3- La proposition
A mon réveil, William n'est plus là, et je dois avouer que j'en suis bien contente, enfin je crois... J'ai mal à la tête et il me faut quelques minutes pour me remémorer la nuit, m'assurer que je n'ai rien fait de stupide. Je reste un temps infini sur mes draps blancs et je me surprends à sourire aux souvenirs des heures dernières, parvenant même à oublier les violents coups de marteau qui cognent dans mon encéphale.
Oui, j'ai adoré ma soirée. Elle était à la hauteur de mes attentes et même au-delà de mes espoirs. Et je n'avais absolument pas imaginé qu'un garçon serait, entre autre, responsable de ce sourire niais dont je n'arrive plus à me débarrasser depuis cinq minutes... Mais rapidement, le souvenir d'un autre garçon, l'Abominable homme des Mers, me ramène à un faciès de circonstance et rend sa place à ma migraine d'arsouille.
Je me traine sans plus de grâce qu'un « Rôdeur » de Walking dead jusqu'à la douche, en espérant qu'elle aura pour effet d'estomper le Hangover tant redouté et malheureusement déjà bien incrusté.
Je laisse le jet d'eau effacer les dernières traces de mon côté Charlotte aux fraises et revois maintenant mon analyse de cette soirée avec plus de discernement. Le bilan de cette dernière reste toujours aussi positif : on peut dire que j'ai passé du bon temps, mais ma rencontre avec William me plonge dans un dilemme cornélien. D'un côté, je ne peux m'empêcher de ressentir un petit quelque chose pour ce garçon, mais de l'autre il s'agit du frère de Lena et je n'ai pas oublié la réputation peu reluisante qui le précède en matière de conquêtes féminines. Et en mon âme et conscience, je ne peux m'abstenir de penser que William est un grand séducteur qui a choisi de jeter son dévolu sur moi hier soir, et qu'il le jettera sûrement sur une autre ce soir.
Lorsque je descends pour prendre mon petit déjeuner, je dois enjamber les corps endormis à même le sol pour accéder à la cuisine. Je suis contente d'y voir Lena qui prépare tout un un tas de victuailles.
— Salut, bien dormi ? Tu tombes à point pour m'aider à transporter tout ça sur la terrasse, me dit-elle un peu trop fort à mon goût, ou à celui de mon lobe frontal.
— Oui, j'ai bien dormi. Merci, lui réponds-je le sourire nerveux.
Je ne m'étends guère sur le sujet, n'ayant bien évidemment, pas du tout envie de lui dire que j'ai partagé mon lit avec son frère. Je me saisis d'un plateau de jus de fruits, de confitures et de tout un tas de viennoiseries, et suis mon amie jusqu'à la terrasse.
Il doit y avoir une dizaine de personnes et je suis soudainement soulagée de ne pas y voir William. Mais mon apaisement est de courte durée quand je le vois passer le portail de la plage où il a dû se baigner, si j'en juge son corps mouillé. Une fois de plus, je perds à peu près trente à quarante pour cent de neurones en l'apercevant, et je sens les battements de mon coeur cogner à tous les rythmes, faisant de leurs enchainements, une mélodie cacophonique. Je reste médusée par la perfection de son torse, seule partie que je vois, parce que cette fois il a mis un short de bain. Et pour arriver à penser à autre chose, je me jette goulûment sur un croissant, mais avec une telle férocité que plusieurs paires d'yeux me regardent circonspects.
— Quoi ? J'avais faim, me défendais-je la bouche pleine.
Personne ne relève et tous passent à autre chose.
Au moins, dans mon combat hormono-cérébral du matin, je remporte une toute petite victoire, car je suis sûre que Docteur Machin Cesare n'est pas là. J'entends avec délectation et soulagement les lamentations d'une blonde pulpeuse qui regrette théâtralement le départ matinal de Moby Dick en raison d'un gros programme chirurgical.
