Chapitre 1 : Au revoir le vieux...

« Monsieur Barnes ? Votre dossier est prêt. Ainsi que votre rendez-vous de 15h50, qui vous attend à l'accueil. »

Sous son parfait costume Armani, Monsieur Barnes replace ses boutons de manchettes, un air blasé sur son visage fatigué et ridé. Le poids des années commence à se faire sentir sur ses larges épaules. Ses petites pattes d'oie sous les yeux, ses petites rides d'expression qui se sont transformées en larges crevasses et ses cheveux ont perdu leur ancienne couleur d'automne pour une espèce de poivre et sel sur des tons de brun et de gris. Il vieillit, entouré de ses associés et de sa famille. Tant mieux pour lui.

Aujourd'hui est un grand jour pour Mediatics. Monsieur le fondateur et PDG Barnes prend sa retraite après 40 années de bons et loyaux services pour sa société. Et pour fêter ça, son « bébé » rentre en bourse ce soir. Évidemment, il fait bien les choses pour un départ en grande pompe. C'est le grand patron, tout est fait pour que sa grande sortie soit merveilleuse.

Connard d'arriviste.

« Je vous remercie Madame Lawford, ce fut un plaisir de partager ces quelques mois en votre compagnie. Vous n'étiez pas aussi impressionnante que Madame Nicolson et ses talents de dactylographie, mais qui peut égaler la reine dans la matière n'est-ce pas ? Il pouffe grassement puis prend l'ultime dossier en cuir brun que je lui tends, un aimable sourire d'hypocrite collé sur mon visage. Bonnes vacances de Noël madame, et bonne année.

— Bonnes vacances, Monsieur Barnes et bonne retraite, réponds-je. »

Il sort, son attaché-case dans la main droite et son dossier dans la main gauche. C'est Dory la dorade qui se lève de son siège la première et qui court ouvrir la porte de sortie au grand patron. Pourquoi Dory la dorade ? Car elle met tellement de maquillage et d'highlighter doré qu'on pourrait la prendre pour ce poisson.

Je retiens mon souffle quand le vieux croûton est dehors et que la porte du service général se referme derrière lui entièrement. Plus que quelques secondes et la libération de mon foutu patron égocentrique sera complètement acquise. Trois... Deux... Un... Fermée. Elle est fermée.

« Oh, yes putain, manqué-je de gueuler dans le bureau sous les regards interrogatifs de Dory, Merry et Dave. Excusez-moi, cri du cœur, c'est le weekend. »

En jetant un coup d'œil à l'horloge numérique de mon vieux Nokia, je note qu'il est à peine 16 heures. Plus qu'une heure de souffrance et je serais libre comme l'air jusqu'à lundi matin 8h30. Petite bouffée d'air frais dans un quotidien barbant au possible.

« Eh Liv', ça te dit de venir avec nous au lancement en bourse de notre « merveilleuse », Merry fait de grands guillemets pour appuyer son mot et son ironie, entreprise ? »

Je me retourne entièrement vers mes collègues de travail, observant Dory déplisser sa jupe Burberry qui a dû lui coûter ses deux bras. Merry, au centre de l'assemblée de bureau, est une jolie brune au carré court, aux yeux bruns et ayant, au plus grand dam de ses collaborateurs, pour icône ultime la stoïque Victoria Beckham. Elle vient au bureau, vêtue de vêtements similaires à ceux de V, allant même jusqu'à prendre exemple sur ses positions de red carpet lorsqu'elle va donner un dossier au grand patron. Merry est vraiment trop influencée et trop influençable. Je me rappelle que les premières semaines de travail, elle s'était mise en tête de travailler sa voix comme sa star chérie. Tout simplement insupportable de l'entendre beugler tout le long du jour que du Spice Girls. Une immondice vocale, je vous jure.

