Chapitre 27
Plusieurs jours ont passés, mais la situation n'a pas bougée et commence à être pesante. Je ne saurais même pas dire quel jour, quelle heure nous sommes. Le seul indicateur du jour est la lumière qui filtre sous la porte, plus ou moins vive suivant l'heure du jour et de la nuit ; toujours présente néanmoins car les lampadaires éclairants le jardin faussent alors ma perception.
Pourtant, toujours pas de nouvelles de Martin.
Il n'a sûrement pas eu le temps de me localiser, et le signal de mon téléphone étant désormais éteint, tout comme l'écran brisé de celui-ci, n'aidait sûrement pas. J'attends, de plus en plus prostrée au fur et à mesure que les jours passent. Je revis avec une certaine angoisse ma chute d'il y deux semaines ; mais cette fois, je n'étais pas en sécurité chez Martin.
C'est Joe qui m'apportait le thé et les petits gâteaux jusqu'au matelas qui me sert de lit. Je ne peux pas dire que je suis maltraitée, ni même que je suis mal traitée. Joe est aux petits soins avec moi. Il sortait parfois à la tombée du soir, et il revenait toujours les bras chargés de victuailles -je ne sais pas où il allait les chercher, mais à vrai dire, cela m'était égal.
Il n'avait pourtant toujours pas abandonné son projet de départ pour la République Tchèque. Quelle qu'était la destination que je lui proposais, même la plus folle, la plus alléchante, il la refusait catégoriquement.
Ses arguments étaient toujours les mêmes : là-bas, on y serait paradoxalement plus en sécurité, il y connaissait des gens, il était sûr que j'allais les apprécier. Je m'étonne d'ailleurs ne pas être encore à l'heure actuelle dans un quelconque avion en route pour ce pays, de gré ou de force.
Une chose est donc sûre parmi ces jours qui se suivent lentement, dans ce temps incertain et flou, ces instants qui me tuaient à petit feu ; Joe ne voulait pas me forcer la main. Si je ne décidais pas moi-même d'aller en République Tchèque, il ne m'y emmenait pas.
Ainsi, j'ai le choix entre m'envoler pour une terre inconnue, dont je ne parle pas la langue et qui est le territoire d'un gang qui veut ma peau ou de rester croupir dans une cave, en compagnie d'un malfrat, certes très sympathique, mais quelque peu liberticide.
Je ne pense pas qu'on puisse faire pire comme situation.
Pour l'instant, j'avais pris le parti d'attendre que quelqu'un viennent me chercher : Ted, Martin, peu importe. Même si c'était le lieutenant Petit, en fait. Je serai même très heureuse de le voir s'il venait à enfoncer la porte à coups de pied de ses grosses chaussures de service, laissant alors entrer toute la lumière.
J'avais supplié Joe de me laisser sortir quelques fois, lui promettant de ne pas m'éloigner, de ne pas m'enfuir, mais il avait été intraitable : tu risquerais de te faire tuer par un homme de Kràl, qu'il disait. Mais après tout, peut-être qu'à choisir, cette solution n'était pas la pire des trois.
Toujours est-il que je suis encore là, assise sur ce matelas, posé à même le sol, à fixer le jour qui passe dessous la porte. A en juger par la luminosité, il devait être l'après-midi. J'arrivais mieux à distinguer le soir et le matin, où le soleil donnait alors à cette lumière une couleur plus orangée. Celle des lampadaires était d'un jaune pâle, celle du matin blanche et celle de l'après-midi, était, comme maintenant, plus vive.
-Il est quelle heure, Joe ?
C'était la question que j'avais pris l'habitude de poser régulièrement, plusieurs fois par jour. Seul lui avait encore une montre, avait encore une notion du temps. Parfois, il me la donnait et je fixais alors les aiguilles s'avancer en soubresauts de secondes en seconde. Mais il finissait toujours par la reprendre, quand il devait partir. Je restais alors seule ainsi, encore plus vide, encore plus indécise.
-Il est quinze heures seize.
Le silence est ensuite revenu dans la pièce, lourd, pesant. Presque autant que le regard de Joe qui me scrutait depuis quelques jours, inquiet.
