Remplis ton coeur d'un vin rebelle

(Ce chapitre est un humble clin d'oeil à l'une de mes scènes préférées du roman Nord et Sud, écrit par Elizabeth Gaskell. <3)

*

N'organisait pas une manifestation qui voulait.

Je m'étais rapidement aperçue qu'il s'agissait d'une tâche herculéenne.

J'avais d'abord dû collaborer avec les forces de l'ordre pour obtenir la simple autorisation de manifester. J'avais fourni aux policiers la date, l'heure et le lieu de l'événement, pour que quelques agents soient présents ce jour-là. Leur présence était requise sur les lieux d'une manifestation pour pouvoir intervenir en cas d'effusion. Ensuite, il m'avait fallu convaincre assez de gens de se joindre à moi pour ne pas être la seule nouille présente le jour de l'événement.

Au total, cela m'avait pris près de trois semaines.

J'avais essayé de ne pas trop publiciser la manifestation pour que cela ne se rende pas aux oreilles de Maxence. Je voulais avoir l'élément de surprise lorsque mes manifestants et moi bloquerions les entrées de l'Institut national de recherche médicale.

Comme Robert, Florence n'avait pas été très emballée par l'idée lorsque je lui en avais fait part.

— Charlie, parfois, tu as des idées de merde, mais tu dois les réaliser jusqu'au bout avant de t'en rendre compte, alors je ne m'y opposerai pas, m'avait-elle dit.

N'importe quoi.

Florence était trop pondérée.

Mon idée était formidable.

Tant pis si Robert et elle ne croyaient pas en moi. J'avais réussi à convaincre plus d'une centaine de personnes de se joindre à moi pour manifester. J'allais leur prouver à tous les deux que je pouvais parvenir à mes fins.

Et donc, trois semaines plus tard, le jour J était enfin arrivé.

Je n'avais jamais orchestré un si gros événement.

Je n'avais pratiquement pas dormi de la nuit, et je m'étais levée aux aurores pour m'assurer d'arriver à temps devant le laboratoire.

L'aube n'était pas complètement levée. Il faisait sombre et il faisait froid, mais même la météo morose ne parvenait pas à éteindre la détermination qui brûlait en moi.

J'enfouis le nez dans mon écharpe de laine et marchai d'un pas déterminé vers l'institut. J'avais apporté un porte-voix afin de scander des slogans pour motiver la foule pendant toute la durée de la manifestation. Selon mon plan, celle-ci ne prendrait fin que lorsque Maxence me céderait ses chimpanzés.

À mon plus grand bonheur, une poignée de militants étaient déjà là pour bloquer l'entrée principale. Il était à peine six heures du matin.

Je me joignis à eux en distribuant des sourires et des saluts de la main. Je m'assurai de rester à l'avant du petit groupe de personnes, le plus près possible des quelques marches de pierre qui menaient à la porte d'entrée.

Alors que les minutes s'écoulaient, de plus en plus de gens nous rejoignaient. Me saluaient. Brandissaient fièrement des pancartes, se serraient les coudes et bravaient ce matin frisquet de novembre au nom de la protection des animaux.

Un sentiment de fierté mêlé de gratitude enfla dans ma poitrine à mesure que le murmure des conversations prenait de l'ampleur. Il y avait beaucoup plus de gens que ce à quoi je m'attendais. Les militants étaient rassemblés sur une bonne partie du terrain de l'institut et déjà, le mot courait que l'on avait réussi à bloquer le passage à certains employés.

Il y avait un sentiment grisant à être ainsi réunis pour une même cause. Manifester nous rappelait que nous n'étions pas seuls à mener le même combat. Nous étions nombreux, et ce nombre faisait notre force.

Le ciel s'éclaircissait à mesure que nos rangs s'agrandissaient. Une ambiance électrique régnait parmi les manifestants. À l'écart, des policiers s'assuraient que la manifestation demeure pacifique.

