Chapitre 8-1



Je stoppai net mon mouvement et tentai de retrouver une respiration normale tout en essayant de me connecter à Jude...rien...je ne rencontrai que le vide. Je sentis ma poitrine se serrer et une peur sourde et diffuse s'insinuer en moi. Ne voulant pas céder à la panique, je pris une grande inspiration et me forçai à me calmer pour pouvoir réfléchir plus sereinement. Que je n'arrive pas à me connecter à lui, ne voulait rien dire en soi, essayai-je de raisonner pour me rassurer. Il l'avait très certainement coupé lui-même par reflexe. Vu ce que je venais de ressentir, il avait dû être blessé...mais c'était un métamorphe, il guérissait vite...cela ne voulait donc certainement rien dire. Ce n'était pas pour ça que j'allais le laisser se débrouiller tout seul. Il fallait que je trouve un moyen de le rejoindre, déjà pour m'assurer qu'il allait bien et ensuite pour tenter de l'aider dans la mesure de mes moyens.

— Christina, mais qu'est-ce-que tu fais, dépêche-toi ? me cria Cassie d'une voix tremblante tandis que, terrorisée, elle s'apprêtait à suivre l'inspecteur sur la corniche, ses mains convulsivement accrochées au rebord de la fenêtre.

— Jude à des problèmes...je ne peux pas le laisser tout seul, il faut...

— Christina, vous n'allez pas faire ça ! C'est du suicide et...il ne vous le pardonnera jamais, me cria Worth, un air désapprobateur sur son visage fermé.

Comprenant certainement à mon regard borné, que je ne changerai pas d'avis, il ré-enjamba la fenêtre, signifiant son mécontentement par un grognement de frustration agacé.

— Vous ne pouvez pas me laisser toute seule...je vais tomber, paniqua Cassie dans un couinement suraiguë, toujours en équilibre précaire sur la corniche.

— Mais non vous n'allez pas tomber, lui assura Worth d'un ton assuré tout en lui saisissant les mains à travers la fenêtre fracassée. Je vais vous guider de l'intérieur jusqu'à la dernière ouverture et ensuite Hannah vous aidera, d'accord ?

Pour toute réponse, elle lui fit un signe de tête tremblant et apeuré, avant de tourner la tête une dernière fois pour me fixer de son regard suppliant.

— Christina, viens avec moi...ils vont revenir et tu vas te faire tuer !

— Je ne peux pas l'abandonner, lui répondis-je d'une voix peinée, espérant qu'elle comprendrait. Il ferait la même chose pour moi...terminai-je dans un souffle à peine audible, mais qui réaffirma ma détermination.

— S'il te plait, j'ai peur...ne m'abandonnes pas, me supplia-t-elle une dernière fois, tandis que Worth l'incitait à avancer par des paroles rassurantes.

Sa voix chevrotante et son regard suppliant, faillir me faire flancher, mais je tins bon. Je poussai un soupir de soulagement quand Worth eut fini de la guider et qu'il revint vers moi, fusil à la main, prêt à partir à la rescousse de Jude. Malheureusement, nous avions perdu trop de temps et alors qu'il m'avait presque rejointe, un homme pénétra dans la pièce et nous apercevant, se mit immédiatement à nous tirer dessus.

— Christina, c'est trop tard. Passez par la fenêtre...vite, m'ordonna l'inspecteur tandis qu'il ripostait, obligeant notre assaillant à se planquer derrière un mur pour se protéger de ces tirs de barrage.

— Et vous ? lui demandais-je, tout en commençant à passer de l'autre côté.

— Je vous suis...dépêchez-vous, me répondit-il entre deux rafales de fusil.

Avec un pincement au cœur à l'idée d'abandonner Jude, mais n'ayant plus d'autre choix, je finis donc d'enjamber l'appui en béton aussi vite que ma peur du vide me le permettait, bientôt rejointe par Worth qui à court de balle, s'empressa de se positionner devant moi sur la corniche pour pouvoir me guider en cas de besoin. Nous commençâmes à avancer, moi m'aidant toujours en me tenant à l'appui de fenêtre, aussi pressé qu'angoissée de rejoindre l'abri du mur. L'inspecteur l'atteignit en premier et se plaquant à la paroi de béton défraichi, avança très prudemment jusqu'au balcon où nous attendaient Cassie et Hannah.

— Allez-y Christina, à votre tour...dépêchez-vous, m'enjoignit-il tout en prenant pied au côté des filles, avant de me tendre la main dans un geste d'invitation.

Je comprenais très bien comment il fallait s'y prendre et savais que c'était faisable, puisque tous les trois avaient réussies sans problème, mais j'étais...tétanisée. Le vide semblait m'attirer, j'étais sûre que si je lâchai le bord de la fenêtre, le vent me pousserait à bas de l'immeuble. Quelque part au fond de moi je comprenais que c'était idiot et irrationnel, mais ne parvenais pas pour autant à me raisonner.

