Le petit nouveau dans la famille

Avais-je déjà mentionné que Maxence Clermont était un homme d'une grande décence?

Il avait accepté de nous céder son chimpanzé, à Florence et moi, sans même opposer de résistance.

Malgré l'automne haut en couleurs que je lui avais fait vivre, malgré nos désaccords, malgré mes coups bas, il avait répondu à ma demande par un simple « oui ». L'époque où l'on se nuisait mutuellement était bel et bien révolue.

Je lui étais reconnaissante de ne pas laisser notre petit moment d'égarement entraver la cordialité de notre relation. Le baiser que nous avions échangé à l'arrière de sa voiture n'avait rien voulu dire. Nous nous étions embrassés et voilà tout. Circulez. Rien à voir.

Le jour du déménagement d'A605, j'avais emmené avec moi Florence et Thomas, le vétérinaire. Nous étions arrivés à l'institut de recherche en fin de journée, afin de croiser le moins d'employés possible.

Florence avait d'abord cru que je ne serais pas prête à accueillir A605 au refuge avant un long moment, mais il en avait été tout autrement. Sauver un nouveau chimpanzé était un objectif qui adoucissait ma peine d'avoir perdu Diana.

Ainsi, deux jours plus tard, nous étions prêts à recevoir A605 au refuge.

Maxence avait trouvé un moment dans son horaire chargé pour nous accueillir au laboratoire. Pour une fois, je n'étais pas débarquée à l'improviste.

— Bonjour, Charlie. Bonjour...

— Florence, et Thomas, les présentai-je d'une main.

Maxence les salua d'un signe de tête.

— Vous pouvez me suivre.

Le chercheur tourna les talons et pénétra dans son laboratoire, sans m'accorder un regard de plus. Au fond de moi, j'étais déçue de son accueil si impersonnel. J'avais l'impression d'être au même pied d'égalité que Florence et Thomas, alors que ces deux-là étaient des inconnus pour Maxence.

Tu t'attendais à quoi, Charlie? Qu'il t'embrasse sur la joue et te demande comment a été ta journée?

Je me ressaisis. Maxence était tout à fait poli et cordial. C'était parfait ainsi.

Aujourd'hui, l'important était de rapatrier A605.

Nous suivîmes le chercheur jusqu'à une petite pièce dans laquelle je n'avais jamais mis les pieds. En m'avançant dans le cadre de porte, je m'aperçus qu'il s'agissait du nouveau repère d'A605. Maxence l'avait relocalisé depuis la dernière fois que je l'avais vu. L'animal avait maintenant accès à la lumière du jour dans cette pièce possédant une large fenêtre. Il était certes isolé de ses semblables, mais je devais reconnaître que le chercheur avait fait un effort. Il avait même mis une couverture et quelques objets dans sa cage pour le divertir.

Je pris les commandes de cette délicate manœuvre qu'était le transport d'un animal. Je demandai à tout le monde de ne pas entrer dans la pièce, sauf Thomas. Je ne voulais pas exacerber le stress du chimpanzé.

Le vétérinaire s'approcha donc avec mille précautions. Je lui avais proposé de nous accompagner au cas où nous aurions besoin d'administrer un sédatif à A605. Les relocalisations étaient toujours effrayantes pour les animaux de laboratoire. Je n'étais pas une fervente de l'utilisation de sédatif, mais je voulais tout de même faire ce qui était le mieux pour le chimpanzé.

Accroupi près de la cage, le vétérinaire examina brièvement l'animal tout en essayant d'entrer en contact avec lui.

— C'est un garçon! annonça-t-il avec le même enthousiasme qu'on annoncerait le sexe d'un nouveau-né à la naissance.

Depuis le cadre de porte, Florence et moi échangeâmes un sourire ravi. Le chimpanzé n'était plus un bébé, loin de là, mais son arrivée au refuge nous faisait le même effet qu'accueillir un nouvel enfant dans la famille.

Par ailleurs, j'étais heureuse que ce soit un mâle. J'aurais trouvé plus difficile de remplacer Diana si rapidement par une autre femelle.

Par réflexe, je cherchai le regard de Maxence pour partager ma joie. Le chercheur s'était éloigné de quelques pas et nous attendait dans le couloir. Je croisai son regard et il me rendit mon sourire, mais celui-ci ne monta pas à ses yeux.

Je me détournai, consciente que finalement, il planait un certain malaise entre nous.

Florence toucha mon bras pour avoir mon attention.

