Mensonge blanc

J'avais cru pouvoir goûter à une heure ou deux de répit avant que le reste du monde ne se lève.

C'était naïf de ma part.

Lorsque mon téléphone se mit à sonner et que je lus « Maxence Clermont » sur l'afficheur, je sus que je n'étais pas au bout de mes peines.

Que me voulait-il encore? Il était tout juste six heures du matin. Ne pouvait-il pas faire comme les gens normaux et appeler à une heure décente? Ou ne pas appeler tout court?

Pour un homme qui disait ne pas vouloir me reparler avant des années, il n'était pas très convaincant...

Je déclinai son appel. Il rappela. Je déclinai une deuxième fois. Il rappela. Au bout d'une troisième tentative, je capitulai.

— Maxence, il est six heures du matin, grommelai-je dans le combiné.

— Tu ne dormais pas plus que moi.

Entendre sa voix me fit du bien, même si j'étais en colère contre lui, en plus de me sentir triste et trahie.

Je fermai les yeux et me secouai mentalement. Ce n'était pas le temps de céder juste parce qu'un chercheur à la voix basse me soufflait trois mots dans le combiné.

Je m'étendis sur le fauteuil du salon et gardai les paupières closes. Mon chat ronronnait contre mon flanc et mon chien était allongé à mes pieds. J'étais presque bien. Je voulais juste qu'on me laisse tranquille.

— Charlie, j'ai vu ta dernière publication sur Instagram.

Je fronçai les sourcils.

— Depuis quand as-tu un compte Instagram, Maxence?

— Là n'est pas la question.

— Tu m'espionnes?

Maxence se racla la gorge.

— Tu as publié un texte à cinq heures du matin dans lequel tu t'accuses toi-même d'être une menteuse et une nuisance pour la science. La Charlie que je connais n'aurait jamais fait cela.

J'avais envie de lui dire qu'il ne me connaissait pas aussi bien qu'il le croyait, qu'il devrait se mêler de ses affaires et au passage, qu'il aille au diable, mais je n'en étais pas capable.

— Charlie?

— Je suis là.

— Je ne comprends rien. J'ai moi-même avoué à des milliers de téléspectateurs qu'Axel était réellement un chimpanzé de mon laboratoire et toi, tu prétends l'avoir inventé de toutes pièces! Qu'essaies-tu de faire, bon sang?

J'inspirai doucement.

Maxence n'était pas si idiot que ça. Le plan de Léonore ne tiendrait pas la route bien longtemps si je ne disais rien pour justifier mes actes.

— Maxence, ce ne sont pas mes mots. Ni hier, ni aujourd'hui. Je ne peux pas t'expliquer, mais je fais cela pour protéger ton étude.

— Charlie, c'est quoi ces phrases cryptées? De qui sont ces mots si ce ne sont pas les tiens?

— Je ne peux pas te le dire, Maxence. Je fais cela pour protéger tes travaux de recherche, réitérai-je.

— Depuis quand es-tu prête à protéger mes travaux de recherche en sacrifiant ta crédibilité et tes convictions?

J'avais toujours les yeux clos. Avec un peu d'imagination, je pouvais me transporter dans un rêve, dans un monde parallèle qui n'existerait plus lorsque j'ouvrirais les yeux à nouveau. Un monde où je pouvais tout dire.

— Depuis que je t'aime, Maxence, avouai-je finalement.

Un long silence suivit ma déclaration.

Maxence ne disait rien. Il n'avait rien à dire.

J'avais bêtement espéré qu'il... qu'il me répondrait.

— Tu ne peux pas me dire une telle chose pour la première fois au téléphone, me reprocha-t-il finalement, la voix rauque.

Je haussai les épaules même s'il ne pouvait pas le voir.

Qui était-il pour décider de comment ou quand l'on pouvait déclarer son amour à quelqu'un?

— Trop tard, répondis-je.

Je lui raccrochai au nez. C'était ça ou me mettre à pleurer dans le combiné.

Je posai mon téléphone sur le fauteuil et glissai mes doigts dans le pelage de Thymine. Je me concentrai sur le simple fait de respirer.

Je ne voulais pas ouvrir les yeux tout de suite. Je voulais rester encore un peu dans mon monde imaginaire. Inventer une nouvelle fin à cet appel téléphonique.

— Eh bien, il ne m'aime pas, Thymine, murmurai-je en caressant son poil soyeux. Ce n'est pas grave. Au moins, je t'ai toi, Sherpa et Castafiore. Et je sais que j'ai fait la bonne chose.

Cependant, faire la bonne chose ne signifiait pas que ça faisait moins mal. Ça ne signifiait pas non plus que j'aimais moins Maxence ou que je le détestais plus. Même en ayant si mal, je ne souhaitais que son bonheur.

Je continuai de faire la morte sur mon divan pendant de longues minutes, jusqu'à ce que des coups frappés à la porte viennent me tirer de ma douce torpeur.

J'ouvris les yeux, paniquée.

Était-ce Léonore? J'avais pourtant fait tout ce qu'elle m'avait demandé!

