4- Toujours aussi aimable
L'air frais de la campagne me manque déjà.
La chaleur de la ville mêlée aux odeurs de bitume et de pots d'échappement me ramènent rapidement à la réalité des jours qui m'attendent. Ce sera travail et vie citadine, pendant que pour d'autres, ce sera vacances et bord de mer. J'aurai tout de même quelques weekend de libres et même des jours en semaine, puisque je vais travailler douzes heures par jour.
Les filles partent en Grèce ensemble, puis rejoignent leurs moitiés respectives ou leurs parents dans les villas secondaires. Alors je n'ai pas vraiment de plans pour mes journées libres, mais je pourrai toujours aller à la plage toute seule, ou flâner dans les parcs de la ville désertée avec un bon livre, un livre « à l'eau de rose » tiens. J'en ai des tonnes dans ma PAL.
Pour l'heure, je lance une machine de linge et sors me chercher du chinois en bas de l'appart, parce qu'une fois de plus, je n'ai pas rempli mon frigo avant de partir en weekend prolongé. Et ce n'est pas les deux prochains jours que je vais pouvoir faire les courses, vu les horaires merdiques qui m'attendent.
Jacky, le propriétaire du restaurant à emporter est une figure locale. C'est un petit bonhomme excentrique qui fait toujours les mêmes blagues douteuses au sujet de « son nem » et de « sa crevette », mais les étudiants du coin l'apprécient et son resto ne désemplit pas.
Comme toutes les filles qui passent chez lui, il m'accueille à coup de « princesse » et de « ma chérie » et rit tout seul des surnoms qu'il nous donne. Pour moi, ce soir, ce sera « Xéna la guerrière ». Mouais, avec Jacky faut pas chercher...
Tandis que j'attends ma commande, subissant les effluves de friture et les calembours facétieux de Jacky, mon téléphone sonne et affiche le nom tant redouté sur l'écran. Mon coeur se contracte presque aussi sec, et je ne sais plus si ma transpiration soudaine est liée à cet appel ou à la chaleur qui règne ici.
Dans trois secondes ma sonnerie s'arrêtera, et j'aurai loupé l'appel de William si je ne décroche pas maintenant.
— Allô ?
— Bonsoir, Séléna. Comment vas-tu ?
La voix de William est posée et calme, et je prie pour que la mienne en fasse autant.
— Bien, je vais bien.
Malheureusement, je n'ai pas été exaucée et ma voix tressaute.
— Ok. Tu es rentrée ? enchaine-t-il sans remarque désobligeante.
— Oui. Depuis peu, mais je suis rentrée.
Seigneur ! Je n'ai jamais aimé les conversations téléphoniques, mais là c'est encore pire. Je réponds à ses questions bêtement et ne suis pas fichue d'engager quoi que ce soit.
— Et voilà, Xéna la Guerrière, le gros rouleau de printemps de Jacky et la salade avec la sauce blanche de Jacky. Hihihi !!!
— Euh... Merci, Jacky.
Je paye et quitte le restaurant, espérant sans trop y croire, que William ne relèvera pas l'allusion très classe de ce fandard de Jacky.
— C'était quoi, ça !?
Evidemment...
William rit, pendant que moi, je maudis intérieurement Jacky et son humour salace.
— Xéna la guerrière ? Hum ! C'est ton petit nom de scène ? Très intéressant ... continue-t-il.
— Pfff, c'est Jacky le chinois du coin. Il est un peu lourd, mais sa cuisine est excellente. Alors que veux-tu, c'est le prix à payer.
— Et tu as prévu de manger le « gros rouleau de printemps de Jacky » avec qui ?
— Seule, Monsieur. Je vous trouve bien indiscret, Docteur Auguste.
— C'est bien dommage de s'enfiler dans la bouche un tel engin, toute seule !
Je rêve ! Est-ce que je vais devoir subir tous les pervers de la ville, ce soir ? Jacky passe encore, j'y suis habituée, mais William ! J'en suis interloquée et manque de répartie. Mais lui, bien sûr, ne se démonte pas et enchaine aussi vite.
