Une question de survie

Bam-bam-bam-bam-bam.

Je sursautai en entendant les coups frappés contre la fenêtre. Maxence et moi nous éloignâmes aussitôt l'un de l'autre. Le regard de mon interlocuteur était brûlant, tout comme son souffle sur ma bouche gonflée par ses baisers.

Il me fallut quelques secondes pour atterrir dans la réalité.

Des nuages défilaient dans ma tête, et ils étaient tous en forme de Maxence.

— Ce doit être le service de dépannage, soufflai-je enfin.

Je quittai les cuisses de Maxence avec empressement.

À son tour, mon interlocuteur se ressaisit, puis tendit le bras pour ouvrir la porte à celui qui était notre salut.

Une bourrasque s'infiltra dans la voiture, entraînant sur son passage des flocons dont la froideur me fit mal au visage.

— Vous avez besoin d'aide? lança un homme à l'impressionnante barbe rousse couverte de givre.

Il avait l'allure d'un viking avec ses yeux bleu de glace. L'épais manteau qu'il portait rendait sa carrure d'autant plus impressionnante. Un chapeau doublé de fourrure était enfoncé sur la tête.

Il ne semblait pas surpris de nous retrouver dans cette... position. Ce type avait déjà vu neiger.

— Oui, j'ai perdu le contrôle de ma voiture et je n'arrive pas à la sortir de ce champ. Elle n'a plus d'essence non plus, expliqua posément Maxence, alors que j'étais encore en train d'essayer de reprendre possession de mes moyens.

— Allez vous mettre au chaud dans mon camion, je m'en occupe.

J'avais déjà remis mon manteau et mis un pied dehors lorsque l'employé s'éloigna. Mes bottes s'enfoncèrent dans le sol vaseux couvert de neige. J'attendis que Maxence sorte de la voiture à son tour, puis nous rejoignîmes la dépanneuse, où nous nous installâmes aussitôt à l'intérieur pour profiter de la chaleur de l'habitacle.

Est-ce que Maxence était lui aussi en proie à un tourbillon assourdissant de pensées? Est-ce que son cœur lui disait qu'il voulait revivre la scène du baiser à l'arrière de sa voiture encore et encore?

Je n'en sus rien, puisqu'il était aussi silencieux que moi. Nous assistâmes au remorquage de sa voiture sans partager un regard ou une parole.

Qu'avions-nous fait?

— Je vous emmène au village le plus proche? s'enquit notre sauveur barbu en nous rejoignant dans son camion. Le garagiste de St-Eugène est mon cousin. Je peux lui demander de vous installer vos pneus d'hiver demain matin, avant que vous ne repreniez la route.

— Ce serait très apprécié, merci.

C'est ainsi que Maxence et moi dûmes trouver un logis pour passer la nuit dans ce petit village.

Plus que jamais, mon lit me manquait lorsque notre accompagnateur nous déposa devant le seul motel du coin, avec la voiture de Maxence dont le réservoir d'essence était maintenant plein.

— Revenez à huit heures demain au garage situé à côté de l'église. Vous ne pouvez pas le manquer, c'est le seul du village. Demandez Bob. C'est mon cousin. Je lui dirai que vous allez passer.

Maxence et moi le remerciâmes. La dépanneuse s'éloigna pour porter assistance à ses prochains clients.

Nous pénétrâmes dans le motel dont l'enseigne lumineuse grésillait comme si elle allait rendre l'âme d'une seconde à l'autre.

À l'intérieur, j'eus l'impression de me retrouver dans un bâtiment tout droit sorti des années 70. Le tapis du couloir empestait le renfermé et la tapisserie florale au mur portait des taches dont je ne voulais pas savoir la provenance.

Une femme dans la fleur de l'âge était en train de se vernir les ongles au comptoir. Elle leva un regard intrigué vers nous.

— Sale temps pour voyager, lâcha-t-elle en guise de salutation. Vous voulez une chambre pour la soirée ou pour la nuit?