L'idée m'avait traversée l'esprit quelques fois, c'est vrai. J'aurais pu partir, pendant les excursions nocturnes de Joe ; rien ne m'en empêchait. Mais pour aller où ? Mais pour combien de temps ? Le danger aurait été double : d'un côté, j'aurai pu me faire surprendre par Joe, comme ce qu'il s'était passé la première nuit ; de l'autre, j'aurai pu me faire tuer par Kràl. Je préférais encore la première option.
Pourtant, ce soir là, quand je l'ai entendu se levé, que j'ai entendu la porte s'ouvrir et se refermer en grinçant, l'idée est de nouveau revenue m'effleurer. Il pense que je dors, sans doute, il ne m'avait pas dit qu'il partait. La cave plongés dans le noir, difficile de voir quoi que soit, d'ailleurs : j'étais allongée sur le matelas et fixait le plafond et l'ombre qui l'envahissait depuis un moment déjà.
Je me suis redressée, et j'ai écouté. Il n'y a aucun bruit, excepté un ronflement lointain de moteurs, presque inaudible : c'est le bruit de la ville.
Elle n'était donc pas si loin que cela. En me guidant au bruit, peut-être pourrais-je alors atteindre le centre-ville, et de là, je saurai comment rentrer. Sans même trop réfléchir, je me lève donc et sans prendre la peine de chercher mon sac à main, resté dans la caisse en bois depuis le début, j'ouvre à mon tour la porte.
L'air frais de la nuit de Novembre me cueille et me fait frissonner. J'avais presque oublié la sensation de la brise nocturne qui vous pique les joues. Un sourire de victoire étire mes lèvres. Pourquoi aies-je attendu si longtemps ? Enfin, peut-être pas si longtemps que cela. J'ai perdu le compte des jours, comment savoir ? Qu'importe ; je suis dehors.
Je referme doucement la porte, regarde une fois à gauche, et mon regard est arrêté par la haute haie qui me sépare du jardin des voisins ; à droite, c'est l'ombre majestueuse du chêne qui m'attrape. En tout cas, aucune trace de Joe. La voie semble libre.
Je me méfie tout de même. J'ai été assez bête pour me faire avoir une fois, je ne me ferais pas avoir deux fois. Quand même pas. Le comique de répétition, c'est drôle ; le tragique de répétition l'est beaucoup moins, en revanche.
Je passe de nouveau la barrière blanche, et je suis dans la rue. Les lampadaires, même de l'extérieur, ont toujours cette même couleur blafarde. Mais je n'y porte que très peu d'importance : je ne suis pas agent edf, et j'ai un chemin à retrouver. Je ferme les yeux, pour tenter de retrouver ce petit bruit qui m'avait décidée à partir.
Il vient de la droite. C'est d'ailleurs par là que nous étions arrivé, avec Joe, alors qu'on fuyait ces trois hommes qui nous voulaient visiblement du mal. Le problème, c'est que si c'est par ce côté-ci qu'est le centre-ville, c'est aussi de ce côté-là que Joe est parti et reviendra sûrement.
Comme il ne me laissait jamais la montre, les quelques fois où il est parti, je ne sais pas combien de temps il a mis. Je pourrais le croiser à tout moment, moi sur le chemin de ma liberté, lui, sur le chemin du retour. La situation est donc plutôt délicate.
Je choisis de donc rapidement de faire un petit détour : je trouverai bien une rue parallèle pour retourner sur mes pas ensuite et retrouver le centre-ville. Je m'empresse donc de marcher dans la direction opposée et j'arrive rapidement au bout de la rue. Qui se trouve en réalité être une impasse, comblée par une jolie maison pavillonnaire avec jardin.
Je soupire bruyamment pour marquer mon mécontentement. Je n'ai plus qu'à faire demi-tour et vite, si je ne veux pas croiser Joe. Je repars donc au pas de course cette fois en direction du centre-ville. Comment perdre du temps, en deux étapes : suivre son instinct. Vraiment, mon instinct a dû être acheté au rabais, parce que ce n'est pas possible d'avoir autant la poisse.