« Comment veux-tu te rendre à cet événement sans y avoir été conviée ? Non parce que je me vois mal essayer mille stratagèmes qui ne vont aboutir à rien, juste pour voir Barnes appuyer sur un bouton. Très peu pour moi, désolé. »

C'est Dave qui reprend avant que Merry puisse me répondre. Dave a toujours été une personne assez malpolie. Il ne réfléchit pas vraiment avant de parler. D'ailleurs, du haut de ses 49 ans, il me fait souvent penser à l'acteur Stanley Tucci, physiquement parlant. Vous ne voyez pas de qui il s'agit ? Celui qui joue Nigel dans Le Diable s'habille en Prada ! Assurément mon film préféré du monde entier ! Pas un poil de cheveux sur son crâne, de grandes lunettes à monture épaisse et cet ensemble décontracté, mais classe qu'il arbore tous les jours. Mais au-delà du fait qu'il coupe souvent la parole, il est incroyablement amical et positif en restant ferme sur ses idéaux.

« On ne te dit pas qu'on va jouer à James Bond, même si me voir, il mime de réajuster sa cravate invisible, jouer ce rôle ne m'aurait pas déplu, mais de te joindre à notre petite escapade, près de Wall Street. On pourra se glisser aisément dans la foule si on a les contacts et les tenues. Tailleurs chics exigés mesdames !

— Oh oui ! J'ai tellement hâte de pouvoir m'habiller dans la réplique de la tenue de Vic' qu'elle por...

— La ferme Merry, disons tous ensemble Dory, Dave et moi.

— Si on ne peut plus communiquer comme on veut dans ce bureau... Merry commence alors à bouder dans son coin, replaçant une petite mèche qui s'était échappée de sa chevelure parfaitement lissée.

Ça, c'est une très très mauvaise idée, vous vous en rendez compte j'espère ? Je me craque le cou en finissant ma réplique. J'adore le petit bruit qu'il fait quand il craque après une longue journée de travail.

— Mais Liv', ça mettra du pep's dans nos vies non ? Toi qui te plains tout le temps qu'il ne se passe rien dans ta vie, que tu veux vivre l'aventure, l'inédit, le danger ! L'adrénaline que tu cherches, on te la propose sur un plateau d'argent ! Place Dory qui se regarde dans son petit miroir de poche. Peut-être qu'elle se dit qu'elle n'est pas assez brillante et éblouissante avec toutes ses paillettes.

— C'est l'A-VEN-TU-RE ! Le défi ! Allez viens, ça va être drôle et en plus, il se raconte que le fils Barnes sera là et que son père va le présenter en temps de nouveau PDG. »

Alors que je me retourne pour pianoter sur mon clavier, entendre que le futur PDG sera là alors que personne ne l'a jamais vu dans les bureaux de Mediatics, ni dans les journaux, c'est un sacré événement. On raconte même que ce Barnes Junior n'est qu'une légende et que le futur patron ne serait que le directeur commercial déjà en place, l'emmerdeur de première Jeremiah Kowalski, un homme d'une cinquantaine de printemps qui fait la pluie et le beau temps quand ça lui chante. Qui détient le genre de poste que je convoite et dont j'ai les diplômes pour l'obtenir. Mais, ça n'empêche que l'avoir comme boss serait juste un énorme drame et je ne peux me résoudre à démissionner. Être l'une des assistantes du big boss ne m'a pas réellement apporté beaucoup d'argent, mais je prie chaque soir pour qu'une petite prime tombe pour excellent travail sur mon bureau le matin.

Autant vous dire que la fameuse prime est capricieuse et qu'elle s'est perdue dans les bouchons entre le bureau du comptable en chef au quinzième étage et le mien au vingtième. Enfin, je sais qu'elle ne viendra pas tout de suite, vu les commentaires désobligeants que me porte Monsieur Barnes depuis mon premier jour. Excusez-moi, mais c'est un sacré con.

« Le nouveau PDG vous dites ? Mon intérêt grimpe en flèche.

— Oui, ce soir, il fait un petit discours pour présenter son chérubin et pour lui passer les clefs de nos salaires, dit Dave, qui se gratte la joue.

S'il y a le fils Barnes, alors ça change tout... Je souris malicieusement. Expliquez-moi le plan... »

--—

Plus tard, dans la soirée, sur la place de Wall Street, non loin du bull

« Prêtes les filles ? Vous êtes prêtes pour la grande aventure ? questionne le petit Dave qui semble s'être rajeuni pour avoir construit un plan qui s'apparente à un jeu d'enfant.