Pour la soirée? Qui avait besoin d'une chambre seulement pour la soirée?

Oh, bon sang...

— Pour la nuit, répondis-je avant que Maxence n'ait pu ouvrir la bouche. Deux chambres, si possible.

— Tout est possible, il n'y a pas un seul client dans ce motel.

Elle tendit vers nous le terminal de transaction. Maxence s'avança, mais je brandis ma carte de crédit pour effectuer le paiement. L'employée nous remit alors deux clés, puis retourna à son pot de vernis à ongles.

— Bonne nuit, lâcha-t-elle sans nous regarder. Vous pouvez faire tout le bruit que vous voulez, il n'y a personne, réitéra-t-elle.

J'ignorai soigneusement le regard de Maxence et me dirigeai d'un pas militaire vers le couloir.

Honnêtement, je sentais un malaise grandissant s'installer entre nous. Nous n'avions pas échangé une parole depuis le baiser inattendu à l'arrière de sa voiture. Tôt ou tard, nous allions devoir crever l'abcès.

Les chambres que nous avions louées pour la nuit étaient l'une à côté de l'autre. Alors que j'allais déverrouiller la mienne, Maxence m'interpella.

— Charlie.

Je me tournai vers lui et m'en voulus aussitôt de sentir mon cœur s'affoler en plongeant mon regard dans le sien.

— À propos de ce baiser, tout à l'heure...

Ah, d'accord. On crevait l'abcès plus tôt que tard.

Une peur irrationnelle s'empara alors de moi.

Quoi, ce baiser? Il n'avait pas aimé? Il regrettait?

Je le devançai pour ne pas entendre ce qu'il avait à dire.

— C'était une simple question de survie, je sais. Ne t'en fais pas, lâchai-je nonchalamment. C'est déjà oublié.

Déjà oublié?

Déjà oublié?!

Mais quelle idiote! Ma seule chance de sauver les meubles était que Maxence désapprouve et...

— Euh, oui. Moi aussi, marmonna-t-il.

Oh, par tous les chimpanzés.

Il avait déjà oublié.

Ma pire crainte se confirmait. Ce baiser ne voulait rien dire pour lui. Il ne se sentait pas chamboulé jusqu'au bout des orteils par l'intensité de notre étreinte.

Ça me dévastait plus que je ne voulais l'admettre.

— Bonne nuit, Maxence, murmurai-je.

— Bonne nuit, Charlie.

Je m'engouffrai dans ma chambre et verrouillai la porte derrière moi. Je m'appuyai contre la porte un court instant, fermai les yeux et poussai un bref soupir.

Allez, Charlie, on se bouge.

Je me dirigeai vers le lit comme une automate. Me laissai tomber sur l'édredon fleuri encore vêtue de mon manteau. Je me frottai le visage d'une main, puis décidai d'appeler Florence.

Mon amie décrocha aussitôt.

— Charloup? Tu es de retour à Québec? Je me suis inquiétée pour toi et Maxence tout l'après-midi... Quelle tempête!

— Justement, je t'appelais à ce sujet... Pourrais-tu me rendre un immense service et aller nourrir mon chien et le faire sortir quelques minutes dans la cour? Je suis coincée dans un motel avec Maxence.

Un long silence me répondit.

— Quand tu dis que tu es « coincée dans un motel avec Maxence », reprit lentement mon amie, tu veux dire que vous avez passé un moment irrésistible dans le bain tourbillon et que vous vous préparez à remettre le couvert dans le grand lit à baldaquin?

Des images indécentes me vinrent en tête et me firent détacher mon manteau pour m'aérer.

— Bien sûr que non! protestai-je vivement. Il dort dans la chambre d'à côté. Ce motel est crade, en plus.

— Oh oh, Charlie, qu'as-tu encore fait?

— Pourquoi j'aurais fait quelque chose? grommelai-je.

J'entendis mon amie soupirer au bout du fil.

