Chapitre 30

Le chemin jusqu'à l'aéroport avait été long et épuisant. Joe avait refusé qu'on y aille avec ma voiture, prétextant que retourner vers mon appartement aurait pu nous faire repérer et par le gang de Kràl, et par Ted et Martin. J'aurais pu les prévenir de mon intention, c'est vrai. Mais Joe m'en avait dissuadé, me faisant comprendre qu'il y avait un risque pour qu'ils ne lui fassent pas confiance et ne me laissent pas aller chercher mon père.

Mon père.

A cette pensé mon cœur s'emballe. Cela faisait maintenant presque sept ans que je ne l'avais pas vu. Sept ans que je le croyais mort. Sept ans que tout le monde le croyais mort, quelque part perdu en République Tchèque.

Je respire à nouveau, une lueur d'espoir m'anime et me donne la force de déplacer les montagnes. Ou de marcher à pied et de nuit jusqu'à l'aéroport de la ville. Les premiers rayons de soleil pointent à travers les nuages lorsque le bâtiment apparaît devant nos yeux. Joe et moi échangeons un petit sourire.

Nous n'avions pas parlé durant le voyage. Les regards et les gestes avaient suffi pour faire comprendre à l'autre nos pensées. Il faut croire que passer plusieurs jours dans un trou de souris, cela rapproche. A cette pensée, mon sourire s'élargit. Nous nous étions effectivement bien rapproché, Joe et moi, et pas qu'une fois.

-Qu'est-ce que qui te fais sourire comme une idiote, ainsi ? Me chuchote-t-il à l'oreille.

Sa main avait enserré ma taille, lui permettant de se rapprocher de moi pour atteindre mon oreille. Et son souffle chatouille maintenant ma tempe. Je frissonne de plaisir. Aux yeux des quelques personnes sur le parking, nous apparaissons sûrement comme un couple lambda, s'apprêtant à célébrer leur amour en un voyage sous les Tropiques.

La destination est cependant moins idyllique.

D'ailleurs, Joe semble avoir eu la même pensée que moi, car il lâche ma hanche et reprend son air sérieux. Il regarde d'un œil inquiète les passants, qui ne font nullement attention à nous.

-Rentrons vite à l'intérieur. Je ne veux pas traîner ici.

Il regarde vivement sa montre et m'attrape le bras pour me traîner sans ménagement vers les portes automatiques du hall d'embarquement.

-On est arrivé trente minutes en avance, fait-il. J'espère que cela va aller.

Je tente de le rassurer mollement, sans conviction. Il me fait limite mal à me traîner comme cela. La panique lui fait retrouver certains gestes de l'ancien Joe. Celui qui se la jouait macho et badboy. Je me dégage d'un coup sec, une fois les portes passées. Il comprend immédiatement mon geste.

-Désolé, souffle-t-il piteusement, alors que je me masse le bras.

-Ce n'est rien. Mais fais attention, cela pourrait paraître suspect.

A ce moment, il se remet à scruter la foule. Je soupire. Ce n'est certainement pas comme cela qu'il risque de passer inaperçu. D'autant plus que sa carrure de rugbyman fait se retourner plusieurs demoiselles sur son passage. Je le pousse doucement vers ce que je devine être les toilettes.

-Allez, on suit le plan. Il n'y a pas de raison que ça marche. Tu te planques là dedans pendant que moi je vais acheter les billets.

Il hoche la tête et obtempère. Je le regarde s'éloigner. Il est beau quand même. Mais ce n'est pas le moment de baver, j'en aurais tout le loisir plus tard, dans l'avion. Avec un sourire béa, je me dirige donc vers le guichet.

Je lève les yeux vers le panneau d'affichage. Notre avion pour la République Tchèque est toujours annoncé pour une demie-heure. En réalité, ce n'est que l'escale. L'avion s'envole pour Moscou ensuite. Mais d'un commun accord, on a décidé que cela brouillerait plus les pistes que de prendre un avion direct. Les billets ont été réservés sur internet, mais je dois les retirer au guichet, car on avait pas d'imprimante dans la planque de Joe. Je compose mon plus beau sourire et m'avance vers la guichetière.

-Bonjour, on avait réservé des billets sur internet et...

