Chapitre 25
Joe sait où il m'entraîne, manifestement. Il se dirige dans un dédale de rue, sans jamais hésiter, sans jamais se tromper, sans jamais revenir en arrière. Nous courrons toujours, mais l'adrénaline retombe petit à petit et la course me brûle la poitrine. J'ai du mal à respirer correctement. Je halète. Mais je dois suivre la cadence de Joe, qui me tient toujours fermement par le bras.
Enfin, il se faufile entre une palissade blanche, qui ressort dans la nuit, réfléchissant la lumière des réverbères. Le jardin sur lequel on débouche semble abandonné. L'herbe y est haute et me chatouille les mollets, laissés nus par ma jupe. Joe ne se dirige pourtant pas à l'intérieur de la maison, mais emprunte une série de marche sur le flanc de celle-ci : sa planque est dans la cave de la maison, deviné-je. Il referme la porte derrière moi et se laisse tomber sur une souche d'arbre qui lui sert visiblement de siège.
-C'était moins une, souffle-t-il.
Sa voix me ramène à la réalité, que mon cerveau avait jusqu'ici mis de côté, pour se concentrer sur la course. J'aurais dû reprendre mon souffle, maintenant que celle-ci est finie. Mais au lieu de cela, je ne parviens plus à respirer, je suis prise d'un vertige.
Je suis là. Debout dans cette cave inconnue, avec le pire malfrat de la ville.
Personne ne sait où je suis. Martin et Ted me pensent chez moi, David et Bryan... S'en sont-ils sortis ? En flash, me reviennent les images du bar. David décrochant sa droite. Son geste était parfait, maîtrisé. Il en a fait des progrès en une semaine. Puis l'homme, certes un peu plus petit que lui, mais visiblement plus entraîné le rouant de coups. David tombant à terre, se protégeant la tête de ses bras.
Et puis les coups de feu.
Mes oreilles bourdonnent encore en repensant à ce bruit. Tout est allé trop vite, ensuite. J'ai suivi Joe parce qu'alors, c'était ma seule chance de survie. Mais maintenant ? Ne m'étais-je pas sortie de la tanière du renard pour me jeter dans la gueule du loup ?
Le regard de Joe se fait inquiet :
-Chloé, ça va ? Tu es toute pâle...
Ce sont les dernières paroles que j'entendis avant que le bourdonnement dans mes oreilles ne recouvre tout. La dernière image est celle de Joe se levant précipitamment pour tenter de me rattraper. Mes jambes se dérobent sous moi, et je m'effondre.
*
* *
Je me réveille en sursaut. La pièce est plongée dans la pénombre ; je suis allongée sur un matelas. Suis-je dans ma chambre ? Tout ça n'aura été qu'un cauchemar ? Pitié, dites-moi que oui. Qu'il n'est encore que dimanche matin, que le rendez-vous avec Joe n'est pas encore passé, que je me suis simplement finalement endormie. Je cherche à tâtons l'interrupteur de ma lampe de chevet, pour allumer et y voir plus clair. Mais mes doigts ne rencontrent que du carrelage froid, puis l'extrémité d'une chaussure gauche. J'inspire pour crier.
Une main se plaque violemment sur ma bouche, empêchant mon souffle de sortir de la cavité de ma bouche. Mon cœur se met à battre plus vite. Je le sens dans ma poitrine qui s'affole à m'en faire mal. Aussitôt, mes mains reviennent vers mon visage, tentant de me dégager de cet étau. Une voix me chuchote à l'oreille :
-Calme-toi, Chloé, c'est moi. Ca va aller, calme-toi.
Je me force à obéir et ralentir ma respiration. Sa main est toujours sur ma bouche, je dois donc respirer par le nez. Ce n'est pas facile. Je sens les larmes me piquer les yeux. J'ai envie de me lever, je ne me sens pas en position de force. La sensation de sa main ainsi plaquée sur mon visage n'est pas des plus agréable. Mais la pression finit par s'estomper peu à peu alors que ma respiration se fixe.
