Chapitre 15
-Je te dépose en haut de ta rue, me fait Martin en se garant sur une place de parking en vitesse.
En effet, il me reste quelques mètres à parcourir pour atteindre mon immeuble. Je m'extirpe de la voiture sans même le remercier.
Je suis trop pressée de rentrer chez moi. Je me mets à courir en sautillant sur le trottoir. Martin, depuis sa voiture, doit me trouver ridicule. Puis, je pense à mes vêtements, dont certains doivent être inutilisables et à David. Je me demande dans quel état je vais le retrouver. Enfin, si ça se trouve, pour lui, passer deux heures sous la douche, c'est normal. Je suis une fille coquette après tout. En tout cas, j'ai hâte de voir sa tête quand je vais ouvrir la porte !
Penser à ce qui se passera dans le prochain quart d'heure me fait du bien. En tout cas, ça m'évite de penser à Joe et ses avertissements, à Ted et ses avertissements, à Petit et ses avertissements... Trop d'avertissements en vingt-quatre heures tue l'avertissement.
La pluie a cessé mais le temps et les nuages restent gris. Les rares passants vont avec leur parapluie, leurs pas résonnent sur l'asphalte mouillé. La vie tourne au ralenti. Je remonte la rue, les flaques crissent sous mes Converses. Je ne tarde pas à voir se découper sur le ciel gris souris le petit immeuble, minuscule et fragile, aux côtés de ses voisins. Je soupire, lève les yeux. De la fenêtre du dernier étage, les vêtements accrochés entre eux se balancent sous la brise.
J'ouvre les grandes portes vitrées et la chaleur du hall m'enveloppe, pique mes joues rosies par le froid. Je frotte mes mains entre elles, pour les réchauffer et ramasse la pile de vêtement que j'avais laissé.
Pour une fois, je prends l'ascenseur – que j'ai toujours trouvé en trop, pour un immeuble de quatre étages. Je me laisse tomber contre la paroi, lessivée. L'adrénaline qui bouillait dans mes veines est tombée, elle aussi. Je suis épuisée.
La petite musique d'ascenseur, qui m'annonce que je suis rendue, me fait sursauter. Je ne savais pas qu'il était possible de s'endormir aussi rapidement. Ça doit être un effet des nerfs qui se relâchent. Ou bien, je suis tout simplement fatiguée. Je ramasse mes affaires, et me traîne jusqu'à la porte de mon appartement. La moquette étouffe le bruit de mes pas. Ça doit être agréable, de marcher pieds nus dessus.
J'actionne la poignée, mais la porte refuse de s'ouvrir. Je fronce les sourcils, puis me rappelle la présence de David. Je sonne donc à la porte. Le comble ! Devoir sonner à sa propre porte.
J'entends des bruits étouffés qui me parviennent, de l'autre côté de la cloison. Puis, la porte s'ouvre enfin sur l'ancien militaire au crâne rasé.
-Que...
Ma voix étranglée trahit ma surprise. Mais il est aussi surpris que moi, à en juger par sa mâchoire grande ouverte. Je me ressaisis et lance :
-Ferme la bouche, tu vas gober des mouches.
Il s'efface, pour me laisser entrer.
Jusque là, sa grosse carrure avait cachée Annie et David. La femme est debout, les mains sur les hanches, l'air sévère. Enfin, encore plus que d'habitude. Et David lui, est recroquevillé sur le canapé, la tête entre les mains. J'imagine qu'il a dû se prendre une sacrée dérouillée.
La lumière déclinante du soir filtre par la baie vitrée, dessine des grands rectangles de lumière sur le parquet. Je m'absorbe dans la contemplation de ceux-ci, mais la voix d'Annie me rappelle à l'ordre.
-Où étais-tu ? aboie t-elle.
Je me demande si elle était pas militaire, aussi. Parce qu'elle à tout à fait le ton des commandants. Un ton qu'on s'attendrait plus à trouver chez le colosse qui se tient appuyé contre le mur, près de la porte. Les bras croisés, silencieux, il écoute ma réponse.