Tentant de me convaincre que tout va bien maintenant, puisque mon coeur a repris un rythme progressivement normal, je prends place autour de la table au côté de Lena. Mais William s'approche de nous et secoue sa chevelure humide au dessus de sa soeur, ce qui la fait hurler. Pour ma part, c'est retour de la fanfare de l'école maternelle, qui rejoue la Mélodie du bordel !
— Alors les filles, enfin réveillées ?
— Oh ça va. On est pas des tarées comme toi pour aller courir et se baigner au petit matin, après la nuit qu'on a passées, lui assène Lena. Moi j'ai dormi comme un bébé, ou presque, rajoute t'elle en adressant un clin d'oeil à « ce naze d'Henry avec un Y ».
— J'en connais d'autres qui dorment comme des bébés, enchaine alors William en adressant un sourire ravageur dans ma direction.
Bordel ! Il ne m'en faut pas plus pour manquer de m'étouffer avec mon troisième ou quatrième croissant et je m'enfonce d'avantage dans mon fauteuil, cachée derrière mes lunettes noires. Dieu soit loué, Lena est trop absorbée par la conversation du groupe qui tourne autour de l'activité jet-ski prévue cet après-midi, et ne semble pas avoir entendu son frère.
Enclin à un certain malaise, je termine mon petit déjeuner et mon vingt-deuxième croissant - ou presque - dans le silence, et décide que je parlerai à Lena de ce qui s'est passé avec son frère. En même temps, je ne suis pas sûre qu'il se soit passé grand chose. On a parlés, beaucoup parlés, il ne m'a embrassée qu'une fois, et on s'est endormis, certes dans le même lit, mais il a été un vrai gentleman et ne m'a pas touchée.
A cette idée, je commence enfin à me détendre, mais la tension reprend aussi vite sa place quand William se lève pour s'approcher de moi.
Il s'agenouille à ma hauteur.
— Ecoute, Séléna, je dois partir parce que j'ai des blocs cet après-midi. Je m'étais dit qu'on pourrait se voir un de ces quatre. Appelle-moi rapidement.
Et il glisse dans ma main ce que je suppose être son numéro de téléphone, avant de déposer un baiser sur ma joue. Puis il salue tout le monde et part.
Je n'ai pas la même chance que tout à l'heure et Lena n'a pas loupé une miette de ce tête à tête. Elle me regarde l'air interrogateur et esquisse un petit sourire plein de suffisance. Cependant je la remercie intérieurement de ne dire mot et nous nous replongeons dans la conversation jet-ski.
Nous nous prélassons ainsi sur cette terrasse tandis que le soleil commence à marquer chaudement sa présence.
Progressivement, la maisonnée se réveille et se vide de la plupart de ses occupants. Il ne reste plus qu'une dizaine de personnes, ce qui n'est pas pour me déplaire. Bien sur, il faudra faire encore avec Henry et sa troupe, mais au moins je n'ai plus ni William ni le Docteur Cesare pour me torturer l'esprit. Mais tandis que je chasse de mes pensées ces deux là, Lena vient à ma rencontre.
— Tout va bien, Selly ?
— Oui, ça va. C'est juste que... (Je prends une grande inspiration ). Je ne sais pas comment te dire...
— Quoi ? Tu veux me parler de William peut-être ?
Et elle arbore le même sourire que tout à l'heure, pendant que je danse d'un pied sur l'autre mal à l'aise.
— A vrai dire, il n'y a pas grand chose à dire. On a pas mal discutés cette nuit et... C'est vrai que je...je ne suis pas insensible à son charme, mais...
— Mais quoi ?
— Ben, c'est ton frère. Je sais quel genre de type tu m'as dit qu'il était et puis, il est un peu vieux, non ?
Et sous ma grimace, nous rions toutes les deux.