— Je peux peut être te rejoindre. Où est-ce que tu habites ?
— Ecoute, pas ce soir, ok ? Je dois me lever tôt demain, je commence mon job et je travaille les deux prochains jours.
Après un court silence, je prends mon courage à deux mains et je poursuis.
— Mais, mercredi si tu veux. Le soir. On pourrait, je ne sais pas, aller boire un verre.
Je suis estomaquée par ma verve et ma prise de confiance soudainement ressuscitée.
— C'est parfait tout ça. Ça marche, on se voit mercredi soir. On dit vingt heures au Platon ?
— Ok. Vingt heures, le Platon.
Je raccroche et retrouve aussi vite ce même sourire idiot qui ne cesse de se coller sur mon visage depuis ces derniers jours. Je me sens d'un coup légère, et j'ai presque envie de crier à qui veut l'entendre - ou pas - que je vais sortir avec un super canon mercredi soir. Ok, je choisis pour l'instant de mettre de côté le fait que le « super canon » en question est le frère de ma meilleure amie, et qu'il a dû recevoir le prix de « Queutard de l'année ». Et sans même avoir besoin de Mp3, j'entends toute ma playlist de chansons Happy défiler dans ma tête.
Oui, je rentre chez moi toute guillerette et je conserve un bon moment cet état euphorique, en tout cas jusqu'à ce que je porte à ma bouche le « gros rouleau de printemps de Jacky ». L'image dégoutante du petit bonhomme me saute au visage, et celle de William se léchant les babines également. Merde ! Ça y est je flippe de nouveau. Les deux pervers du soir parviennent d'un coup à me couper l'appétit.
De toute façon, je ne suis plus aussi certaine d'avoir faim, et le stress de mon premier jour à la clinique demain commence à titiller chaque partie de mon anatomie, à commencer par mon estomac. Je balance à la poubelle le « nem élaboré » et me contente de quelques bouts de salade. Et après quelques heures de lutte acharnée contre l'insomnie, je parviens finalement à m'endormir.
Comme prévu, la nuit précédant mon premier jour à la clinique ne fut pas reposante. S'y mêlèrent les rêves de la nuit dernière et de nouveaux, dans lesquels j'arrivais pour mon premier jour de travail en retard et entièrement nue, avec de surcroît le gentil Docteur Césaré tenant ma culotte.
*******
Lorsque le réveil sonne à six heures, je suis terrassée de fatigue mais heureuse que cette nuit ait pris fin. J'ai devant moi une bonne heure avant de partir à la clinique. Je reste bien plus longtemps que d'ordinaire sous la douche et mon café avalé, je parviens enfin à émerger. Une tenue quelconque enfilée, un brin de maquillage nude fait, me voilà prête à partir.
J'aime ces matinées d'été où la ville à peine éveillée offre encore un silence éphémère, que seuls les piaillements des oiseaux rompent. Le soleil naissant donne au ciel des teintes rouges incendiaires, et la légère brise qui ne va pas durer annonce déjà la chaleur estivale. A cet instant, rien ne laisse présager le capharnaüm quotidien que la ville va subir.
Il ne me faut que vingt minutes pour regagner la clinique, mais prise dans ma poésie matinale, j'ai le sentiment que le temps s'est arrêté et je suis surprise d'être déjà arrivée lorsque je gare ma voiture sur le parking.
A la vue du bâtiment, mon estomac se noue de nouveau et toutes les craintes du premier jour refont surface. Cependant, je suis ravie que la directrice m'ait fait visiter la clinique ; au moins, je sais où me rendre.
J'ai une bonne demi heure d'avance lorsque je me rends dans la salle de soin du quatrième étage où j'espère trouver mes futurs collègues. C'est l'équipe de nuit qui m'accueille gentiment, et l'aide soignant en place m'accompagne jusqu'au vestiaire. Une fois ma tenue passée et le chignon de rigueur savamment structuré sur le dessus de ma tête, me voilà fin prête à travailler.