-Ça ne vous regarde pas.
La bouche d'Annie fait la moue. Un mouvement imperceptible, mais je sens qu'elle n'a pas aimé ma réponse.
-Et te jeter de la fenêtre, accrochée à une corde de... vêtements, elle secoue la tête, n'en revenant pas. C'est de l'inconscience. Tu aurais pu te rompre le cou !
Je hausse les épaules.
-Et alors ?
Je m'amuse à la provoquer, voyant jusqu'où elle peut aller. Mais à ma grande déception, le militaire parle.
-On ne doit pas lui faire de leçon. On est juste là pour la protéger.
Sa voix est grave, posée. Elle a quelque chose de rassurant. Annie réplique.
-Comment veux-tu la protéger, Bryan, si elle se jette du haut d'un immeuble de quatre étages ?
Je lève les yeux au ciel. Leur dispute ne m'intéresse pas, je n'aspire qu'à me coucher. Je disparais furtivement dans la cuisine tandis que le dénommé Bryan répond. Comme la cuisine est une cuisine ouverte, je peux les regarder à ma guise, tout en préparant ma tisane. Le ton est monté d'un cran.
-C'est de la folie ! Cette fille est folle ! répète Annie.
Le militaire s'emploie à la calmer. Ce n'est pas très concluant jusqu'à ce qu'il formule une phrase. La phrase est prononcée d'un ton calme. Mais je ne suis pas dupe. C'est le calme avant la tempête.
-Ce n'est pas la faute de Chloé, fait-il mais de David. C'est lui qui était chargé de la surveiller.
Annie se tourne vers la fautif, qui se recroqueville d'avantage, si cela est possible.
-David est un incapable. Il devrait être en train de ranger les dossiers au poste de police, plutôt qu'à bouquiner alors qu'il doit surveiller un témoin.
Le ton monte, les insultes pleuvent. Mon eau est chaude, je la verse dans ma tasse en continuant de regarder le spectacle. Je m'apprête à intervenir quand la femme prononce une phrase qui me fait revenir sur ma décision.
-Je ne comprend toujours pas pourquoi on a insisté pour mettre un stagiaire à un travail important. Ça devrait être interdit par la loi, crache t-elle.
On ? Qui est ce « on » ? La logique voudrait que le « on » désigne le, ou les chefs des troupes, mais elle voudrait aussi que personne ne commettrait l'erreur d'assigner un stagiaire à cette tâche. Sauf si cela était fait exprès. Je fronce les sourcils et me concentre sur la suite de l'échange.
Annie gesticule dans tous les sens, traitant David de tous les noms d'oiseux. L'ancien militaire, lui, ne bouge pas. Il suit Annie de ses yeux pâles, sans pour autant l'arrêter. Pourtant, je suis sûre qu'il pourrait. Il a tout à fait la force physique de le faire. D'ailleurs, quand il se décide enfin à parler, Annie s'arrête. Elle se tait même instantanément.
-Je pense qu'on devrait dire au chef de le renvoyer, fait-il.
David frissonne. Je ne vois pas son visage, de là où je me trouve mais j'imagine qu'il s'est décomposé. Enfin, encore plus que tout à l'heure. Je ne veux pas être fautive du renvoie de David.
-Non !
Le cri est parti tout seul. D'un même mouvement, Bryan, Annie et David se tournent vers moi. Comme j'imaginais, David est blanc comme un linge. Encore plus blanc que la peau de Martin. C'est à peine croyable. Celui d'Annie, lui, est déformé par la colère. Et celui de Bryan n'exprime rien. Ses yeux gris pâles se sont à peine plissés pour m'observer. Je me sens idiote, debout devant eux, ma tasse de thé à la main. Vraiment.
-Euh, je... Vous voulez du thé ?
