Chapitre 18
Ils sont tous les trois assis sur mon canapé et me regardent faire des allées et venues dans mon salon, sans rien dire. Pas besoin d'aller au zoo : je suis comme un lion en cage. C'est Annie qui prend la parole, visiblement agacée de toute cette cérémonie :
-Je peux savoir pourquoi je suis là, alors que je devrais être chez moi ?
Je m'arrête et lui fais face. Je suis debout, elle assise. Je suis en position de force.
-Et qu'est-ce que vous auriez fait chez vous, hein ? Des mots croisés devant une tasse de thé fumante ? Je réponds d'un ton sarcastique.
Annie ouvre la bouche pour répliquer. Elle n'a visiblement pas apprécié mon sens de l'humour. Mais David la coupe, tentant de désamorcer la situation. Dans la précipitation, il bégaye un peu :
-Ce qu'A-Annie veut dire, c'est : P-pourquoi tu nous as fait venir.
L'instant se fige. Ils attendent tous la réponse, et je la leur dois bien. David sait déjà quel est mon plan. En réalité, c'est même lui qui m'a affirmé que demander de l'aide à Annie et Bryan serait une bonne idée. Je l'avais d'abord regardé, suspicieuse. J'imaginais mal Annie et sa fierté mal placée me donner un quelconque conseil. Et Bryan, s'il devait me servir, ce serait surtout pour le côté physique. En résumé, je me retrouvais à être le cerveau de l'opération, chose à laquelle je ne suis pas du tout formée. D'habitude, je me contente d'obéir aux ordres de Ted et de Martin. Quoique non, en fait. D'habitude, je me contente toujours de faire le contraire de ce qu'ils disent.
Avec un soupir, je me laisse tomber sur le parquet en bois stratifié. Il n'y a plus de place sur le canapé, Bryan occupant déjà à lui seul la moitié. Heureusement qu'Annie et sa petite taille compensent.
-Bon. J'ai besoin de votre aide.
Ca au moins, c'est dit. Je viens de l'avouer. Maintenant, j'espère qu'ils vont pas tous se mettre à rire. Sinon, je suis mal barrée. Mais visiblement, ils n'ont aucune réaction. Annie, profite de cette attente pour me renvoyer la balle.
-Pour quoi faire ? Si c'est pour vous apprendre à faire la cuisine, je confirme qu'il y a du boulot.
Je lève les deux mains en signe de soumission. Sur ce coup-là, je l'ai bien cherché et c'est donnant-donnant. Mais il faut que je calme le jeu avant que ça parte en vrille.
-Tutoyons-nous, d'accord ? Ce sera plus simple.
J'espère qu'Annie n'est pas aussi à cheval sur les formalités qu'elle ne laisse paraître. Mais moi, vouvoyer, ça me gonfle. Je n'aime pas ça et j'ai toujours peur de me tromper. Annie se renfrogne et se laisse retomber contre le dossier du canapé. Mais elle ne dit rien, et c'est déjà ça.
Je me mords l'intérieur des joues. Une fois de plus, je ne suis pas sûre de ce que je fais. Je jette un coup d'œil nerveux vers David, qui me fait un signe de tête encourageant. Bon allons-y, dans ce cas.
-Voilà, je veux coincer Joe.
Annie et Bryan me regardent visiblement perdus. Ne me dites pas qu'ils ne savent même pas qui c'est ! C'est de lui qu'ils sont censés me protéger. C'est pas très rassurant, tout à coup. Voyant qu'ils avaient besoin d'explication, c'est David qui prend le relais, afin de m'éviter de tout répéter.
-Joe Parisey. C'est de lui dont on est censé protéger Chloé.
Le regard vide, Annie répond d'une voix peu assurée :
-J'avais compris. Je vais faire du thé.
Elle se lève avec lenteur et se dirige vers le coin cuisine tout aussi rapidement. J'ai l'impression d'avoir mis un film au ralenti. Mais il s'agit pourtant bien de la réalité, malheureusement. J'entends Annie tirer de l'eau au robinet, afin de remplir la bouilloire, j'imagine. Je ne peux pas la voir de là où je suis.
Pendant ce temps, Bryan avait gratté son crâne chauve et s'était enfin décider à communiquer ce qui n'allait pas, selon lui :
-Je ne comprends pas. Pourquoi voudrais-tu aller au-devant de celui dont on doit te protéger ?
