Chapitre 11

Je sursaute. Dans la pénombre, je distingue mon radio-réveil indiquant sept heures, ainsi que l'ombre massive de mon bureau. Dehors, il fait encore nuit. J'écoute, le cœur battant, les bruits de l'immeuble endormi. Mes draps sont froissés, mes cheveux en bataille. Les rares fois où j'ai plongé dans un sommeil profond, c'était pour me réveiller une heure après, poursuivie par l'étrange impression que quelqu'un était dans mon appartement. Je me redresse donc dans mon lit, abandonnant l'idée de dormir et me glisse sans bruit sur le parquet. Dans la cuisine, les plats sales, tachés et sans doute irrécupérables, signe de mon fiasco culinaire de la veille, attendent leur sort dans l'évier. Je me cogne le petit orteil dans le coin de la table.

-Aïe !

Je repars dans le salon en boitant, et m'assois dans le canapé en attendant que mon lait chauffe. La rencontre avec Joe m'angoisse. Surtout que je n'ai aucune idée de comment j'échapperais à la surveillance du policier. Et il faut que je sache aussi ce que Martin compte faire. Je m'étire lorsque le four à micro-onde sonne, va chercher ma tasse et la bois d'une traite. Puis j'enfile un jogging, un débardeur, noue mes baskets et sors dans la brume matinale. A cette heure, la rue est déserte. Je cours dans un état second, réfléchissant à la meilleure option.
Quand je rentre, il est huit heures. Je prend une douche et fini par conclure que j'avais besoin de savoir si Joe était surveillé. Auquel cas, il ne fallait surtout pas qu'on me voit en sa présence. Je remonte donc dans ma chambre, mes cheveux humides gouttant sur le parquet. Je rallume mon téléphone, et appel Martin. Après quelques sonneries, il décroche enfin :
-Chloé, que me veux-tu ? demande t-il d'un ton cassant.

-Juste savoir ce que vous comptez faire. Je ne participe pas, mais j'estime avoir un droit de regard, tout de même. D'autant plus que je connais Joe mieux que personne ici. répliquais-je de la même voix froide.

Il y eu un silence où je l'entendis renifler. Je pouvais presque imaginer son air méfiant.

-Pour l'instant, on le cherche. Je n'ai absolument aucune idée de l'endroit où cette vermine est cachée.

Chez Martin, se faire traiter de vermine équivaux à se faire insulter. Je précise.

-Et après ?

-Après... Franchement, tout dépend, j'ai des plans, mais tant que nous ne disposons d'aucun indice, tellement de facteurs peuvent varier... Mais, pourquoi tu veux savoir ça ?
Mon cœur se mit à battre plus vite. J'avais deux options. Mentir, ou l'aider. Je savais où Joe allait se trouver, exactement à vingt heure. Je le savais parfaitement..

-Parce que...

J'hésitais. Mentir, ou dire ce que je savais ?

-J'aurais pu aider, lâchais-je, amèrement.

-Hm.

Je n'avais pas convaincu Martin. Et aucune envie de me justifier. C'est pour cela que je coupais court à la conversation.

-Salut.

J'avais décollé le téléphone de mon oreille et m'apprêtais à appuyer sur le téléphone rouge quand la voix lointaine de Martin me héla :

-Chloé !

Je rapprochais le téléphone de mon oreille.

-Oui ? Maugréé-je

-Je... Je sais pas ce que tu fabriques, mais sois prudente, ok ?

Puis, ce fût lui qui raccrocha. Je restais à fixer bêtement le téléphone.

J'avais eu le choix. Par orgueil et mépris pour lui, j'avais choisi de mentir.

Chloé Smith, tu n'es qu'une imbécile. Tu viens de bousiller ta seule chance de te faire aider.

A neuf heures, comme prévu, un policier frappe à ma porte. Il était plutôt jeune, les yeux gris, les cheveux châtains foncés en brosse, il se tient droit dans l'embrasure de la porte. Il n'a pas d'uniforme mais on devine la forme d'un pistolet sous sa chemise un peu large. Il me tend la main en souriant :

-David, se présente t-il.

Je hoche la tête, m'efface pour le laisser entrer de mauvaise grâce. Quand il passe devant moi, je pointe du menton son revolver :

-J'espère que tu n'auras pas besoin de t'en servir.

Il fait un geste évasif avec sa main :

-C'est juste en cas d'absolue nécessitée.

Et il reste planté dans le salon, les bras ballant.

-Tu veux un thé ? Du café ?

