Comme un caillou dans sa chaussure
Les astronautes avaient ce dicton amusant et criant de vérité : il n'y a aucun problème grave que tu ne puisses rendre pire.
Ces sages paroles me revinrent en tête alors que Maxence m'avouait avoir lu le tissu de mensonges qui avait été publié sous mon nom dans le journal.
— Ah, la lettre, lâchai-je enfin. Ce n'est pas ce que tu penses. Écoute bien, c'est une histoire assez drôle, tu vas voir.
Je n'avais pas encore débuté mes explications, mais Maxence ne semblait pas très enclin au rire.
— Tu as complètement discrédité mes travaux de recherche, ajouta-t-il, désabusé. Je n'arrive pas à croire que tu aies écrit ça.
— Alors ça, c'est la partie qui est drôle : ce n'est justement pas moi qui l'aie écrit!
— Charlie, ne me prends pas pour un idiot. J'ai du mal à te suivre. Je pensais qu'on avait dépassé ce stade, toi et moi. Qu'on s'entendait bien. Mieux que bien. Et voilà que tu me poignardes dans le dos...
— Mais puisque je te dis que ce n'est pas moi l'auteure de cette lettre! m'énervai-je alors.
À vrai dire, je cédais à la panique.
Tout ce que j'avais craint était en train de se concrétiser. La confiance que Maxence avait en moi était en train de s'effilocher dangereusement. J'avais l'impression de devoir rattraper du sable fin qui me filait entre les doigts.
— Pourquoi quelqu'un d'autre que toi voudrait publier une telle lettre sous ton nom? Et puis, ce sont des propos que tu tenais il n'y a pas si longtemps, Charlie, renchérit-il. Quelqu'un m'a dit tout à l'heure que les gens ne changeaient jamais vraiment... Elle avait raison.
Elle? Qui elle? Raphaëlle?
Qui que ce soit, je détestais cette elle qui essayait clairement d'éloigner Maxence de moi.
— Ça me tue, Charlie, mais je n'arrive pas à te faire confiance et... j'ai l'impression que tu fais tout pour nuire à ma réputation.
— Moi, je nuis à ta réputation? m'offusquai-je, blessée et en colère. Et toi, alors? Tu penses que les autres militants trouvent ça normal que je fréquente un homme qui enferme des chimpanzés dans des cages minuscules? Non. Ça fragilise ma crédibilité. Mais...
J'allais dire : « Mais ça ne me dérange pas, tant que toi, tu veux être avec moi. »
Sauf que Maxence me coupa la parole.
— Alors peut-être que nous devrions prendre nos distances le temps que je termine mon étude, puisque je semble nuire à ta carrière et vice-versa.
Je le dévisageai, interdite.
Il était sérieux, là?
— Mais... Ça peut prendre des années avant de terminer ton étude, non?
Maxence serra la mâchoire.
— Oui.
Son regard était perçant. Affirmé.
Il me larguait avant même que nous n'ayons officiellement formé un couple.
Il ne voulait pas me revoir avant des mois. Des années.
J'étais un caillou dans sa chaussure dont il voulait se débarrasser.
— Maxence, je te le jure sur la tête de tous mes chimpanzés, ce n'est pas moi qui ai écrit cette odieuse lettre. Demande à Florence, appelle au journal, je te jure que ce n'est pas moi.
Mon ton était pathétique, mais je m'en fichais.
Je ne pouvais pas le laisser me glisser entre les doigts sans me battre pour le garder à mes côtés. Je voulais le garder à mes côtés.
— Eh bien, il se trouve que j'ai appelé au journal, justement. Au début, j'ai cru à une erreur. Je ne pouvais pas croire que tu avais écrit toutes ces choses. J'ai demandé à obtenir l'adresse courriel de l'auteure, comme on peut le faire pour écrire aux journalistes. Ils m'ont donné ton adresse courriel, Charlie. Celle avec laquelle tu m'as écrit pour la première fois il y a des mois.
— Ce n'est pas moi! protestai-je vivement. Je ne sais pas comment, mais quelqu'un a piraté mon compte!
Je fis un pas vers lui.
— Maxence, suppliai-je en tendant la main pour toucher son torse.
Ce dernier recula d'un pas et darda son regard sur un point au-dessus de mon épaule. Il ne voulait même pas me regarder. Il avait déjà pris sa décision.
— Rends-moi la clé du labo, s'il te plaît.
Il tendit la main entre nous, paume vers le haut.
La clé du labo?
Il ne voulait plus que je m'occupe de ses chimpanzés?
Je savais déjà que je coulais, mais à ce moment, j'avais l'impression d'avoir atteint le fond du baril.
Je ne voulais pas que les animaux subissent les dommages collatéraux de la houle entre Maxence et moi. Les chimpanzés commençaient à peine à me faire confiance, à s'ouvrir à moi, à apprendre à communiquer...
— Mais les chimpanzés...
— Charlie, ne rends pas cela plus difficile que ça ne l'est déjà.
