Chapitre 4
Mais alors, vraiment idiote.
J'avais laissé la bière. Sa bière, avec du somnifère, devant moi. Ce qui, naturellement suggérait que c'était la mienne. Mon cœur rata un battement. Mais comment j'avais pu être aussi idiote, et la laisser devant moi ? Et naturellement, ne pensant pas boire -Ted était ferme sur ce sujet, pas d'alcool pendant les missions- j'avais posé la mienne assez loin de moi. D'ailleurs, Joe en bu une gorgée, avant de commencer à couper la pizza en parts égales.
Joe me tendit une généreuse part de pizza. Je la pris, encore dans un état second, sous le choc de ma connerie. Car, oui, c'était bel et bien ça. Une énorme connerie. Est-ce que je vais être obligé de la boire ?
Je commence à paniquer. Mes yeux fouillent la pièce du regard à la recherche d'une solution. En vain. Bon, chaque chose en son temps. D'abord, ne pas perdre la face devant Joe. Ensuite, réfléchir et agir. Je mords dans ma part, alors qu'il découpe la sienne. C'est pas mauvais. Plutôt bon même. Je le regarde s'asseoir. Comme ça, il paraissait presque normal. Je veux dire pas trop moche, si peut-être on enlève le tatouage en forme de tête de mort sur sa peau hâlée. Et qu'il se refait une petite coupe. Ça peut-être pas mal. Je le détaille, découvrant une autre personne. Je n'avais, par exemple, jamais remarqué la petite cicatrice, légère qui coupait son sourcil brun en deux, ni que l'arrête de son nez était si droite. Je découvre donc un millions de petits détails, qui peuvent changer une personne. Sa voix rauque me rappelle à l'ordre.
-Et, donc. Je sais que ça me regarde pas, mais... Tu comptes faire quoi, avec les armes ?
Voyant ma tête ahurie, il s'empresse d'ajouter :
-Enfin, tu fais ce que tu veux. Je demande pas ça, d'habitude.
Je souris, me rapproche de lui. Quoi ? Non, je ne profite pas, je travaille. Cette méthode sert à obtenir des informations essentielles. Essayez, vous verrez. Mon bras nu est collé à son torse, je sens la chaleur qui émane de lui. Et je me décale légèrement. Faut pas abuser, non plus.
-Non, ne t'inquiète pas. En fait, c'est pas pour moi.
C'était sorti tout seul, mais je trouvais que c'était un beau mensonge. J'étais assez fière de moi. Jusqu'à ce qu'il lève un sourcil interrogateur. Mince. Vive mes mensonges.
-C'est... Mon frère.
Il hoche la tête.
-Tu pourras me le présenter ? J'aime bien voir la tête du client.
Oui. Faut toujours qu'il y ait un truc, forcément. Je commence à croire que je suis maudite.
-Euh. Oui. Si tu veux. Plus tard. Il s'appelle. Kevin.
Tiens, prends ça, Martin. Je souris.
Bon. Danger écarté. Pour l'instant. Je verrais ça plus tard. Je repositionne ma pince dans mes cheveux. Dedans, j'y ai caché un micro. Astucieux, n'est-il pas ? Je continue :
-Eh bien, dans ce cas, juste pour savoir. Ça fait longtemps que tu es dans le trafic d'armes ?
Il plisse le nez, un demi-sourire en coin.
-Moins longtemps que dans celui de coke. Mais assez pour connaître toutes les ficelles, ne t'inquiètes pas, rajoute-t-il, avec un clin d'œil.
Moi, avec mes yeux, je louche toujours sur la bouteille de bière.
-Et moi, juste pour savoir... t'as couché avec combien de mecs ?
Je manquais de m'étouffer. Si, là, je ne le giflais pas, cela releva du miracle. Et d'une certaine détermination à ne pas faillir une deuxième fois dans ma mission. Mais, peut-être que... Oui, il y a sûrement moyen de se servir de cette question comme tremplin. Rappelons que mon objectif prioritaire étant de réparer l'immense bêtise que j'avais commise. Je souris donc à Joe.
-Humf. On va dire que j'ai pas à me plaindre.
Surtout, rester évasive. La phrase que j'allais prononcer était complètement nulle. Il fallait donc que j'y mette les formes. Les formes, pour Joe, c'était se coller à lui. Ce que je fis. Et ne croyez pas que ça m'enchantait. Ça aurais pu. Si je n'étais pas en train de calculer pour réparer ma bourde et si je n'avais pas sus qu'il était un trafiquant d'armes et de stupéfiants. Bref, ça fait beaucoup de si. Je me préparais mentalement, me demandant si ça allait marcher. Oui, parce que je n'étais sûre de rien. C'est ça le pire. Bon, quand faut y aller... Faut y aller.
-Joe.
-Hm ?
Je lorgnais toujours discrètement la bouteille.
-On peut échanger nos bouteilles ?
Ça y est. Je l'ai dit. Décernez-moi la palme du pire rattrapage de l'histoire. Joe fronce les sourcils en me regardant. Je tâche de soutenir son regard, tente même un sourire. Ne pas perdre la face, surtout. Faire comme si c'était normal.
-Hein ?
Il fixe sa bouteille, cherchant à comprendre. Je vois, je vais devoir sortir le grand jeu. Donc. Je me redresse en m'appuyant sur le coude, approche mon visage de son oreille et murmure :
-S'il te plaît.
Pendant ce temps-là, mon cerveau tournait à plein régime, cherchant une excuse, un prétexte plausible. Joe rit.