Il réfléchit un instant, surpris par ma demande et peut-être mon tutoiement, avant de jeter son dévolu sur du thé. Je passe donc dans le coin cuisine et mets l'eau à bouillir. Puis, je me retourne et voyant qu'il est toujours planté dans le salon, à admirer la baie vitrée, je lui propose de s'asseoir. Dès que l'eau fut chauffée, j'apporte le tout que je pose sur la table basse. Je compte le cuisiner, pour savoir qui sera là, à dix -neuf heure pour me surveiller. La mieux étant que ce soit lui. Il n'a pas l'air dégourdi.

-Et donc, c'est toi qui va me surveiller tout le temps.

Il extirpe un sachet de thé de la boite avant de me répondre :

-Non, on est quatre. On se relayera toutes les trois heures.

J'essaye d'effectuer un rapide calcul mental, mais là encore, si Ted m'a engagée, ce n'était sûrement pas pour mes notes de maths. J'essaye donc de procéder autrement :

-Et donc, tu reviens vers... ?

Il sursaute, surpris, puis fronce les sourcils. Je lui souris. Après tout, si ça marche avec Joe, pourquoi pas avec lui ?

-Euh, je... Dix-neuf heures, bredouille t-il.

Cette fois, je souris vraiment. J'adore récolter des informations, surtout aussi facilement. Et en plus, dix neuf heures, ça m'arrange. Je me lève, sors sur le balcon, et allume une cigarette. Je commence enfin à me détendre. Lorsque je me retourne, je m'aperçois qu'il étais en train de me fixer. Il cligne des yeux plusieurs fois, les baisse enfin et sors un livre de son sac. Je lève les yeux au ciel, écrase mon mégot du talon de ma basket et rentre à l'intérieur.

-Je vais me changer, lançais-je à son intention, en grimpant les escaliers de la mezzanine quatre à quatre.

-Euh, oui. D'accord,répond-il toujours en bafouillant.

Je mis un temps fou à trouver un jean et un t-shirt propre. Résignée, j'attrape toutes les affaires qui traînaient et les descendis dans la salle de bain. Je les pose sur la machine à laver et commence à les fourrer dans le tambour. Lorsque j'attrapais le dernier t-shirt, un morceau de papier s'envola, et vint doucement se poser sur le sol.

C'était la photo.

Pétrifiée, je restai à la regarder. Et le doute de cette nuit revient plus fort dans ma mémoire. J'avais pris rendez-vous dans un bar avec un meurtrier, sans aucune protection policière, et j'étais visiblement sa prochaine victime. C'est ce qu'on appelle se jeter dans la gueule du loup. Bravo Chloé.

Je secouai la tête, pour chasser les visions d'horreur qui m'assaillait l'esprit et remis la photo dans la poche de mon jean.

J'irai à ce rendez-vous.

Et je coifferai ce lèche-botte de Martin au poteau.

A cette pensée, je me senti plus légère, rien que d'imaginer sa tête. Je ferme la porte de la machine, la programme et lance le démarrage. David était toujours plongé dans son livre, dans le salon.

Au moins, s'il est dans le même état d'esprit à dix neuf heures, ce sera facile de se faire la malle.

A cette pensée, je souris. Puis je me penche par dessus son épaule et demande :
-Tu lis quoi ?

David sursaute, et se tourne vers moi, les yeux écarquillés. Puis, il réalise que ce n'était que moi et fini par articuler, en me montrant la couverture :

-C'est mon manuel de police. En fait, je ne suis encore qu'à l'école, et...

Il se mit à rougir. Alors, en guise de protection on m'avait refilé un stagiaire ? Génial. Je me sentais super protégée. Il devait être à peine plus âgé que moi. En soupirant, je monte les deux premières marches menant à ma chambre. Puis je me retourne et lui lance :

-Ca te dérange pas si je mets de la musique ?

Il relève un deuxième fois la tête de son manuel et secoue la tête.

-Vous êtes ici chez vous, donc, vous faîtes ce que vous voulez.

Lorsqu'il me vouvoyait, j'avais l'impression d'être une grand-mère. Je balaye donc sa réplique d'un geste de la main et déclare :

-Je pense que tu peux me tutoyer. Enfin, tu as mon âge !

Il baisse les yeux.

-Deux ans de moins, à vrai dire.

Quoi ? Il avait vingt-et-un ans et il se comportait comme un ado pris en faute. J'hallucine !

-Raison de plus.

Je gravis les dernières marches avant d'ajouter :

-Oh, et comporte toi en homme, bon sang ! On dirais que tu as douze ans. Ca me donne limite envie de vomir.