— Comment allons-nous l'appeler? demanda-t-elle en désignant du menton notre nouveau protégé.

Après délibération, nous décidâmes de le nommer Axel en raison de la première lettre du tatouage sur sa poitrine. Il n'aurait plus jamais à se faire appeler A605. Il était bien plus qu'une série de lettre et de chiffres.

— Un jour, ce serait chouette d'avoir un véritable bébé chimpanzé, non? lançai-je à Florence.

— Il faudrait agrandir le refuge et acheter du nouveau matériel, souligna mon amie, qui pensait toujours aux détails ennuyeux mais essentiels.

— Tu pourras nous faire un estimé du budget nécessaire, l'un de ces jours.

— Je suis heureuse de voir que la mort de Diana ne t'a pas passé l'envie de faire des projets, Charloup.

J'échangeai un sourire avec mon amie.

Le déplacement du chimpanzé dans sa cage s'effectua relativement bien. Thomas resta avec lui dans le camion pendant que Florence et moi retournions auprès de Maxence. Celui-ci nous avait suivi à l'extérieur et nous observait en retrait. Raphaëlle l'avait rejoint et semblait nous jauger du regard.

Lorsque nous fûmes à sa hauteur, Maxence posa les yeux sur moi.

— Ça s'est bien déroulé? s'enquit-il sans me lâcher du regard.

— Oui. Axel est plutôt secoué, mais c'est normal. Nous allons en prendre soin. Merci de nous l'avoir confié, Maxence.

Le chercheur esquissa un bref signe de tête. Raphaëlle m'adressa alors quelques mots.

— J'imagine que d'avoir récupéré notre chimpanzé ne sera pas suffisant pour que vous nous lâchiez les basques.

J'eus envie de rire devant son air entendu. Étrangement, la scientifique ne semblait pas contrariée, seulement résignée.

— Non, répondis-je avec sincérité.

J'avais toujours mon nouveau projet à mener à bien...

— Je comprends. J'ai du respect pour cela, même, ajouta Raphaëlle, à ma grande surprise.

Pour la première fois, la chercheur me décocha un sourire qui aurait pu être qualifié d'amical.

Je jetai un coup d'œil surpris à Maxence. Il était déjà en train de me regarder.

Il y eut une seconde de flottement pendant laquelle Florence et Raphaëlle se dévisagèrent.

— Charlie, je vais t'attendre dans le camion avec Thomas, annonça alors mon amie.

— D'accord, je te suis.

— Non, non, prends au moins quelques minutes pour discuter avec Maxence. Nous t'attendrons.

Je plissai les yeux en voyant mon amie s'éloigner avec empressement.

Qu'est-ce qu'elle mijotait encore, celle-là?

Raphaëlle recula à son tour de quelques pas.

— Je vous laisse aussi, je dois régler quelques trucs au labo avant de rentrer à la maison.

Elle nous salua rapidement avant de déguerpir.

Maxence et moi nous retrouvâmes seuls dans le stationnement de l'institut de recherche. Le chercheur était sorti dehors sans son manteau. Vêtu seulement d'un pull marine et d'un jeans foncé, il devait être frigorifié en cette froide journée de novembre, mais il ne fit pas mine de vouloir rentrer.

Nous nous observâmes quelques longues secondes.

— Toi, ça va? me demanda-t-il simplement.

Je devinai qu'il faisait référence aux événements des derniers jours.

— C'est un peu mélangé dans ma tête, lui avouai-je. Dans mon cœur. La mort de Diana me déchire, mais l'arrivée imminente d'Axel au refuge me fait le plus grand bien.

Le chercheur acquiesça.

— Au fait, je n'ai pas eu l'occasion de te faire part de ma nouvelle idée, l'autre jour, ajoutai-je soudainement.

Maxence glissa les mains dans les poches de son jeans pour les réchauffer.

— C'est vrai, nous avons été interrompus. Quelle est ta nouvelle idée pour sauver les chimpanzés?

— Tu as déjà entendu parler de la réduction des méfaits?

— Le terme me rappelle quelque chose.

— C'est ce principe qui consiste à diminuer les effets néfastes d'une pratique. Par exemple, plutôt que de dire à une personne de ne plus s'injecter de drogue, tu lui remets des aiguilles stériles pour éviter qu'elle ne chope une infection en s'injectant, même si l'idéal serait qu'elle cesse de se piquer.

— Où veux-tu en venir?