Pendant me maudis et que je cours, je tâche de faire attention au bruit, pour retrouver celui qui me guiderait vers le centre. Or, avez-vous déjà essayé d'entendre le faible ronronnement d'un moteur au loin, tout ayant le bruit, beaucoup plus fort de tes baskets martelant l'asphalte et celui de ton souffle dans les oreilles ? Je vous l'accorde, ce n'est pas facile. J'hésite alors à ralentir, mais ma plus grande crainte actuellement était de tomber sur Joe, et non de me perdre. Je décide donc de continuer sur ma lancée et par un choix totalement non-rationalisé, je décide de tourner au coin de la rue que j'aperçois, à gauche.
Motivée par ce choix, j'effectue des foulées plus amples pour prendre de la vitesse et atteindre cette rue plus vite. Après tout, quelles sont les probabilités pour que je tombe sur Joe maintenant ? Le dédale de rue fait que les chances de le croiser, si je n'emprunte pas ce qui semble être la rue principale, sont faibles. Celle-ci est d'ailleurs plongée dans le noir, les lampadaires n'éclairant que la grande rue où je suis. Je tourne donc au ras de trottoir, toujours lancée à pleine vitesse...
Je percute de plein fouet une masse que je ne distingue pas, ce qui me fait tomber à la renverse. Sonnée, je jure à demi entre mes dents, ne comprenant pas dans quoi j'ai pu rentrer ainsi. Mais je n'ai pas le temps de comprendre ce qu'il se passe que cette masse se redresse aussi vite et me force à me relever.
-Putain, Chloé, qu'est-ce que tu fais là ?
Mais ce n'est ni la voix de Martin, ni la voix de Ted. Ce n'est pas la silhouette élancée de Petit, ni celle de David. Non, la masse d'ombre, qui me traîne de nouveau dans ces rues qui ressemblent à un labyrinthe duquel je ne peux m'échapper, n'est autre que Joe. A la lueur des réverbères qui l'éclairent à nouveau, je reconnais son visage, pourtant plein de sang.
Que s'est-il passé ?
Il m'entraîne de nouveau, et j'ai l'impression de revivre cette course folle, cette fuite, qui remonte maintenant à plusieurs jours. C'est comme si j'étais alors coincée dans une boucle temporelle et que, quoi que je fasse, je me retrouve encore et toujours traîné par Joe. Cette fois, je me dégage d'un coup vif de l'épaule. Joe ralenti quelque peu, soucieux de voir ce que je vais faire, mais je le dépasse en courant vers la cave : son visage me laisse à penser que ce n'est peut-être pas le moment de tenter une escapade.
Nous arrivons en même temps devant la barrière. Après un rapide coup d'œil à la rue, que nous constatons déserte, nous passons comme un seul homme la palissage blanche et nous coulons dans le jardin. Joe m'ouvre la porte et je m'y faufile, il se glisse derrière moi et j'entends le grincement dans mon dos qui m'informe que la porte est de nouveau fermée.
-Qu'est-ce que tu faisais dehors, Chloé, tu es complètement folle !
J'ouvre la bouche pour répondre, mais il ne m'en laisse pas le temps. Il se laisse tomber sur la souche d'arbre et m'informe :
-Il y a sur le côté un petit escalier qui mène à l'intérieur de la maison. Nous pourrons nous enfuir par là s'ils s'introduisent dans le jardin.
Je hoche la tête et m'approche de la porte pour tâcher de voir, par la serrure, ce qu'il se passait dehors. Du peu que je vois, il n'y a personne. Je reste ainsi quelques instants, mais rien ne semble bouger.
-Ils ne nous ont pas suivis.
Je me décolle de la porte et me tourne vers Joe. Il me fixe d'un œil grave et je crois déceler dans l'ombre de ses sourcils une pointe d'inquiétude. Dans la pénombre, le sang sur son visage paraît noir. Je m'approche doucement de lui, il ne me quitte pas des yeux.
-Tu es blessé.
C'est tout ce que j'ai trouvé à dire, et cela sonne tellement pathétique. Je sais qu'il sait que j'ai essayé de m'enfuir. Comment ne peut-il pas s'en douter ? Mais il ne me dit rien, et rentre dans mon jeu :
-C'est qu'une petite coupure à la tempe. C'est pour cela que ça saigne beaucoup. C'est pas très grave.