Ses sourcils s'envolèrent sur son front et sa mâchoire se décrocha littéralement du reste de son visage. Je le plantais là et une fois dans ma chambre j'ouvre mon placard. J'y avais rangé mon punching ball et mes gants de boxe. J'avais fait deux ans de ce sport, entre onze et treize ans, avant de me tourner vers le karaté. Mais je n'avais rien perdu. Et je regrettais de ne pas avoir carrément de sac de frappe. Je fixe l'objet au sol, m'empare des mes gants et appuie sur le bouton de la télécommande. Les enceintes se mirent à cracher de la musique. Je baisse légèrement le son pour ne pas déranger David et détache le scratch Velcro des gants que j'enfile. Je me tourne ensuite vers le punching ball où j'avais collé, il y a quelques mois une photo de Martin. Je respire profondément et décroche un crochet droit. Le ballon se balance furieusement de droite à gauche. Je le stabilise et effectue un enchaînement rapide. Je passe ensuite à la boxe française et les coups de pieds et poings pleuvent. A la fin de la musique, je mets toute ma force dans un uppercut et le punching ball bascule à la renverse et s'écrase sur le sol, dans un bruit d'enfer.

La musique n'a durée qu'à peine quatre minutes mais je suis en nage. David déboule dans ma chambre alors que je m'éponge le front avec mon bras, encore ganté.

-Qu'est ce qu'il se passe ? demande t-il, affolé.

Je lui décroche un sourire et lui pointe le ballon du menton.

-Rien, je m'entraînais, répondis-je d'une voix rassurante.

Le jeune homme fixe le punching ball, interdit. Puis il me désigne la photo.

-C'est ton ex ? me demande t-il.

Je regarde la photo, et mis quelques secondes à accepter le fait qu'il parlait bien de ce lèche-botte de Martin.
-Je... Bien sûr que non, m'offusqué-je.

David hausse les épaules. Il tend une main vers moi.

-Je peux essayer ?

-Ca peux pas être pire que de potasser tes manuels, ironisé-je en lui tendant les gants.

Je dû l'aider à les enfiler. Une fois fait, il laisse ses bras le long de son corps rachitique, ne sachant trop qu'en faire, et j'eus toutes les peines du monde à ne pas éclater de rire. Je redresse le punching ball.

-Frappe, j'ordonne.

David frappe maladroitement le ballon, qui oscille légèrement. Je secoue la tête et me place derrière lui.

-Tu dois avoir les genoux fléchis, pour être près à toute éventualités. Et le coup doit partir de ton épaule.

David répète mon geste, et cette fois, l'élan lui donne plus de force.

-C'est mieux, je l'encourage.

Nous répétons ces mouvements jusqu'à midi, où une femme prend la relève.
Annie est beaucoup plus stricte, et beaucoup plus méfiante que David. Après avoir vu le plat surgelé que j'avais prévu de manger, elle m'a emmenée faire des courses. C'est elle qui cuisina pour moi. C'était vachement épicé, mais je n'ai rien dit, devant son air patibulaire.
La journée se déroule sans encombre, mais je deviens de plus en plus nerveuse à mesure que l'heure approche. A dix-neuf heure moins dix, David se présente à son poste. Il me sourit quand je lui ouvre la porte. Les deux policiers se saluent, et l'autre -un ancien militaire au crâne rasé- cède sa place au jeune stagiaire.

J'installe David sur le canapé, où j'avais au préalable posé les rares livres que je possédais. J'avais d'abord pensé à lui glisser du somnifère dans sa boisson, mais je n'en avais pas en n'avait pas jugé prudent d'aller en acheter avec mon surveillant.

Toujours est-il que je n'avais aucune idée de comment sortir de cet appartement. Il était exclu que je sorte par la porte principale et par le balcon, puisque David serait dans le salon en train de surveiller ces entrées. Et je me trouvais au dernier étage. Et puis, j'étais un peu fatiguée, résultat de ma courte nuit. Après un rapide brainstorming, il s'avéra que je devais m'échapper par la salle de bain, seule pièce non surveillée de mon appartement. Je baille.

-Vais prendre une douche, marmonnais-je.

David hoche la tête. Il semblait plus assuré que la première fois.

-Hm, par contre, tu dois laisser le verrou ouvert, m'avertit t-il.

Je me retourne brusquement.

-Quoi ?

David cligne plusieurs fois les yeux, ma réaction lui semble exagérée. Ou peut-être que mes démonstrations de boxe de ce matin lui ont fait peur ?

-Tu ne dois pas fermer la porte, répète-t-il, un peu moins assuré.

En trois enjambées, je le rejoins, et l'agrippe par le col de sa chemise. Je dois absolument fermer cette porte.

-Ecoute-moi, le nabot. Je ne vais pas te faire le plaisir de laisser la porte ouverte, tout ça pour que tu puisse te rincer l'œil, ok ?

Les joues du stagiaire virent au rouge. Il tente quand même de se défendre :

-Je... C'est un question de sécurité.

Je le repousse sur le canapé.

