Chapitre 20

Je m'effondre sur mon lit. Annie et David sont partis, laissant Bryan prendre la relève. L'échange avec Machiavel m'a épuisé. J'ai eu l'impression de passer pour une idiote du début à la fin. Je regarde une nouvelle fois mon t-shirt. Pourquoi il n'y avait que celui-là dans mon armoire ? Je comprends mieux tous les regards qu'Annie ou Machiavel m'ont lancés. J'enlève mon t-shirt et le jette en boule d'un geste rageur à l'autre bout de la pièce.

-Raah ! C'est pas vrai !

Il faut vraiment que j'aille me racheter des affaires. Et que je jette ce maudit t-shirt. À contre cœur je me lève et pars inspecter mon armoire. J'ai forcément un haut qui traîne encore quelque part. J'en trouve finalement un, qui était en boule, tombé sur le sol. Je ne sais pas trop s'il est sale ou propre, mais ça fera l'affaire le temps de lancer une machine. Je ramasse quelques affaires qui jonchent le sol et descends.

Bryan est assis dans le canapé, il regarde la télé, mais sans le son. Je décide de l'ignorer pour l'instant avant que mes envies de propreté ne se volatilisent. Il attend également que je ne sois plus occupée et que le ron-ron de la machine envahit le salon par la porte de la salle de bain, laissée ouverte pour me demander :

-Vous avez le faux passeport ?

Je le rejoins sur le canapé et sors triomphalement de ma poche le papier.

-Super, sourit-il avant de me la prendre pour l'étudier. On dirait vraiment un vrai !

-Il a fait du bon boulot, c'est sûr. Maintenant, il ne reste plus qu'à attendre la confirmation de Joe...

Je récupère le passeport. Pas question de l'abîmer où de le perdre quelque part. Je le glisse avec précaution dans mon sac à main tout en répondant à Bryan :

-C'est un faux, il ne pourra pas passer les douanes avec.

-Crois-en mon expérience, il est plutôt bien imiter. Il faut vraiment s'y attarder pour y voir les défauts. Joe peut passer assez tranquillement, les douaniers ont tellement de passagers à surveiller qu'ils ne font pas forcément aussi attention qu'ils ne le devraient.

Je relève la tête, surprise.

-Tu t'y connais en douane, toi ?

-J'étais garde du corps, donc dans la sécurité. J'ai quelques contacts, me répond-il avec un sourire en coin.

Mon regard s'attarde sur l'écran de télévision. C'est un film épique, rempli de cascades et de looping en voiture. Je crois que je l'ai déjà vu. La tête du personnage principal me dit quelque chose. Mais le son est vraiment au minimum et Bryan a activé les sous-titres.

-Tu peux mettre le son, cela ne me dérange pas, lui dis-je en pointant l'écran du menton.

-Oh.

Il a l'air gêné. Il se dandine légèrement sur le canapé. Je devine aisément que la raison de ce volume sonore aussi bas est tout autre. Je le regarde avec insistance, histoire de le mettre encore plus mal à l'aise. Il n'y a pas de raison que ce soit toujours moi.

-En fait, je n'aime pas quand il y a trop de bruit. Surtout quand ce sont des explosions.

Je souris, victorieuse et lève ma main droite, tout en posant l'autre sur un magasin Closer qui traînait sur la table basse :

-Ne t'inquiète pas, je jure sur la divinité People que ce petit secret ne sera pas dévoilé.
J'ai au moins le mérite de le faire rire et nous partons d'ailleurs tous les deux dans un tel fou rire que je suis obligée de me tenir les côtes. Cela fait bien longtemps que je n'avais pas rit ainsi.

Trop longtemps, d'ailleurs.

D'un seul coup, des souvenirs me reviennent en flash. Mon sourire retombe aussitôt. Bryan remarque le changement, mais je ne le lui laisse pas le temps de me demander ce qui ne va pas.

Je me lève d'un bon et prétexte un truc urgent à faire.

Je monte les marches quatre à quatre et m'échoue sur mon lit. Les bras croisés en dessous de ma tête, je fixe le plafond. Je connais ses imperfections et malfaçon par cœur, depuis le temps que je le fixe. Cela fait deux ans qu'avec ma paye, je peux louer cet appartement. Il a peut-être des défauts, mais au moins, le propriétaire me laisse tranquille. Et j'ai fini par m'habituer à son parquet qui craque, au pommeau de douche qui fuit, au balcon minuscule. J'aime les soirs d'hivers lorsque le soleil bas vient taper contre les carreaux de la baie vitrée et que je peux alors m'installer dans le carré de lumière pour travailler, un plaid sur les épaules, une tasse de chocolat chaud dans la main et un crayon dans l'autre. L'été, je crevais de chaud sous ma mezzanine, allongé sur le parquet, à fixer le plafond.

