5- Dans la course

Harassée par ces deux jours de travail, je m'octroie le mercredi une grasse matinée sans en éprouver la moindre culpabilité.

Quand mon cerveau reprend sa place au centre de ma boite crânienne, je prends conscience que nous sommes le Mercredi, celui où je dois sortir avec William.

Enclin à de nouvelles torsions d'estomac, je me cache sous l'oreiller et réfléchis à une sortie de secours :

« J'ai la migraine », bof. 

« J'ai la gastro », top classe.

 « Je me suis tordue la cheville », merde il est ortho.

A court d'excuses pour le moment, je me fais violence et me prépare, car je dois absolument sortir faire des courses.

J'hésite à envoyer à Lena un texto pour lui faire part de mes projets de la soirée et des angoisses qui en découlent. Mais je sais ce qu'elle va me dire : « Vas-y éclate toi, profite, blablabla » et puis si je lui dis que je sors ce soir, elle va me harceler avec ses questions dès demain. Non, je ne vais pas lui envoyer de message, et oui je vais sortir avec William. Oh ! Seigneur...

*********

Alors, sortir avec un garçon. Comment fait-on déjà ?

Grand 1 : On évite de sentir la transpiration, donc : douche obligatoire.

Grand 2 : Le problème pileux : là, y a du boulot.

Oui, mais si je me rase, ça veut dire que je veux amener la soirée à se terminer à l'horizontal. Donc, pas de rasage. Euh, en même temps, qui dit pas de rasage dit pas de prochain rendez-vous, à moins que je me camoufle sous une burqa. Donc : rasage.

Grand 3 : La tenue : exit robe et jupe. Message trop explicite : « regarde ce que j'ai à t'offrir, saute-moi ». Bon, je vais peut être un peu loin là, et puis il fait une chaleur à crever, je vais vivre un enfer en jean. Donc : robe, donc : rasage !!!

Grand 4 et 5 : Maquillage savamment confectionné : on joue sur le regard, on hausse le teint, mais on conserve un côté naturel. Coiffure : lissage de cheveux et curls aux pointes : on affiche un petit côté sauvage.

Je ris toute seule de mon cinéma, mais il faut dire, que cela fait longtemps pour moi. Quatre ans que je n'ai pas eu de premier rendez-vous !

A cette idée, mon coeur se serre douloureusement et je pense à Max. J'essuie mes larmes, redresse la tête et entame la métamorphose, sous le talent incontesté de Stevie Wonder qui chante For once in my life depuis mon Ipod.

Il me reste tout juste trente minutes avant « le bal ». J'enfile mes motardes noires, prends une veste et regarde mon reflet dans le miroir.

Je suis assez satisfaite du résultat ! La forme ample de ma robe bleu lapis lazuli, qui m'arrive au dessus des genoux, met en valeur mes longues jambes et j'ai plutôt réussi la phase Grand 4 et 5.

Je me souris et quitte l'appartement.

Un peu avant vingt heures, j'arrive au Platon.

Comme toujours, il y a déjà beaucoup de monde. Ce café, situé sur une des places centrales de la ville, accueille depuis plusieurs générations les étudiants des facs environnantes et les travailleurs en after work, nostalgiques de leur passé universitaire.

Je suis soulagée d'apercevoir William qui m'attend au comptoir.

— Bonsoir. Tu es magnifique, me complimente-t-il en embrassant ma joue. Tu n'as pas mangé, j'espère ?

William me dévisage avec un large sourire. Il me faut quelques secondes pour répondre, tant je suis médusée par son physique. Il porte un bermuda beige et un polo noir Ralph Lauren, qui met en exergue la musculature saillante de son torse et de ses bras. Ses yeux bleus et ses dents blanches contrastent avec son teint mat et ses cheveux dorés.

— Je...non, je n'ai pas mangé.

— Bien. Pete ! On s'installe en terrasse, ordonne-il presque au serveur, tout en me conduisant à notre table.

Installés face à face, il commande avec mon accord deux Mojitos. Le verre glacé du cocktail suffit à peine à calmer la vague de chaleur qui me traverse et je sirote de manière un peu rapide le breuvage, espérant que l'alcool apaisera le trouble qui m'habite.

— Et bien, je veux pas jouer les toubibs, mais tu devrais ralentir le débit, où tu vas encore perdre tes sous-vêtements. Et je vais devoir me battre contre tous ces mecs. Sauf que tu comprends, mes mains c'est toute ma richesse, dit-il en agitant ses doigts devant lui comme une danseuse orientale.

L'entendre me remémorer l'histoire du bain de minuit me contrarie. Mais je ne sais pas, c'est étrange, William a cette faculté de me taquiner et de me mettre mal à l'aise, pour ensuite désamorcer le tout en étant marrant et réconfortant.

— Ok, je ralentis. Je ne voudrais pas être responsable de ta mise en retraite anticipée.