La jeune femme relève la tête et me scrute de ses yeux charbonneux. Elle a peut-être un peu trop abusé sur le crayon. Mais je ne participe pas aux Reines du Shopping et me contente donc de formuler ma demande. Elle soupire.

-Oui, c'est à quel nom ?

-Smith.

Elle pianote sur son ordinateur.

-Pièce d'identité ?

Je lui tend ma carte. Elle y jette un coup d'œil rapide, ce qui me rassure un peu. Ils n'ont pas l'air d'être trop regardants. Le passeport de Joe devrait passer. L'impression se lance et la guichetière finit par me donner nos fameux sésames. Je souris de toutes mes dents. C'est vraiment trop facile.

-Merci beaucoup madame.

-Au revoir, bon vol.

Je me retourne et parcours le hall du regard. Joe est toujours planqué dans les toilettes. Il n'en sortira que lorsque la première annonce invitant les passagers à se diriger vers le tarmac sera faite. Je m'occupe pendant le temps qu'il me reste en fixant les billets d'avions, farfouillant dans mon sac afin de sortir les passeports -le mien et celui de Joe. Je ne tiens pas en place. J'ai vraiment trop hâte d'atterrir en République Tchèque. Joe m'a averti qu'on ne pourrait sûrement pas voir mon père dès le premier jour. Il ne faudrait pas trahir sa couverture, cela pourrait le mettre en danger.

L'annonce vient déranger le cours de mes pensées :

Votre attention, s'il-vous-plaît. Les voyageurs du vol AF 6113 sont invités à se présenter devant la porte d'embarquement.

Je me lève et m'étire un peu. J'ai les jambes engourdies à cause de la marche de cette nuit.

Vivement que je monte dans l'avion, que je puisse dormir un peu. Une main se pose sur mon épaule et me fait sursauter. Je fais vole-face rapidement, sur le qui-vive.

-On y va ?

Je me retrouve face à un Joe souriant, une main dans les poches, l'autre toujours posée sur mon épaule. J'empoigne nos maigres affaires et lui tend les billets et les passeports. Joe attrape ma main et nous nous dirigeons à l'endroit indiqué. Je suis sur un petit nuage. Le contact de la main de Joe dans la mienne m'a instantanément fait oublié la raison de notre présence ici et les dangers qui nous guettent.

-J'ai l'impression qu'il n'y avait pas beaucoup de monde dans le hall, quand je suis sorti des toilettes, me glisse Joe au creux de l'oreille.

-Mais non, tu te fais des idées. Ils sont en train de patienter devant la zone d'embarquement, voilà tout.

Nous nous présentons devant la douane, où effectivement une queue s'est déjà formée. Joe se plie de bonne grâce aux fouilles diverses et passe en premier dans le portique. Je le suis de prêt. Il se retourne et me sourit. Je lui rends son sourire. Ses yeux bleus pétillent de bonheur, une mèche de cheveux noirs, qui ont allongés pendant sa planque, lui tombe délicatement sur le front. Il m'avait demandé de les couper, mais j'avais refusé. Je trouve que cela lui va bien. Cela le change physiquement, lui fait un visage moins dur. Et c'est justement ce que l'on cherche. Son identification doit être rendue plus difficile ainsi.

Notre échange visuel est brisé par un douanier qui accoste Joe. Je le maudis d'avoir cassé ce contact qui me ravissait. Maintenant, Joe n'a d'yeux que pour le douanier et pas pour moi. Je vois à sa posture qu'il est tendu. Je vais donc le rejoindre et décide de jouer le rôle de la pouf, comme je sais si bien le faire.

-Ca va, chéri.

Il se tourne vers moi et me lance un sourire qui se veut rassurant. Il rentre aussitôt dans le jeu.

-Oui, on vérifie simplement mon passeport.

Il semble confiant, c'est bien. Je sors également le mien de ma poche, sachant qu'on va aussi me le demander. Le douanier regarde attentivement mon passeport et me le rend avec un sourire.

-Vous pouvez vous diriger vers l'avion, madame, me fait-il.