-Je doute qu'un tueur soit enfermé dans la salle de bain, répliquais-je d'un ton acerbe, en m'éloignant.

David triture le col de sa chemise, que j'ai froissée. Il tente une dernière fois :

-C'est pour ta sécurité.

Je ne l'écoute pas, claque la porte et m'enferme à double-tours. Une fois à l'intérieur, je m'adosse à la porte et commence à réfléchir. De toute façon, je n'ai pas le choix. Je dois m'échapper par l'unique fenêtre de la salle d'eau. Le problème étant que je me trouvais au quatrième étage.

Je m'approche de la minuscule ouverture, juste assez large pour faire passez mon corps à l'horizontal. Il faudra donc que je me laisse tomber ensuite. Je me penche pour regarder en bas mais ne vois que la route, où passe de temps à autre une voiture. Par contre, sur le côté droit, il y a le balcon de mon voisin, ou ma voisine d'en dessous. Je n'ai jamais pris la peine de savoir qui habitait l'immeuble. Si ça se trouve, il n'y a personne.

Et de toute façon, je ne peux pas descendre.

Je m'écarte de la fenêtre avec un gros soupir.

Il me faudrait une corde, mais je n'en ai pas. Je croise les bras. Je dois donc me résoudre à assommer David. Ca ne sera pas difficile, mais il appellera les secours dès qu'il reprendra connaissance. Et je ne veux pas d'un armada de flics à mes trousses.

Ou alors, il faudrait que je l'attache, mais le problème reste le même. Je n'ai pas de corde. Avec de la ficelle de cuisine, ça pourrait marcher ? Je ne suis même pas sûre d'en avoir, piètre cuisinière que je suis.

Dans les films, ils attachent les gens avec des vêtements... Mon regard se pose sur la machine à laver, qui, depuis le temps, attend sagement que je vienne lui enlever le linge propre.

Je m'accroupis devant la bête, ouvre la porte et sort le linge encore humide. Je pourrais même faire une corde avec. Et me jeter de l'immeuble. Je crois que je commence à devenir dingue.
Cette solution est trop risquée. Le linge ne supporterais pas mon poids. Mais si je l'attache à quelque chose de solide ? J'ai bien envie de tenter le coup quand même.

J'entreprends donc de nouer les vêtements entre eux, en des nœuds solides. Puis j'attache le tout à la pomme de douche, et jette la corde improvisée par la fenêtre, pour voir où ça va. Elle est un peu courte. Je cherche des yeux un matériaux à utiliser et tombe sur mes deux serviettes de bain. Je les noue aussi à la corde.

Cette fois, c'est pile la bonne longueur.

Le plus sécurisant serais que je descende en rappel. Mais la petitesse de la fenêtre ne me le permet pas. Il faut donc que je me laisse tomber.

Au dernier moment, je pense à allumer l'eau de la douche, pour rassurer David, qui tapait timidement à la porte en appelant mon prénom. Ca va me coûter cher en eau, tout ça. Puis, je noue la serviette autour de ma taille, effectue un triple nœud et me hisse sur la fenêtre.

Je n'arrive pas à croire que je vais faire ça.

Mes mains tremblent. Beaucoup. Mes jambes aussi.

Chloé, tu es devenu folle.

Je ferme les yeux, inspire et expire. Fais le vide dans ma tête.

Allez, à trois, je me laisse tomber.

Un.

Je m'efforce de maîtriser mes tremblements. Je suis allongée sur le rebord de la fenêtre, les pieds dans la salle de bain, la tête dans le vide et les mains fermement accrochées au cadre en aluminium.

J'inspire, lentement.

Deux.

J'ai les yeux fermés, pour ne pas voir en contre-bas. Mais j'entends distinctement le bruit de l'eau derrière moi, les voitures qui passent, les klaxons, au loin, sûrement au carrefour.

J'expire.

Ne pense à rien.

-Trois.

Je l'ai murmuré, comme pour me donner assez de courage.

Et je me laisse basculer dans le vide.

________________________NOTES___________________________

Et voici le onzième chapitre ! Riche en émotion, comme vous pouvez le voir. Alors à votre avis, est-ce le dernier chapitre ? Chloé va-t-elle se rompre le cou en sautant dans le vide ainsi ? Dites le moi dans les commentaires ! :D

De plus, vous avez pu voir que ce chapitre était très long. Pas de panique, les autres seront sans doute un peu plus court, celui là se situant dans la moyenne haute. Cependant, j'ai décider de donner plus d'ampleur à mes chapitres, car je trouve ça plus cool. Qu'en pensez-vous ?

Et s'il vous a fait passer du rire au larme, tétanisé de peur, alors n'hésitez pas à laisser une petite étoile.

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