Je m'empare de la bouteille d'eau en plastique et d'un tissu propre avant de m'asseoir à ses côtés.
-Attends, je vais nettoyer ça.
Joe se laisse faire. Je nettoie le sang sur son visage, certaines parties, notamment sur sa barbe, avaient déjà commencées a sécher. J'utilise de l'eau pour l'enlever. Joe a raison, la blessure est superficielle et ne saigne déjà presque plus.
-Il faut qu'on parte, c'est trop dangereux.
Mon ventre se serre. Je sais qu'il a raison. Cela fait plusieurs jours que nous sommes enfermés ici, et on ne peut plus sortir sans craindre de se faire attaquer. Ce n'est sûrement qu'une question de jours avant qu'ils ne trouvent notre cachette.
Je tapote maladroitement sur la plaie, même si je sais pertinemment que cela ne sert à rien. Joe grimace, mais reprend quand même :
-Ecoute Chloé, je sais que tu ne veux pas partir en République Tchèque mais...
Il prend une grande inspiration, suspendant sa phrase dans le silence de la cave. Gravement, il se tourne vers moi et abaisse mon bras toujours tendu qui lui tapotait la temps. Je le vois se passer rapidement la langue sur ses lèvres, signe qu'il est stressé.
-Je n'étais pas censé te révéler ces informations Chloé. Ma mission était simplement de gagner ta confiance et de t'amener en République Tchèque. D'ailleurs, je ne vends même pas des armes, en fait. Enfin, je t'avoue que je ne suis pas tout blanc non plus, mais... Je ne suis pas un revendeur d'armes illégal.
Il laisse échapper un petit rire gêné et quant à moi, je ne peux m'empêcher de retenir un sursaut de surprise. Comment ? Depuis le début alors, Joe jouait le même double jeu que moi : il cherchait seulement à m'attirer vers lui et c'est le seul moyen qu'il avait trouvé. Milles questions m'assaillent : pourquoi veut-il absolument que j'aille en République Tchèque ? Quel est le piège ? Est-il de vraiment de mèche avec Kràl ? Est-ce Kràl qui l'envoie ? Je ne peux m'empêcher de frissonner à l'évocation de cette possibilité. Elle est loin d'être impossible. Pourtant Ted a tout fait pour cacher mon existence, je ne comprends pas. Ce moment n'aurait jamais dû arriver. Joe ne me laisse pas accuser le coup, car après une courte pause, il reprend :
-Je sais qui tu es Chloé.
C'est-à-dire ? Je commence vraiment à paniquer. Je sens mon souffle s'accélérer et Joe me prend les mains, dans un geste qu'il veut sûrement rassurant.
-Je sais que tu travailles dans une brigade spéciale d'infiltration. Ce qu'on pourrait peut-être appeler une espionne, en quelque sorte.
Alors, là, c'est vraiment flippant. Que me veut-il à la fin ? Je reconnais à peine ma voix qui arrive à croasser un « pourquoi ? ». Il y a tellement de questions à poser que ce « pourquoi » est une bonne synthèse de ce qui se déroule dans mon crâne.
Joe plonge ses yeux dans les miens. Je sens qu'il est très sérieux et que ce qu'il s'apprête à dire est important.
-Chloé. C'est ton père qui m'envoie.
__________________________NOTE__________________________
Et voilà encore un cliffhanger bien prenant. Alors, alors, comment vous avez trouvé ce chapitre ? ;)
Outre le contenu, j'espère qu'il n'y a pas trop de fautes d'inattention, j'avoue ne pas avoir trop pris le temps de relire (ouuuhou c'est pas bien) car en fait, je viens tout juste d'écrire la dernière ligne à l'instant (c'est-à-dire à 21:04, en ce lundi). Eh oui, comme vous pouvez le constater, je n'ai plus de chapitres d'avance ! Il en reste cinq avant la fin. J'espère réussir à vous les écrire et les livre sans contre-temps.
Comme d'habitude, si vous avez aimé, n'oubliez pas la petite étoile, ça fait toujours plaisir.
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