Chapitre 8

Ted suspendit son geste, se figeant littéralement. Il resta quelques secondes dans cette position, tentant d'assimiler ce que je venais de dire.

-Qu'est ce que tu viens de dire ? croasse t-il, sous le choc.

Je hoche tristement la tête. Puis je baisse les yeux. Je ne peux pas continuer à regarder Ted. Pas pendant que je lui raconte. Et je lui raconte tout.

-Et, je suis partie. Je sais que j'aurais pas dû, Ted. fini-je.

Je n'avais pas pleuré, ma voix n'avait pas tremblée une seule fois. Ted se lève et retourne regarder par la baie vitrée, ses mains noueuses croisées derrière son dos. Il s'absorbe dans la contemplation de la pluie qui s'était mise à tomber. Il ne dit rien, ne bouge même pas. Il semble avoir oublié ma présence. A tel point que je me demande un instant s'il n'est pas devenu sénile. Puis, il fini par se tourner enfin vers moi, et la mine sombre, il déclare :
-Je comprends que tu n'ai rien dit, Chloé, commence t-il. Seulement, le temps, dans une affaire comme celle-ci est primordial.

Voilà, je vais encore me faire remonter les bretelles. Génial... Ted retourne s'asseoir en face de moi et me regarde dans les yeux.

-C'est pourquoi il faut organiser une expédition au plus vite.

Il avait dit ça une lueur de malice dans les yeux, comme à chaque fois qu'il lançait une arrestation. Des fois, j'avais l'impression que Ted s'amusait comme un petit fou, à jouer le héros épris de justice. Mais cette impression fugace s'efface dès qu'il soulève le combiner du téléphone et reprend son air sérieux.

-Martin, dans mon bureau, immédiatement. ordonne t-il.

Oh non, pas lui. Il va encore rappliquer dans la seconde, en bon petit toutou fidèle. D'ailleurs, j'ai a peine le temps de formuler cette phrase dans ma tête que la porte du bureau s'ouvre et qu'il apparaît dans le reflet de la baie vitrée.

-Vous avez besoin de moi ?

Ted hoche la tête et désigne le siège vide, à mes côtés. Martin s'y assoit, aussi raide qu'un poteau électrique. Et je n'exagère pas. Il est de nouveau bien coiffé, bien rasé et bien habillé. Comme si le Martin que j'avais découvert ces deux derniers jours n'avait été qu'un rêve. Ted lui explique rapidement. Tout du long Martin hoche la tête. Un peu comme les chiens qu'on met derrière les voitures. Je souris à cette pensée.

-Tu as compris, Chloé ? demande Ted, les mains jointes sous son menton.

Mince, j'ai pas écouté.

-Euh, oui.. Oui, bien sûr, je bredouille.

Martin se lève, et je le suis. Dans le couloir, il me tend les clés de sa voiture.

-J'appelle la police. Attends-moi côté passager.

Sur le chemin qui mène au sous-sol, j'essaye de démêler le plan de Ted. Martin appelle la police. On va donc sûrement tenter une arrestation. Je grimpe dans la voiture de Martin. Côté passager, comme il me l'a demandé. Tout en réfléchissant, je fouille machinalement dans la boite à gant. Le pistolet de fonction de Martin tombe sur le sol. Je le replace. Puis je sors le papiers qui s'y entasse en y jetant un rapide coup d'œil. Des notes de la mission, à première vue. Puis, je me penche un peu plus pour arriver à voir au fond. Il y a son téléphone portable. Je souris, victorieuse. Je le prend et appuie sur le bouton pour allumer l'écran. Il demande un code. Forcément. J'entends des bruits de pas, et je regarde dans le rétro. Martin arrive. Je mets le téléphone dans la poche de mon jean diesel et fourre précipitamment les papiers et le flingue là où je les ai trouvés. La curiosité est un vilain défaut. Je souris. Avec mon pied, je referme la boite à gant et me regarde dans le rétroviseur, faisant mine de me recoiffer. Martin ouvre la portière et s'assoie à l'intérieur de sa voiture, sur le siège en cuir.