Progressivement, mes collègues de jour arrivent et je suis agréablement surprise par leur gentillesse à mon égard. Alors que je pensais être larguée dans le service comme de la main d'oeuvre facile et livrée à moi même, mon binôme du jour me guide toute la matinée et m'explique que c'est mieux de travailler ensemble. Je n'irai certainement pas la contrarier et reprenant progressivement confiance en moi, je mène à bien mes soins du matin.
Quand l'heure du déjeuner arrive, mes collègues descendent chercher leur plateau à la cafétéria de la clinique. Pour ma part, je n'ai pas encore acheté les tickets nécessaires et j'ai de toute façon prévu mon repas : une poche de céréales et un yaourt. Mouais, il faut vraiment que j'aille faire les courses.
Seule dans la salle de soin, j'entends au loin une voix monter en puissance. Elle semble contrariée que ses appels aux infirmières n'aboutissent pas. Il ne me faut que quelques secondes pour reconnaitre la « douce voix » du Docteur Cesare. Et tandis que j'hésite entre me cacher dans les placards et sauter par la fenêtre, il fait une entrée fracassante dans l'infirmerie.
— Où sont les infirmières ? gueule-t-il le plus naturellement du monde.
— Euh... Bonjour. Elles sont descendues chercher leur plateau. Je peux faire quelque chose ?
Ma voix tremble et la chaleur sur mes joues contraste probablement avec mon teint laiteux.
Il me regarde de la façon la plus hautaine qu'on puisse faire et il tourne les talons en direction du couloir, laissant en suspens ma question.
Je me demande s'il arrive à ce type de sourire, d'être un tant soit peu aimable ! Je vous assure que tout beau gosse qu'il m'est apparue l'autre jour, il vient de perdre en quelques rencontres tout le bénéfice de sa belle gueule. Je le trouve maintenant laid, moche-moche-moche et affreux ! Et je réitère mais, Quel con !
« Sous ses grands airs froids, il y'a un sacré déconneur ». La phrase de William me revient en mémoire, mais pour l'heure, je ne suis pas convaincue par sa véracité.
Enclin à un certain malaise face à cette apparition théâtrale, je saisis avec soulagement l'appel d'un malade via la sonnette de sa chambre. Me replonger dans le soin me donne l'assurance de chasser mon aversion pour le Docteur Cesare.
Une fois les infirmières remontées, je me presse de leur raconter le coup de sang du chirurgien en question. Elles ne semblent pas surprises et rient même de la situation. Kate la grande blonde qui travaille à la clinique depuis plusieurs années tente de me rassurer.
— Oh ! Qu'il est pénible celui-là. Ne t'inquiète pas, Cesare fait ça avec tout le monde. Il ne supporte pas les nouvelles, les intérimaires, les stagiaires, les grosses, les vilaines, les trop jeunes et les trop vieilles. En fait, il ne supporte pas grand monde. Il a mis au moins six mois pour me dire « Bonjour » ! C'est un ronchon mais je t'assure que ça lui arrive d'être sympa. Surtout n'aies pas peur de lui, ça lui ferait trop plaisir.
Tentant d'intégrer la plaidoirie et la mise en garde de Kate, je rajoute intérieurement à sa liste : oui ben il n'aime pas non plus : les filles qui le bousculent, les filles qui se baignent à poil, et celles qui le traitent de con.
Le reste de la journée se poursuit tranquillement bien que je peine à suivre mes collègues, dont le rythme de travail démontre une certaine ancienneté. Je suis contente de mes rencontres avec les autres chirurgiens du service, qui contrairement à l'autre Dictator, se montrent civilisés avec moi. Par chance je n'ai pas revu le Docteur Cesare ce jour là, ni le lendemain.
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Bonjour wattpadien(ne),
Alors, oui Jacky existe vraiment... Et non, il ne se passera rien entre le pervers du nem et Selena.
Quant au Dictator, je vous vend du rêve hein ? Qui n'a jamais rêvé de travailler avec un type aussi aimable ???
Je vous laisse à la suite, et vous adresse mes baisers chirurgicaux ! 😘
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