Le cœur battant la chamade, j'attrapai Thymine et fis signe à Sherpa de me suivre. Je les enfermai dans ma chambre et me dirigeai vers l'entrée, où de nouveaux coups retentirent.

La silhouette qui se dessinait derrière la petite fenêtre givrée était trop massive pour être celle de Léonore.

J'ouvris la porte, méfiante.

Maxence se tenait sur le seuil. Il était légèrement essoufflé, comme s'il avait couru jusque chez moi.

Ses yeux étaient rougis par la fatigue et ses joues n'étaient pas rasées. Une ride de contrariété barrait son front.

— Nous devons parler.

— Déjà fait.

— Pas au téléphone, Charlie, souffla-t-il, agacé.

Il s'invita à l'intérieur, se défit de son manteau et retroussa les manches de son pull, comme s'il se préparait au combat. Il s'avança prudemment vers moi et posa les mains sur mes épaules.

— Qu'est-ce qui s'est passé? Cette nuit, qu'est-ce qui s'est passé?

J'étais partagée entre l'envie d'exploser de rire comme une hystérique – qu'est-ce qui ne s'était pas passé? – et celle de pleurer dans son pull.

— Charlie...

Maxence pressa doucement mes épaules.

Ma gorge se serra et je me détournai. Je croisai les bras sur ma poitrine pour éviter qu'ils n'enlacent le chercheur.

— Maxence, je suis fatiguée.

Je le sentis s'approcher de moi.

— Charlie, dis-moi qui est la personne qui t'a poussée à écrire ce texte, s'il te plaît. S'il te plaît. Je ne peux pas t'aider, sinon.

— Je ne veux pas que tu m'aides.

Le chercheur me contourna et se planta devant moi. Il glissa ses doigts sous mon menton pour que je lève la tête vers lui.

— Regarde-moi. On peut être deux à partager le secret. Tu n'as pas à porter ça toute seule, essaya-t-il de me convaincre.

L'offre était trop tentante. Les mots de Maxence me semblaient si doux. Le poids sur mes épaules ne demandait qu'à être allégé.

Peut-être... peut-être que je pouvais lui dire la vérité.

— Promets-moi que tu ne feras rien si je te le dis. Que rien ne changera. Promets-le, sinon je ne te dis rien.

Maxence me dévisagea avec gravité. Il semblait vouloir argumenter, mais se résigna.

— Promis, soupira-t-il.

Allait-il me croire, cette fois?

— La personne qui a collé une menace sur ma porte est la même que celle qui a écrit la lettre dans le journal. Elle a aussi découvert mon adresse, s'est introduite chez moi, a enlevé Sherpa pour me faire du chantage, m'a obligée à publier ce mensonge sur Instagram et a mis le feu dans une remise au refuge pour que je cesse d'intervenir dans ton étude.

— Quoi?! s'exclama Maxence, horrifié. Charlie, tu dois la dénoncer à la police!

Je secouai la tête.

— Je ne peux pas...

— Pourquoi?

— C'est Léonore.

Maxence écarquilla les yeux et recula d'un pas.

— Tu ne me crois pas plus qu'hier, pas vrai? lâchai-je, acide.

— Je n'ai pas dit ça, c'est juste que... c'est Léonore qui t'a fait des menaces? reprit-il, sidéré.

— Oui.

Maxence semblait réfléchir, relier les points dans sa tête. Au moment où je pensais qu'il réfuterait mes accusations, il sortit son téléphone de sa poche d'un geste brusque. Je m'approchai d'un bond et posai vivement la main dessus pour l'empêcher de composer un numéro.

— Tu ne m'empêcheras pas d'appeler la police, Charlie.

— Tu m'as promis que tu ne ferais rien!

— Pourquoi la protèges-tu?

— Je ne la protège pas, je te protège toi et ton étude! m'exclamai-je alors.

Je répétai à Maxence les propos que Léonore avait tenus dans la soirée. Lorsque j'eus terminé, je vis le chercheur serrer les mâchoires. Ses narines se dilatèrent sous l'effet de la colère.

— Elle t'a dit qu'elle possédait des données auxquelles je n'avais pas accès? Qu'elle était essentielle à mon étude? Je suis le chercheur principal! s'insurgea-t-il alors. J'ai accès à tout, à toutes les données, à tous les ordinateurs, et je peux remplacer tout le monde dans mon laboratoire, surtout les criminelles!

Je n'avais jamais vu Maxence aussi furieux.

— Peu importe ce qu'elle t'a dit, c'est faux. J'appelle la police.

— Non!

Je plaquai mes deux mains sur celle qui tenait son téléphone.

— Réfléchis-y un peu avant, le suppliai-je. Et si... et si elle te cachait des données? Ne prends pas une décision impulsive.

— Je me fiche des données, Charlie, j'ai peur pour toi! s'écria-t-il en posant sa main libre sur la mienne.