Je ne te laisserais pas faire une chose pareille. C'est contre mes ordres.
Le clic de la bouilloire s'enclenche, signifiant que l'eau a fini de bouillir. Annie revient, toujours avec la même lenteur, un plateau dans les mains, garnit de quatre tasses de thé fumantes et de petits gâteaux secs. Les tasses se cognent entre elles dans un capharnaüm quand elle pose le plateau sur la table basse. Annie se redresse vivement.
-On est pas là pour la protéger.
Elle a dit cela d'une voix blanche. Le silence qu'elle laisse derrière elle est un silence de plomb. Personne ne veut parler en premier. La vérité qu'elle vient d'énoncer, je m'en doutais. Je ne voulais pas me l'avouer, mais je m'en suis douté dès l'instant où j'avais vu ses satanées fiches dans le bureau de Ted. Maintenant, il me reste à comprendre pourquoi. Pourquoi Ted tenait absolument à me procurer une équipe comme celle-ci.
Mais apparemment, Bryan est encore plus perdu que moi. J'ai décidément bien fait de compter sur ses capacités physiques et non sur sa vivacité d'esprit.
-Mais. Et le contrat ?
-C'est du bidon, le contrat, Bryan. Réfléchis deux secondes. T'as vu comment Annie et moi on est taillé ? explique David. On ferait clairement pas le poids contre un homme dont le seul but est de tuer Chloé. Chloé n'a jamais été vraiment en danger. Du moins, pas au point de nécessiter une protection.
David se tourne vers moi, afin d'obtenir confirmation de ses dires. Je hausse les épaules. Qu'est-ce que j'en sais, moi ? Je suis autant paumée que vous, les gars. Il continue alors, d'un ton grave :
-Je l'ai compris hier soir, quand Chloé est rentrée et qu'Annie m'a dit qu'elle ne comprenait pas pourquoi un stagiaire était chargé de ce genre de responsabilité. Après tout, c'est vrai. Je suis à peine formé aux techniques d'auto-défense. Qu'est-ce que je pourrais faire si un malade mental débarquait ici ?
Je repense aux photos, trouvées dans l'appartement de Joe. Je frissonne de nouveau. Il était pourtant bien certain que Joe me suivait en filature, ou du moins, cherchait à en savoir le plus possible sur moi. Mais peut-être était-ce simplement, car il avait pour habitude de savoir à qui il vendait ses armes ? Et Anna Oxford, dans l'histoire ? Cela signifiait-il qu'elle avait elle aussi acheté des armes ? Et si oui, pour quelles raisons ?
La tête me tourne. Pourquoi n'avais-je pas pensé à cette possibilité plus tôt ? Pourquoi aussi voulais-je absolument innocenter Joe sur ce fait ? Pour me rassurer ?
-Chloé ?
La voix de David me ramène à la conversation. Visiblement, celle-ci avait avancé sans moi, les trois ayant continué d'échanger des théories sur leur présence ici. Seule la question d'Annie leur avait rappelé ma présence. Question que, perdue dans mes pensées, je n'avais pas entendue.
-Sais-tu pourquoi nous sommes là ? Je veux dire, pourquoi nous devons faire semblant de te protéger ?
-Je ne le sais pas plus que vous, avoué-je d'un air contrit, avant d'ajouter, avec un sourire. Mais avec David, on vous a trouvé une utilité.
Je décide d'écarter mes réflexions pour le moment, je le reprendrai quand je serai plus tranquille. Je poursuis donc les explications ; assez perdu de temps pour aujourd'hui, entre des silences gênés et des réflexions digne de celles sur l'œuf et la poule.
-Alors voilà. Comme je vous l'ai dit, je veux coincer Joe. Je vais vous faire un résumé de l'histoire. Je suis policière, comme vous.
Je jette un regard à David avant de rectifier :
-Enfin, comme la plupart d'entre vous. Et j'étais sur une mission, j'enquêtais sur Joe. Ca faisait déjà quelques mois, mais mon supérieur m'a.. suspendue. Parce qu'il a jugé que c'était trop dangereux pour moi. Parce que, peut-être que Joe veut me tuer. Mais ce n'est pas sûr, car quand je l'ai vu l'autre jour, il ne m'a pas tué. En même temps, on était dans un bar, donc c'aurait fait trop de témoin.
