Dans le blizzard
Le trajet du retour se fit dans une ambiance beaucoup moins conviviale qu'à l'aller. Je n'avais pas envie de parler, et Maxence était tellement concentré sur sa conduite qu'il n'était pas très bavard.
La voiture avalait les kilomètres d'asphalte enneigée beaucoup trop lentement à mon goût. J'aurais voulu pouvoir me téléporter chez moi d'un claquement de doigts, retrouver mes animaux, me mettre au lit avec Thymine qui ronronnait, lovée contre mes jambes. Oublier cette journée. Les propos de cette scientifique.
Malheureusement, Maxence roulait à la vitesse d'une tortue, ce qui rallongeait considérablement le trajet.
En même temps, je ne pouvais pas le blâmer. Qui avait envie de conduire avec ses pneus d'été par un temps pareil?
— Tu n'avais pas envie de faire poser tes pneus d'hiver? Le mois de décembre arrive bientôt...
— Ironiquement, j'ai rendez-vous chez mon garagiste dans deux jours. Mes pneus sont même dans mon coffre.
— Plutôt ironique, en effet. Tu t'en sors pour conduire?
— Pour l'instant, ça va. Il ne neige pas trop fort, et la chaussée n'est pas vraiment glissante.
Après avoir échangé ces banalités sur la température comme deux illustres inconnus, je me replongeai dans mon mutisme. À mesure que nous nous éloignions de Montréal, la neige s'intensifiait et les bourrasques faisaient voltiger les flocons dans un ballet sauvage.
— Tu es bien silencieuse, remarqua Maxence au bout d'une demi-heure de route.
Je haussai les épaules.
— Je n'ai rien à dire.
Le chercheur me jeta un bref coup d'oeil.
— Charlie Saint-Loup qui n'a rien à dire? La fin du monde est à nos portes!
Je haussai les épaules.
— Tu devrais te réjouir. Tu trouves toujours que je parle trop et que je n'écoute pas assez.
— Sérieusement, Charlie, que se passe-t-il?
— J'ai juste envie de réfléchir calmement, Maxence. S'il te plaît.
Mon interlocuteur me décocha un nouveau regard. Préoccupé, cette fois.
Je détournai la tête.
Un ange passa. Puis deux. Trois.
— Je vais devoir faire un arrêt dans quelques kilomètres pour mettre de l'essence, m'informa le chercheur au bout d'un moment.
— Hm-hm, acquiesçai-je distraitement.
Je crus l'entendre soupirer, mais peut-être était-ce le bruit de la ventilation qui crachait de l'air chaud dans l'habitacle.
Quelques minutes plus tard, sur la route entre Sainte-Hélène-de-Bagot et Saint-Eugène-de-Gantham, un blizzard s'abattit sur nous. De chaque côté de la route, les champs disparurent sous l'assaut du vent et de la neige. Dame nature s'était métamorphosée en furie blanche.
À côté de moi, Maxence se tendit.
— Charlie, je pense qu'on va devoir s'arrêter quelque part, lança-t-il soudainement.
Un pli barrait son front. Je me redressai dans mon siège.
— Ça va? demandai-je, inquiète.
— La chaussée est trop glissante. Je sens que je dérape. Je ne voudrais pas que...
Je me tournai vers lui en sentant la voiture accélérer. Ses mains gantées étaient crispées sur le volant.
— Tu devrais ralentir, intervins-je alors. La visibilité est quasi-nulle.
— Je n'accélère pas, répondit-il, la mâchoire crispée. Pas volontairement.
— Quoi? soufflai-je, inquiète.
— Accroche-toi.
Maxence avait perdu le contrôle. La voiture dérapa sur plusieurs mètres avant de faire un tour sur elle-même. Je sentis mon coeur s'emballer comme un taureau fou lorsque notre véhicule traversa les deux voies sans que Maxence ne puisse rien y faire.
— MAX! hurlai-je en agrippant son bras.