— Plus que prêtes Dave ! Nous répondons à l'unisson.

— Votre mission est simple. Infiltrer la bourse de Wall Street sans vous faire repérer pour voir la cible, j'ai nommé Barnes Junior. Il sort un papier avec une tête de photo de profil Facebook vierge.

— Dave, tu es sérieux là ? dit la petite Merry qui replace son tailleur.

— Laisse-moi goûter au plaisir d'être le Charlie des Drôles de Dames, okay ? J'aimais beaucoup regarder cette série quand j'étais adolescent. Qu'est-ce que j'ai pu fantasmer sur Farrah Fawcett...

— On ne veut pas savoir Dave ! interromps-je en levant la main vers le visage de mon collègue, mimant le dégoût. Je n'ai pas envie de connaître tes fantasmes sexuels d'adolescent boutonneux et mal coiffé ! Je place mes mains en cache-oreilles pour occulter le son de sa voix.

Dave semble rêveur, il doit se souvenir de son enfance dans le Connecticut, les biscuits de maman et les filets de baves de son vieux boxer, Barbosa. Ne me demandez pas comment je sais tout ça, c'est un secret de magicienne.

Ou de grosse fouineuse, comme vous voulez.

« Bon, on a compris Dave, entrer en cachette, esquiver les gorilles et découvrir le visage de notre nouveau patron. Dory claque dans ses doigts et ajoute, un jeu d'enfant ! »

Dave sourit, nous nous tapons dans les mains et Merry part la première pour ouvrir la voie. Dory au bras de Dave s'avancent comme un seul homme vers l'entrée, mon collègue arborant un magnifique monocle qui le fera jeter à coup sûr dehors. Je n'attends rien de Dory non plus. Elle est tellement voyante avec ses glitters qu'elle se fera harponner elle aussi. À vouloir se la jouer membres de la haute, ils vont se cramer les ailes comme Icare.

Il ne reste plus que la jolie Merry et moi, Olivia Lawford, la petite Anglaise qui a débarqué à New York, il y a moins d'un an. Je croise les doigts, embrasse la petite chaînette de maman que je porte toujours au cou, elle est mon porte-chance et m'avance dans la petite foule qui se hâte dans le Wall Street, déjà plein à craquer de journalistes et photographes ainsi que de collaborateurs. J'essaie comme je peux de me fondre dans la foule. Je n'ai jamais vraiment aimé ce type d'ambiance et d'ailleurs je préfère l'éviter en général. Cela m'évite des situations un peu dérangeantes. Et puis cette chaleur ! Je crois que je vais tomber dans les pommes. La tête me tourne et je trébuche puis pousse sans le vouloir un actionnaire qui semble très énervé d'avoir été bousculé. Je pense qu'il me hurle dessus, mais je n'arrive pas à entendre ce qu'il dit. J'ai juste la désagréable impression d'être dans un de ces concerts de filles en chaleur qui hurlent pour leurs idoles, multiplié par trente.

Je tente de m'excuser, mais une main me tire par le bras et me fait reculer. Mon cœur bat à mille à l'heure, je me retourne vers un homme qui s'avère être de la sécurité. Oh shit.

« Votre invitation, demande-t-il lourdement.

— C'est-à-dire que... Je simule de chercher dans mon clutch, mais ne trouve évidemment rien. À part un vieux ticket de métro. Je l'ai perdue dans la foule quand je suis tombée, mais si vous voulez, j'ai mon ticket de métro ! Bon deal ? Je fais un grand sourire et présente mon petit papier.

— Pas d'invitation, pas d'entrée. Je vous prie de partir madame.

— Madame ! Je ne suis pas mariée ! Je vous en supplie Monsieur, je suis l'assistante de Monsieur Barnes, je dois être présente à cet événement !

— Pas d'invitation, pas...

— D'entrée, je sais ! Je vous en conjure, c'est très important ! »

Alors que l'homme s'apprête à répliquer, une voix masculine s'approche de nous.

