Chapitre 19
Annie a bien insisté, après avoir mis en marche le plan et que nous l'ayons tous validé, que sa mission s'arrêterait après nous avoir conduit chez son ami. Elle n'irait pas plus loin et comptait sur nous pour ne pas l'impliquer d'avantage. Je lui ai assuré de ma coopération. Ils avaient tous fini par rentrer chez eux, excepté Bryan, qui était resté pour me surveiller cette nuit. Bien qu'il doutait maintenant de l'utilité de sa présence ici. Nous avions lavé les tasses, mangé la pizza que j'avais commandée et j'étais allée me coucher sans plus de cérémonie, l'heure étant déjà bien avancée.
***
C'est le bruit de la sonnette qui me réveille à dix heures, ce matin. C'est pas possible ! Laissez-moi dormir, bon sang. En grognant, je me tourne dans mon lit et m'enfonce plus profondément sous ma grosse couverture qui me protège du froid des nuits d'automne. De toute façon, David est normalement déjà en bas pour aller ouvrir. Alors que la sonnette retenti une deuxième fois, je crie :
-David, va ouvrir la porte, bon sang ! Cette personne ne doit pas sonner de nouveau !
J'entends du mouvement et la porte s'ouvrir quelques secondes plus tard. D'en bas, les voix étouffées me parviennent.
-Elle n'est pas là ?
-Si, encore au lit... entends-je répondre David.
Je me tourne de nouveau dans mon lit. Je devrais m'acheter des boules Quiès, impossible de dormir dans cette maison. Système D, j'enfonce mon oreiller sur mon crâne, espérant ainsi adoucir les bruits de pas qui marchent furieusement. Mais en un instant, je me retrouve sans couette, alors que celle-ci est enlevée par Annie.
-Chloé ! On avait dit dix heures et tu n'es même pas levée !
De surprise, mais aussi de honte de me retrouver en nuisette de nuit devant David et Annie sans y avoir été préparée psychologiquement, je me redresse d'un bon.
-Ca va pas, non ?
Annie m'ignore complètement et se tourne vers David, changeant complètement de ton.
-Tu vois, c'est comme cela qu'il faut la réveiller.
David hausse les épaules et se dirige vers les escaliers pour descendre de la mezzanine. Annie lui emboîte le pas, mais elle me lance :
-Je te veux en bas dans dix minutes.
Mais pour qui elle se prend celle-là ? De mauvaise humeur, je descends de mon lit et évalue l'état de ma chambre. Le temps de chercher un t-shirt propre dans ses vêtements éparpillés va me prendre trop de temps. Je décide donc de la jouer stratégique et me dirige vers mon armoire. Mais quand je l'ouvre, je m'aperçois qu'il ne reste plus grand-chose dedans, ayant été obligée de jeter la moitié de mes vêtements suite à mon saut à la corde improvisé. Dans un soupir, j'attrape le dernier jeans qui me reste avec le dernier T-shirt. Cela fera bien l'affaire, n'est-ce pas ?
J'entends déjà Annie qui s'impatiente en bas alors que je sautille pour enfiler ma jambe gauche dans mon slim. Pourquoi mes pantalons sont-ils aussi serrés ? Avant de descendre, je me regarde précipitamment dans le miroir. Arg ! Je ne peux pas sortir comme ça ! J'attrape d'une main un peu de correcteur, pour cacher mes cernes tout en essayant tant bien que mal de me coiffer de l'autre.
-Chloé ! m'appelle Annie.
-Oui, oui, j'arrive !
Bon, ça devrait faire l'affaire. De toute façon, de ce que m'a dit Annie, l'endroit est mal famé, il y aura peu de lumière. On verra pas que je suis mal coiffée. Je descends de ma mezzanine à toute allure. Quand ils me voient, David étouffe un rire et Annie me dévisage de haut en bas les lèvres pincées.
-Oui, bon, je ne suis pas très bien coiffée, mais j'ai pas trop eu le temps, je m'irrite.
Annie secoue la tête et frappe dans ses mains pour donner le top départ.
-Bon, de toute façon, on a pas le choix ! On va être en retard sinon.
Je passe les clés de ma Twingo à Annie. Elle sait où on doit se rendre. David reste à l'appartement au cas où Martin ou Ted décideraient de se pointer sur un coup de tête. Il leur dira que je suis malade ou encore au lit, que je ne veux pas les voir, ou que sais-je encore. L'objectif étant qu'ils pensent que je n'ai pas bougé d'ici.