Heureusement qu'il n'y avait aucune auto dans l'autre voie à ce moment-là.
La voiture effectua une sortie de route et se mit à rouler dans le champ enneigé en direction d'un bosquet d'arbres. Maxence réussit à l'immobiliser en freinant brusquement à quelques mètres des arbres enneigés. Ma ceinture de sécurité s'enfonça douloureusement dans ma poitrine sous l'impact, mais je n'avais pas lâché le bras de Maxence, dans lequel mes doigts s'enfonçaient comme les serres d'un oiseau.
— Max, répétai-je en me tournant vers lui.
Ses doigts s'accrochèrent instinctivement aux miens.
— Je vais bien, répondit-il, le souffle court.
Je sentis un poids se libérer de ma poitrine. Son visage était intact, ses yeux étaient toujours aussi bleus. Je levai ma main libre pour redresser ses lunettes qui avaient glissé sur son nez. Le chercheur attrapa ma main alors que je l'éloignais. Ses doigts pressèrent convulsivement les miens, me causant une onde de douleur, mais je ne me dégageai pas.
— Et toi, ça va?
Il lâcha ma main et cueillit ma joue dans sa paume pour inspecter mon visage, même si nous n'avions eu aucune collision.
Son geste me rappela le matin de la manifestation, lorsque j'avais reçu une roche par la tête. Il avait pris ma joue dans sa main exactement de cette façon.
— Ça va, soufflai-je.
Mon coeur galopait comme un cheval en pleine course. Maxence et moi étions tous les deux essoufflés alors que nous n'avions pas bougé. L'adrénaline était une hormone sacrément puissante.
— Je suis désolé. Je faisais pourtant attention, mais ce blizzard m'a pris au dépourvu...
Je secouai la tête.
— Ce n'est pas ta faute. L'important, c'est que tu ne sois pas blessé.
— Que nous ne soyons pas blessés, rectifia-t-il.
Maxence laissa retomber sa main. J'agrippais toujours son bras comme une forcenée jusqu'à ce que je le sente défaire mes doigts crispés un à un.
Je n'avais pas envie de le lâcher. Je voulais le toucher, sentir sa chaleur contre moi, ses doigts sur mon visage.
Lorsqu'il se fut libéré de mon emprise, le chercheur tenta de faire avancer la voiture, mais les roues tournaient sur elles-mêmes et s'enfonçaient dans la vase et la neige fondue.
— Je vais appeler une dépanneuse pour nous sortir de là, capitula-t-il. Ça risque de prendre un peu plus de temps que prévu pour rentrer à la maison, mais nous allons y arriver.
Maxence joignit le geste à la parole. Au bout du fil, son interlocuteur l'avisa qu'il y avait un long délai d'attente pour une dépanneuse étant donné le nombre élevé d'accidents. Un classique lors de la première tempête de neige de l'année.
Nous prîmes donc notre mal en patience et attendîmes que quelqu'un vienne nous sortir de ce champ enneigé.
Lorsque les trappes d'air cessèrent de cracher de l'air chaud, je me tournai vers Maxence avec inquiétude. Une petite ride de contrariété se dessina entre ses sourcils.
— Tu as coupé le moteur?
— Non. Je n'ai plus d'essence.
J'eus un petit rire désabusé.
— Eh bien, qui eut cru que cette journée se terminerait ainsi?
— Certainement pas moi...
Nous partageâmes un doux silence. À chaque minute qui passait, l'intérieur de la voiture se refroidissait. Bientôt, la chaleur n'était plus qu'un souvenir. Je remontai mon foulard pour couvrir mon nez.
— Tu as froid? s'enquit Maxence en se tournant vers moi.
— Un peu. Toi?
— Un peu.
J'essayais de ne pas trop y penser, mais mes orteils gelés ne rêvaient que d'un bain chaud. Assez chaud pour détendre mes muscles crispés et rougir ma peau.