— Séléna, oui c'est mon frère, oui tu es mon amie, mais tu es aussi une grande fille, et je te jure que s'il te faisait quoi que ce soit, je lui ferais bouffer ses prothèses de hanche en titane ! Si je veux, je peux l'empêcher de te tourner autour, mais si tu as envie de le voir, alors vas-y, fonce. Tu as mon consentement, conclue-t'elle en faisant une révérence obséquieuse.
J'aime Lena, profondément, mais je sais vers quel sujet elle veut m'amener à parler, et je n'en ai aucune envie. Pas aujourd'hui. Ni même demain.
— Sans rire Selly, dit-elle d'un ton plus grave. Tu devrais te remettre dans la course, ça fait presque un an et...
— Je sais tout ça, mais justement, je n'ai pas envie de foncer tête baissée et le coeur en avant sur le premier qui me file son numéro, quand je commence à refaire surface. Et d'autant plus quand je connais la réputation de ton frère.
— Le premier ? Séléna, chaque fois qu'on sort, ils sont tous à te baver dessus et puis pour William, je sais ce que je t'ai racontée, mais là il s'agit de toi. Il ne se permettrait pas. Il sait que tu es ma Séléna, j'en suis certaine !
— Mouais, on verra, coupé-je court à la conversation.
Je ne suis pas très à l'aise pour parler de tout ça avec Lena et je ne peux m'empêcher de penser que la situation est un peu bébête. Après tout, il n'y a pas de raison de faire toute une histoire de la situation. Elle a raison, je suis adulte et William a juste envie que l'on se revoit. Nous verrons bien où cela nous mène. Je dois vraiment repartir d'un nouveau pied et reprendre confiance en moi. Facile à dire après ce que j'ai vécu....
L'après-midi, nous sortons comme prévu en mer faire du jet-ski.
J'aime la vitesse, et la conduite de cet engin m'enivre au plus haut point. L'étendue de la mer s'interrompt quand nous passons d'un banc de sable à un autre, et je me délecte du paysage. Les courses poursuites en jet-ski alternent avec les dégustations d'huitres et de vin blanc. Et tandis que nous nous abreuvons d'iode et de soleil, je laisse pour quelque temps derrière moi les stigmates d'une vie pleine de tumultes, bien décidée à aller de l'avant.
Oui, je vais l'appeler, laissant tous mes doutes et mes inquiétudes de côté. Après une chute ou un coup reçu, mon oncle disait toujours : « J'ai pas mal, t'as pas mal », parvenant ainsi à me faire douter de la douleur ressentie. Et bien là, face à cette soudaine pugnacité, j'ai envie de dire : « J'y crois, t'y crois ».
La deuxième nuit est plus calme. Il y a moins de monde à la villa , et nous nous contentons de jouer aux cartes sagement, tout en dégustant des grillades et en écoutant de la musique. Je parviens même à rire devant la danse grotesque faite par « ce naze d'Henry avec un Y » et ses acolytes. Faut dire que je vous donne en mille ce qu'ils ont choisit comme chanson... YMCA des Village people, et devinez qui fait le Y ? ...
La ballade en mer de l'après midi m'a épuisée et je dois partir tôt demain matin pour rentrer chez mon père. A la fin de la plus triste mais finalement la plus comique des chorégraphies que j'ai jamais vue, je monte me coucher. Et je sombre rapidement dans un sommeil sans rêve.
********
Les trois heures qui me séparent de la villa à chez mon père me paraissent interminables.
Quand j'aperçois au loin la forêt de chênes de notre jardin, je suis soulagée et retrouve ce sentiment de sécurité infantile. La maison dans laquelle j'ai grandi est sans prétention, mais elle est suffisamment grande pour avoir contenu mes trois soeurs et moi. De nombreuses fêtes familiales s'y sont déroulées et mes parents ont toujours été enchantés d'accueillir nos amies respectives, parfois en même temps.