Dehors, le bitume est mouillé, dégageant une forte odeur de pluie. J'indique à Annie où se trouve la voiture et nous montons à l'intérieur. Le début du trajet se fait dans le silence, mais j'ose finalement briser la glace.
-Et comme cela se fait, que tu aies un ami qui fabrique des faux passeport.
-Ce n'est pas vraiment un ami, me répond Annie, tout en avançant sa tête pour voir s'il n'y a personne avant de tourner au carrefour.
-Ah bon ?
-C'est une très longue histoire... A une époque je faisais un peu comme toi, Chloé. J'étais dans la brigade des stup'.
J'écarquille les yeux. Vraiment ? Mais comme cela se fait qu'elle soit une simple agente de police, maintenant ? Je ne la coupe pas. Visiblement, elle est partie pour me raconter son histoire.
-Machiavel, comme il aime se faire appeler, était un des trafiquants de drogue que je pistais. Au fur et à mesure, il a changé de camp et il a décidé de me donner des informations pour faire un gros coup de filet. Cela a réduit sa peine de prison, en échange. Et maintenant qu'il est sorti, je ferme les yeux sur ses petits activités illégales. Tant que cela reste à petite échelle, cela me va.
-Quel genre d'activité ? Je ne peux m'empêcher de demander.
-Oh, pas grand-chose. C'est plutôt pour sa consommation personnelle ou pour son cercle d'amis. Mais c'est aussi un crack en informatique, je suis sûre qu'il saura nous faire un faux passeport.
Je laisse passer quelques instants, le temps pour moi de voir, par la vitre de ma Twingo, que l'on quitte une nouvelle fois la ville pour s'engager dans ses quartiers mal-famés. Décidément, je vais finir par en connaître chaque recoin. La municipalité avait pour projet de raser ses vieux HLM pour y implanter de nouveaux pavillons, mais la société ayant fait faillite en plein milieu de la construction, ce coin de la ville n'était désormais plus qu'une cohabitation lugubre, entre HLM encore habité par quelques résidents et par les ossements des pavillons jamais finis de construire. L'endroit idéal pour les malfrats et les dealers de drogues.
Une question me brûle une nouvelle fois les lèvres, alors je ne reste pas plongée dans ma contemplation très longtemps.
-Et pourquoi il nous aiderait ?
Je remarque qu'Annie ressert d'avantage ses mains sur le volant. C'est presque imperceptible, mais pour moi, cela veut dire beaucoup : elle n'est pas à l'aise. Je viens sûrement de poser la question de trop. Tant pis. Je tiendrais ma langue une prochaine fois. J'ai envie d'en savoir plus.
-Il me doit quelque chose. Je lui ai sauvé la vie, m'explique Annie, avant de s'empresser d'ajouter : mais de toute façon, s'il refuse, je peux le menacer de le balancer. C'est donnant-donnant.
Je reste sidérée. Annie a sauvé la vie de cet homme. Comment ? Dans quelles circonstances ? Maintenant, j'ai envie d'en savoir un peu plus, mais j'avais dit que je me tairais. Mince ! Alors que je m'apprêtais à ouvrir la bouche, Annie me coupe :
-Avant que tu ne poses une question stupide : oui, c'est pour cela que j'ai été rétrogradée.
Effectivement, la voiture ralentit pour s'engager dans une ruelle sombre entre deux immeubles. Tant mieux car Annie à l'air très tendu et je ne tiens pas à ce qu'elle nous conduise dans le décor sur un coup de tête.
-C'est un cul-de-sac ? Dis-je en descendant du véhicule.
Annie hoche la tête, mais se dirige tout de même au fond de la ruelle sans issue. Je me retiens de lui faire remarquer qu'à moins qu'elle ne s'appelle Casper, elle ne passera pas au-travers le mur. Je l'ai assez agacée pour aujourd'hui. La femme disparaît pourtant de ma vue en un clin d'œil. Incroyable ! Elle s'appelle peut-être Casper, finalement. Je m'avance à mon tour et finis par remarquer une porte vermoule sur le côté d'un des immeubles. Elle ne tient plus que par un seul gond. Je la soulève à mon tour et effectivement, Annie se trouve bien de l'autre côté. Elle éclaire les escaliers par une lampe de poche. Prévoyante. A moins que ce ne soit pas la première fois qu'elle vient là.
-Attention aux marches, me fait-elle.
Nous descendons prudemment l'escalier de béton pour arriver dans un sous-sol fait de terre battue. Là, Annie éteint sa lampe, puisque la pièce est faiblement éclairée par une ampoule à Led et quelques bougies. Un homme est assis à une table en bois, occupé à lire un livre. Cela m'étonne d'ailleurs. Déjà, il doit s'épuiser les yeux avec le peu de lumière qu'il y a, et puis je ne m'imaginais pas du tout qu'un dealer de drogue aimait lire.