Vers sept heures trente, je grimpai les quelques marches qui menaient à la porte d'entrée et saluai la foule avec de grands gestes. Des sifflements et des salutations retentirent. Je dégainai mon porte-voix et adressai quelques mots à ceux qui pouvaient m'entendre.

— Merci d'être venus en si grand nombre! Merci d'avoir répondu à mon appel pour défendre les droits des animaux!

Des militants surexcités au premier rang agitèrent leurs pancartes avec des cris de guerre. Ils avaient peint des lignes de maquillage noir sur leur visage à la manière des joueurs de football avant un match. Les gens qui se tenaient à l'avant étaient toujours les plus intenses et les plus investis. J'adorais leur énergie.

— Nous sommes réunis ce matin pour dénoncer l'usage de chimpanzés dans le laboratoire de Dr Maxence Clermont. Nous empêcherons les employés d'entrer dans l'institut et bloquerons l'accès aux entrées le temps qu'il faudra pour que Dr Clermont accepte de libérer ses chimpanzés. Alors, qui est avec moi? lançai-je d'une voix forte.

Des acclamations me répondirent. Les pancartes frémirent au bout des bras comme les feuilles d'un arbre géant sous l'assaut du vent.

— Nous allons le faire céder! conclus-je en lançant mon poing dans les airs avant de redescendre de mon piédestal pour rejoindre mes semblables.

Je m'occupai d'entretenir l'énergie de la foule en criant des slogans à répondre dans mon porte-voix. J'étais tellement excitée. Tout se passait à merveille.

Une demi-heure plus tard, je sentis un mouvement de foule à quelques mètres de moi. Des voix se mirent à huer.

— C'est lui! cria une voix.

— Ne le laissez pas passer! renchérit une autre.

Le cœur battant, je sautai sur une marche et m'étirai le cou pour voir par-dessus la foule. Je crus reconnaître les cheveux noirs de Maxence Clermont parmi les bonnets de laine et les chevelures ébouriffées par le vent. En me hissant sur la pointe des pieds, j'aperçus son large front et la monture noire de ses lunettes. C'était bien lui. Le scientifique tentait de se frayer un chemin dans la foule de manifestants, tel un saumon remontant la rivière.

— Laissez-le s'approcher! lançai-je dans mon porte-voix. Maxence, venez me rejoindre.

Les manifestants s'écartèrent à contrecœur et le chercheur parvint à progresser de quelques mètres. Les personnes qui se tenaient au premier rang se serrèrent l'une contre l'autre, formant une muraille impossible à franchir entre Maxence et moi. Même à un ou deux mètres de distance, je voyais les yeux bleus du chercheur étinceler de contrariété.

Bon sang, ce que j'étais fière de moi. Il était fait comme un rat. Ou comme un chimpanzé en cage.

— C'est quoi ce bordel, Charlie? lança-t-il d'une voix suffisamment forte pour que je l'entende. Je croyais que l'on s'était mis d'accord pour stopper cette escalade d'insanité.

— Je n'ai jamais dit cela, répondis-je avant de hausser le ton pour être entendue de la foule. Maxence Clermont, allez-vous relâcher les chimpanzés de votre laboratoire?

— Non, répondit-il fermement.

Les personnes qui l'entouraient le huèrent.

— Dr Clermont refuse de libérer ses chimpanzés et refuse de nous dire comment il les traite! clamai-je dans mon porte-voix. Allons-nous le laisser entrer dans son laboratoire?

— Non!

— Jamais!

Quelques insultes fusèrent parmi les réponses et je fus déstabilisée par la violence des propos tenus par certains. Je chassai rapidement mon malaise et recentrai mon attention sur le scientifique.

Maxence ne me lâchait pas du regard. Il se tenait bien droit dans son manteau de laine gris acier, mais sa mâchoire était crispée et je devinai aisément qu'il aurait préféré être n'importe où ailleurs.

