Chapitre 7
Avant que Ted parte, il avait insisté : je devais aller voir quelqu'un. Je ne pouvais pas rester dans cet état, tout le monde se faisait du souci pour moi. Il m'avait donc suggéré d'aller dès le lendemain en parler à Ella, la psychologue de l'agence. Ella servait à faire des études psychoquelque chose (je n'avais jamais retenu le nom, trop compliqué pour moi) afin de déterminer le profil du criminel qu'on allait approcher. Mais elle était toujours prête à nous donner une oreille attentive, à nous, les agents de la brigade. Il faut dire qu'on était une brigade un peu spéciale : peu d'effectifs, on n'existait pas aux yeux des autres. Notre boulot était d'infiltrer les réseaux, souvent de trafiquants pour pouvoir mieux les arrêter par la suite. Parfois, une mission demandait plusieurs mois de travail, si ce n'est plusieurs années. C'était un travail de patience. Pour moi qui n'en avais pas beaucoup, cela me donnait du fil à retordre. Je ne comprenais d'ailleurs pas toujours ce qui avait plu à Ted, lors de mon recrutement. Je ne doute pas avoir été un peu pistonnée : Ted et moi nous connaissions déjà avant que je ne passe les entretiens.
Toujours est-il que me voilà de nouveau à passer la porte de l'agence. Je salue le secrétaire, chargé de contrôler les allées et venues et de guider les citoyens voulant déposer plainte. Nous étions, en sommes, un commissariat de police tout à fait normal. Mais dans le couloir au fond, juste après la salle des archives, se trouvaient nos bureaux. Martin tapa le code pour ouvrir la porte et accéder à cette partie si spéciale qu'est celle de notre brigade. Elle s'ouvrit, laissant apparaître ces murs si familiers, ce petit couloir étroit et les portes menant respectivement au bureau de Ted, à la salle de réunion et à notre cafétéria.
-Ella t'attend dans la cafétéria, je crois, m'indiqua Martin.
Il fit quelques pas, avant de se retourner et d'ajouter :
-Je ne serais pas loin, dans le bureau de Ted. Si tu as un problème, n'hésite pas à venir nous voir.
Venir le voir ? Il peut toujours se brosser. J'étais bien décidée à reprendre du poil de la bête. Cette nuit, j'avais fait le point sur ma situation, et je l'avais trouvée pathétique. Après tout, c'étaient les risques du métier. Si Ted apprenait que seulement la vue de ces photos de moi avait provoqué cet état, il risquait sans doute de revoir son jugement. Je ne voulais pas paraître cette petite fille fragile. Pas de nouveau.
Je m'avance donc en direction de la cafétéria où Ella m'attend effectivement. Elle est penchée sur des notes, un stylo à la main. Dès qu'elle me voit, elle referme d'un geste vif la chemise et se lève pour me serrer la main. Un sourire chaleureux éclaire son visage. Cette femme a toujours l'air rayonnante. Elle a toujours le sourire aux lèvres quand je la croise dans le couloir. De taille assez petite, elle m'impressionne pourtant par l'aura de sagesse qu'elle dégage. Ses cheveux blonds, ramassés en chignon, lui donnent une allure de femme d'affaire, sûre d'elle.
-Assieds-toi, Chloé, je t'en prie, me fait-elle en me désignant une chaise, alors qu'elle refermait la porte derrière moi.
J'obtempère docilement. Je n'ai pas encore prévu ce que j'allais lui raconter et je sais que j'aurais besoin de tous mes talents de comédiennes pour la tromper. Mon objectif était clair : ne pas la laisser croire à une rechute, ne pas la laisser croire que je n'étais pas faite pour ce métier. J'inspire profondément, forçant ainsi mon cœur à ralentir son rythme. Elle s'assoit en face de moi, reprend son stylo en main.
-Ted m'a déjà mis au courant de ton état, mais j'aimerais avoir ton point de vue, me fait-elle.
-Ce n'était qu'un coup de mou passager. Je vais mieux maintenant.
Ella hausse un sourcil. Elle n'a pas l'air convaincue. Mince.
-Vraiment ?
-Oui ! Assuré-je avec aplomb. J'ai pris peur, au début, car Joe était vraiment insistant avec moi et... j'ai découvert quelques trucs quand je fouillais chez lui. Mais j'ai réussi à relativiser et je suis prête à reprendre l'enquête.
Le sourire d'Ella s'efface petit à petit et ses sourcils se froncent durant mon monologue. J'ai peur un instant, d'autant plus qu'elle fait durer le suspense en notant ce que je dis sur sa feuille.
-Insistant ? Comment ça ? Il t'a fait des avances ?
-Il m'a embrassé.
Ce n'est qu'un demi-mensonge, après tout. Je n'aurais qu'à lui faire croire que je ne le voulais pas. En espérant qu'elle n'écoute pas l'enregistrement que Martin a fait. Elle ne dit rien, attendant sans doute que je continue. Le problème est que plus je parlerais plus il faudra que je donne des détails. Or, ce n'est pas cela qui va arranger mes affaires. Je poursuis tout de même :
-Comme je voyais que je lui plaisais, j'en ai joué un peu. Pour faire avancer l'enquête. Mais cela à peut-être un peu dérapé. Je vais mieux maintenant.
Ella note de nouveau quelques mots dans son calepin. Mais cette fois, c'est elle qui reprend la parole.
-Et qu'as-tu découvert ?
Je me fige. Je ne peux pas lui dire, elle comprendrait la supercherie.
-Je ne peux pas te le dire, c'est lié à l'affaire.