-Machiavel ?
L'homme relève la tête et ses yeux marron se mettent à pétiller lorsqu'ils aperçoivent Annie.
-Ninie !
Je manque de m'étouffer. Ninie, sérieusement ? La femme me fusille du regard et s'écarte pour que Machiavel puisse me voir. Aussitôt, son élan de joie retombe.
-C'est qui, elle ?
Annie prend une chaise et s'installe à la table.
-Une amie, tu crains rien.
-De la police ?
Il est méfiant, il me détaille de haut en bas.
-Oui, mais tu ne crains rien, j'te dis.
Son regard s'arrête sur ma poitrine. Il a un petit rictus et se détourne enfin vers Annie en me désignant une chaise pour que je m'assoie. Je fronce les sourcils. D'où il se permet de me mater, celui-là ? De mauvaise grâce, je m'assois là où il me l'a demandé alors qu'Annie ne perd pas de temps et rentre directement dans le vif du sujet :
-J'ai besoin d'un service Machiavel.
L'homme s'adosse sur le dossier de sa chaise et croise les bras.
-Allons donc !
Annie soupire.
-Tu me dois bien ça.
Le geste a été rapide, mais je suis sûre que je l'ai vue désigner son genou. D'ailleurs, je crois qu'elle sait que ce geste impulsif ne m'a pas échappé puisqu'elle me jette un rapide regard. Je ne laisse rien paraître et le laisse continuer la conversation. Dans ma tête, j'essaye d'assembler les pièces du puzzle qu'est Annie. Je sais qu'elle a un problème au genou. C'était marqué sur sa fiche. Se pourrait-il que ce problème date de l'époque où Annie a sauvé Machiavel ? Soit dû à cet acte héroïque ? Dans ce cas, cela explique pourquoi Annie se serait alors retrouvée rétrogradée. Non pas pour faute professionnelle, comme je l'avais d'abord pensé, mais parce qu'elle ne pouvait tout simplement plus exercer avec son genou.
-Je peux vous faire ça tout de suite si vous avez une heure devant vous ? J'aurais besoin de prendre une photo... Je peux vous prendre en photo ?
Machiavel s'était tourné vers moi, m'obligeant ainsi à prendre part à la conversation et surtout à abandonner mes réflexions.
-Ce n'est pas pour moi, mais... J'ai une photo sur mon portable. J'espère que ça fera l'affaire.
Il me tend la main et à contre cœur, je lui tends l'appareil en lui montrant la photo.
-Parfait, dit-il. Je vous laisse deux secondes, j'allume mon ordinateur.
Parfait ? Il rigole ou quoi ? Il a à peine regardé la photo, trop occupé à fixer un certain endroit de mon anatomie. Il commence sérieusement à m'agacer celui-là !
-Annie sers-lui quelque chose en attendant ! Lance-t-il du fond de la pièce, trop sombre pour que je ne puisse distinguer que sa haute silhouette filiforme. Annie s'exécute et en trois enjambées, elle a atteint un mini-réfrigérateur que je n'avais pas encore vu. Machiavel à l'air de vivre ici, et d'être plutôt bien installé. Et Annie à l'air de bien connaître les lieux.
Qu'importe. Je me fiche de savoir ce qu'il s'est passé ou se passe entre eux. Je veux seulement mon passeport et me barrer d'ici.
-Bière, whisky, coca ?
Annie m'énonce l'inventaire des boissons. J'opte pour une petite bière, après tout, ce n'est pas moi qui conduis et je ne suis pas en mission. Je peux bien me permettre. Annie revient une bière et une bouteille de jus de fruit à la main.
-Tu ne m'as pas dit qu'il y avait du jus d'orange, m'offusqué-je.
-Tu en aurais pris ?
-Quoi ? Non ! répondis-je avec une grimace.
-C'est bien ce qui me semblait, fait-elle dans un demi-sourire. Tu préfères boire les pressions.
Quelques minutes plus tard, Machiavel revient et nous avertit que le processus était lancé. Il attrape lui aussi au passage de quoi se désaltérer et revient s'asseoir avec nous.
-Comment vous faites vos faux passeports ?
Annie me regarde avec de gros yeux alors que je pose la question. Machiavel se ferme immédiatement. Le petit sourire poli qui avait fait irruption sur ses lèvres meurt sitôt la question franchie de mes lèvres.