-Là, voilà. Calme-toi. On est en sécurité maintenant. Ca va mieux ? Attends...
L'ombre se lève et s'éloigne de moi. Je plisse les yeux. La faible lumière qui filtre vient d'être dévoilée maintenant qu'elle est partie. Je la regarde fouiller dans un bac. Elle revient presque aussitôt et me tend ce qui me semble un verre d'eau.
-Tiens, bois.
Je me redresse péniblement et attrape le verre. Je tremble un peu, donc je renverse quelques gouttes. L'eau fraîche me fait du bien ; je la sens couler dans ma gorge, rafraîchir et humidifier ma bouche sèche. Pendant ce temps-là, j'observe. Il fait sombre, la nuit doit être tombée depuis longtemps. Quelle heure est-il ? Je n'en ai absolument aucune idée. Je devine quelques meubles, des débris, dans la pénombre. Et sa silhouette, massive, accroupie près de moi.
Je repose le verre sur le carrelage. Ça tinte.
-Merci, dis-je d'une voix rauque.
Joe reprend le verre et se lève de nouveau. Il le repose là où il l'a pris, c'est-à-dire dans ce que je pense être une caisse en bois. Je me tourne vers lui pour l'avoir toujours dans mon visuel. Mes pieds touchent le carrelage froid. Je suis pieds nus. Où sont mes chaussures ? Qu'en aie-je fait ? Ou bien... qu'en a-t-il fait ?
-Tu m'as fait une de ses peurs ! S'exclame-t-il.
-Où sont mes chaussures ? lui demandé-je pour toute réponse.
-Je les ai mises là, attends.
Il fouille de nouveau dans sa caisse en bois et en sort mes chaussures. Je ne vois pas son visage, il fait trop noir. Me fixe-t-il ? Cela ne me rassure pas. Il m'apporte mes baskets et me les présente. Je m'en empare vivement. J'en aurais sûrement besoin pour m'enfuir.
-Je voulais pas trop salir les draps, se justifie-t-il. Je n'ai que ceux-là, et c'est un peu compliqué pour les laver...
Alors que je commence à enfiler mes baskets, il continue :
-Tu peux continuer à te reposer, si tu veux. Je dormirai après. Où je dormirai par terre, cela m'est égal.
Je n'écoute pas. Je n'ai pas du tout l'intention de rester dormir ici : je n'ai pas signé pour une soirée pyjama avec Joe. D'ailleurs, quelle sorte de soirée pyjama compte-t-il m'offrir ? Je redresse la tête pour tenter une nouvelle fois de voir son visage. Ses sourcils sont froncés, il me regarde faire et ne dit rien. Je me redresse. Ma tête ne tourne plus. C'est déjà ça.
-Tu peux dormir, je me suis assez reposée, finis-je par lâcher.
Il paraît hésiter. Je m'assois sur la souche d'arbre, toujours de façon à l'observe et je croise les jambes et les bras. Il semble penser que je vais rester là et finis par se glisser sous les draps. Dès que je l'entends ronfler, je me casse. En attendant, je reste sur mes gardes.
Le temps me paraît long.
Extrêmement long.
J'en profite pour observer encore une fois la pièce. La lumière vient de la porte par laquelle nous sommes entrés. C'est une petite porte en bois, si je me souviens bien et elle ne peut se fermer que de l'intérieur par un loquet. Elle sera facile à ouvrir. Le reste de la pièce est plongé dans la pénombre. Le matelas est poussé dans le coin le plus sombre de la pièce, dans le mur opposé à la porte. La souche elle aussi n'est pas centrée dans la pièce, mais elle est sur le côté gauche, comme le reste des meuble. En entrant en pleine nuit ici, si on n'y prête pas attention, on peut donc croire que la pièce est vide. En tout cas, de Joe, je ne distingue qu'une masse informe. Je suis incapable de dire s'il dort ou non. Je dois me fier à sa respiration.