Comme maintenant.

Sauf que maintenant, nous n'étions pas en été, et j'attendais un message d'un potentiel tueur en série pour aller lui remettre bien gentiment de l'argent que j'avais volé et un faux passeport. Je pense qu'on peut faire mieux, comme situation.

Ne valait-il mieux pas que je prévienne Ted et Martin. Après tout, ma sécurité serait plus assurée avec eux et cela m'éviterais de me faire arrêter par Petit une nouvelle fois. Mais les appeler maintenant, ne serait-ce pas être obligée de leur avouer que j'avais désobéi ? Et cela, c'était contraire aux règles de l'agence. Bien que Ted était assez tolérant quant à mon sujet. Me voilà bien embêtée.

J'avais voulu faire ma maline en coinçant moi-même Joe et maintenant, c'était moi qui était coincée.

J'attrape mon téléphone, qui était resté sur ma table de nuit et fait défiler mes contacts jusqu'à arriver tout en bas de la liste.

Martin Weiß.

Si je ne préviens que Martin, acceptera-t-il de m'aider ? Il le répétera aussitôt à Ted, je suis sûre. Il me fera la morale pendant trois heures. Mais je ne suis peut-être pas obligée de lui dire que j'ai déjà eu un premier rendez-vous avec lui. Je pourrais très bien lui dire que Joe m'a contacté de lui même.

Je décide donc d'attendre le message de Joe avec de faire quoi que ce soit. Après tout, il pourrait aussi ne jamais me recontacter. Cette éventualité me fait frissonner. J'aurais alors fait tout cela pour rien.

Comme je déteste rester inactive et que j'en ai marre d'attendre un message de monsieur, je me lève et sors mon attirail de boxe. Une petite séance ne me fera pas de mal. David m'a dit qu'il s'était pris un abonnement dans une salle de sport, depuis notre séance d'entraînement ; cela l'avait motivé à faire plus de sport. A l'occasion, je pourrais peut-être lui proposer des séances jogging régulières. Je frappe dans la masse qui se tord pour revenir à sa place. Je le stabilise de nouveau et reprend le mouvement.

Je répète inlassablement le même geste pour le perfectionner depuis un quart d'heure lorsque mon téléphone se met à sonner. Je me précipite dessus et tente de l'attraper malgré mes gants de boxe. Évidemment, c'est un échec. Je manque de le faire tomber au sol.
En étouffant un juron entre mes dents, je parviens cependant à arracher ces maudits gants et à prendre en main mon téléphone. C'est bien un message de Joe. Celui-ci est très cours et me dit :

Ok pour dimanche, même endroit.

Je pousse un soupire de soulagement. Au moins, il ne m'a ni oublié, ni ignorée. Il doit être sacrément dans l'embarras pour vraiment me faire confiance ainsi. Ou alors il a d'autres plans en tête, mais cela, je refuse d'y penser.

Maintenant, que faire ? J'avais dit que je préviendrais Martin. Dans un soupir, je me laisse tomber une nouvelle fois sur mon lit. Voyons voir, comment formuler cela de manière correcte ?

Bonjour Martin, c'est Chloé. Tu sais la fille dont tu as pris la place dans la mission « Joe ». Eh bien, figure-toi que je sais où il sera dimanche à vingt heures !

Pas terrible. Je ne suis pas sûre qu'il perçoive mon humour. Déjà que de vive-voix, ce n'est pas trop cela, alors par message. Mieux vaut laisser tomber cette formulation. J'efface tout et je m'essaye à quelque chose de plus sobre.

Bonjour Martin. Je viens de recevoir un message de Joe. Il veut me voir dimanche à 20 heures. Vous avez toujours pas besoin de moi ?

Là encore, je ne suis pas sûre que la pique de mon dernier message passe bien. J'appuie de nouveau sur la touche « effacer » de mon téléphone. Après plusieurs essais, je ne suis toujours pas convaincue et je décide de laisser tomber le temps d'aller prendre une bonne douche. Cela me remettra peut-être les idées en place.

