Chapitre 23
Je me réveille donc un peu avant huit heures sans vraiment avoir dormi. Autant dire que je suis d'une humeur massacrante, et pas du tout opérationnelle. J'espère que ce soir, ce sera mieux, car Joe ne se préoccupera pas de savoir si je suis fatiguée ou non – au contraire, même. Je me dirige d'un pas lourd vers la cuisine, bien décidée à me prendre un café, histoire de me réveiller un peu. David dort encore sur le canapé, en position assise, signe que son assoupissement est involontaire. J'essaye de ne pas faire de bruit et n'allume pas la lumière pour ne pas le réveiller. De toute façon, Bryan arrivera incessamment sous peu, et il faudra bien qu'il émerge alors.
Je cherche à tâtons la bouilloire pour la remplir d'eau. Où est-elle, bon sang ? Avec Annie, hier, on a un peu tout déplacé et je dois revoir toutes mes habitudes. Sur ce constat, je décide de passer à la phase supérieure et me mets à faire des gestes plus amples pour trouver cette maudite bouilloire. Je lance mon bras vers la gauche, espérant ainsi rencontrer la fameuse anse que je recherche. Mais au lieu de cela, je ne fais que renverser, dans un fracas métallique, d'autres objets pour l'instant non identifiés.
La lumière fuse presque instantanément : David, dans un sursaut, vient d'allumer la lampe à pied du salon et accourt vers l'origine du bruit. Ses jambes sont fléchies, souples, dans une posture défensive. Je vois qu'il a retenu les leçons que je lui aie enseignées. Mais quand il me voit en plein milieu de la petite cuisine, presque aussi surprise que lui, il baisse la garde.
-Chloé ? Mais qu'est-ce que tu fais debout, à cette heure ?
Je hausse les épaules. Depuis quand je n'ai pas le droit de me lever avant huit heures ? Je ne suis pas une si grande adepte des grasses matinées, si ? Quoiqu'il en soit, nos deux regards se baissent presque simultanément sur le sol, pour constater les dégâts.
Sur le parquet, s'étalaient différents condiments, poudre de curcuma, curry, poivre et sel, et leurs boîtes qui les contenaient quelques minutes plus tôt.
-Aïe, lâche David.
Au même moment, on toque à la porte. J'esquisse un geste pour aller ouvrir, mais David me fait signe que ce n'est pas la peine.
-Ce doit être Bryan.
Mais ce n'était pas le grand au crâne rasé qui se tenait dans l'encadrement de la porte, mais un blond bien coiffé et bien habillé. Les deux hommes se dévisagent un instant, David d'un air plutôt étonné, Martin, de son air hautain de fils à papa.
-Qu'est-ce que tu fais là ? lui demandé-je, tout aussi surprise que David, alors que le blond posait de nouveau soigneusement sa veste sur le canapé, au même endroit qu'hier.
-Je ne reste pas longtemps, je suis en chemin pour le bureau.
Il me tend un sachet en papier kraft, portant le logo d'une boulangerie de la ville. Il n'a pas encore vu les dégâts de la cuisine, ma silhouette les lui cachant à moitié.
-J'ai pensé que ça te ferait plaisir, et qu'un peu de... Mon dieu, que s'est-il passé ici ?
Ses yeux se sont agrandis de surprise - ou de stupeur ? Il a vu, cela ne sert à rien. Je me décale, lui faisant voir l'étendu de ma maladresse. Il secoue la tête, dépité.
-Lequel de vous deux à fait cela ?
D'un air coupable, je lève timidement la main. David, quant à lui, n'ose pas regarder Martin. Il fixe ses chaussures d'un air très concentré, comme si ces dernières étaient soudainement beaucoup plus intéressante que la conversation qui se déroulait dans la cuisine. Martin se tourne alors vers lui, et tape dans ses mains.
-Au lieu de compter les tâches sur tes baskets, va chercher un aspirateur, allez !
David semble sortir de son mutisme et s'empresse alors d'aller chercher un aspirateur, rangé sous l'escalier de la mezzanine. Je fronce les sourcils.
-Martin, tu n'as pas à parler comme cela à David. C'est moi qui ai renversé, c'est moi...