— Il y a un plaid sur la banquette arrière. Je vais ramper jusque-là puisque ma porte est bloquée par la neige. Tu devrais venir partager la chaleur.
— Non, ça va.
— Comme tu voudras. Mais c'est un principe de survie de base.
J'eus le bonheur de voir Maxence se tortiller de peine et de misère pour passer entre les deux sièges avant. Je ne pus qu'éclater de rire en l'entendant jurer et pester.
Cependant, je l'enviai lorsqu'il s'installa confortablement sur la banquette arrière et drapa autour de ses épaules une épaisse couverture qui semblait chaude, lourde, accueillante.
Le chercheur capta mon regard envieux.
— L'offre tient toujours.
— Non merci.
Je me détournai du spectacle. Toutes les fibres de mon corps gelé me hurlaient de rejoindre Maxence, sa chaleur et son plaid, mais la tête de mule que j'étais n'avait pas encore épuisé sa réserve d'obstination. La tête haute, je serrai les bras autour de moi dans une piètre tentative de conserver ma chaleur corporelle.
Il faisait tellement froid, bordel.
Tu peux le faire, Charlie. Résiste. Pense à autre chose.
Un feu qui crépite dans la cheminée.
Un plaid de laine.
La chaleur de Maxence.
— Ok, je viens, capitulai-je en m'extirpant du siège dans lequel j'étais en train de me cryogéniser.
Maxence avait une lueur satisfaite dans le regard. Il m'observa me contorsionner pour le rejoindre sans esquisser le moindre mouvement pour m'aider.
C'était de bonne guerre.
Lorsque je rejoignis la banquette arrière et qu'il écarta un bras pour partager un pan de la couverture, je me précipitai contre lui. Je me fichais bien de qui il était à ce moment. Si Adolf Hitler m'avait offert un peu de chaleur à cet instant, j'aurais eu la même réaction.
Tout bien pensé, c'était quand même mieux d'être coincée dans une voiture avec Maxence qu'Adolf.
Le chercheur rabattit la couverture autour de moi, et son bras enveloppa mes épaules d'un même mouvement. Nos cuisses se touchaient, point de contact d'une chaleur bienfaitrice. Le tissu froid de nos manteaux d'hiver crissait l'un contre l'autre et le capuchon de fourrure du manteau de Maxence tentait de se frayer un passage dans mes narines.
Je grimaçai en sentant le poil du capuchon s'immiscer dans ma bouche et sortis la langue pour m'en débarrasser.
— Attends, j'ai une idée. Enlève ton manteau.
Maxence s'écarta, emportant du même coup sa couverture, et retira son manteau.
— Tu es fou? m'enquis-je en sentant le froid s'infiltrer entre le vide qui séparait nos deux corps.
— Survie 101, Charlie.
Il recouvrit ses cuisses de son manteau et m'enjoignit d'un signe de tête à faire de même.
— J'espère que tu te bases sur de solides preuves scientifiques pour agir ainsi, pestai-je en retirant à mon tour mon manteau doublé pour le poser sur mes jambes.
— Très, très solides.
— Il fait si fr...
Maxence me happa avec la couverture avant que je n'aie le temps de me plaindre davantage. Je me retrouvai collée contre son torse, le nez dans sa chemise, ses bras me pressant fermement contre lui, et la lourde couverture sur nous.
Oh, bon sang.
Maxence Fournaise Clermont.
C'était mieux qu'un feu de bois.
Presqu'aussi bon qu'un bain chaud.
Plus divin qu'un pyjama de flanelle.
Je m'accrochai instinctivement à sa chemise et froissai le tissu dans mon poing. Je voulais toute sa chaleur. Ma jambe crocheta son tibia pour me rapprocher davantage.
Je m'assumais.
Charlie Sangsue Saint-Loup.
Nous restâmes ainsi de longues minutes, sans parler, sans bouger. Je me doutais que je bénéficiais davantage de ce transfert de chaleur que Maxence, mais il ne s'en plaignit pas.
