu'un de laxiste et agréable, moi, Caleb Barnes, je vous ferais vivre un enfer. Compris ? »

Je le soutiens du regard et acquiesce rapidement.

« Oui Monsieur Barnes. »

Il replace une mèche de sa chevelure, replace sa cravate parfaitement mise et enclenche la poignée. Comme son petit chien, je le suis et me positionne discrètement derrière les autres assistants qui me font les gros yeux. Merry se colle à moi et me glisse à l'oreille :

« Là, il va falloir que tu m'expliques. »

Mais je n'ai pas le temps de lui répondre quand Monsieur Barnes Junior commence son éloquence :

« Bonjour et bienvenu à tous pour cette réunion exceptionnelle. Je sais, il est lundi matin et vous êtes fatigués, mais, tout en disant cela il fixe un employé qui commence à bailler, je ne tolérerai aucun écart durant le temps où je serais patron de Mediatics. Mais commençons par le commencement. Je suis Caleb Barnes, le fils de votre ancien PDG et compte bien suivre de près tous les échanges commerciaux de mon entreprise. D'une main de fer, je la dirigerais aussi longtemps que je le pourrais et c'est pour cette raison que je vous annonce que, d'ici le 31 décembre, une partie de mes employés sera mise à la porte pour des questions budgétaires. Je mènerais le choix final en fonction de vos qualifications. À partir de maintenant, je vais vous juger sans aucun remords et c'est pour cette raison que vous, il pointe le jeune homme qui avait bâillé, vous êtes viré pour insubordination envers votre employeur. Vous avez deux heures pour ranger vos affaires, rendre votre badge et quitter les locaux. »

Toute la salle est choquée, les Hungers Games commencent déjà. Certains vont pour protester, mais Caleb Barnes leur jette à chacun un regard qui en dit long sur sa pensée. Le garçon sort de la pièce, honteux tandis que je pose ma main sur ma bouche, effrayée. C'est à ce moment que mon supérieur s'arrête sur moi et tire un petit sourire sadique en disant :

« Voilà l'enfer que je vous avais promis, Madame Lawford. » 

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