-C'est bon, les renforts seront sur place, fait t-il, avant d'ajouter en me voyant. Chloé, on va arrêter Joe, pas à un bal de promo.

Il soupire et démarre la voiture. Je sens que le trajet va être long.

Très long.

Et en effet, le trajet est interminable. Je suis soulagée lorsqu'on s'arrête enfin à la périphérique des immeubles délabrés. Trois voitures y étaient déjà garées. Quand on descend de notre véhicule, un homme dans la fleur de l'âge, élancé, vient à notre rencontre. Il nous tend la main qu'on lui serre tour à tour et se présente :

-Je suis le lieutenant Petit. Enchanté.

Puis il enchaîne, sans nous laisser le temps, à nous, de nous présenter :

-Mes hommes se sont déployé tout autour de l'immeuble en question. Nous avons un effectif de vingt.

Je passe devant lui et lui lance :

-C'est bien, vous savez compter, lieutenant. Allons-y.
Je sens que Martin me fusille du regard et le lieutenant Petit semble sous le choc. Tant mieux. Cet homme m'insupportais déjà, avec son ton autoritaire et hautain. Martin se penche dans l'habitacle de sa voiture et sort le pistolet, que j'avais vu une heure plus tôt. Il le fixe à sa ceinture et le lieutenant Petit hoche la tête avant de déclarer :
-Allons y.

Lorsque on arrive sur les lieux, tout est calme et désert.

-Où sont vos hommes, je n'en vois aucun, fais-je remarquer.
Il me fusille du regard et ne me répond même pas. Martin danse, d'un pied sur l'autre et adresse au lieutenant un regard d'excuse. Trop marrant. Petit se tourne vers nous :
-Nous prendrons avec nous cinq hommes. Les autres sont postés à des endroits stratégiques, si le prévenu essaye de s'enfuir.

Martin hoche la tête, respire à fond et lance, avant d'entrer dans le bâtiment :

-Allons y.

On le suis. Dans le hall, cinq hommes en uniforme nous attendent. Ils nous emboîtent le pas et nous montons les marches quatre à quatre. Deuxième étage, numéro 3.

-C'est là? demande Petit, un pli de concentration barrant son front.

Je hoche la tête, la peur, l'excitation et que sais-je encore me noue la gorge et le ventre. On peut dire que retourner dans ce lieu ne me laisse pas indifférente. Le lieutenant se tourne vers ses hommes et hoche la tête. Puis, il se tourne vers la porte défraîchie et frappe plusieurs coup en criant :

-Police, ouvrez !

Martin m'entraîne à l'écart et me chuchote :

-Évitons qu'il te voit.
Je déteste qu'on me donne des ordres, surtout lui. Mais il avait raison. Aussi m'appuyais-je sur la rambarde de l'escalier. Petit martelait toujours la porte. Une femme, la voisine de palier de Joe sans doute, passe la tête dans l'encadrement de la sienne. Je suis la seule à la voir. Elle porte un tablier rose délavé, et ses cheveux, autrefois blonds, sont ramenés en un chignon lâche. Elle est assez enrobée et les dures épreuves de la vie avaient laissé des traces sur ses mains caleuses et des rides sur sa peau. On se fixe un moment et elle fini par me dire :
-Monsieur Parisey n'est pas là.

Encore un fois, je suis la seule à l'entendre. Je lui souris et me tourne vers le lieutenant qui menace maintenant :

-Je vous préviens, si vous n'ouvrez pas la porte d'ici une minute, nous la défoncerons.

Je ne peux m'empêcher de rire du comique de la situation. J'allume une cigarette, tire une bouffée, puis lance, à l'adresse de Petit :

-Minus, si vous écoutiez plutôt ce que cette gentille dame a à vous dire ?

Il se tourne d'un bloc, les sourcils plissés. Martin soupire. Et la dame répète ce qu'elle vient de me dire quelque seconde plus tôt. Une veine sur le front de Petit tressaute. Il lisse son costume et se tourne une nouvelle fois vers ses hommes :

-Bien, défoncez-moi cette fichue porte, leur ordonne-t-il, avant de se tourner vers moi. Vous, si vous m'appelez encore une fois Minus...