La gorge serrée, j'extirpai mon trousseau de clés de la poche de mon jeans. Je retirai la clé du laboratoire de Maxence de l'anneau métallique, puis la posai dans sa main. Mes doigts effleurèrent la peau rugueuse de sa paume. Je refusais que ce soit la dernière fois que je le touche ainsi. Notre histoire ne faisait que commencer. C'était ridicule qu'elle se finisse sur un bête quiproquo.
— Je crois que nous devons réfléchir tous les deux chacun de notre côté, ajouta-t-il en refermant la main sur la clé.
Réfléchir à quoi, putain?
J'avais déjà réfléchi à tout.
Je voulais être avec lui, point. Il n'y avait rien à réfléchir.
Je serrai les dents jusqu'à ce que la porte se referme sur lui. Puis, je m'autorisai à laisser les larmes couler sur mes joues.
***
— Charlie, tu ne peux pas dormir avec les chimpanzés.
J'essuyai mes yeux encore larmoyants et levai la tête vers Florence. J'étais assise dans la serre des chimpanzés, mes bras entourant mes jambes, et j'observais Axel rassembler des couvertures pour confectionner son nid. Bientôt, il se coucherait pour la nuit. Ça me faisait chaud au cœur de voir qu'il s'était rapidement adapté à sa nouvelle vie au refuge.
Mon amie vint s'asseoir à mes côtés et me jeta un regard insistant.
— Charloup.
— Ça me fait du bien de les avoir près de moi...
— Je sais, mais tes animaux t'attendent à la maison. Axel a besoin que tu lui fiches la paix, aussi. Tu aimerais qu'on te regarde dormir, toi?
Je haussai les épaules.
— Si c'était Maxence, ça ne me dérangerait pas...
Je sentis mes yeux se remplir de larmes à nouveau. Je me mordis la lèvre pour ne pas me mettre à pleurer comme un veau.
— Je suis pathétique, hein? reniflai-je.
— Mais non, mentit-elle.
— Je pense que je l'aime, Flo...
— Je pense aussi. Viens là.
Mon amie m'ouvrit ses bras et je me laissai réconforter par son étreinte.
— C'est un homme intelligent, il finira bien par se rendre compte qu'il a fait fausse route, ce con.
Un petit rire s'échappa de mes lèvres.
— Je ne sais pas. Je l'espère. Je ne veux pas qu'il me perçoive comme une traitresse sans cœur pour le reste de sa vie. Qui aurait cru qu'un jour, je tomberais amoureuse d'un scientifique? plaisantai-je faiblement.
— Moi. Dès que tu m'as raconté ta première rencontre avec lui, j'ai su que tu étais dans la merde, ma vieille.
Florence me pressa contre elle avec un sourire, puis me fila une bonne claque dans le dos.
— Allez, debout! Tu te sentiras mieux chez toi, avec Sherpa et Thymine pour te faire des câlins, et Castafiore pour te siffloter un air agaçant dans les oreilles.
J'essuyai mes yeux du revers de la main pour une énième fois aujourd'hui, puis me levai.
— Tu as raison. Ça ira mieux après une bonne nuit de sommeil.
Je suivis Florence dans les couloirs de la maison des chimpanzés, puis nous nous retrouvâmes dehors, sur le terrain du refuge.
— Au fait, pendant que tu te morfondais, j'ai publié un petit message sur ton compte Instagram pour aviser tes abonnés que quelqu'un avait publié une fausse lettre à ton nom.
— Oh, merci! Tu es un amour.
— Ça me gonflait que tu te fasses insulter sans raison, pour une fois. En revanche, je ne pouvais pas faire de déposition à la police pour toi.
— Ça ira. Je le ferai demain.
— Parfait. Appelle-moi si tu te réveilles au beau milieu de la nuit pour haïr Maxence. Je t'aiderai à le détester.
— Promis. À demain, Flo.
Je quittai Florence, un sourire aux lèvres. Elle était probablement la seule personne capable de me faire sourire à travers mes larmes.
Je pris tout mon temps pour rentrer à l'appartement. J'avais besoin de retrouver mon calme.
Dehors, il faisait déjà noir. Le soleil de décembre était bien avare de ses rayons. Le ciel d'encre et la neige scintillante m'aidèrent à trouver un certain apaisement.
Je rentrai chez moi le cœur lourd, mais les joues sèches. Mon appartement était sombre et silencieux lorsque j'y entrai. J'étais pressée d'entendre les petites pattes de Sherpa venir à ma rencontre.
J'ouvris la lumière.
— Bonsoir, Charlie.
Je poussai un cri et plaquai une main sur ma bouche.
Léonore était assise à la table de ma cuisine et jouait avec une clé passe-partout, un sourire aux lèvres.
***
1. J'ai terminé d'écrire ce passage hier soir dans le noir, seule dans mon appartement, avec comme bruit de fond la pluie battante. Je me suis fait flipper moi-même.
2. Maxence, tu nous déçois, mec.
3. Bonne journée les lecteurs-choux <3
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