— Je ne pense pas que Maxence Clermont avait envie de passer la soirée dans la chambre à côté de la tienne. Il s'est passé quelque chose?

Le problème avec les meilleures amies, c'est qu'elles ne vous connaissaient que trop bien.

— Ton silence est un aveu. Attends-moi une minute, je me sers un verre de vin et je m'installe.

— Mais Sherpa...

— Sherpa attendra quelques minutes. Le vin et les potins d'abord.

Je soupirai, mais ne m'obstinai pas davantage. Discuter avec Florence était thérapeutique, et j'avais grandement besoin d'une thérapeute de fortune, là, dans ce motel miteux de village perdu.

Je lui racontai tout : le trajet dans la voiture de Maxence, sa conférence, les propos de la scientifique à mon égard. L'accident. La panne d'essence. Le baiser.

Lorsque je me tus, j'entendis mon amie avaler une gorgée de vin avant de prendre la parole.

— Si je comprends bien, Maxence et toi vous êtes embrassés avec une passion volcanique et tu lui as dit que c'était une simple question de survie?

— Qui t'as dit que c'était avec une passion volcan...

— Charlie, bordel! À quoi as-tu pensé? s'exclama-t-elle au bout du fil.

Je grimaçai et éloignai légèrement le téléphone de mon oreille.

— Je ne sais pas!

— Tu aurais pu l'envoyer en orbite autour de la planète Friendzone que cela n'aurait pas été pire!

— Écoute, j'avais peur qu'il me repousse, alors je l'ai fait en premier!

Florence poussa un soupir assez puissant pour décoiffer quiconque se trouvait dans un rayon de trois mètres.

— Tu m'énerves. Tu es prête à enfreindre des lois et organiser des manifestions d'envergure, mais pas à affronter tes propres sentiments? Porte tes ovaires et va le voir! Maintenant!

— Tu vas t'occuper de Sherpa? demandai-je rapidement.

— Oui, grommela-t-elle. Tu as intérêt à faire une femme de toi pendant ce temps.

Elle me raccrocha au nez, me laissant dans un désagréable état de questionnement.

Devais-je retourner voir Maxence ou non?

Dans le pire des cas, si je me prenais un vent, je pourrais toujours en rire dans quelques années. Peut-être.

Allez, ma vieille. Qui ne tente rien n'a rien.

Je me levai avant de perdre mon courage et sortis de ma chambre.

J'avais déjà fait bien pire que cela.

Toc toc toc.

Maxence ouvrit la porte.

Il avait retiré sa veste de complet. Ses manches de chemise étaient négligemment roulées sur ses avant-bras et il avait déboutonné les deux premiers boutons de son vêtement.

Je déglutis, puis croisai le regard de mon interlocuteur.

— J'espère que je ne te dérange pas, commençai-je bêtement.

— Tu as froid, c'est ça? lança-t-il, un brin cynique.

Ça s'annonçait mal.

Je devais annuler la mission au plus vite.

— Non, je...

Maxence sembla se ressaisir.

— Pardon, Charlie. Je suis un peu fatigué. Avais-tu besoin de quelque chose?

Je secouai la tête.

Écouter Florence était une très mauvaise idée. Je ne m'étais pas préparée à cette discussion et je ne savais pas quoi dire.

— Je ne sais pas, bafouillai-je.

— Alors je vais aller dormir.

— Oui, moi aussi.

Je tournai les talons. À la dernière seconde, Maxence me retint par le poignet.

— Laisse-moi juste t'embrasser une dernière fois...

Il m'attira à lui. Ses mains encadrèrent mon visage et ses lèvres fondirent sur les miennes. Je posai les paumes sur son torse et me hissai sur la pointe des pieds pour lui rendre son baiser.

C'était doux. Enivrant.

Ça ressemblait étrangement à un baiser d'aurevoir.

Maxence se détacha le premier. Il posa un dernier regard sur mes lèvres avant de reculer de quelques pas.

— Dors bien, ma puce.

***

Finalement, la merde attendra.

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