Ils me fixent, sans répondre, surpris par ma proposition. Finalement, Bryan se décolle du mur et propose :
-Je pense qu'on devrait partir. On tirera ça au clair, demain matin, avec le chef.
Annie fixe David.
-Je prends l'heure de garde qui te reste.
Son ton n'appelle à aucune discussion. David passe la porte, la tête basse, suivi de près par l'imposante carrure de Bryan. Et je me demande un instant s'il va réussir à passer la porte, qui se referme pourtant, me laissant seule avec Annie, plus furieuse que jamais. Elle me fusille du regard. Je ne cille pas, bois une gorgée de mon infusion. J'en ai pris une à la verveine citronnée, pour m'aider à dormir. Je contourne le bar pour monter dans ma chambre. En passant, j'appuie sur le bouton du store qui se déroule dans un fracas métallique. Avant de monter, je lance à Annie :
-Il y a du café dans les placards, vous pouvez vous servir. A condition de ne pas vider la boite.
Je fais semblant de ne pas l'entendre lorsqu'elle réplique que, si c'est du café soluble, elle n'en veut pas. Je pose ma tasse sur le bureau, et farfouille dans les tiroirs pour trouver le câble de mon téléphone. Après les avoir vidés, je finis par regarder sous mon lit, où le-dit câble m'attend, en compagnie des moutons de poussière. Je ferais le ménage demain. Si j'ai le courage. Mon ordinateur à fini de s'allumer et je branche mon téléphone dessus, récupère l'enregistrement. Quand je réussi enfin à faire démarrer le lecteur, ma tasse est déjà à moitié vide. Je jette un coup d'œil en contre-bas. Annie s'affaire dans la cuisine. Je branche mes écouteurs et lance l'enregistrement. Pendant la première minute, on entend les conversations des autres, tellement emmêlées que je ne comprend qu'un mot, par-ci, par-là.
-Bonsoir, chérie.
La voix de Joe est à peine audible. Je dois me concentrer pour suivre la conversation. Mais la moitié des mots est avalée par celle des autres. Je n'entends même pas la réponse de Joe quand quelqu'un, juste à côté de nous, sans doute, appelle le serveur. Je tapote le bord de ma tasse, nerveusement. L'enregistrement est inutilisable. Sauf si j'arrive à enlever les bruits de fond. Un ordinateur de l'agence pourrait faire ça. A condition de savoir s'en servir. J'effectue mentalement la liste de mes connaissances, douée pour l'informatique. J'ai vite fait le tour, et n'en ai trouvée qu'une seule. Martin.
Avec un gros soupir, je repousse la chaise, qui roule sur quelques centimètres. Il est hors de question de demander de l'aide à Martin. Je déteste me sentir redevable, surtout envers des personnes que je n'apprécie pas. Sans compter que si Martin m'aide, il sera bien obligé d'écouter l'enregistrement. Et c'est ce que je veux à tout prix éviter, tant que je n'ai pas en main toutes les infos.
J'éteins l'ordi, fini ce qui me reste de tisane et enfile mon pyjama. Avant de me glisser dans mon lit, je me penche par dessus la rambarde de la mezzanine. Annie est assise sur le canapé, une tasse de café à la main. Elle fixe un point devant elle, les muscles tendus, tout son corps en alerte. Je me demande comment elle compte tenir, quatre heures comme ça, sans rien faire. Je la hèle :
-Annie, si vous voulez-vous pouvez allumer la télé, ça ne me dérange pas.
Elle sursaute, se tourne dans ma direction, cherche un moment avant de lever la tête et de m'apercevoir. Je réprime un sourire. Elle, elle me fusille du regard et m'aboie à la figure :
-Votre café est imbuvable. Le pire que j'ai jamais bu. Et je sais de quoi je parle.
J'éclate de rire.
-On n'est pas dans un hôtel quatre étoiles ! je m'exclame.