Je fais quelques pas en arrière, le regard toujours fixé sur Joe et le douanier qui regarde maintenant son passeport. Il l'étudie. Longtemps. Mon souffle s'arrête. Je vois, alors qu'il me tourne le dos, les épaules de Joe se tendre. Le douanier relève les yeux du passeport et jette un coup d'œil rapide à Joe. Il appelle un autre douanier et s'écarte un peu pour faire des messes basses, tout en ne perdant pas Joe des yeux. Je m'approche doucement et agrippe le bras de mon compagnon.

-Qu'est-ce qu'il y a ? fis-je d'un ton inquiet.

Le douanier ne me répondit d'abord pas. Son regard va de haut en bas tandis qu'il me juge. Il s'avance de nouveau vers moi.

-Il est avec vous ?

Je hoche doucement la tête et je ressers ma prise autour du bras de Joe. Je pense qu'il grimace quelque peu, car mes ongles rentrent dans sa peau, sa chemise fine ne le protégeant pas assez de ma manucure impeccable. Le douanier tend de nouveau la main.

-Je peux revoir de nouveau votre passeport ?

D'une main tremblante, je lui remets de nouveau la pièce d'identité. Derrière nous, le dernier passager passe le portail, sans souci. Je sens son regard curieux planté dans mon dos. Un autre douanier le prie de circuler rapidement, et rapidement, nous sommes seuls. Les deux douaniers sont penchés sur nos passeports, pointant certains points du doigt, comparant sans doute, les deux pièces.

Le troisième et dernier arrive pour les rejoindre. Joe se penche vers moi et me chuchote :

-Ca passe pas. Faut qu'on se tire.

Une bouffée de panique me saisit. On ne peut pas ne pas passer. Pas maintenant, pas si près du but.

-Si on court, on peut faire demi-tour et retraverser le hall. On sera dehors en deux minutes.

-Et mon passeport ?

Joe semble hésiter. Sa main agrippe mon bras à son tour. Avant que les mots franchissent ses lèvres, j'ai deviné ce qu'il va dire.

-Reste là. Si tu t'enfuis, tu seras vue comme complice. Si tu restes, ils ne peuvent rien te dire, ton passeport est en règle. Je vais partir seul.

Je secoue la tête, la gorge nouée. Ça me pique et j'ai les larmes aux yeux. Ma voix est rocailleuse quand j'ouvre la bouche pour protester. Mais Joe me regarde, désolé. Je sais qu'il ne voudra pas m'écouter. Il ne veut pas que je devienne aussi une hors-la-loi.

-J'essaye de te tenir au courant. Je rejoindrais la République Tchèque par un autre moyen.

Il m'embrasse furtivement sur le front et fait volte-face soudainement pour se mettre à courir. Ce geste n'a pas échappé aux membres de la douane qui nous surveillait aussi du coin de l'œil.

Alors que je le vois courir jusqu'au portique et que j'entends les douaniers crier et s'apprêter à se lancer à sa poursuite, mon sang ne fait qu'un tour. Je sens un courant m'électriser tout le corps et sans que l'information ne soit parvenue jusqu'à mon cerveau, je me mets à courir. Vite. Je n'ai sans aucun doute jamais couru aussi vite.

Joe est déjà au niveau du portique. Je le rattrape presque. Il se détourne un peu, mais ne semble pas surpris que je le suive. Il ralenti un peu pour être à ma hauteur. J'accélère encore. Je ne sens pas l'effort. L'air entre dans mes poummons sans me les brûler. Ou plutôt, je ne ressens pas la brûlure dans ma cage thoracique.

Mais je n'entends pas les douaniers derrière nous.

Ils devraient être derrière. Ils n'y sont pas. Ils ne nous ont pas suivis. Ils se sont contentés de nous sommer d'arrêter.

J'attrape le bras de Joe et entre deux respirations, j'arrive à lui glisser :

-Pas normal. Douaniers nous suivent pas.

Nous sommes déjà au milieu du hall, qui est désert. Il n'y a personne. La vitesse ne me permet pas d'analyser entièrement la scène. Mais l'espace blanc du hall qui s'ouvre devant nous jusqu'à la porte est vide. Immensément vide.

Joe comprend avant moi.