Au fur et à mesure de mes explications, je vois que Bryan se tient la tête et Annie froncer de plus en plus les sourcils.
-Tu t'embourbes, là Chloé, me coupe David. Va droit au but.
Mais pour qui il se prend celui-là, à me donner des ordres ? Je le fusille du regard. Il y a à peine deux heures, c'était encore un garçon paumé qui paraissait avoir le QI d'un escargot, et maintenant, il me prenait de haut ?
-Ce que Chloé veut dire, reprend alors David, sans me laisser en placer une, c'est qu'elle a réussi à contacter Joe. Elle a rendez-vous avez lui dimanche prochain pour apporter de l'argent et un passeport.
Bryan hoche la tête, attentif. Annie quant à elle, sirote son thé tranquillement. Personne d'autre n'a touché aux tasses.
-Le problème, continue-t-il, c'est qu'il nous faut un plan d'attaque pour l'arrêter à ce moment-là.
-Non.
Ma réponse est sortie toute seule. David sursaute, semble se figer, la mine contrite et surtout l'air perplexe. Un instant, je retrouve le David que j'ai connu. Celui peu sûr de lui, sur lequel j'avais le dessus. Je souris.
-Mais c'est pourtant ce qu'on... bégaye-t-il.
Je l'arrête d'un geste de la main. Mon cerveau fonctionne à plein régime et une ébauche de plan se dessine dans ma tête.
-L'arrêter maintenant ne servirait à rien. Car l'agence n'a pas de réelles preuves tangibles. Il faudrait que je gagne sa confiance et qu'on arrive à récolter le maximum de preuves.
Les trois me regardent avec les yeux ronds, l'air de me trouver folle.
-Mais... Tu n'as pas dit qu'il voulait te tuer ?
-Si peut-être. Il y a un risque. Mais il faut le prendre.
Je suis déterminée, et cela se lit dans mes yeux. Un silence religieux s'installe dans la pièce.
Chacun médite sur les risques encourus et sur la possibilité du plan. Annie, après avoir bu une gorgée de thé, brise enfin cette atmosphère pesante.
-Mais nous, qu'est-ce qu'on y gagne ?
Comment ça ? Ne me dites pas qu'elle souhaiterait que je la paye, quand même ! Il en était hors de question. Elle est déjà payée à faire semblant de me surveiller, elle peut bien me surveiller pour de vrai, en m'empêchant de me faire étriper dans une ruelle sombre, non ? Je ne me gêne pas pour le lui dire, d'ailleurs.
-Ce n'est pas ce que je voulais dire, me répond-elle, d'un ton cassant. C'est une opération à risques, et nous ne sommes pas habilités. Je ne suis peut-être pas haute gradée dans la police, mais je tiens à conserver mon travail.
Je pince les lèvres, contrariée. Les interrogations d'Annie sont totalement justes et je ne peux pas la forcer à faire quelque chose qui mettrait sa vie en jeu. Je pianote rageusement mes ongles manucurés sur le parquet stratifié.
Après tout, je n'ai peut-être pas besoin d'Annie pour la phase d'action. Une seule personne pour nous enregistrer et les muscles de Bryan pour me protéger devraient suffire, non ? En revanche, Annie devrait m'être plus utile pour la confection d'un plan. Bryan est comme moi, il préfère l'action. Quant à David, bien que je ne doute pas de ses capacités intellectuelles, il n'a aucune expérience. Il n'a jamais suivi quelqu'un en filature et risquerait de nous faire repérer plus qu'autre chose. Mais de même que pour Annie, je ne peux demander, ni à Bryan, ni à David de me suivre. S'ils ne veulent pas prendre de risque, je dois respecter leur choix.
-Bon, écoutez, je me débrouillerais toute seule, mais il me faut seulement un faux passeport assez bien imité pour gagner sa confiance. Pas besoin qu'il le soit parfaitement, je compte bien sur le fait que Joe ne présentera jamais ce passeport à une compagnie aérienne. Il a mis ma parole en doute, la dernière fois. Je dois lui prouver que je suis prête à tout et digne de confiance. De cette façon, il sera peut-être plus enclin à me révéler quelque chose... Comme par exemple l'endroit de sa planque. Ce qui nous permettrait de perquisitionner et, je l'espère, de trouver des preuves assez concrètes pour le traîner en justice autrement que pour recel d'armes à feu.