-Il faut bien qu'il serve quelque chose, non ? me coupe mon collègue.
Je suis soufflée par le comportement de Martin. Que lui prend-il ? Mais il ne tarde pas à éclairer ma lanterne sur le sujet, alors que David n'est toujours pas revenu, se battant avec le tuyau de l'aspirateur, emmêlé dans le manche du balai.
-Écoute, Ted m'a appelé ce matin... On a toutes les raisons de croire que Joe est finalement resté en ville.
Il me prend par les épaules et plonge son regard dans le mien, les lèvres pincées, le regard sévère, avant d'ajouter :
-Je ne veux pas que tu sortes de ton appartement, pour quelques prétextes que ce soit.
Il me lâche alors et tourne les talons, alors que j'allais lui demander si le feu dans mon appartement était un prétexte raisonnable pour en sortir. Martin ouvre la porte, sa veste sur le bras et se retrouve face à un Bryan plutôt surpris, lui aussi. Décidément, c'est la journée, aujourd'hui. Bryan se pousse pour laisser sortir Martin au moment où David revient précipitamment avec l'aspirateur. Bryan referme la porte sur Martin.
Je ne prête plus attention à ce qui se passe dans la cuisine, ni à l'échange entre David et Bryan. Je suis trop occupée par ce que Martin vient de m'annoncer. Ils avaient donc plus ou moins retrouvé sa trace. Fallait-il toujours se rendre au rendez-vous dimanche ? Martin n'avait pas dit qu'ils savaient où il était. Il avait seulement parlé de la ville. Or, la ville est grande. Il fallait donc qu'ils le localisent précisément maintenant. Était-ce déjà fait ? La voix de Bryan me ramène sur terre :
-Tu as pris ton petit-déjeuné ?
David était parti, à ce qu'il me semble. Je ne l'avais même pas remarqué. Peut-être m'avait-il même dit en revoir, et que je ne lui avais pas répondu. Les débris avaient été ramassés, sans doute aspiré par David, l'aspirateur rangé sous l'escalier, à sa place. Il ne reste plus que moi, debout, entre mon salon et ma cuisine, perdue dans mes pensées, nerveuse, inquiète, en plein doute.
Je me prépare enfin ce café qui avait causé tant de soucis et m'installe sur la table de la cuisine. Bryan me rejoint peu de temps après, après avoir placé du pain de mie dans le toaster.
-Faut manger, aussi, me fait-il. C'était qui, le petit blondinet ?
Je souris. Martin n'est pas si petit que cela, il doit atteindre le mètre quatre-vingt, ou presque, mais c'est sûr qu'à côté de Bryan, il fait petit. Incontestablement.
-C'est un collègue. Venait prendre des nouvelles.
-Il avait l'air contrarié. Il y a un souci ?
-Non, non, marmonné-je.
Bryan n'insiste pas, bien qu'à mon avis, mon ton, mon comportement, tout indique ma contrariété. Après m'être brûlée la langue plusieurs fois à cause du café, mangé mes deux tartines grillées sur lesquelles j'avais étalé du beurre, et les avoir faites tomber une fois par terre, je décidais de me mettre devant la télé et ne plus en bouger jusqu'à ce que je décide que ma maladresse était passée.
J'allume la télé. Ce sont les informations du matin.
Le présentateur, toujours le même depuis dix ans, j'ai l'impression sourit à la caméra, ses dents blanches bien alignées, sa mèche bien gominée, de façon à ce qu'elle tienne parallèlement à son front. Il est effectivement neuf heures, l'heure du journal télévisé.
-Bonjour à tous. J'espère que vous avez passé une bonne nuit...
Non, pas tellement, mais c'est gentil de demander. Je m'amuse à formuler les réponses dans ma tête – pas à haute voix, Bryan me prendrait encore plus pour une folle.
-Ce matin à la une, la visite du président aux Etats-Unis. Les hommes politiques des deux pays se rencontrent demain pour discuter des nouveaux tarifs douaniers et trouver un accord dans le domaine économique. Nous suivrons ses déplacements dans la ville de Washington dans la journée, donc restez bien sur cette chaîne !