— Sale gamine, en plus elle me traite de vieux.

Nous dinons en toute simplicité. Je me détends très rapidement. William est drôle et a une facilité de communication qui met un grand coup de pied au cul à la timidité que j'avais en arrivant.

Tout serait parfait s'il n'y avait pas toutes ces nanas qui viennent lui coller la bise toutes les deux minutes. Elles ravivent à chaque fois mon horrible impression d'être le prochain nom sur son tableau de chasse. Alors, je prends le parti de noyer cette idée dans les nombreux verres de vin rouge que j'absorbe. Tant pis pour les recommandations du Docteur Auguste.

Me promettant de garder ma culotte, je me laisse aller à profiter de cette charmante soirée en si charmante compagnie.

Le repas terminé, nous regagnons à pieds les quais du fleuve qui borde la ville. L'air y est frais et j'en suis ravie, car les verres de vin rouge ont sérieusement fait augmenter la température de mon corps. Et le regard de braise que William me lance n'est pas prêt de réguler mon thermostat interne.

Contre toute attente, je me jette sur lui, ce qui semble le surprendre autant que moi. Je ne lui laisse pas le temps d'émettre quoique ce soit et me saisis goulûment de sa bouche. Apparemment habité par la même avidité, il agrippe mes cheveux et renforce notre étreinte.

— Putain, tu me rends fou.

Au comble de l'excitation, il halète dans mon cou et ballade sauvagement ses mains sur mes seins et mes hanches.

À cet instant, je me déleste de toute raison et culpabilité, et pour la première fois depuis un an, je me sens en vie.

*******

Son appartement est également un deux pièces mais bien plus grand que le mien. De style bourgeois, il offre de hauts plafonds délimités par des moulures magnifiquement sculptées. Les murs blancs ornés de photos en noir et blanc se détachent du parquet en chêne, qui craque sous le moindre de nos pas. Une grande table haute de type industriel s'érige dans un coin. En dessous, des tabourets en cuir y sont méticuleusement rangés.

Mais c'est l'immense canapé d'angle en cuir qui attire le plus mon attention. On doit pouvoir y rentrer à douze la dessus ! Très vite je ne peux chasser l'idée que je vais peut être - sûrement - finir moi aussi dessus, comme des dizaines - des centaines !? - d'autres filles avant moi.

Et comme s'il avait lu en moi, William se rapproche langoureusement de la proie que je suis. Mais une fois de plus, sous la pression de ses baisers et de ses caresses, je perds tout contrôle et m'abandonne aux bras de mon prédateur.

— C'est bon pour toi ? me demande-t-il avec douceur.

J'acquiesce timidement et je le laisse remonter ses mains sous ma robe, jusqu'à ce qu'il atteigne mes fesses dont il dessine la courbure du bout des doigts.
Délicatement, il se saisit de l'élastique de ma culotte et commence une lente descente du bout des pouces, en me susurrant :

— Je t'avais bien dis que tu allais perdre encore tes sous-vêtements.

A ce moment précis, la situation est probablement des plus excitantes, mais faute de papillons dans le ventre, je rouvre mes yeux aussi sec et interromps manu military William. Prise de honte, de gêne ou de je ne sais quel sentiment anti-sexe, je me dégage de son étreinte.

— Excuse moi William, mais je... je ne peux pas.

— Hé ! Il y a un problème ? Je croyais que tu étais ok ?

Je ne sais pas s'il est agacé ou même en colère, mais moi je me sens stupide et je ne peux m'empêcher de me dire que je dois lui paraitre si gamine !

— Écoute, William, j'ai probablement commis une erreur en venant chez toi. Je suis désolée. Je ne suis pas prête.

Je ramasse à la hâte mon blouson et me précipite vers la sortie.
Je dévale les marches rapidement pour retrouver au plus vite l'air frais de la nuit.

Il fait froid maintenant et les larmes qui ruissellent sur mes joues me paraissent brûlantes.
Je ne sais même pas pourquoi je pleure. La honte ? La gêne ? La colère ? Sûrement.
Oui, ça doit être ça. Parce qu'à cet instant je suis en colère après moi même. J'ai l'impression d'être une allumeuse prude. William me plait, il est sympa, beau, me fait rire... Mais finalement, je comprends avec une soudaine rapidité, que ce que je ressens est de la culpabilité.
Coupable de ressentir, coupable d'éprouver, coupable d'être touchée par un autre homme...

Oh Max, je suis désolée...

Vu l'heure tardive, me voilà contrainte de prendre un taxi et alors que je m'apprête à en héler un, j'aperçois William qui court en ma direction.

— Selena ! Je suis désolé si j'ai dit quoi que ce soit ou fait quelque chose qui t'ait blessée.

Il parait réellement sincère et je m'en veux qu'il puisse croire qu'il a quelque chose à voir avec ma fuite de chochotte.