Au bout de ce qui me semble de longues heures, après qu'il se soit tourné et retourné dix fois, sa respiration se fait enfin plus ample et lente. Il s'est sûrement endormi. Je me lève sans faire de bruit, je tourne un peu dans la pièce, tout en le regardant, pour voir s'il réagit. Il ne bouge pas. À pas de loup, j'avance jusqu'à la caisse. Il faut que je trouve mon sac. Mon portable est dedans et il me le faut. Je n'ai aucune idée d'où je me trouve en ville et je ne compte pas errer dans les rues jusqu'à tomber sur un coin que je reconnais.
Je bouge les affaires sans faire de bruit, je farfouille. Il a tout mis là-dedans, mon sac doit forcément y être. Enfin, je reconnais le cuir de ma sacoche au toucher. Je m'en empare et tire. La bandoulière était accrochée à un autre objet qui racle le fond de la caisse.
Je me fige et, le cœur battant, je me retourne.
Joe n'a pas bougé, sa respiration est toujours la même. J'attends encore un peu pour bouger de nouveau et dégager mon sac de cet amas d'objets en tout genre.
Enfin, je peux le mettre sur mon épaule et traverser la pièce pour atteindre la porte. Comme je m'y attendais le loquet est fermé, mais il suffit de le pousser pour le dégager de l'encadrement et ouvrir la porte. Il est un peu rouillé, je dois pousser fort et il finit par se reculer dans un petit bruit. Cette fois, je ne vérifie pas si Joe a entendu et me faufile dans l'ouverture en vitesse.
Ca y est, je suis dehors. Je souris. L'air est frais. Je frissonne. Il fait nuit noire. Seuls les réverbères de la rue éclairent le trottoir. Mais je ne traîne pas ici, je n'attends pas que Joe se réveille et constate ma disparition. Je passe de nouveau la palissade blanche, et me retrouve dans la rue. Je me tourne pour observer la maison brièvement : il faudra que je sache la décrire à Martin.
Voyons, où suis-je ?
Bien sûr, j'avais éteint mon téléphone, il faut que je le rallume. Pendant que l'écran s'allume, je m'éloigne encore un peu et me cache du jardin en me glissant derrière un arbre.
-Allez, dépêche, juré-je entre mes dents.
Je tape mon code en vitesse. Mon fond d'écran apparaît : un graphisme abstrait, disponible de base sur le téléphone. Je n'avais jamais pris la peine de changer. Pourquoi faire ? Je n'ai pas d'animal de compagnie à afficher. Je ne vais pas mettre Martin en fond d'écran non plus. Et croyez le ou non, je ne suis pas assez narcissique pour y mettre un selfie. Je cherche le logo de Google Maps. Où est-il ? Je le trouve dans le menu, appuie dessus.
-Allez, allez.
J'encourage mon téléphone à voix basse. Enfin, l'appli se lance. J'active la géolocalisation. Où suis-je ? Rue Jules Ferry. Je ne connais aucun nom de rue aux alentours. Mais au moins, je sais où je suis. Je vais pouvoir l'indiquer à Martin. Il viendra me chercher en voiture dans une rue adjacente. Il fera bien ça, non ?
Le téléphone sonne. Il est minuit passé, Martin dort peut-être... Mais je sursaute quand il décroche avant même que la deuxième sonnerie ne soit finie.
-Chloé ! Où es-tu ?
-Eh bien, je... balbutié-je, surprise.
Martin ne me laisse même pas répondre, il enchaîne directement :
-Il est avec toi ? Il t'a fait du mal ? Il veut une rançon ?
Martin sait donc où je suis. Où plutôt, il sait avec qui je suis. David et Bryan ont dû prévenir Ted après l'échec de la mission. Cela m'agace quelque peu.
Je jette un coup d'œil rapide vers le jardin. Rien n'a bougé. Joe n'a donc même pas dû m'entendre et dort toujours comme un bébé. Je souris.
-Il n'est pas avec moi, mais je sais où il est, répondis-je calmement. Ne t'inquiète pas, je suis en sécurité.
-Je confirme.
Je sursaute et pousse un petit cri. La voix qui a retenti à mon oreille n'est pas celle de Martin. Elle est beaucoup plus grave et rauque que celle de mon collègue. Je me retourne lentement pour me retrouver en face de Joe. Mon visage se décompose.
