Chapitre 28

-C'est vraiment de l'arnaque, ce contrôle ! Même avec des antisèches, je me tape des notes de merde !

Gabriel, adossé nonchalamment au dossier de sa chaise, lance sur sa table la copie que le professeur vient de lui rendre. Je n'ai pu m'empêcher de sourire devant sa colère plus ou moins feinte. Je savais très bien qu'avoir cinq ou vingt, pour lui, cela revenait au même ; il ne passera pas en première, quand bien même on le lui offrait sur un plateau d'argent.

-Vivement que je me casse d'ici, marmonna-t-il dans sa barbe – qu'il n'avait d'ailleurs pas.

Mélissa, assise juste devant moi se détourne alors vers nous, sa copie dans la main.

-Tu as eu combien toi, Chloé ?

Son front était creusé par l'inquiétude, et à raison :

-J'ai eu six, je vais me faire défoncer par mon père.

Mélissa grimaça, sachant très bien de quoi mon paternel est capable. Je ne prends pas la peine de lui demander combien elle a eu : je sais que la réponse oscille quelque part entre quinze et vingt. Mélissa est vraiment intelligente, plus que moi, en tout cas et surtout, elle aime travailler.

Si je n'étais pas motivée à rentrer dans la police, comme mon père, je ne ferai pas autant d'effort et il est fort probable que j'aurais suivi la même voie que Gabriel, l'année prochaine : le bac professionnel.

Le professeur, ayant fini de distribué les dernières copies et de retour à son bureau, peinait à faire revenir le silence : les élèves de la classe étaient tous tournés les uns vers les autres, commentant leur note et appréciations. C'était toujours le cas lorsque les professeurs rendaient les contrôles, il y avait comme une autorisation tacite qui permettaient les élèves à perdre leur disciplines.

Après que Monsieur Belgarde eut plusieurs fois rappelé la classe à l'ordre, il réussit à obtenir le silence. Il s'éclaircit la gorge, avant d'annoncer :

-Bien, maintenant nous allons passer à la correction du devoir.

-Ca me gave déjà, me souffle Gabriel, assez bas pour que Monsieur Belgarde ne l'entende pas.

Je ne lui répondis pas et tâchai de me concentrer sur la correction ; j'avais révisé pour ce contrôle, au moins une heure, et je ne comprenais pas d'où venait mes erreurs. Il me semblait pourtant avoir mis les bonnes réponses. Le professeur ne tarda pas à éclairer ma lanterne :

-Vous êtes au lycée maintenant, il ne s'agit pas seulement d'apprendre bêtement par cœur votre cours, mais de réfléchir pour utiliser les bons exemples, des exemples pertinents pour répondre aux questions. En d'autres termes, il vous faut penser le sujet.

Je n'ai pu m'empêcher de lâcher un gros soupire. Cette année de seconde s'annonce difficile. Si maintenant, il faut encore faire plus qu'apprendre, cela va être compliqué.

Monsieur Belgarde déroule son corrigé d'un ton mécanique jusqu'à ce que la sonnerie retentisse et disperse de nouveau l'attention des élèves. Chacun ramassait ses affaires avec empressement, tout en recommençant avec le voisin, la conversation qu'ils avaient arrêtés au début du court ; exactement là où ils l'avaient laissés. Aucun n'entendit Monsieur Belgrade dire :

-Nous finirons la correction demain, rapportez bien vos copies !

Quant à moi, je ne faisais pas exception et fourrais ma trousse dans mon sac à dos, ainsi que ma copie, sans trop prendre la peine de savoir si j'allais ainsi la froisser. J'espère que mon père ne demandera pas à la voir, sinon, je me ferai doublement assassiner !

-Vous prenez le bus, ou vous rentrez à pied ? Demanda Gabriel son sac sur les épaules, déjà prêts à sortir.

Mélissa à son tour enfila son manteau et nous emboîta le pas vers la sortie, déjà obstruée de camarades de classe.

-On pourrait marcher un peu, non ? Il fait beau, autant profiter car cela ne sera sûrement pas le cas très longtemps, maintenant.

-Je déteste le mois de novembre, il fait toujours froid.

-En même temps, si tu mettais autre chose qu'un T-Shirt, Gab, tu aurais peut-être plus chaud !

-Certes, Mel, mais dans ce cas, tu ne pourrais pas admirer mes abdos saillants sous mon T-shirt moulant ! fanfaronna mon ami, en bombant le torse.

Nous étions déjà dans le hall du lycée, où d'autres lycéens chahutaient ou discutaient en petits groupes, dans un brouhaha ambiant. En riant, j'ouvris la porte et nous sortîmes dehors.