Oui, bien sûr. Comme si c'était intéressant de savoir que le président a mangé un kebab au coin de la rue de la Maison Blanche ? Parfois, je ne comprends pas vraiment l'engouement qu'ont les journalistes pour ce genre d'événement. De toute façon, je ne m'y connais pas en économie. Le présentateur continue cependant, malgré mes critiques – qu'il n'entend de toute façon pas.
-Autre fait important, que l'on m'a communiqué il y a quelques heures seulement : il semblerait que le pays, et surtout la capitale soit visée par un célèbre gang tchèque : celui d'Alexej Kràl, qui avait disparut il y a quelques années, après un gros coup de filet dans une banque.
Je me fige. Si la nouvelle était rendue officielle, c'est que mon co-détenu de la semaine dernière avait peut-être raison. Mais pourquoi Martin ne m'en avait-il pas parlé ? Si l'information était censée être top secrète, cela était raté. Mais cela était peut-être une fausse information. Si le gars avait, dès sa sortie de prison, été tout déballer aux journalistes qui, trop heureux du scoop, n'avaient pas pris la peine de s'en informer (ou que l'option « c'est une possibilité » était pour eux suffisante) alors ça suffisait pour faire la une des médias.
Quoiqu'il en soit, cela compromettait l'enquête discrète que Ted avait dû lancer suite à notre conversation dans le hall du poste de police. Mais cela arrangeait bien mes affaires : maintenant que la bombe était lâchée, une horde de journalistes va se précipiter sur tous les postes de police de la ville, en quête d'un interlocuteur capable de confirmer ou d'infirmer cette annonce. Voilà de quoi occuper la journée de Ted et de Martin, qui ne pourront donc pas localiser Joe. Et donc être au rendez-vous de ce soir. Finalement, les choses se passaient plutôt bien pour moi.
Satisfaite, je me lève et vais me resservir un café. Je n'en bois pas trop d'habitude, mais je sens que j'ai besoin d'aide pour tenir jusqu'à ce soir, sans m'effondrer de panique. Pour l'instant, j'évite de trop penser à ce qui pourrait se passer et je me contente de boire chocolats chauds sur cafés, en m'abîmant les yeux devant la télé. D'ailleurs, je retourne m'échouer sur le canapé et je change de chaîne. Les infos, c'est bien, mais cela ne fait pas passer le temps assez vite.
-Chloé ?
La voix grave juste derrière moi me fit sursauter, me faisant renverser mon énième tasse de café que je tenais dans les mains.
-Oh, je suis désolé, je ne voulais pas te faire peur, s'excusa Bryan.
Mon canapé était donc maintenant tout taché de café, irrécupérable sans doute. C'est vraiment malin. Irritée, je pose ma tasse sur la table basse, afin d'éviter de faire encore une bêtise, et je lui réponds :
-Qu'est-ce qu'il y a, Bryan ?
-Eh bien, tu as laissé la bouilloire branchée, ça bout, mais je ne sais pas comment l'éteindre.
Mince ! On dirait que ce n'est pas vraiment ma journée... Je me précipite pour l'éteindre, non sans faire tomber deux ou trois coussins du canapé au passage, me cogner dans la table et renverser la bouilloire. J'esquive de justesse l'eau bouillante avant qu'elle ne tombe sur mes chaussettes et ne me brûle les pieds. Bryan, qui m'a suivit jusque dans la cuisine, grimace :
-Je pense que tu devrais arrêter le café, cela te rend trop nerveuse.
___________________NOTES____________________
Voici un petit chapitre, encore un ! Petit car il est en effet un peu plus court que les autres. Mais ce n'est pas très grave : je trouvais inutile de vous décrire toute la journée de Chloé, cela vous aurait ennuyé. Parce que avouez, vous attendez la confrontation avec Joe, pas vrai ? ;)
Si vous avez aimé, n'oubliez pas la petite étoile et si vous avez quelque chose à dire l'espace commentaire est ouvert ! A votre avis, comment va s'en sortir Chloé ? S'en sortira t-elle vivante, d'ailleurs ? Hâte de vous montrer le prochain chapitre lundi prochain !
D'ici là, je vous souhaite une bonne semaine, moi je retourne écrire.
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