En plus d'être chaud, il dégageait ce divin parfum d'après-rasage ainsi qu'une légère odeur de lessive aux agrumes. Son étreinte était plus agréable qu'une brassée de linge fraîchement sortie de la sécheuse. J'étais à deux doigts de me mettre à ronronner.
Je fermai les yeux en sentant mes muscles se délier un à un, victime de la douce chaleur du corps de Maxence.
— Tu ne devrais pas dormir, dit-il d'une voix feutrée près de mon oreille.
Je grommelai et gardai les paupières obstinément closes.
— Pourquoi pas? Ça fait passer le temps.
— Tu pourrais tomber en hypothermie sans le savoir.
J'ouvris les yeux sur la fenêtre enneigée. L'épaule de Maxence me bloquait une partie de la vue.
— Eh bien, discutons, décidai-je alors. Veux-tu savoir à quoi je réfléchissais tout à l'heure, quand tu m'as demandé pourquoi j'étais silencieuse?
— Bien sûr.
— Tout à l'heure, pendant que tu étais parti discuter avec tes collègues après ta conférence, j'ai eu une charmante discussion avec l'une de tes consœurs. Elle m'a bien fait comprendre que j'étais une nuisance pour toi et pour la science en général et que je devrais sans doute vivre recluse avec mes chimpanzés. Je sais que je ne devrais pas lui accorder d'importance, mais... ses mots m'ont fait mal, avouai-je simplement.
Je sentis Maxence se tendre contre moi.
— Charlie... Je suis désolé. Tu aurais dû me le dire.
Je haussai les épaules.
— À quoi bon? Tu crois qu'elle a raison? relançai-je sans lui laisser le temps de répondre à ma première question.
— Non, répondit-il fermement.
Je sentis un petit sourire chatouiller mes lèvres. Ces scientifiques n'étaient pas tous les mêmes. Maxence n'était pas de la même lignée que cette pimbêche.
— Crois-tu que deux personnes qui ont des idéaux différents peuvent finir par s'entendre? me demanda alors Maxence.
Je levai la tête vers lui et réalisai que son visage n'était qu'à quelques centimètres du mien.
— J'imagine que ça dépend de qui sont ces personnes, répondis-je dans un filet de voix. De leur volonté à comprendre l'autre.
— Disons... toi et moi, par exemple.
Son coeur cognait fort contre sa poitrine et je sentis les battements du mien s'accélérer en retour.
— Je crois que nous avons fait du progrès, dis-je à voix basse.
— Oui, moi aussi.
Un silence tendu s'installa dans l'habitacle. Ma respiration s'accéléra alors que Maxence me dévisageait avec une lueur indéchiffrable dans le regard. Je ressentais ses bras autour de moi avec une acuité nouvelle.
— C'est bon, j'abandonne, souffla alors Maxence avec de fondre sur moi.
Ses lèvres happèrent les miennes avec une force mal calculée, nos dents s'entrechoquèrent, et un rire nerveux m'échappa. Un rire d'adolescente qui embrassait son béguin secret pour la première fois. Si ce baiser empressé avait débuté maladroitement, il ne fallut pas de temps pour que Maxence reprenne le contrôle et m'embrasse comme si c'était la dernière chose qu'il devait faire dans sa vie.
Je n'avais plus envie de rire.
Sa main remonta le long de mon dos pour s'enfouir dans mes cheveux. La couverture tomba de mes épaules, mais je m'en fichais éperdument. Je me glissai sur les cuisses de Maxence et passai les bras autour de son cou.
La tempête hurlait autour de nous, mais j'avais du coton dans les oreilles, et nous nous embrassions.
***
(Pis là, le gars du CAA arrive.)
J'avais si hâte de publier cette scène! Je vous avoue que je ne sais pas trop comment la prochaine va se conclure. Si vous avez des demandes spéciales... héhéhé 8)
(En fait, je vais probablement n'en faire qu'à ma tête, comme d'habitude.)
Bye <3
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