-Ca, ça vous r'garde pas. Je suis peut-être assez taré pour accueillir deux policières chez moi, mais pas pour satisfaire leur curiosité. Annie l'a bien compris, elle.
Bon, ok. Je crois que le message est passé. Avec un soupir, je me replonge dans mes pensées. Mieux vaut que je me taise, avant de dire une énième bêtise. Mes yeux se posent sur le livre que Machiavel lisait, lorsque nous sommes arrivées. Il a l'air abîmé, usé ; les pages sont cornées. Soit il l'a récupéré au fond d'une poubelle, soit cela doit être sa seule et unique lecture. En même temps, cela doit être difficile de s'occuper dans ce trou à rat. Je suis bien contente d'avoir mon chez-moi, même si l'appartement ne fait que 36m² à tout casser, en comptant la mezzanine. En tout cas, le livre de Machiavel m'a intriguée.
-C'est quoi, votre livre ?
-Le Prince, me répond-il dans un sourire, comme si la réponse était évidente.
Pour moi, elle ne l'est pas. Je rougis, un peu honteuse de ne pas connaître ce livre, alors que pour lui, cela paraît évident. Il faudra que je demande à Martin. Lui, il saurait de quoi il s'agit.
-C'est mon livre préféré, fait-il en caressant rêveusement la couverture. Très complexe, mais très intéressant.
Devant mon air ahuri, il ne peut s'empêcher de rajouter, la mine sombre :
-Vous pensez que nous, les malfrats, nous ne sommes que des crétins incapables de lire, c'est ça ? Je le vois bien dans votre regard. Sachez qu'il en faut dans cette petite cervelle pour inventer des plans... machiavéliques !
En disant cela, il s'était penché dans ma direction en tapotant de son index sa tempe, comme pour illustrer ses propos. Puis, il se met à rire. Annie aussi, d'ailleurs. Elle le félicite pour sa blague. Je me mets donc à rire aussi, plutôt mal à l'aise. Pitié, que ce faux passeport se fabrique vite, qu'on parte aussitôt ! Et justement, à peine cette pensée formulée que Machiavel se lève en disant :
-Cela doit être près, laissez-moi dix minutes de plus pour les finitions et je vous apporte un beau passeport.
Il s'absente de nouveau et je peux le voir s'affairer de nouveau. Le temps semble avancer au ralenti, et j'ai déjà bu deux bières quand il revient, me tendant triomphalement le petit bout de carton.
-Il n'est pas assez bien imité pour passer la douane, me prévient-il, mais il fera l'affaire pour les moins expérimentés.
-Parfait, c'est exactement ce qu'il me faut !
Je saute sur mes pieds et lui arrache presque le passeport des mains. Annie le remercie chaleureusement. Je saute d'un pied sur l'autre, impatiente de partir. Cet endroit me met décidément trop mal à l'aise. Alors que vient l'instant de dire au revoir, les yeux de Machiavel se posent une nouvelle fois sur ma poitrine. Je sens aussitôt la colère m'envahir et m'apprête à lui dire ses quatre vérités. Tant pis pour Annie, elle doit bien savoir que son ami n'est pas un saint, de toute façon. Mais la réflexion de Machiavel me coupe dans mon élan.
-Très joli T-shirt, me fait-il son rictus moqueur de nouveau au coin des lèvres.
Je baisse les yeux. Sur mon t-shirt que je croyais uni et gris était en réalité inscrit « La pression, il vaut mieux la boire que la subir ». Le tout agrémenté d'un joli dessin de bouteille. C'était Ted qui m'avait offert cela, pour mes vingt ans. Avec comme excuse que si j'avais eu des amies, c'est exactement le genre de T-shirt qu'elles m'auraient offert, pour la blague. Depuis, j'avais roulé en boule ce t-shirt au fond de mon armoire et oublié son existence.
Je venais donc de le retrouver.
____________________NOTES____________________
Je n'ai actuellement plus que deux chapitres d'avance, l'écart s'amenuise de plus en plus, car je n'ai le temps d'écrire qu'un demi-chapitre par semaine, en général. Aussi, vous demandé-je : est-ce que cela vous embête si on passe à un chapitre toutes les deux semaines ? Ou bien j'essayerai d'écrire un chapitre/semaine en tenant jusqu'aux vacances où je pourrais enfin prendre de l'avance ?
Voilà, sinon, comme d'habitude n'hésitez pas à voter ou à commenter. Cela me fait toujours autant plaisir.
Je vous informe également que mon autre oeuvre, Capsule, sera terminée mercredi à 17h, où je posterai l'épilogue. Je vous attends nombreux au rendez-vous. A bientôt. ;)
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