Je reprends mon souffle, avant d'ajouter, en guise de conclusion :
-Je comprends que vous ne vouliez pas m'aider. J'ai seulement besoin d'un passeport et que vous gardiez le secret.
Annie hoche la tête, mais David ne semble pas d'accord avec mon plan.
-Non, non, Chloé. Moi, je suis derrière toi. Je t'accompagnerai à ce rendez-vous. J'assurerais ta sécurité.
Annie manque de recracher l'intégralité de sa tasse de thé à cette annonce.
-Ne le prend pas mal, David, mais je crois que Bryan est plus a même d'assurer la protection de Chloé.
Les regards se tournent vers l'intéressé. Nous sommes tous suspendus à ses lèvres.
-Oui. Cela ne me dérange pas. J'ai fait quelques années en tant que garde du corps, quand j'étais un peu plus jeune. Je pense ne pas avoir perdu tous mes réflexes.
Je souris de toutes mes dents mais je ne peux m'empêcher de remarquer que David est un peu déçu. Annie repose sa tasse vide, brusquement. Nous sursautons tous.
-Ne t'en fais pas. On va sûrement te trouver un rôle David... Mais je ne travaille pas dans ces conditions. Je veux une table, des papiers et des crayons !
Un peu surprise par sa requête, je mets quelques secondes avant de me lever d'un bon et de les inviter à s'installer autour de la table de la cuisine. Je vais ensuite chercher des papiers et je dois fouiller un peu dans tous mes tiroirs pour trouver un crayon.
-Voilà !
Je pose tout sur la table dans un grand fracas et Annie ne perd pas de temps. Elle me tend une feuille et un crayon et me demande de dessiner un plan du bar dans lequel j'ai rendez-vous avec Joe. Je m'exécute et dessine avec application la dizaine de tables disposées à chaque coin de la salle, de manière disparate, le bar. Je rajoute aussi l'emplacement des quelques miroirs, car je sais que cela peut changer beaucoup de choses. Pendant que je m'exécute, Annie explique aux autres ce qu'elle a dans la tête.
-Puisque le but est de rassembler le plus de preuves possibles avant de prévenir... la police..
Elle grimace face à cette situation ironique. La police obligée de contacter la police. C'est vrai que c'est ironique. Mais malheureusement, pas le temps de s'attarder sur ce genre de détails. Elle m'arrache presque ma feuille des mains et attrape un stylo d'une autre couleur.
-A ton avis, Chloé, vers où va se placer Joe ?
Je pointe de doigt la rangée de tables la plus au fond et éloignée des autres, et en particulier celle du coin gauche de la pièce.
-Logique, commente Annie, laconique.
Elle l'entoure d'un rond rouge. Puis elle effectue une croix sur la table la plus proche.
-Bryan, tu te mettras là. C'est la table la plus proche, et il faut que tu puisses agir rapidement si besoin est... Bien que je doute que Joe passe à l'action dans un lieu public.
Je frissonne, mais Annie ne le remarque pas, bien trop occupée avec son plan. Elle lève les yeux sur le stagiaire.
-David. Toi, tu te mettras là. Cela te permettra de sortir le plus rapidement possible du bar. Soit pour appeler la police si besoin, soit pour les prendre en filature et les suivre. Il faut qu'on sache où est Chloé à tout moment. Compris ?
Nous hochons tous la tête. Le plan d'Annie est simple mais logique. Je pense que Ted n'aurait pas fait mieux. En pensant à lui, j'ai un pincement au cœur. Je ne sais toujours pas si c'est une bonne idée de ne lui avoir rien dit. En même temps, il n'aurait jamais voulu que je participe à l'opération, alors que je suis la personne en qui Joe a le plus confiance. Enfin, j'espère, car tout le plan repose là-dessus.
-Et pour le passeport ? Il m'en faut un avant dimanche, si je veux que Joe soit satisfait.
Annie repose son stylo et sourit triomphalement.
-Ca tombe bien ! Je connais quelqu'un qui pourrait nous aider.
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Comme d'habitude, mettez une petite étoile si vous avez aimé le texte. ;)
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