Au moment où je m'y attendais le moins, il prit la parole d'une voix forte :

— Charlie Saint-Loup, articula-t-il distinctement, je vous ai proposé de visiter mon laboratoire et de vous montrer comment je m'occupe de mes chimpanzés et vous avez refusé.

Plusieurs personnes s'exclamèrent et le traitèrent de menteur. D'autres insultes fusèrent à nouveau et je ne pus ignorer le malaise grandissant qui m'envahissait. Je n'aimais pas l'énergie négative qui était en train de prendre possession de certaines personnes.

— Dites-leur, Charlie, reprit-il sans se laisser démonter par les manifestants qui criaient autour de lui.

S'il ne cédait pas, ainsi entouré de dizaines, voire de centaines de gens qui le détestaient, je ne voyais pas comment je pourrais le faire fléchir un jour.

Les paroles de Robert me revinrent alors en tête. Je fus frappée par l'évidence du message qu'il avait essayé de me transmettre trois semaines auparavant.

Je tournais en rond dans un circuit fermé.

Maxence ne céderait jamais. Il ne me céderait jamais ses chimpanzés même si je lui faisais du chantage, des menaces, même si je manifestais devant son laboratoire... Il avait bien trop à cœur son étude pour se saborder ainsi. Mais mes militants ne céderaient pas non plus, et si je les renvoyais chez eux sans livrer une rude bataille, je pouvais d'ores et déjà me dénicher un four crématoire pour y brûler ma crédibilité.

Qu'allais-je faire?

Je tâchai d'ignorer le stress qui gagnait du terrain en moi. J'allais devoir jouer le jeu jusqu'au bout pour garder la face.

— Je me fiche de visiter votre laboratoire, répondis-je alors d'une voix ferme. Je veux que vous relâchiez vos chimpanzés!

— Vous savez que ça n'arrivera pas, gronda-t-il, confirmant mes craintes.

Un jeune homme sortit de la foule, un air déterminé sur le visage, et brandit une roche de la taille d'un poing dans sa main.

Sous le coup de la surprise, je n'eus pas la vivacité d'intervenir.

— Alors nous les libérerons nous-mêmes! s'écria-t-il en balançant son projectile dans l'une des grandes fenêtres de l'institut.

Je poussai une exclamation lorsque le caillou rencontra la vitre du rez-de-chaussée dans un grand bruit. Mon cœur se débattait dans ma poitrine alors que j'inspectais les dégâts. La vitre de l'institut n'était heureusement pas brisée, mais elle était endommagée à l'endroit de l'impact. Une étoile blanche faite de verre fissurée décorait maintenant la fenêtre rutilante du bâtiment.

Voyant que le belligérant s'apprêtait à récidiver, je repris mes esprits.

— Non! criai-je en balançant mon porte-voix au sol. Nous ne faisons pas de vandalisme! Arrêtez!

Quelques-uns de ses camarades s'étaient joints au jeune homme, animés d'un esprit vengeur et armés de pierres qu'ils avaient dû amasser avant de venir manifester. Autant essayer de calmer une bande de kangourous enragés.

Je grimpai à toute vitesse les quelques marches qui menaient au bâtiment.

— Arrêtez! m'égosillai en courant devant l'immense vitre, les bras grands ouverts pour la protéger de projectiles éventuels.

J'eus vaguement l'impression d'être une cible mouvante qu'on essayait d'atteindre avec des fléchettes.

— CHARLIE! rugit une voix.

Une roche me percuta à la tempe et je m'écroulai sur le béton.

***

Bon, les gars, on a un problème (outre le fait que Charlie se fait lapider sur la place publique).

Il ne me reste qu'un chapitre d'avance sur vous! Comme je pars en stage pour quelques semaines et qu'après ce sera la folie des examens de fin de session, il est possible que je ne publie pas très souvent. Je ferai mon possible, promis.

P.S. : À moins que je ne tue Charlie dans le prochain chapitre et que l'histoire ne s'arrête là? Ça règlerait mon problème (et celui de Maxence)...

P.P.S : Pardonnez la lourdeur de mon humour.


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