Effectivement, il faisait encore beau pour un mois d'octobre et le soleil timide éclairait le parvis du lycée d'une douce lueur. A pied, j'avais presque une demi-heure de marche pour rentrer chez moi, mais cela ne me dérangeait pas ; cela permettait, au contraire, que je fasse un peu de mon sport quotidien. S'il y avait bien une chose pour laquelle je me débrouillais, c'était le sport et plus particulièrement le karaté. J'en faisais depuis mes treize ans, cela me plaisait plus que la boxe. Mon père m'avait toujours encouragée à faire du sport, et les sports de combat m'avaient bien plus. Plus que ma tentative d'équitation au primaire, en tout cas.

Gabriel me coupa dans mes réflexions :
-En tout cas, j'espère que cette fois-ci, mes parents vont bien comprendre que m'envoyer en générale était une grave erreur !

-Tu as eu combien cette fois ?

-Quatre, c'est encore moins que le contrôle de français. Déjà, ils avaient fait une de ces têtes !

-Donc, si je vous propose une après-midi révision samedi pour préparer le prochain contrôle d'anglais, tu déclines l'offre ? gloussa Mélissa.

Gabriel confirma, mais je réagis aussitôt :

-Oh, moi je veux bien ! J'ai vraiment besoin de rattraper ma note d'histoire, et tu sais bien que l'anglais et moi...

-Oh, oui, que je sais ! S'exclama la jeune fille.

Nous continuons à ricaner et parler ainsi pendant le trajet, heureux de cette belle fin d'après-midi. Gabriel nous obligea à nous arrêter à la boulangerie, pour acheter une part de tarte aux pommes, sous les grognements de Mélissa, argumentant qu'elle allait raté le prochain épisode de sa série, s'il on tardait trop.

-Ben quoi, c'est trop bon la tarte aux pommes ! se justifia Gabriel, spontanément.

Nous éclatons de rire, une fois de plus, devant l'air faussement offensé de notre ami. Quelques passants nous lancent des regards assassins. Il faut dire que nous faisons beaucoup de bruits et que l'on prend plus de la moitié du trottoir, à nous trois. Gabriel nous passe une part de sa tarte et nous nous remettons en route. Mélissa se lance dans l'explication des derniers ragots :

-Vous vous souvenez de Maxime qui était au collège avec nous ?

Nous hochons la tête de concert, notre bouche étant pleine du gâteau. Mélissa sourit avant de continuer :

-Eh bien, il s'est coupé les cheveux et il n'a plus de lunettes !

-Non !

-Si ! Il est plutôt canon, maintenant, d'ailleurs.

-Tu veux sortir avec lui, du coup ?

Je ne peux m'empêcher de noter la petite pointe d'inquiétude dans la voix de Gabriel. J'ai toujours pensé que ces deux là finiraient ensembles, mais je commençais à trouver le temps long ; peut-être devrais-je m'y mêler pour faire avancer les choses plus vite ? En tout cas, Mélissa rassure son prétendant en prenant un air effaré :

-Ca va pas, non ? Cheveux coupés ou pas, cela reste toujours Maxime !

Arrivés au coin de la rue, Gabriel et Mélissa me quittèrent. Ils étaient voisins, en réalité, et faisaient donc tout le trajet intégralement ensemble.

-Salut Chloé ! A demain !

-Ouais, passe une bonne soirée !

-Merci, vous aussi. A demain.

Quant à moi, j'étais celle des trois qui habitait le plus loin du lycée. Cela ne me dérangeait pas. Une fois mes amis partis, j'enfonçais mes écouteurs dans mes oreilles et je marchais dans la rue, les mains dans les poches. Je regardais les passants, les feuilles des arbres qui tombent en automne, ou encore les voitures qui me dépassent à pleine vitesse et font voler mes cheveux.

Parfois, quand la musique concordait bien avec ce que je voyais, j'avais l'impression d'être dans un film. Une chanson triste un jour de grisaille me plongeait dans une profonde mélancolie, tandis que les chansons énergiques les jours de soleil me transformait en pile électrique avant que je n'arrive chez moi.

C'était le cas aujourd'hui, et je me sentais particulièrement euphorique dans les derniers mètres qui me séparaient de chez moi.

Mais alors que je tournais le coin de la rue, ma joie retomba quelque peu. Ma maison était toujours là, entourée de sa pelouse bien tondue et de son petit muret en brique, elle était toujours entourée des deux maisons mitoyennes qui étaient celles de mes voisins et les deux pots en terre contenant les oliviers que ma mère s'échinait à faire pousser étaient toujours là. Mais je ne les voyais pas car une foule de personne les cachaient, et débordait même dans la rue.

Il y a avait au moins une vingtaine de personnes, sans parler de ma vieille voisine, qui semblait en grande discussion avec un homme en costume de policier. D'ailleurs, la plupart des personnes présentes devant chez moi portaient ce costume, que je connaissais bien, puisque mon père avait le même. Il y avait aussi trois voitures, elles aussi de police, garées un peu n'importe comment, je dois dire.

