6- Les confidences
William est assis à côté de moi, les avants-bras sur les cuisses. Sa tête penchée dans ma direction, il m'invite à me confier, un sourire timide sur le visage, mais qui se veut rassurant.
Pour ma part, je suis une boule de nerfs, et le fait de triturer mes doigts n'arrange en rien leur moiteur. Mais je finis par me lancer.
— J'ai vécu une histoire, une belle histoire. Il s'appelait Max. Nous nous connaissions depuis le collège et nous sommes sortis ensemble au lycée.
Entendre mon histoire me glace le sang et je tremble.
— Je suis restée trois ans avec lui. Il était mon meilleur ami, mon âme soeur et...
Je m'interromps pourtant, réalisant que je suis entrain de raconter mon histoire à un type que je connais à peine. Je décide alors de garder les détails pour moi, offre à William une version brute et dénuée de nuances. Une version qui ne laisse paraitre aucune émotion dans la voix qui la raconte. Une version aussi laide que ce que je suis m'inspire.
— J'ai déconné « moi aussi ». C'était il y a un an. J'aimais Max, terriblement, indéfiniment. Le genre d'amour où on ne se pose plus de questions, un amour presque routinier, naturel. Je l'aimais c'était tout. Mais pour la faire rapide, un soir où j'avais pas mal bu, j'ai légèrement dérapé avec un ami à lui. Rien de trop grave, juste un flirt qui aurait dû rester sans conséquence. Mais Max l'a su. Mon dieu, il était furieux mais surtout si malheureux... Sous la colère, il a pris la voiture pour réfléchir.
Je marque une pause qui me parait être une éternité, sentant ma gorge se nouer douloureusement. Et l'immense culpabilité qui a découlé de cette tragédie refait surface. Non. Bien évidemment, la culpabilité est et sera toujours présente. Pour être exacte, ce qui fait clairement surface en avouant l'horreur dont je plaide toute ma responsabilité, c'est une honte innommable. Une honte et une punition qui se ravivent à l'émission à voix haute de cet aveu.
— Il est parti pour réfléchir, je continue alors comme pour m'infliger la torture émotionnelle que je sais mériter. Mais il n'est pas revenu vers moi cette nuit là. Ni aucune autre. Au petit matin, un type en camion a trouvé sa voiture encastrée contre un platane. Ils disent qu'il est mort sur le coup.
Bien que je lutte en force, les larmes se déversent silencieusement sur mes joues et à la vue de celles-ci, William serre tendrement mes mains.
— Finalement, moi aussi « je suis qui je suis », j'avoue froidement, les yeux figés sur les murs blancs. Je dois maintenant vivre avec la culpabilité de sa mort et de ce que j'ai fait. J'ai beau jeu, hein, de te juger ? je ris avec condescendance, affrontant enfin le regard de William. Désolée.
— Arrête de t'excuser à tout va, me répond-il uniquement et presque autoritairement. Je comprends ce que tu ressens, Selena. Vraiment ! Mais tu ne vas pas t'empêcher de vivre toute ta vie ! Que tu puisses culpabiliser pour ce qui est arrivé, c'est normal en soit et on ne peut plus légitime. Mais c'est arrivé, et tu ne pourras rien y changer. Tu es si jeune ! Accorde-toi de profiter de la vie et des rencontres fortuites. Et je ne dis pas ça parce que j'ai terriblement envie de toi ou que tu me plais.
Touchée...
— Et je suppose que tu fais partie des rencontres fortuites ? le taquiné-je, retrouvant un semblant de sourire. Je sais tout ça, enfin la partie « s'empêcher de vivre ». Mais pour dire vrai, je commence juste à sortir de mon état d'ermite, et le fait de me retrouver dans les bras d'un autre me perturbe un peu. Je suis désol...
— Qu'est-ce que j'ai dit ? Je ne veux plus entendre cette phrase. Allez viens, câlin.
Il me saisit dans ses bras, passe mes jambes par dessus les siennes et pose sa tête sur la mienne.
Le confort de ses bras, la chaleur de son étreinte ont raison de ma fatigue et je finis par m'assoupir.
********
Lorsque j'ouvre les yeux, je suis toujours sur l'immense canapé, un plaid sur le corps. Il me faut quelques secondes pour me souvenir où je suis.
La lumière qui traverse les persiennes m'indique qu'il fait jour, mais je n'ai aucune idée de l'heure qu'il peut être. J'attrape mon portable. Quoi ? dix heures !?!?! J'ai dormi plus qu'il n'en faut, et après la douleur ressentie à mes confidences, ce fut un sommeil paradoxalement paisible.
Je ne vois ni t'entends William. Un tour rapide et discret de l'appartement me laisse entendre qu'il n est pas là, et le mot que je trouve sur le plan de travail me le confirme.
« Bonjour, la Belle au bois dormant,
J'ai dû partir bosser. Tu dormais si bien que je n ai pas pu me résigner à te réveiller.
Le café est prêt, il n y'a plus qu'à...
J'ai un gros programme aujourd'hui, mais si tu veux rester à la maison , fais comme chez toi.
Je t'embrasse, Princesse. William. »
« Princesse » Si c'est pas mignon !
OK. Je suis toute seule dans ce grand appartement...
Le café « il n'y a plus qu'à ». Je reste dubitative quelques minutes devant le percolateur, mais parviens finalement à en obtenir un savoureux café.
Le silence règne dans cet appart et me met mal à l'aise. Je décide donc d'allumer la télé.