— Non tu n'y es pour rien, William. C'est juste que je croyais pouvoir et en fait non et...

— Attends, j'arrive pas à te suivre là. Remonte avec moi, il fait froid. Je vais te faire un bon café et tu vas tout me raconter. Je te promets que je serai sage .

Dieu qu'il peut être adorable. Il me regarde avec douceur et caresse ma joue, tandis que de son autre bras il encercle ma taille.

— Ok.

Alors que je remonte avec lui dans son appartement, je me demande ce que je vais bien pouvoir lui dire. J'ai vraiment l'impression de passer pour une pleurnicharde et au fond, je ne suis pas sûre d'avoir envie de lui raconter mon histoire.

********

La cuisine de William est très urbaine. Les meubles noirs contrastent avec le grand plan de travail en chêne et les briques rouges du mur rendent l'ensemble très bistrot parisien.

Tandis que William prépare du café avec son percolateur mural, je dandine d'un pied sur l'autre enclin à une certaine gêne.

— Viens, on va s'assoir sur le canapé, me sourit-il de façon réconfortante.

Arghhh ! Le canapé partouze...

— J'aime autant rester ici, réponds-je timidement, mais fermement.

— Comme tu veux.

Nous nous installons autour du plan de travail et le silence s'installe.
William se penche vers moi et me relève le menton, alors que je touille mon café pour la trentième fois.

— Raconte-moi. Que se passe-t-il ?

A cet instant je me demande s'il est ortho ou psy ? Et ma petite réflexion me fait sourire.

— Quoi ? Qu'est-ce qui te fait rire ?

— Rien. Je me disais juste que l'orthopédiste était entrain de se transformer en psychiatre.

— Ah ! Mais ma petite, tu apprendras que je suis hyper polyvalent : ortho, psy, je soigne également les coeurs et alors comme gynéco... Je suis épatant !

J'éclate de rire. Voilà ce que j'aime chez ce garçon, cette manière qu'il a de désamorcer les situations et de me faire rire.

— Pardon pour le gynéco, me dit-il plein de culpabilité.

— Non ! Tu n'as pas à t'excuser, c'est plutôt à moi de le faire. Je suis là à jouer les Mimi Geignarde depuis qu'on est ens... enfin je veux dire depuis qu'on se connait, et toi tu fais tout ton possible pour être sympa avec moi. Tu me plais beaucoup et...

Je sens le pourpre envahir mes joues, tandis que lui semble se délecter de mes derniers mots.

— Ah oui ? Et ?

— Et je n'arrive pas à aller plus loin. J'ai... j'ai fait des conneries William et elles ont eu des conséquences que je ne me pardonnerai jamais. J'ai besoin de temps et je sais que toi tu es... tu es qui tu es. Et moi, je ne suis qu'une gamine avec ses problèmes, et...

— « Tu es qui tu es » ! Et je suis qui pour toi ?

— Un Homme plus âgé avec une réputation qui le précède, réponds-je aussitôt d'un ton qui se veut ferme et sec.

Je ne sais pas s'il est vexé ou perplexe mais il fait un mouvement de tête en arrière et me regarde maintenant, l'air interrogateur.

— Quelle réputation ?

— William, je connais ta soeur et elle m'a racontée comment tu étais avec les filles.

— Oh ! Ça !

Oui, ça...

— Selena, c'est vrai que j'ai joué au con, j'ai pas mal papillonné, pas toujours été correct avec les filles, mais crois-moi, il y a des minettes qui aiment ça aussi.

Des minettes !!! A cet instant il me donne la nausée.

— Mais c'était il y a longtemps tout çà ! Sans déconner, pour qui elle se prend Lena pour te sortir toutes ces conneries ?

— Ne lui en veux pas. Elle essaie juste d'être protectrice avec moi. D'ailleurs, elle m'a donnée son consentement pour nous deux.

Je me sens rougir en prononçant les mots « nous deux », et je baisse la tête.

— Son consentement ? Parce que tu lui as parlée de nous ? Vous vous faites des confidences dans votre chambre rose bonbon, rit-il.

— Ben oui. Tu vois c'est exactement ce que j'essaie de t expliquer. Je suis qu'une gamine pour toi, mais en même temps, j'ai pas envie de m'en excuser. De toute façon, c'est à prendre ou à laisser.

Et je me lève furieuse, regagnant la porte d'entrée.

— Ah non ! Ça va pas recommencer ! Tu vas pas partir aussi facilement. Alors puisque tu es une sale gamine, tu es punie.

Et il me hisse sur son épaule droite, tête en bas, tout en me donnant la fessée.

— Arrête ! Pose-moi, William.

Mais une nouvelle fois, je suis hilare face à tant de déconvenue.

Et il me jette sur Le canapé.

— Sérieusement. Qu'as-tu bien pu faire pour te sentir si mal ?

C'est l'air triste que j'entame mon histoire...

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