Cassie et Worth m'encourageaient, m'exhortaient à me dépêcher, mais j'avais beau savoir qu'il fallait à tout prix que je les rejoigne, rien n'y faisait...je n'arrivais pas à me résoudre à détacher mes mains de la fenêtre. C'est alors que le destin décida pour moi, lorsque l'homme tira une nouvelle salve dans ma direction et cette fois...fit mouche.

Une balle m'atteignit en haut du bras gauche, me faisant lâcher prise et me déséquilibrant au passage. Je sentis mon pied glisser sur le rebord humide et m'accrochai frénétiquement de ma main droite pour tenter de me stabiliser et éviter la chute mortelle qui me tendait les bras. Mais une nouvelle balle me siffla aux oreilles, ruinant tous mes efforts et achevant de me faire perdre l'équilibre.

Me sentant tomber dans le vide, je hurlai et dans un geste de survie reflexe, me rattrapai in-extremis en agrippant le rebord des deux mains. Mon bras gauche, fragilisé par ma blessure, céda presque aussitôt et je me retrouvai suspendu dans le vide à plus de douze mètres du sol, protégée de la chute par la seule force de mon bras droit.

Cassie Hurla et même à travers le brouillard de panique qui engourdissait mes sens, j'arrivai à entendre les encouragements de Worth sans pour autant comprendre ce qu'il me criait exactement. Dans un dernier effort, je tentai de balancer ma jambe droite latéralement, pour pouvoir reprendre appui du pied sur la corniche. Mais chaque mouvement de balancier que je faisais menaçant de me faire lâcher prise, je finis par abandonner, à la fois épuisée et résignée.

— Christina tenez bon...j'arrive ! me hurla Worth, voyant que j'étais sur le point de décrocher, tout en s'engageant à nouveau sur l'étroit rebord, pour venir à mon secours.

Mais qu'il soit rapide ou non...il arriverait trop tard, me dis-je tandis que je sentais ma main glisser de plus en plus sur le rebord de la fenêtre, quand...dans une dernière tentative désespérée, je parvins enfin à poser mon pied droit sur la corniche. La position était acrobatique mais me permit de soulager ma main et de pouvoir commencer à me hisser en un lieu relativement plus sûr.

C'est alors que j'étais en plein mouvement et Worth à encore quelques mètres de moi, que l'homme se pencha avec précaution au-dessus du vide. Puis avec un sourire d'anticipation, braqua le canon de son arme sur ma tête.

— Avec les compliments de Niels...salope ! me dit-il avec un sourire tordu, en s'apprêtant à appuyer sur la détente.

Mon regard hébété et paniqué fixé sur le canon de l'arme, je ne pus m'empêcher de me demander qui était ce Niels ?

— Oh et puis finalement...ce sera encore plus marrant comme ça, ajouta-t-il soudain en rigolant tandis qu'il baissait son fusil et sortait un petit pistolet de sa ceinture, avant de me tirer dans la main à bout portant.

La douleur d'abord, suivie du choc. Puis durant quelques secondes la merveilleuse sensation de flotter, avant que la gravité ne s'en mêle et que mon cœur ne me remonte dans la gorge, tandis que je tombai comme une pierre du sixième étage. Je sentis l'effroi et la détresse de Jude au travers du lien que nous partagions et qui choisit ce moment funeste pour se réactiver de lui-même. À moins que ce ne soit Jude, ou moi dans ma panique...mais au fond cela importait peu. Excepté que j'aurai préféré qu'il n'assiste pas à ma mort en direct, qui plus est connecté à moi. Non, ce n'était pas possible, il fallait que je coupe la connexion, que je...

C'est alors que quelque chose sembla exploser en moi, quelque chose de léger et chaud à la fois, qui sentait bon...Jude...et j'eu soudain la sensation d'avoir des ailes ! Je ne tombai plus, je planai, jouant avec les courants comme si j'avais fait ça toute ma vie. Mon euphorie fut de courte durée, car je me rendis vite compte, en heurtant violemment la bordure en béton d'un nouveau balcon branlant, que je ne maîtrisais pas du tout l'art du vol et n'avais en fait réussis qu'à ralentir ma chute.

Mon instinct de survie prit le dessus et je m'agrippai de toutes les forces de ma seule main valide au rebord froid et glissant, m'apercevant avec stupeur que...j'étais toujours moi ! Même si durant quelques secondes, j'avais eu la sensation d'être un oiseau, au final cela n'avait été que ça...une sensation. La réalité elle, était tout autre et se rappela à mon bon souvenir, quand je dus me hisser par-dessus le parapet avec un bras blessé et une main en charpie. J'y parvins tout de même, sans vraiment savoir comment, et retombai sur le balcon pourri enfin en sécurité et complètement ahuri d'être encore en vie.

C'est à cet instant que l'aura aérienne qui m'habitait me quitta et que la douleur, la vraie, commença à me parvenir en vagues nauséeuses et dévastatrices. Je ne pouvais que subir et attendre, étendue là, sans plus de forces qu'un nouveau-né que le choc passe et que je retrouve le plein usage de mon corps.