Il m'entraîne alors hors de notre trajectoire. Il me dirige vers les escaliers qui mènent vers les petits commerces à l'étage au-dessus. Je sens la panique revenir à nouveau. Mon souffle s'emballe. Je n'arrive plus à respirer correctement. Je ralentis légèrement et Joe le sent. Il me traîne de toute sa force, les dents serrées par l'effort. Sa poussée me donne l'énergie suffisante pour finir notre course. Joe se jette presque derrière l'escalier, entre un banc et le mur au moment où j'entends la voix de Petit amplifiée par un haut-parleur :

-Jonathan Parisey, vous êtes cerné. Mes troupes sont déployées autour de l'aéroport. Des armes à feu sont baraquées sur vous, ne faites aucun geste brusque.

Je l'entends à peine. Ma respiration saccadée couvre Petit dans mes oreilles. Je m'adosse au mur pour tenter de reprendre mon souffle. Je sens que mes joues sont en feu. Joe, lui, est toujours agité. Couvert par le banc en béton, il regarde l'ensemble du hall qui s'offre à lui et où, comme annoncé par Petit, une rangée de policier nous fait face, arme au poing.

-Merde, merde, merde, j'entends Joe murmurer.

Il se tourne vers moi et je plonge une fois encore dans ses yeux bleus, ce qui manque de me faire rater un battement de mon cœur déjà bien mal-mené. Si cela continue, je vais mourir d'une crise cardiaque dans les dix prochaines minutes.

-C'est fichu, me fait-il d'une voix douce.

Il me prend la main et me la serre doucement, ému.

-Je vais me rendre. J'irai certainement en prison pour quelque temps. Je ne sais pas exactement. Il est probable que mon manque de coopération de tout de suite ne joue pas en ma faveur.

Il grimace. Petit, durant ce temps, continuait sa litanie.

-Relevez-vous doucement et sortez de cet endroit les mains en l'air.

Je retiens Joe en serrant plus fort sa main. Mes yeux sont suppliants.

-Attends, je viens avec toi. J-J'expliquerais à Ted qui tu es vraiment. Laisse-moi venir avec toi.

Il baisse ses yeux sur nos mains enlacées et soupire.

-Si tu veux.

-Je répète, ne faites aucun geste brusque.

Joe et moi, nous relevons lentement, d'une manière synchronisée. Ses yeux sont toujours plongés dans les miens. Il se retourne, toujours aussi lentement, pour faire face à Petit. Il se place à mes côtés. Je sens ses doigts se glisser dans ma main. Je sursaute. Que fait-il ?

-Les mains en l'air. Mettez les mains en l'air ! Vocifère Petit dans son microphone.

Je lève les yeux vers Joe. Son visage est fermé. Il ne bouge toujours pas malgré les ordres de Petit. Il a un air de défi sur le visage que je ne lui connais que trop bien.

Mon cœur accélère de nouveau.

Non.

Je lâche sa main, comme si elle était brûlante. Mais il me reprend mes doigts d'un geste ferme.

Non.

-Chloé...

Il tourne sa tête vers moi. Sa bouche s'ouvre pour finir la phrase qu'il a commencée. Une détonation couvre le son de sa voix.

Une autre la suit de près.

Une troisième.

Son corps est soudain violemment secoué et la main qui me tenait avec force relâche sa pression. Elle n'est plus qu'une forme inerte dans la mienne.

Joe tombe lourdement sur le sol. Le carrelage blanc de l'aéroport est taché d'un liquide rouge visqueux qui coule jusqu'à mes pieds.

Le regard vitreux de Joe fixe désormais le plafond. Il a un sourire crispé sur les lèvres.

Pour toujours.

____________________________NOTES__________________

TADUMM ! Eh oui, je vous laisse comme cela. Mais en même temps, la suite arrivera lundi prochain, ça va non ?

Par contre, il s'agit là de l'avant-dernier chapitre. Eh oui ! L'aventure de Chloé touche à sa fin. Je ne sais pas trop si je ferai un deuxième tome. Il y a matière pour, mais j'avoue que pour l'instant, je ne suis pas très motivée. On verra bien !

En tout cas, pour l'avant-dernière fois, je vous rappelle de ne pas oublier de voter si vous avez aimé ce chapitre ! Et vous pouvez aussi laisser un commentaire disant que je suis un auteur sadique, bien sûr !

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