— J'aimerais faire quelque chose de semblable avec les animaux de laboratoire. Je dois reconnaître que parfois, dans certains cas, il est difficile de ne pas y avoir recours, dis-je en grimaçant. Comme dans ton étude.

Ça ne me faisait pas plaisir de l'avouer, mais mes réflexions des dernières semaines m'avaient menée à ce constat. Actuellement, je ne trouvais pas de solution permettant de retirer les chimpanzés de Maxence de son laboratoire tout en poursuivant ses travaux de recherche. Ce n'était pas faute d'avoir essayé.

— Toutefois, nuançai-je en brandissant mon index, il y a toujours moyen de mieux s'en occuper et de faire de meilleurs choix pour eux. De réduire les méfaits.

— Si je comprends bien, tu voudrais avoir un rôle de consultante en bien-être animal auprès des chercheurs?

Je n'avais jamais cherché de terme pour désigner ce que je voulais faire, mais les mots de Maxence me plaisaient.

Consultante en bien-être animal.

J'acquiesçai vivement.

— Oui, voilà! Je vous aiderais, toi et tes semblables, à élaborer vos protocoles de recherche dans un plus grand respect des animaux. Je pourrais aussi m'occuper de les faire sociabiliser, de choisir leur nourriture, de les divertir... Si je t'en parle, c'est parce que j'aimerais tester mon idée avec toi.

Je dévisageai Maxence, les yeux remplis d'espoir. Cette fois, j'étais convaincue que mon idée était vraiment géniale.

Maxence prit quelques secondes avant de répondre, ce qui m'inquiéta davantage que je ne voulais l'admettre. En tant que chercheur, son opinion comptait beaucoup.

Il se frotta le menton, l'air songeur. Il semblait tellement absorbé dans ses pensées que je n'osai pas lui rappeler ma présence.

— Charlie, c'est une idée formidable, lâcha-t-il enfin. Sincèrement. Mais je cours constamment après mes subventions et je n'ai pas d'argent pour t'engager comme consultante.

Je sentis une agréable chaleur remplir mon cœur et diffuser vers tout le reste de mon corps.

Il trouvait mon idée formidable.

— Je ne veux pas être payée, rétorquai-je en secouant la tête. Ce projet, c'est un prototype. Ce serait plutôt toi qui me rendrais service en acceptant de collaborer avec moi.

— Tu sais que c'est assez difficile de te refuser quoi que ce soit quand tu me regardes comme ça?

Mon cœur s'excita. Ma raison lui envoya un crochet de droite pour qu'il se calme.

L'espoir était un sentiment dangereux lorsqu'il était hors de contrôle.

— Je dois d'abord en parler avec Raphaëlle et Léonore, m'avisa-t-il. Je ne suis pas seul dans cette étude.

— Je comprends. Merci de considérer mon idée, ajoutai-je en ne pouvant retenir un sourire.

— Sache que je t'ai en haute estime pour envisager de modifier mon protocole d'étude à cause de toi. Ça représente des heures et des heures de travail supplémentaires. Je te préviens tout de suite : je ne les ferai pas tout seul, et je carbure au café. Avec un peu de Baileys s'il est passé vingt-deux-heures.

— Ce serait meilleur avec un peu d'amaretto, non?

Maxence me jeta un regard affligé.

— Tu sais bien que je déteste ça. Ne t'arrange pas pour que je t'abandonne avant même d'avoir commencé...

J'éclatai de rire.

— Je plaisantais, Maxence. Je ne mettrai pas d'amaretto dans ton café si tu acceptes de collaborer avec moi. Tu serais un chercheur incroyable et avant-gardiste. Le meilleur de tous.

— Je ne crois pas que ça ferait de moi un meilleur chercheur, me détrompa-t-il, mais ça ferait certainement de moi un meilleur humain.

Je pense que mon cœur était devenu une grosse guimauve coulante.

L'évidence me frappa alors de plein fouet : j'étais folle de cet homme.

Je l'appréciais au point de vouloir réviser – avec joie – son protocole de recherche pendant des heures.

Bien sûr, la perspective de collaborer avec lui me réjouissait pour les chimpanzés et leur bien-être, mais une partie plus égoïste de moi-même était extatique d'avoir une bonne excuse pour voir Maxence pendant des jours.

Je t'en prie, dis oui. Dis-oui-dis-oui-dis-oui.

***

Vous croyez qu'il va la faire mijoter encore longtemps? ;)

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