— Oh mon dieu, Christina...ça va ? me cria Worth, d'une voix que l'inquiétude et la peur, rendaient aiguë et tremblante.

À l'entente de sa voix, j'eus quand même la force d'ouvrir les yeux et entraperçus l'inspecteur, à peine quelques mètres au-dessus de moi, penché par-dessus le parapet de l'autre rangé de Balcons, située à au-moins cinq mètres de là ! La première chose qui me vint à l'esprit fut, ma chute a été si courte que ça ? Pourtant, elle m'avait semblé durer des heures ! Et deuxièmement, comment avais-je bien pu faire pour atterrir là ? Je me trouvai sur le dernier balcon survivant de l'autre rangée de six. Qui en plus d'être presque intégralement recouvert de moisissures, était aussi particulièrement instable. Une chose était sûre, je ne pouvais pas rester là et devais de nouveau pénétrer dans l'immeuble pour rejoindre les autres.

J'essayai de me redresser, pour leur faire comprendre que ça pouvait aller, que par miracle je n'étais pas morte. Mais rien que le fait de bouger la tête...était une vraie torture. Je laissai passer quelque secondes et retentai l'expérience...qui cette fois, s'avéra concluante. Je me redressai prudemment, puis me levai, au grand soulagement de Worth et de Cassie, qui me couvaient d'un regard angoissé, perceptible même à cette distance.

— Trouvez Jude et on se retrouve en bas, arrivai-je à leurs crier d'une voix faiblarde et hésitante, qui au vu de leurs réactions, sembla quand même leur parvenir. Puis alors qu'ils s'apprêtaient à me répondre, de nouveaux coups de feu retentirent.

L'homme qui m'avait tiré dessus, visiblement à court de balle, n'avait pas pour autant dit son dernier mot et avait appelé des renforts. C'était le nouvel arrivant, bien calé par le montant d'une fenêtre, qui essayait d'atteindre Worth d'une rafale de son arme automatique. Heureusement sans aucun résultat pour le moment, mais il ne fallait pas qu'ils s'attardent là, s'ils voulaient que ça dure. Mais combien étaient-ils à la fin ? Ils étaient pire que des cafards ces mecs-là ! Plus on en éliminait, plus il en revenait, à croire que nous avions à faire à une petite armée !

Douleurs ou pas, je me décidai à bouger mes fesses de là très vite. Si je tardai trop, ils allaient finir par m'apercevoir et tenter de terminer leur sale boulot. Pour le moment ils me croyaient morte, alors...autant en profiter. Je me forçai donc à mettre un pied devant l'autre, canalisant toute ma volonté à ne pas vomir, ni m'évanouir. J'étais rodée aux catastrophes et blessures en tout genre à présent, ce n'était pas deux petites plaies par balles qui allaient m'arrêter, me serinai-je pour m'encourager tandis que j'avançai en grimaçant.

Un craquement sinistre, me rappela que le balcon du dessous était tombé avec fracas peu de temps auparavant et une chute libre dans la journée me suffisant amplement, je me hâtai donc de passer par la porte vitrée.

J'arrivai sur le palier, essayant de me repérer malgré les tags et les graffitis recouvrant les murs, les rendant ainsi tous identique (du moins à mes yeux). Vu la déco très recherchée, je devais me trouver au troisième étages et bien évidemment, du mauvais côté de celui-ci ! Ce qui allait m'obliger à remonter au quatrième, avant de pouvoir redescendre par l'autre cage d'escalier...formidable ! Cela dit, si nos assaillants me croyaient morte, j'avais peut-être une chance d'accéder à notre appartement pour y prendre de quoi me soigner. Car comme en témoignait les gouttes de sang sur la moquette...j'en avais besoin.

Je m'attaquai donc à la montée de l'escalier et dus faire une pause au bout d'à peine quelques marches, ma tête tournant trop pour que je continus. C'est alors que je reprenais mon souffle, que l'odeur me parvint...l'odeur âcre et caractéristique de tissus brulés. Merde ! Ces pourris avaient mis le feu à l'immeuble ! Très certainement pour effacer leurs traces et nous faire tous rôtir par la même occasion. Je m'empressai de reprendre mon ascension, me demandant avec angoisse si les autres avaient retrouvé Jude et s'ils étaient déjà à l'abri. M'en faire pour eux ne servait pas à grand-chose dans l'immédiat, mais je ne pouvais pas m'en empêcher.

À mon arrivé sur le palier du quatrième étage, je dus m'accroupir tellement l'air empli de fumée était devenu irrespirable. J'essayai de prendre une grande inspiration et retenant mon souffle m'élançai à l'assaut du couloir que je devais traverser dans son intégralité. Plus j'approchai de notre appartement et de l'escalier praticable, plus la fumée se faisait noire et épaisse. À tel point, que je fus contrainte de faire une halte pour remonter maladroitement mon tee-shirt, afin de protéger ma bouche et mon nez. 



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