L'écran incurvé est immense et de longues enceintes se postent fièrement de chaque côté.
Sur la table basse sont posées rien que trois télécommandes...
Ok, là encore j ai l'impression qu'il faut avoir fait math-sup pour brancher cette fichue télé.
Tant pis, pas de télé.
De toute façon je ne vais pas rester indéfiniment ici. Je vais prendre une douche et rentrer chez moi.
Lorsque je pénètre dans la salle de bain et allume l'interrupteur, la musique se met en marche en même temps que la lumière, ce qui ne manque pas de me faire sursauter.
Je reconnais un morceau des Deftones et suis surprise des goûts rock de William.
La salle de bain fait honneur au reste de l'appartement et affiche un style masculin et raffiné, où le noir domine une nouvelle fois.
En découvrant la grande douche et ses jets massants je trépigne d'impatience d'y rentrer. J'espère juste qu'elle ne sera pas aussi compliquée à allumer que la télé. Et je suis exaucée. Elle a été conçue pour les calamités dans mon genre. Juste une tige - ou je ne sais même pas comment ça s'appelle - à relever.
L'eau quasi brûlante est parfaite, les jets sont à la hauteur de mes attentes et la musique que diffusent les hauts parleurs est elle-même enivrante.
Après quelques minutes d'extase, je mets pourtant fin à ce moment de bonheur. Tandis que je coupe l'eau, il me semble entendre un bruit de porte. Je m'enveloppe pudiquement dans un immense drap de bain blanc et ouvre timidement la porte de la salle de bain.
Oh ! C est pas vrai !!!
L'homme qui est devant moi n'est pas William comme je le supposais.
Térence Cesare se tient face à moi, aussi surpris que je peux l'être. Il me regarde fixement, le regard noir et les sourcils froncés. Pourtant, lorsqu'il baisse les yeux et m'aperçoit humide dans ma serviette, je jurerais l'avoir vu rougir !
— Et bien. Je vois que vous ne perdez pas de temps ! brise-t-il d'un coup le silence au bout d'un court moment, alors qu'il aurait mieux valu qu'il dure pour toujours.
Quoi ?!? Mais qu'est-ce qu'il me raconte ?
— Pardon ? Je vous demande pardon ? je lui rétorque aussitôt, sidérée par le sous-entendu que je trouve monstrueusement déplacé.
— Désolé, je pensais trouver William.
Et il se dirige vers la sortie, me laissant là, pantoise, m'agrippant à ma serviette comme à une bouée au milieu de la tempête.
Je rêve ou il s'est excusé !
Mais alors que je commence - un tout petit petit petit peu - à détecter une once de civilité dans la personne du Docteur Cesare, il m'assène un dernier coup de maître. Et sans me regarder tout en ouvrant la porte, il me demande :
— Est-ce qu'il vous arrive de porter des vêtements ?
Et il quitte l'appartement.
Dieu qu'il est odieux ! Mais pour qui se prend-il ? Est-ce qu'il m'arrive de porter des vêtements ??? Il me semble qu'à la clinique j'en porte ! « Gros » connard !
Et puisqu'on parle de vêtements, je m'empresse de m'enfermer dans la salle de bain afin de passer les miens et pouvoir partir au plus vite d'ici.
Je vérifie rapidement que tout est bien rangé et je claque la porte de l'appartement.
Dans le bus qui me ramène, je revis ma nouvelle scène d'humiliation.
« Vous n'avez pas perdu de temps » Ça veut dire quoi ? Me prendrait-il pour une garce ou quelque chose dans ce style ? Non mais je rêve ! Il ne me connait pas, me parle comme si j'étais une débile dévergondée. Je me demande bien comment William peut être ami avec ce sale type.
Une sonnerie me tire de ma rêverie. Un message de William :
William : Salut, tout va bien ? Toujours chez moi ?
Moi : Non, j ai mis les voiles.
Au fait, ton super pote, Dr Terence Grognon est passé...
Plusieurs secondes s'écoulent.
William : Ah ! Il a été cool ?
Moi : Oh oui ! On a bus un thé, mangés des cookies et regardés Friends ensemble ! ! ! Est-il réellement possible de trouver les mots cool et Térence Cesare dans une même phrase ???
William : Aïe... Je t'appelle quand j ai fini mes blocs. Bise.
Moi : Ok, bise.
Arrivée chez moi, je me jette sans vergogne sur mon lit et repense à ces dernières vingt quatre heures.
Bilan : début de soirée plutôt sympa voir excellent, puis des pleurs mais aussi de la tendresse ; des confessions, du rire ; et Monsieur Bougon, Grognon, Balai dans le cul, Connard...
Quand je pense avoir fait le tour des noms que j'attribue à Térence Cesare, je me lève et attrape un livre. Enfin je vais lire !
J'ai tellement de bouquins empilés que je ne sais par lequel je vais commencer...
Marie m'a fait l éloge de celui-ci. Je commencerai donc par... After.
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Vous savez maintenant tout, ou presque, du passé de Selena, en tous cas de ce qui la retient à se laisser aller...
Quant à l'homme aux multiples surnoms, ben y a de grandes chances qu'elle le croise encore...
A croire que c'est le héros de cette histoire !
Et une dernière note : cessez de hurler pour certains au sujet de After, lorsque vous arriverez à mon chapitre "interview" vous comprendrez. Merci...
Bisous chirurgicaux,
Emma. 💉
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