Pourtant, je ne me rappelais pas que ma mère ait organisé un anniversaire surprise pour mon père. D'ailleurs, ce n'était même pas le mois de son anniversaire.

Dans ce genre de situation, l'instinct crie que quelque chose n'est pas normal, qu'il se passe quelque chose de grave. En tout cas, c'est ce que le mien me disait, et c'est pourquoi je restais comme pétrifiée pendant de longues minutes à regarder le ballet incessant des hommes, qui venaient et rentraient dans ma maison, qui passaient des appels téléphoniques le ton grave et qui discutaient avec mes voisins, la mine tout aussi grave.

Parmi eux, un se détourna et croisa mon regard. Je ne savais pas comment il s'appelait, mais je l'avais déjà vu quelques fois, quand j'allais attendre papa au poste de police, pour qu'il m'emmène à la fête foraine après son service.

Cet homme était de taille moyenne, et bien que sa casquette bleue ne me permettait pas de voir ses cheveux, je savais qu'ils étaient roux. Au fur et à mesure qu'il approchait de moi, je pouvais distinguer ses sourcils broussailleux, les petites rides que la quarantaine lui avait apportée, ainsi que son regard soucieux. Arrivé à ma hauteur, il s'arrêta et me parla :
-Chloé. Je suis Théodore, je travaille avec ton papa.

Il fit une pause, attendant peut-être un bonjour de ma part, mais en vérité, j'étais à cette instant incapable de formuler un seul son. D'ailleurs, je sentais mon rythme cardiaque qui s'accélérait et mes yeux me piquaient, comme si j'allais pleurer. Ma vision était trouble, ainsi que mon ouïe, ce qui fait que j'entendais à peine ce que beuglait le chanteur dans mes écouteurs.

Le mode aléatoire m'avait sélectionné une chanson triste.

Je la reconnue pourtant. C'était Asleep, des Smith.

J'avais dû me concentrer pour la reconnaître, si bien que lorsque Théodore repris la parole, je n'entendis pas ce qu'il me disait. Ce n'est que quand je voyais qu'il continuait à me fixer gravement que je compris qu'il attendait sans doute autre chose qu'un « bonjour ».

D'un geste vif, j'enlevais mes écouteurs.

-Quoi ?

Théodore ne me répondit pas de suite. Il s'humidifia les lèvres rapidement et déglutis. Puis il me pris doucement par le bras et m'entraîna à l'écart. Il me fis asseoir face à lui, sur un des sièges d'une voiture.

-Chloé. Ce que je vais te dire est très important.

Il fit une pause, encore. Je n'osais dire quoi que ce soit ; je sentais que l'instant était grave et peut-être avais-je en réalité déjà compris ce qu'il allait m'annoncer. Mais mon cerveau, lui, refusait de l'accepter et avait enfouis cette hypothèse bien au fond de ma mémoire.

Théodore allait me dire qu'ils préparaient une surprise pour mon père, car il avait enfin réussi cette enquête très importante, sur laquelle il était depuis des mois. Je ne savais pas exactement en quoi retournait cette enquête, il avait toujours refusé de m'en parler, même de façon allusive.

Mais mon papa était très fort, il avait sûrement fini par arriver à bout.

N'est-ce pas ?

-Tes parents ont disparu.

Mon semblant de sourire que je m'efforçais d'afficher tant bien que mal se dissipa tout d'un coup. Je senti ma gorge me brûler et les larmes me monter aux yeux. Ce n'est pas possible, cela ne peut pas être vrai. J'eus assez de force pour articuler :

-Mais vous allez les retrouver n'est-ce pas ?

Je vis une larme perler au coin de l'œil de Théodore. Il devait être lui aussi très touché par la nouvelle. Je jetais un regard derrière moi, par la vitre du côté opposé de la voiture. De là, je distinguais un détail que je n'avais pas vu jusqu'ici : une bande jaune fluo, qui entourait le périmètre. Il était bouclé. Désormais ma maison était une scène de crime. Je me retournai vers Théodore, qui ne m'avait toujours pas répondu et répétai ma question.

-Chloé, je vais être honnête avec toi. Ils sont probablement morts.

Ce mot finit de rompre toutes les barrières qui retenaient mes larmes et j'éclatai en sanglot.

Les premiers bras qui recueillirent ma détresse furent donc ceux de Théodore Oger.

__________________________NOTES___________________

Alors comment avez vous trouvé ce chapitre ? Ce n'est pas facile d'écrire sur un sujet si sensible et de trouver le ton juste. J'espère que j'y suis parvenu.

En tout cas, on en apprend enfin un peu plus sur le passé de Chloé ! Cela vous surprend-il ou est-ce que vous vous en doutiez ?

Si vous avez aimé, n'oubliez pas la petite étoile !

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