Je descends donc les escaliers prudemment. Bryan est toujours devant la télé. Il a l'air de suivre tout de même le film avec passion. J'en serais bien incapable. L'intérêt d'un film, c'est bien d'avoir du son, non ?

-Je vais prendre une douche ! je lui lance en me dirigeant vers la salle de bain.

A la tête qu'il me lance, je vois bien que je l'ai surpris. Il ne m'avait sans doute pas entendu arriver. A moins que...

-Ne t'inquiète pas, je ne compte pas filer par la fenêtre cette fois, rajouté-je en rigolant.

Il parut un peu rassuré, même si il ne détourne pas le regard lorsque je franchis finalement la porte de la salle de bain. Une fois à l'intérieur je me déshabille, en profite pour récupérer les affaires que j'avais lancées dans la machine à laver et qui avaient fini leur essorage et file enfin sous le jet d'eau bouillant. Mes muscles tendus par la pression de la journée se délassent aussitôt. Voilà de quoi me détendre un peu.

Je soupire d'aise et commence à me savonner énergiquement. Alors que je m'attaque à mon shampoing, je me mets à réfléchir. Voyons. Je suis désormais sûre que Joe sera là dimanche. Je suis également sûre que David et Bryan seront là pour m'épauler. En revanche, je ne suis pas sûre du facteur Martin et Ted. Que feront-ils dimanche soir ? Je ne sais pas où en sont leurs recherches. Si cela se trouve, ils auront découvert où est Joe et ils seront là dimanche. Et ils verront alors que Joe n'est pas seul. Ce qui peut être un désavantage pour moi. Dans ce cas là, mieux vaudrait les prévenir tout de suite de ce que je compte faire, pour ne pas les prendre par surprise. Même si je prends alors encore le risque de me faire sermonner par Ted.

Le vieil homme m'aime bien, c'est certain et sans vouloir me jeter des fleurs, mon impulsivité peut être très utile dans les scènes d'actions. En revanche, j'ai fait pas mal de boulettes ces derniers temps, et je sais donc qu'il faudrait mieux que je reste discrète.

D'un autre côté, si Martin et Ted ne sont pas au courant des intentions de Joe, j'ai carte blanche pour le coincer moi-même. Ou du moins récolter le maximum d'indices. J'irai ensuite les apporter avec un air triomphant jusqu'au bureau de Ted, qui sera bien obligé de se confondre en excuse.

Je résume ma pensée alors que je rince mes cheveux : il y a donc deux situations possibles. L'une où Martin et Ted sont au courant de l'endroit où Joe va se trouver, l'autre ou ils ne le sont pas. En fonction de cette réponse, je pourrais aviser ce que je dois faire.

Confortée dans cette idée, je me précipite pour sortir de la douche et m'apprête à sortir de la salle de bain pour rejoindre ma chambre, où mon téléphone m'attend. Je me rappelle in extremis que je ne suis pas seule dans mon appartement et que c'est donc une mauvaise idée de sortir en tenue d'Adam. Je fais donc volte-face, manque de glisser sur le carrelage gris à cause d'énormes flaques d'eau que j'ai laissé et m'enroule dans une serviette. Enfin, je peux sortir.

Bryan me regarde monter les escaliers quatre à quatre, mais ne semble pas s'en formaliser plus que cela. Après près d'une semaine à me surveiller, il doit être habitué à mes sautes d'humeur. J'attrape mon téléphone et sans réfléchir (je viens déjà de me livrer à une trentaine de minutes de réflexion, il ne faudrait pas abuser), je compose le numéro de Martin.

-Allô ?

Entendre sa voix me fait presque sursauter. Je ne m'attendais pas à ce qu'il décroche aussi rapidement, et je ne sais d'ailleurs pas quoi lui dire exactement. Comme je reste silencieuse, il s'impatiente à l'autre bout du combiné.

-Chloé ? Si c'est une blague, ce n'est pas drôle, j'ai du travail.

Je me secoue avant qu'il ne raccroche, et décide de broder sur des banalités le temps de trouver un motif valable à mon appel et comment lui tirer les vers du nez.

-Salut Martin, ça va ?

-Oui, ça va.. Ne me dis pas que tu as encore des ennuis ?