C'est une maison chaleureuse et conviviale, et le jardin aux allures de parc anglais contraste avec l'agitation et le désordre qui ont pu régner à l'intérieur de la maison, offrant le calme bien connu des zones de campagne.
Je ne peux cependant m'empêcher de ressentir une pointe de tristesse, parce que depuis que maman est morte, l'agitation de la maison a progressivement laissé place à une ambiance plus pondérée. Mon père a bien tenté de maintenir pour ses filles les invitations et les fêtes, mais la famille, les amis ont lentement cessé de venir, comme si le fantôme de ma mère leur était devenu trop douloureux.
Je crois que j'aurai toujours du mal à pardonner l'égoïsme des gens au moment où on a le plus besoin d'eux. « La sagesse et la bonté semblent viles à ceux qui ont l'âme vile. » aimait à citer ma mère. Elle ne croyait pas si bien dire.
Nous avons alors appris à nous suffire à nous même, et nous en contentons sans en avoir eu vraiment le choix.
Le drame familial a comme fusionné le lien entre mes soeurs et moi, mais je culpabilise d'être loin d'elles depuis deux ans, bien que je n'ai pas le choix. Alors chaque fois que je rentre chez nous, nous tentons de redonner à la maison les rires et les jeux d'antan.
Mon père quant à lui s'en sort bien, je le soupçonne même d'avoir rencontré quelqu'un, car il arbore depuis peu un style plus soigné et je le surprends à siffloter des airs enjoués. Mes soeurs m'ont fait part de ses absences répétées et j'ai bien senti leur étonnement. Mais par décence envers lui, j'ai décidé de ne pas lui en parler, bien que j'oscille entre joie et tristesse. Parce que s'il refait sa vie, j'ai le déraisonnable sentiment que cela tue un peu plus ma mère et je prends alors conscience qu'elle ne reviendra pas. Mais je sais aussi que mon père est encore jeune et que la solitude le pèse un peu plus chaque jour.
C'est ainsi que je profite autant que faire se peut de ma famille durant ces trois jours. Nous alternons les baignades en piscine, les sorties pour dénicher les meilleures soldes et les repas pris à l'ombre des chênes. Et comme chaque fois que je viens ici, je vais faire un tour au cimetière, pleurer sur les tombes.
La veille de mon départ, quand je suis au calme dans ma chambre, je me décide non sans peur à envoyer un texto à William. Après avoir pianoté quinze fois sur mon téléphone des messages aussitôt effacés, je parviens enfin à composer quelques phrases :
« Salut, je rentre demain. On pourrait se voir un de ces quatre. Séléna ».
Quand j'appuie sur envoi, je le regrette aussitôt. Avoir repris la phrase qu'il m'a dite à la villa est complètement idiot, et j'ai maintenant la trouille d'une adolescente. Je me trouve mièvre et la nausée que j'éprouve s'intensifie quand mon téléphone m'annonce que j'ai reçu un message.
« Heureux d'avoir enfin de tes nouvelles. Je t'appelle demain alors... »
Grrr ! Les trois petits points, je ne les aime pas. Je suis une fille, et trois petits points laissent trop de sous-entendus qui m'effraient. Pour autant, parallèlement à mon angoisse, je ressens comme de l'excitation à l'idée que William va m'appeler. Je jette ma tête dans mon coussin et martèle mon matelas de violents coup de pieds. Je retrouve en quelques secondes les sensations frénétiques des débuts de liaison, ce qui ne m'aide pas, mais alors pas du tout, à trouver le sommeil.
Cette nuit là, je fais de nombreux rêves, et aucun d'entre eux ne soulage les tensions qui se jouent au fond de moi. Des tableaux flottent dans une eau boueuse où ma mère se tient debout et prononce des mots que je n'entends pas, William me prend avec vigueur sur la plage me faisant ressentir une jouissance que je pensais avoir oubliée, et la voiture de Max s'encastre contre le platane...
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