Je ris.

-Soit, Petit. Vous êtes un bon enfant.

Je crois que Martin manqua de faire une crise cardiaque. Il se contenta de me fusiller du regard une nouvelle fois. Pendant ce bref échange, les hommes avaient défoncé la porte. Elle pendait maintenant sur un seul gond, misérable. Petit et Martin s'avancèrent, pistolet en main au milieu de la pièce. Je restais en arrière, ne voulant pas remettre les pieds ici. Je les observe donc tourner sur eux-même de loin. La pièce semble plus vide que lorsque j'étais venu. Le canapé était toujours là, mais aucune trace de la télé. Martin me fait signe de la tête de venir. A contre cœur, je m'avance donc au milieu de ce qui fut le salon, à leurs côtés. Le sol est jonché de papiers divers, cartons de pizzas et autre. On aurait dit qu'un raz-de-marré avait tout emporté. Petit passe dans toutes les pièces et revient par la cuisine.

-Il est parti, constate t-il.

Martin hoche la tête, frustré.

-Merci, Capitaine Obvious. lancé-je avant de passer dans la cuisine pour regarder une dernière fois.

J'ouvre un placard, puis un deuxième. Il reste quelques assiettes et verres mais c'est tout. Je repasse dans le salon. Petit est sorti, seul Martin reste, au milieu de la pièce. Il regarde une dernière fois le salon vide puis marmonne :

-On y va.

Il rejoint le lieutenant sur le palier.

Après que Martin a posé quelques questions à la dame qui nous avait indiqué le départ de Joe, on retourne à la voiture, où je m'adosse contre la portière fermée et rallume une deuxième cigarette. Martin me regarde, agacé.

-Quoi ? Je demande d'un ton agressif.

J'étais frustrée, voir très en colère que Joe ait réussi à s'envoler dans la nature. Il ouvre la portière côté conducteur, et me répond, tout aussi agressif :
-Tu aurais pu mieux te comporter, avec le lieutenant.

J'écrase le mégot, du bout de mes talons et grimpe à mon tour dans la voiture de Martin.

-J'ai pas de compte à te rendre.

Martin ne répond pas et démarre. Sur l'autoroute, il grogne :

-Je te ramène chez toi.

Je hoche la tête :

-Avec plaisir.

Ma réponse est froide, mais je m'en fiche. Il a pas à me donner d'ordres. Je croise les bras sur ma poitrine et regarde le paysage défiler par la vitre, jusqu'à ce que le véhicule s'immobilise devant mon immeuble. Je descend et claque la portière, et disparaît précipitamment dans le hall surchauffé. J'entends la voiture redémarrer derrière moi. Je monte les escaliers quatre à quatre, jusqu'au dernier étage. Il y en a quatre en tout et j'ai choisi le dernier car l'appartement y est plus grand et sans voisins de palier. Oui, on peut dire que je suis un peu associable. J'ouvre la porte de mon chez moi. Les volets de la baie vitrée sont fermés et la pièce est plongée dans le noir. J'allume et me laisse tomber dans le canapé. L'espace cuisine est intégré dans le salon. Derrière moi, une grande mezzanine où m'attend mon lit et en dessous de la mezzanine, c'est la salle de bain. Je me relève en soupirant et passe dans cette dernière. Je n'ai qu'une envie : prendre une douche et me rouler en boule dans mon lit. Sans même manger. J'ai pas faim, de toute façon.

C'est lorsque je fais les poches de mon jeans que j'enlève mon portable. Je regarde si j'ai des messages. Aucun. Avant de me rappeler que c'est la mauvaise carte sim qui est à l'intérieur. Je changerais plus tard. Je le pose sur la machine à laver puis, je sors un deuxième objet : Le portable de Martin.

Je l'avais oublié, celui là.

___________________NOTES___________________________

Voici la suite de l'histoire. Cette fois, je n'ai pas mis les dialogues en gras. Dites-moi dans les commentaires si vous trouvez cela plus agréable.

A votre avis, que va faire Chloé avec le téléphone de Martin ? Va-t-elle le lui rendre gentiment ? :)

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