— Tu crois que moi, je n'ai pas peur? Je suis terrifiée par la folle qui te sert de collègue! Elle me manipule comme un pantin! Elle m'a fait perdre toute crédibilité, Maxence! Et hier, quand j'ai eu besoin de ton soutien, tu m'as laissée tomber comme une vieille chaussette! Laisse-moi juste... pleurer un bon coup, puis je vais affronter ma journée. Ne fais rien concernant Léonore, je vais gérer. Tu sais où est la sortie.

Je me détachai de Maxence d'un mouvement brusque et me précipitai dans la salle de bain. Je verrouillai la porte derrière moi et me laissai tomber le long du mur. Je repliai les jambes contre moi et les entourai de mes bras.

La fatigue et les émotions ne faisaient décidément pas bon ménage.

Quoi que Maxence affirme, je ne pouvais me résoudre à dénoncer Léonore. Elle me faisait trop peur.

— Charlie?

Maxence toqua quelques coups à la porte.

— Va-t-en!

— Tu pleures?

— C'est ce que j'ai dit que j'allais faire, non? rétorquai-je sèchement.

Le chercheur essaya d'ouvrir la porte, sans succès.

— Laisse-moi entrer, s'il te plaît.

Je secouai la tête comme s'il pouvait me voir, puis enfouis mon visage entre mes mains, des larmes chaudes s'échappant de mes paupières closes.

Mes réserves lacrymales étaient-elles donc infinies? Je commençais à en avoir marre de me transformer en amphore à tout moment de la journée!

J'entendis Maxence jouer avec la serrure de la porte jusqu'à ce qu'il réussisse à la déverrouiller. Il me rejoignit prudemment dans la salle de bain. Je levai la tête et le vis s'agenouiller sur le carrelage juste devant moi.

— Ne pleure pas.

— Oh merci, ça m'aide beaucoup, sifflai-je en essuyant mes larmes du revers de la main.

Maxence semblait désemparé. Il ne savait pas quoi faire de mes larmes. J'aurais pu en rire si mon coeur ne contenait pas un tel bordel.

— Allons, ma puce...

— Je ne suis pas ta puce.

— Charlie, j'ai merdé. Léonore n'arrêtait pas de me dire des choses pour me faire douter de toi. C'était insidieux... Je ne m'en serais pas rendu compte si tu ne m'avais pas avoué que c'était elle l'auteure des menaces. J'aurais dû te croire, hier.

— Fais juste me prendre dans tes bras et tais-toi.

Maxence se laissa tomber à côté de moi contre le mur et glissa son bras autour de mes épaules avant de m'attirer contre lui. Je me blottis contre son torse et il noua ses deux bras autour de moi.

Il était nettement meilleur avec ses gestes qu'avec ses mots.

— Je suis désolé, souffla-t-il dans mes cheveux.

Je sentis ses lèvres se poser sur le haut de mon front.

— J'ai une proposition à te faire. Que dirais-tu de venir habiter chez moi avec tes animaux le temps que toute cette histoire soit réglée? Léonore ne pourra plus t'atteindre et tu pourras dormir en paix et moi aussi. Je pourrai te laisser mon lit et je dormirai dans le salon...

Je me détachai légèrement et levai la tête vers lui.

— Pour quelqu'un d'aussi intelligent, tu es parfois lent à comprendre.

Maxence fronça les sourcils en signe d'incompréhension.

— Je ne veux pas que tu dormes dans le salon. Je veux dormir dans ton lit avec toi, Maxence. Que tu restes avec moi même quand tout va mal. Que tu m'embrasses le soir avant d'aller dormir et le matin en partant travailler. Que tu sois fier d'être avec moi.

Maxence se pencha pour poser ses lèvres sur les miennes. C'était un baiser doux et profond, qui demandait pardon, et qui acceptait toutes les propositions. Lorsque nous nous détachâmes l'un de l'autre, le chercheur appuya son front contre le mien.

— Et si tu allais prendre une douche chaude? me proposa-t-il. Ça te fera du bien après tout ce stress. Je vais appeler Raphaëlle pendant ce temps pour lui dire que je serai probablement en retard au labo.

— D'accord. Tu as raison, ça me détendra.

Maxence essuya de son pouce les dernières traces de larmes sur mes joues, puis m'aida à me remettre debout. Il me laissa seule dans la salle de bain. Je fis couler l'eau de la douche, me dévêtis, puis réalisai que mes animaux étaient encore enfermés dans ma chambre. J'enfilai un peignoir, puis quittai la salle de bain pour les sortir de là.

— Maxence? appelai-je puisque je ne l'entendais plus. Maxence?

Je crus percevoir des bruits de pas dans l'escalier extérieur et me dirigeai vers l'entrée. Sur le comptoir, il y avait une petite note rédigée à la va-vite.

« Je suis parti au labo parler à Léonore. Je vais appeler la police en cours de route. Pardonne-moi mon petit mensonge.

P.S : Je t'aime aussi. »

***

Il va peut-être remonter dans notre estime, si ça continue comme ça!

P.S : Portez une attention particulière au titre du prochain chapitre. Au début, c'était une blague avec moi-même mais finalement, je l'ai gardé. Je me suis trouvée très drôle. :')

P.P.S : Mine de rien, l'histoire tire à sa fin!

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