Chapitre 11: Retour à la réalité

Samuel nous attend devant la portière de la voiture. Caleb pénètre en premier tandis que je m'arrête un instant.

« Madame Lawford ? Vous venez ? dit Samuel, en me tendant la main gentiment. Je la prends puis rentre à mon tour. »

Caleb dégaine un journal de sa portière et l'ouvre. Il s'agit du New York Times. Tout en gardant les yeux fixés sur son article, il énonce :

« Je pense qu'il paraît logique de nous tutoyer hors du travail. Des gens...

— Pourraient se poser des questions, évidemment. Je te rassure, je déteste les rumeurs et surtout d'être au centre d'elles. Je me colle à la vitre pour regarder le paysage urbain défiler. Il y a bien plus de personnes qui courent pour rentrer dans leurs locaux.

— Évidemment. Et d'ailleurs, Samuel va te déposer juste à quelques rues du travail. Tu as intérêt à être à l'heure. Il détache son regard du papier pour le laisser courir sur sa montre et la vitre teintée. Bien un truc de riche, d'ailleurs.

— Logique. Ce serait bizarre d'arriver en même temps et du même véhicule. Je m'arrête un instant avant de reprendre. Cette relation restera secrète aussi longtemps que nous le pouvons. »

Caleb sourit puis la BMW s'arrête et il m'indique la sortie. Je sors et entends la voix de mon patron, reprenant son habituel air de supériorité.

« Pensez à commander un café serré au Starbucks. À tout à l'heure Lawford ! Aucun retard admis Olivia, aucun ! La voiture vrombit et s'éloigne immédiatement dès que je referme la porte. »

Je me retrouve happée par le flot d'humains en costume cravate qui se déverse sur le trottoir. Je n'ai plus qu'à suivre le mouvement et attendre d'être devant le Starbucks.

Clairement, je ressens un grand besoin de me confier à Ashton. Et toujours aussi clairement, si je me fais avoir par « la loi du trottoir », jamais je n'arriverais à atteindre ma cible, aka le fameux et ô sacré café serré.

Vous voyez, « j'apprécie » un minimum mon patron pour lui prendre café et le supporter durant deux semaines. En fait, je suis juste l'équivalent féminin d'Hercule. Non, je ne me jette pas des fleurs, loin de là, mais c'est quand même très gratifiant quand même.

Plus gratifiant que la fois où j'ai réussi à faire tourner deux crêpes en l'air en même temps, alors que c'est un exploit. Je continue de penser que, depuis mes 11 ans, je mérite hardiment une médaille pour ce haut fait.

Au loin, je vois l'enseigne et me glisse entre les gens pour rejoindre la porte. J'y arrive in extremis et pénètre à l'intérieur en me donnant des petits foyers d'air.

Ashton parle à une jolie jeune fille au comptoir avec un grand sourire. Quant à elle, elle parle sans s'arrêter, sous le regard ébahi de mon ami. Il manque plus que la bave pour compléter le tableau.

Je m'approche du bar à mon tour en fixant les deux personnes qui ne se détachent pas une seconde du regard. J'ai beau toussé, agité le bras pour attirer l'attention et appeler Hashtag, rien n'y fait. Je dois utiliser la manière forte. Je donne un grand coup dans l'épaule de la jeune femme qui pousse un petit cri suraigu. Ashton se tourne vers moi, le regard énervé. Cependant, en tombant sur moi, il est étonné.

« Tiens, une revenante. Ça fait plaisir de te voir Liv', mais je suis en pleine conversation avec... »

La femme enlève une poussière de son épaule et affiche un sourire hypocrite.

« Ester, je suis Ester Moss. Ravie de vous rencontrer.

— Ouais, c'est ça, un plaisir partagé. Je me tourne vers Ashton qui a un petit bloc-notes en main. Rien à faire de Ester Moche. Comme d'habitude sauf que la Latte Machiatto devient un café serré.

— Dory ne va pas revenir ? Hashtag s'active, comme à son habitude, devant les machines, assisté par un autre collègue. C'est fini pour elle ? »

Ester reste à écouter, silencieuse, tripotant son petit sac entre ses doigts. Je lui jette un regard plus noir que noir et elle s'éloigne enfin, une mine énervée sur son petit visage poupin.

« Elle a détruit la moitié du bureau général, elle est radiée de Mediatics jusqu'à nouvel ordre, par mon « merveilleux patron ».

— Quelle ambiance de folie juste avant les fêtes ! Wouhou !

— Tu ne sais pas si bien dire... En parlant des fêtes, tu ne m'as toujours pas répondu pour Noël. Tu viens bien ? »

Ash tire une tronche de 50 kilomètres de long. Cela veut bien dire ce que ça veut dire. Il dépose la seconde boisson et ne répond pas à ma question.

« He oh Ash, je te parle ! Tu viens ?

— Je suis désolé Liv', mais je ne pourrais pas... Ester est venue du Kansas pour m'inviter à la maison... C'est ma cousine. »

Je me retourne vers la fameuse cousine qui est assise à une table, un petit sourire sur son visage juvénile. Je sens que l'on va vite devenir cul et chemise toutes les deux. Elle m'horripile déjà.

« Ta cousine ?

— Ma cousine éloignée plutôt. Nous avons un arrière-arrière-grand-père en commun. »

Je le fixe profondément et, d'une voix calme, je dis :

« Tu la reluques depuis tout à l'heure.