Allons donc ! Comme si j'avais besoin d'avoir des ennuis pour appeler Martin. On peut très bien s'appeler entre collègues, pour prendre des nouvelles, non ? A vrai dire, cette idée me paraît autant saugrenue qu'à lui. Voilà maintenant deux ans que l'on travaille ensemble et nos échanges se limitent à nous communiquer les différentes informations concernant l'affaire en cours. Mais je me défends tout de même avec verve :

-J'ai bien le droit de t'appeler sans pour autant avoir besoin de toi, que je sache ?

Il soupire. Je l'imagine se passer une main devant le visage, comme il le fait à chaque fois que je l'agace. A force, j'ai quand même fini par bien le connaître.

-C'est vrai, tu as raison, cède-t-il, avant d'ajouter : mais ce n'est pas dans tes habitues. Alors, de quoi as-tu besoin ?

Il m'agace déjà. Oui, j'ai besoin de toi. J'ai besoin que tu me dises si tu seras au bar dimanche, à prendre Joe en filature, Martin Weiß. Mais je sais très bien qu'il faut que je sois plus subtile alors j'opte pour un très poli :

-En fait, je me demandais si ça te dis d'aller dîner en ville, ce soir ou demain.

Cette fois, c'est Martin qui reste silencieux. Je pense que ma proposition l'a surpris. D'ailleurs, je me suis surprise moi-même. Mais à la réflexion, l'idée n'est peut-être pas si mauvaise. Martin sera moins suspicieux au cours d'un dîner de courtoisie qu'au téléphone où, visiblement, il s'attend absolument à ce que je lui demande un truc.

-Un... dîner ? fait-il, comme s'il attendait que je lui confirme qu'il a mal entendu.

-Oui, un dîner. Tu n'es peut-être pas libre ?

-Si, si, s'empresse-t-il de dire. Si, je dois bien pouvoir me libérer quelques heures demain soir. Mais enfin, Chloé... Qu'est-ce qui te prend ?

Je gonfle mes joues, signe d'une pointe d'irritation et je me laisse tomber sur mon lit. Pourquoi Martin rend toujours tout si compliqué ? Ne me dites pas qu'il y a un protocole de bienséance à remplir pour inviter quelqu'un à dîner au fast-food du coin.

-Il me prend que j'en ai marre de tourner en rond dans mon appart', à regarder Annie ou David entre quatre yeux. J'aimerai bien voir un peu de monde, malheureusement, tu es un des rares contacts de mon répertoire.

Je pense que mon ton était assez acerbe car je sens que Martin baisse sa garde et se radoucit. Il a sûrement eu peur d'avoir dit une bêtise. Je ne sais pas pourquoi mais le fait de savoir que je suis seule a toujours gêné Martin. Lui, au moins, à sa famille et sûrement quelques amis, même s'ils ne peut pas leur parler des missions qu'il effectue, cela fait toujours de la compagnie.

-Oui, oui, Chloé. J'ai compris.

Il fait une pause. Je l'entends farfouiller dans ce que je suppose être son bureau, ouvrir les tiroirs. Il cherche son agenda, je parie.

-Bon, écoute. Ce soir, je ne peux vraiment pas. On... A plein de boulot à l'agence. Mais j'essaye de me libérer demain soir, vers 19h. Cela t'irait ?

Je ne peux m'empêcher d'enfoncer le clou une dernière fois, avant de raccrocher :

-Je suis seule, j'ai été éjectée de la mission et donc, à part me mater un bon film, je n'ai pas grand-chose de prévu au programme, en effet. Alors si cela ne tombe pas en même temps que la rediffusion des Anges de la télé réalité, oui, ça me va.

Je ne lui laisse même pas le temps de répondre et raccroche tout de go. Heureuse, je me penche par dessus la barrière de la mezzanine et lance à Bryan :

-Demain soir, je sors !

_____________________________NOTES__________________

Et voilà le chapitre 20 ! Il ne reste plus que onze chapitres avant la fin, déjà. Bon, le problème, c'est que je n'ai pas réussi à prendre autant d'avance que je ne le voulais cet été, et que les dix prochains chapitres ne sont pas rédigés... Je vais essayer de faire au mieux, mais il se peut que le publication ne soit pas régulière jusqu'aux vacances d'octobre.

Bon, quoiqu'il en soit, il ne faut pas changer les vieilles habitudes : ceux qui ont aimé peuvent voter et partager mon histoire. Ceux qui n'ont pas aimer peuvent commenter et me dire ce qui les a gêner. ;)

J'en profite pour vous dire que je possède une seconde histoire intitulée Capsule et qui est désormais terminée. Avis aux plus curieux. :D

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top