Puis, je me tourne et me jette dans mon lit. J'imagine un instant la tête d'Annie. Puis, mes pensées dérivent sur les événements de la journée. Je pense à mon saut à l'élastique improvisé. Ca me rappelle que je n'ai pas mis les pieds dans la salle de bain, depuis. Je me demande si la corde de vêtements est toujours accrochée à la pomme de douche, ou s'ils l'ont enlevé. En tout cas, ils ont éteint l'eau, parce que je ne l'entends plus. Dieu merci pour mes économies.
Et je me remémore le conversation avec Joe. Il faut que je me débrouille pour réunir assez d'argent. Et un faux passeport. Je ne sais pas du tout comment je vais m'y prendre.
Petit à petit, je glisse dans le sommeil.
En bas, j'entends le son ténu de la télévision. Annie à fini par l'allumer. Je reconnais le générique d'une célèbre émission de télé-réalité. Et ça me fait sourire, de penser à Annie et sa mine patibulaire devant ce genre d'émission.
Je m'endors avec cette image, le sourire aux lèvres.
Je me réveille en sursaut. Il est dix heures. Je mets un moment à voir où je suis. La lumière de mon ordinateur clignote, je n'ai pas dû l'éteindre, hier soir. Je reste un moment à l'abri de la chaleur du lit. Le poids de la couette a quelque chose de rassurant. Puis, j'entends du bruit en bas. L'eau qui boue, la télé allumée. Avec un soupir, je me lève et enfile mes chaussons. Je n'ai pas envie de m'habiller. Je descends donc en pyjama, et c'est avec surprise que je découvre David en train de beurrer des toasts dans la cuisine. Il ne m'a pas vu.
-Je croyais que tu n'aurais plus le droit de me surveiller, remarquais-je.
Il sursaute et lève la tête vers moi. Je dois avoir une mine affreuse mais je m'en fiche. Il sourit finalement.
-Oui, moi aussi, répond-t-il, laconique.
Puis il se remet à beurrer les toasts. Et comme je ne bouge pas, il fini par pousser l'assiette vers moi.
-Tiens, mange.
Je me rends compte que j'ai faim. Je n'ai pas manger depuis hier midi. Je m'assoie en face de lui et mord dans la première tartine. La bouilloire siffle, signe que l'eau est rendue à ébullition. David se lève et ramène la bouilloire sur la table. Il me tend ensuite la boite de thé. Je le regarde, amusée :
-On dirait que tu as pris tes marques.
Il me sourit, timide. Prend une tartine.
-Bon, alors, c'est quoi le programme, aujourd'hui ?
Je me surprend moi-même par la réponse :
-Je vais passer à l'agence.
Ses yeux se mettent à briller.
-A l'agence ?
Aïe. Avais-je seulement le droit de lui parler de l'agence ? Enfin, il fallait que j'y aille. J'avale un dernier pain beurré et je me lève.
-Je vais m'habiller et on y va.
Je monte dans ma chambre, cherche désespérément des vêtements, avant de redescendre en me rappelant qu'ils étaient tous dans la salle de bain.
J'étudie les pertes.
Dans l'ensemble, ils ont tous bien résisté... Sauf mon jean Diesel. Mais pas le temps de pleurer sa perte, même si le fait de penser au prix qu'il m'a coûté suffit à me faire pâlir. Je fouille à la recherche d'un T-shirt et d'un jean, pas le temps de ranger, je ferais ça plus tard.
Une fois habillée et un semblant coiffée, j'enfile mon blazer et dévale les escaliers, suivi de près par David.
-Tu veux que je conduise ? demande ce dernier poliment, en reprenant son souffle.
Je monte dans la voiture, sans me préoccuper de sa requête.
-Ah bon ? Tu sais conduire ?
Il soupire en attachant sa ceinture et je démarre la voiture.
__________________NOTES_________________________
Puisque j'ai beaucoup balablaté la dernière fois, je rappelle simplement aux plus tête en l'air de ne pas oublier de voter s'il ont aimé l'histoire. Le reste de la chanson, vous la connaissez. ;)
A lundi prochain.
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