— C'est faux ! Hashtag rougit comme un enfant qui est surpris en train de faire une bêtise. »

Gros silence alors que nous nous regardons dans les yeux. Je vois une lueur dans les siens. C'est évident.

« T'es vraiment un gros pervers ! Cette gamine doit avoir même pas 20 ans !

— Elle va avoir 20 le mois prochain ! Il pousse un râle puis reprend : je ne fais rien de mal ! »

Je pouffe dans ma main tandis que Ashton, déconcerté, s'emmêle les pinceaux et se ramasse piteusement au sol. J'éclate de rire alors que son collègue le remonte des deux mains.

« Quel esprit d'équipe dis-moi ! La prochaine fois que je tombe, rappelle-moi d'avoir Monsieur Barbe de trois jours à proximité... L'homme sourit timidement et reprend sa tâche, fixant le dernier gobelet. »

Je pose ma monnaie, attrape le carton et sors, sous de grands éclats de rire malgré ma profonde tristesse. Mon premier Noël à New York sera un Noël solitaire.

Je m'avance dans les dédales et atterris, chanceuse, dans le hall. Il me reste plus qu'à gravir les 20 étages avant de vivre, pour une énième fois, la vie d'une petite assistante du grand et flamboyant Caleb Barnes.

« Bonjour Madame Lawford ! Le vigile sourit de toutes ses dents aussi blanches que de la porcelaine.

— Bonjour Jackson ! J'espère que vous passerez une bonne journée. Je lui retourne un sourire contenu et fonce vers les ascenseurs. Je ne suis pas en retard, c'est un bon point. »

Lorsque j'arrive dans les bureaux, le passage de Dorothy a presque disparu, des fauteuils lacérés ont été remplacés, les feuilles arrachées ont été jetées et Merry ainsi que Dave sont déjà installés pour travailler. C'est presque comme avant.

Sauf que rien n'est comme avant malheureusement.

« La tournée est arrivée ! Je brandis le porte-gobelet et dispose chacun des verres sur chacune des tables dans un schéma classique. Auquel s'ajoute le bureau du PDG à présent.

— Merci Olivia, dit Dave, les yeux scotchés sur son ordinateur. »

Il en va de même pour Merry. Elle semble visée à sa chaise.

Dernier tour dans le bureau de Caleb, et je peux reprendre mon travail. Je replace ma coiffure et ajuste mon haut pour retirer les plis. Main sur la porte pour toquer puis main sur la poignée, j'entre, en prenant un air sûr de moi.

Dans la pièce, assis sur son grand siège en cuir, il y a, comme d'habitude, Barnes, mais en face de lui, une personne sur un siège. Une femme brune en tailleur a les jambes croisées. Elle me tourne le dos donc je ne peux pas savoir de qu'il y s'agit. Caleb a affiché un air blasé et jette un regard vers moi. Il semble s'illuminer et court vers moi, comme un enfant. Il place sa main autour de ma taille et m'attire vers lui, très fortement.

« Bien, Olivia, voici... La brune se retourne et je peux enfin admirer son visage. Elle est clairement magnifique et elle sait qu'elle est belle. Sharon, ma future ex-femme. »

Je reste complètement silencieuse, mon café serré dans la main. Je manque de le laisser tomber sous la surprise.

« Eh bien, tu m'as trompé avec une belle empotée. Je te félicite Caleb pour réussir à toujours foirer tes amourettes. Sharon applaudit lentement dans ses mains et se lève du siège, laissant apparaître sa taille et ses jambes fuselées. Elle ressemble à une vraie déesse. Quel idiot pourrait tromper une femme de ce genre ? Ah oui, Caleb. »

Je lui tends ma main, en signe de bonne volonté, mais Sharon la refuse, dédaigneuse. Elle aussi, je sens que je vais beaucoup l'aimer.

« Vous êtes la fameuse Olivia. C'est fou, je vous imaginais plus... Plus belle et plus élancée. Plus confiante aussi. C'est bête que votre nouveau petit-copain soit un volage de première, vous allez le regretter très rapidement. Elle s'approche moi, tel un félin puis s'approche lentement de mon oreille. Faites attention Olivia, le monde des Barnes est fait de coup bas et d'histoires d'argent, vous pourriez en perdre des plumes. Elle passe ses longs doigts sur mon épaule, en la caressant puis s'éloigne, sans un bruit. »

Elle est divine et nous laisse tous deux pantois devant elle. Sharon a un charme réel auquel personne ne peut résister.

« À bientôt pour le grand spectacle les deux tourtereaux. N'oublie pas, mon cher Caleb, que je sais des choses que tu ne voudrais pas révéler au grand jour. Faites attention, ne devenez pas les Roméo et Juliette des médias. Sharon ricane puis part, nous laissant, Caleb et moi, côte à côte, presque hypnotisés par cette apparition aussi féerique que démoniaque. »

En quelques phrases, l'ex-madame Barnes a montré sa dangerosité et je comprends mieux le stratagème pourri jusqu'à la moelle de Caleb. Il est dans un sale pétrin et il sait que je l'ai compris.

« Olivia, nous sommes dans la merde, dit-il après un long silence. »

Cela n'a jamais été aussi vrai.

Nous sommes vraiment dans la merde.

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