« Elle est avec moi, c'est ma petite amie. L'homme dégaine deux invitations et pose sa main dans le creux de mon dos. Le gardien semble surpris, mais pointe les deux pass et nous laisse entrer. Merci. »

Je reste stoïque, mais plutôt fière de pouvoir être entrée dans l'antre de la bourse américaine. Sans trop d'encombres.

Lorsque nous sommes assez loin du garde, l'homme que je n'ai toujours pas regardé me lâche le dos et se tourne vers moi. Je ne peux m'empêcher de bafouiller en le regardant, surprise. Il est sacrément... je n'ai pas de mot.

« Je... Eum... Merci beaucoup pour votre aide Monsieur...

— C'est un plaisir d'aider les demoiselles en détresse, il prend ma main et y pose un petit baiser, un vrai plaisir... »

Je me sens rougir jusqu'aux oreilles, une vague de chaleur qui me prend tout le visage. Il est vraiment beau, un brun avec de beaux yeux bleus et une petite barbe qui ajoute du charme. Il est carrément sexy.

« Je... Pourquoi m'avoir aidée à rentrer ?

— J'ai entendu vos complaintes et puis vous êtes l'assistante de Monsieur Barnes Senior. Vous êtes quelqu'un d'important en soi. Il fait un doux sourire enjôleur. Comment vous appelez-vous ?

— Olivia Lawford et vous ?

— Ça n'a pas réellement d'importance, vous le saurez bientôt... Il jette un coup d'œil à sa montre, une Breitling noire et or magnifique. Excusez-moi Olivia, mais je dois vous laisser, à bientôt. »

Et il s'éloigne rapidement, me laissant seule dans l'endroit empli d'hommes. J'ai bien peur d'être la seule à être entrée dans les locaux, n'y apercevant aucunement Merry, Dory ou Dave.

Parfait, je suis seule, je viens de tomber sur un mec ultra canon et je ne connais personne autour de moi pour en parler. Excellent. Alors je suis le mouvement, la tête dans les nuages, et me place au milieu de la foule. Monsieur Barnes est déjà installé et a commencé son discours.

« Je suis très heureux de pouvoir partir en faisant de mon entreprise Mediatics, une entreprise mondiale ! Mais comme il faut que j'abandonne les rênes à quelqu'un de plus jeune, mais tout aussi expérimenté que moi, l'assemblée rit, j'ai décidé de léguer le rôle de PDG à mon fils. Applaudissements dans la foule à laquelle je me mêle. Ce soir, je lui lègue le flambeau. Caleb, viens je t'en prie. »

Au même moment, une armée d'appareils photo se lève me cachant la vue sur le fils Barnes. Je n'arrive à voir que le bout de ses chaussures parfaitement cirées et brillantes.

« Je tiens à remercier tous nos associés et espère que vous accueillerez bien Caleb au sein de Mediatics. Il sera le capitaine de notre navire ! D'ailleurs, mon fils, j'aimerais que ce soit toi qui appuies sur ce foutu bouton qui a mis du temps à se présenter à nous. Je suppose qu'il tend le micro à Caleb pour qu'il dise un petit mot. Ce qui s'avère être la bonne prédiction puisqu'une autre voix, plus jeune et moins rocailleuse que celle du vieux se fait entendre.

— Je suis très heureux de pouvoir remplir cette fonction que j'ai hâte de faire briller ainsi que faire rayonner notre société internationalement ! C'est un plaisir de prendre ta place mon cher père. Je reconnais immédiatement la voix de Barnes Junior. Les yeux ronds comme deux balles de golf, j'attends que l'appareil qui se trouve parfaitement dans mon axe de vision se baisse, me permettant parfaitement de voir la scène. »

Andrew Barnes et Caleb Barnes, père et fils sont côte à côte et sourient à la foule avant que le nouveau PDG se penche vers le bouton et l'actionne.

De nombreux crépitements se mettent alors à apparaître et des applaudissements à tout rompre. Je commence à vraiment me sentir mal.

Je sors alors du bâtiment, la chaleur me fait tourner la tête et arrivée dehors, je me rue vers le premier banc qui vient.

Je suis clairement dans la merde. L'homme que j'ai rencontré et qui est vraiment très sexy est mon nouveau patron.

L'énigmatique Caleb Barnes.

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