Elle soupire, et ferme son cahier. Son sourire lumineux a totalement disparu. A-t-elle découvert mes mensonges ? Que dois-je faire ? Elle semble oublier ma présence et ouvre de nouveau la chemise qui était devant elle. Pendant un temps qui me paraît interminable, je m'efforce de ne pas paniquer. Car si tout n'est pas encore gâché, il ne fait aucun doute que dans ce cas-là, ce serait foutu. Respire, Chloé, respire. Je calme de nouveau ma respiration, comme on m'a appris à le faire durant ma formation. Elle sort quelques papiers de la pochette en carton et prend de nouveau la parole.
-Le 16 novembre 2015. Cela fait donc neuf mois que tu es dans ce service... Et jusqu'ici, ça allait ?
Je hoche vigoureusement la tête. Ma première mission s'était plutôt bien déroulée même si elle n'était que de petite envergure. Celle de Joe était ma mission la plus importante jusqu'ici, et je l'avais ratée.
-Oui, la première mission était un succès et celle-ci n'est pas encore ratée. Au contraire, j'ai...
Elle me coupe :
-Je ne parle pas de ton succès professionnel, Chloé. Je parle de ton état. Ton état de santé.
Mon semblant de sourire s'efface. Elle ne va quand même pas remettre cela sur le tapis. Elle ne va pas oser ? Elle scrute mes moindres gestes, mes expressions. Elle sait qu'elle vient de me toucher en plein cœur. Déjà, je sens que je ne me contrôle plus.
-Cela n'a rien à voir avec ce qu'il s'est passé avant-hier, répondis-je d'un ton plus sec que je n'aurais dû.
-Tu es sûre ?
-Certaine.
Elle se laisse tomber sur sa chaise, me scrute encore un petit instant. Puis elle se lève et se dirige vers la cafetière, où du café froid était resté. Elle s'empare de l'anse et me l'agite sous le nez.
-Tu en veux ?
Je hausse les épaules. Ce que je souhaite surtout, c'est partir de cet endroit au plus vite. Ella commence à ne plus me sembler aussi agréable. Elle allume le micro-onde, pour réchauffer le café froid. Pendant que la machine fait son boulot, elle s'appuie contre le plan de travail et me regarde.
-Je vais te dire les choses franchement, Chloé.
Aïe. Je n'aime pas quand on est trop franc. La vérité fait souvent mal. Que va-t-elle m'annoncer ? Qu'elle ne me croit pas ? Ou pire ? Je retiens mon souffle, de manière inconsciente.
-Je ne te parle pas en tant que psy. Je te parle en tant que femme, que collègue. Et je pense sérieusement que tu ne devrais pas continuer.
Quoi ? Je la regarde, les yeux ronds, frappée de stupeur. Ce job, c'est toute ma vie. Je ne me vois pas faire autre chose. J'ai ça dans le sang, comme on dit. Mon monde s'écroule. Le micro-onde annonce la fin de la minute qui s'est écoulée. Ella se tourne vers celui-ci pour servir le café.
-Je sais que tu n'es pas prête à l'entendre. Mais il faut aussi que Ted arrête de te ménager, fait-elle tout en versant du café dans ma tasse. Ce métier n'est pas bon pour toi, pour ta santé. Tu te fais du mal, ça te rappelle trop... elle lance un regard furtif vers moi, toujours abasourdie. Ca te rappelle trop ce qu'il s'est passé. Et tu mets aussi en danger toute l'agence.
Je me lève d'un coup, manquant de faire renverser ma tasse. Ella ne bronche pas, elle se contente de verser du café dans sa propre tasse. Je fulmine. Mes mains tremblent.
-Comment peux-tu dire ça, Ella ? Tu sais très bien ce que cela représente pour moi !
La Ella souriante n'était donc qu'une façade. Une façade cachant une femme sans cœur et sans pitié. Elle pose délicatement la cafetière sur la table, prend le temps de boire une gorgée. L'attente me fait redescendre d'un cran, mes mains ne tremblent plus. Je reste droite.
-Je me doutais bien que tu allais réagir comme cela, soupire-t-elle en reposant sa tasse. Cela montre bien à quel point tu es trop sentimentalement prise dans les événements.
Je ne cille pas. Je ne lui ferais pas le plaisir d'exploser du nouveau. Je ne lui donnerais pas la satisfaction d'avoir raison, encore une fois. Avec une moue sceptique, je me rassois.
-Rassure-toi, Chloé. Ted est pareil que toi, il ne veut pas entendre raison non plus. J'espère simplement que cette histoire se terminera bien. Je t'invite à y réfléchir sérieusement : pourquoi fais-tu ce métier, Chloé ?
Je ne me ferais pas avoir. Je sais que c'est ce que je veux faire, depuis que je suis toute petite. Ted est venu me chercher, il m'a aidé. Je lui dois beaucoup. C'est grâce à lui que je suis là, aujourd'hui. Ce n'est pas Ella qui me mettra des bâtons dans les roues. Je bois mon café d'un coup, quitte à me brûler la langue.
-Je vais vous prouvez que je suis capable. Je vais aller dire à Ted ce que j'ai découvert.
__________________________NOTE___________________________
Et voilà avec (encore) un jour de retard, voici la suite de Chloé Smith. J'espère que ce chapitre va soulever beaucoup de questions. C'est du moins ce que j'ai essayé de faire.
C'est également le premier chapitre que je réécris, car l'ancien ne me plaisait pas. Avant cela, les autres étaient in extenso ce que j'avais écrit il y a quatre ou cinq ans. Avez-vous remarqué le changement ? Si oui, trouvez-vous cela mieux écrit ?Dites-le moi dans les commentaires.
Comme d'habitude si vous avez aimé, n'oubliez pas de voter. Et vous pouvez aussi partager l'histoire avec vos amis.
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