-D'accord.
Quoi ? C'est si facile que ça ? Ma conscience effectue le « v » de la victoire. Elle allait d'ailleurs enchaîner avec la danse de la joie, quand il ajouta :
-Mais faut que tu m'embrasses avant.
C'est pas possible. Pourquoi y a que à moi que ça arrive ? Je n'ai pas trop le temps de réfléchir, il se penche déjà sur moi. Bon, après tout, ce n'est qu'un mauvais moment à passer... Non ?
Je me dégage de lui avant qu'il ne passe la main dans mes cheveux. Il faut pas abuser non plus. Il attrape donc la bouteille, tout en me regardant d'un œil pétillant. Je ne préfère pas chercher ce que cela veut dire. Je le fixe donc lorsqu'il descend la bouteille. Il la repose sur la table, en désignant la sienne, qui était en fait la mienne à la base, et qui redevient maintenant la mienne. Enfin, bref.
-A toi, minaude t-il.
Bien. Je suppose que je n'ai pas trop le choix. J'attrape la bière de mauvaise grâce, la porte à mes lèvres. J'espère juste que Ted comprendra. Maintenant toute mon attention est fixée sur Joe, que j'espère voir s'effondrer comme une masse, rejoignant le pays des rêves. Mais non, monsieur reste éveiller et me regarde. N'aurais-je pas mis assez de cachet ? Pourtant, Martin m'en avait donné qu'un seul. Je finis de boire, repose la bouteille.
-Je reprendrais bien une autre part de pizza.
Joe sourit, attrape le couteau et se penche de nouveau pour couper ce qui reste en deux. Il me lance, ensuite, en me tendant ma part :
-Après, je te fais visi...
Ses yeux papillonnèrent un moment, puis il s'écroule sur moi, tâchant au passage ma robe de sauce tomate.
Enfin, c'est pas trop tôt.
Je regarde la tache rouge sur mon ventre, là où la pizza est tombée. Il aurait pu faire attention, quand même, cet idiot. Je le pousse légèrement pour pouvoir sortir du canapé, sort mon téléphone et compose le numéro de Martin.
-Allô ?
Super, sa voix m'énerve déjà. Restons professionnelle.
-Voilà, le gros lard ronfle. Y en a pour combien de temps ?
Martin soupire. Je jette un coup d'œil derrière moi. Joe dort à poings fermés. Comme un bébé. Je m'approche du bureau, alors que Martin me répond, une pointe d'agacement dans la voix :
-Je te l'ai dit, tu as trois heures devant toi. C'est amplement suffisant.
Je hoche la tête, puis, me rendant compte qu'il ne peut pas me voir, je confirme à haute voix. J'allais raccrocher, quand Martin enchaîna :
-Au fait, Chloé... Je sais pas ce que tu as trafiqué. Je me suis arrêté au « embrasse-moi avant ».
QUOI ? Il a écouté ? Mais, en plus, qu'est ce qu'il insinue ? Je ne laisserais pas passer ça. J'avais calé le téléphone contre mon oreille pour pouvoir fouiller plus aisément. Je le reprends dans ma main gauche.
-Martin, c'est pas du tout ce que tu crois.
-Mais oui, c'est ça. J'ai l'enregistrement, tu sais.
Attendez, ça veux dire quoi, ça ? Qu'il va le montrer à Ted ? J'enchaîne immédiatement, afin de rétablir la vérité :
-C'est parce que c'était la seule solution pour échanger les deux bouteilles de bière.
-Tu te fiches de moi ?
Oh, combien j'aimerais lui répondre oui. Oui, je me fiche toujours de toi, Martin, avec ton air trop sérieux, ton air rigide et tes lèvres pincées. Je me fiche de toi quand tu essayes -piètrement- de faire bonne figure devant Ted, quand tu renverses ton café, et que tu fais des heures sup'.
Je ne le fis pas.
-C'est parce que le somnifère était dans la bouteille devant moi. Et que quand je lui est proposé de l'échanger, il m'a posé cette condition.
Pendant ce temps, je fouillais dans le bureau, lisais les notes, prenant en photo parfois certains trucs, comme une série de chiffres, pour être sûre de ne pas l'oublier. Tout ça en plaidant ma cause auprès de Martin. Autant vous dire que je galérais. Après un moment de réflexion, il finit par répondre :
-Pourquoi ne pas l'avoir fait sortir de la pièce ? En lui disant d'aller chercher, je ne sais pas moi, un verre de jus d'orange.
Le faire sortir de la pièce ?
Bon sang, je suis une abrutie. Martin enfonce le clou, déclarant, avec un petit rire :
-La vérité Chloé, c'est que tu es incapable de te retenir en présence d'un mec.
Je me stoppe net. Je n'avais pas écouté. A cet instant précis, je me fichais pas mal de ce que Martin pensait. Je posais le téléphone à mes côtés, sortis le dossier du tiroir. Les mains tremblantes, je l'ouvris.
Ce que j'y découvris me glaça le sang. Littéralement.
-Allô ?
J'entendais à peine la voix ténue de Martin sortant des hauts-parleurs de mon téléphone.
___________________________NOTES__________________________
Et voilà, nous sommes lundi et qui dit lundi dit un nouveau chapitre ! Et qui dit nouveau chapitre dit... nouveau suspense ! A votre avis qu'à découvert Chloé ? :)
Et bien sûr, vous commencez à connaître la chanson, mais je le rappelle pour les plus têtes en l'air : si vous avez aimé le chapitre, c'est important de voter.
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