-Chloé ? Qu'est-ce qui se passe ? Où es-tu ?
J'entends Martin s'écrier dans le combiné, avant qu'il ne me soit arraché par Joe. Celui-ci pose calmement son oreille pour entendre Martin paniquer et lui répond :
-Ne vous en faites pas, elle est en sécurité avec moi.
Puis il laisse tomber mon Smartphone sur le trottoir et l'écrase de son talon. Indéniablement, si l'appareil avait peut-être survécu à la chute, il n'a pas survécu à la chaussure de Joe.
-Oups, je crois que j'ai marché sur un truc, lâche-t-il.
Je suis mortifiée. Que vais-je devenir ? Que va-t-il me faire maintenant ? Il est hors de question que je retourne dans cette cave. Je n'ai plus qu'une seule option. Je fais volte-face et me mets à courir de toutes mes forces.
Bien sûr, Joe ne tarde pas à me rattraper et me plaque violemment contre son torse. Je tente de crier, mais sa main se retrouve une nouvelle fois sur ma bouche.
-Chloé.
Je me débats un peu, mais cela est inutile : il me tient fermement et il a deux fois plus de force que moi.
-Chloé, écoute-moi.
Petit à petit, je cesse de me débattre, découragée et complètement essoufflée, d'autant qu'il n'est pas facile de respirer avec la main de Joe qui m'obstrue la moitié de mes voies respiratoires.
-Je te ramène à l'intérieur, d'accord.
Je sens mes pieds se soulever de quelques centimètres du sol et Joe me porte jusqu'à la case départ. Il me laisse tomber sur le carrelage, ferme la porte et s'appuie dessus pour me regarder faire les cent pas. Il ne dit rien. Il attend que je parle.
-Tu, tu ne me touches plus, d'accord ?
Ma voix part dans des aigus incontrôlés et mon doigt, que je pointe d'un air menaçant vers Joe, tremble vivement. Ce dernier se contente de sourire :
-Pas de problème.
Je me fige, étonnée. Il ne semble pas énervé, il est toujours aussi calme et ne donne pas l'impression d'avoir envie de me passer l'idée de fuguer.
-C'est tout ? je m'étonne.
-Chloé, ce n'est pas de moi dont tu dois avoir peur. Si je voulais te faire du mal, ce serait déjà fait, tu ne crois pas ? Tu as fais un malaise juste devant moi il y a deux heures et tu t'en est sortie indemne. J'ai deux fois plus de forces que toi, même alors que tu t'en étais remise, j'aurais pu te faire dix fois du mal. Je ne l'ai pas fait. Tu ne crois pas qu'il serait temps de me faire confiance ?
Puis, il ajoute dans un demi-sourire ironique :
-Je croyais que tu m'aimais d'ailleurs ?
Je suis perdue. Non seulement Joe n'est pas dupe, il a compris que mon petit numéro de la dernière fois n'était que dans le but de provoquer sa confiance, mais en plus, il ne veut pas de mal.
-Pourquoi tu ne me laisses pas partir, alors ? lâché-je, amère.
-Parce que tu n'es plus en sécurité dehors. Les trois hommes t'ont vue avec moi au bar. Ils vont penser que tu es avec moi.
Je laisse échapper un petit rire :
-La police ? Ne t'inquiète pas pour ça, je peux me débrouiller.
Joe se redresse un peu, faisant grincer la porte de bois.
-Ce n'était pas la police, Chloé. Crois-moi, moi aussi, j'aurais bien aimé que cela le soit.
-C'était qui, alors ?
-Les hommes d'Alexej Kràl.
Mon sourire narquois quitte définitivement mon visage alors que les mots de Joe résonnent encore dans la pièce.
_____________________________NOTES_____________________
Voici donc le chapitre 25 ! Qu'en pensez-vous ? Comment vous paraît le personnage de Joe ? Et comment va s'en sortir Chloé, surtout !
Si vous avez aimé, n'oubliez pas la petite étoile !
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