Childhood Bet
「愛」
Li Hua
Préfecture de Miyagi, Japon
2004
Cachée dans un grand buisson, je sais que Satori ne me trouvera pas. C'est la meilleure cachette au monde : je l'ai découverte il y a quelques années et il n'est pas au courant de son existence. Il y a en fait un trou dans l'arbuste qui me permet de m'y faufiler. De toute façon, je vais gagner parce que je déteste perdre.
La propriété de ma tante est assez grande, donc il y a plein de cachettes secrètes. Il y en a tellement que je n'arrive pas à me souvenir de toutes.
Satori est en revanche trop nul à ce jeu : je finis toujours par sortir de ma cachette car il ne me trouve jamais. Et encore une fois, ça ne loupe pas. Je l'entends m'appeler, il écorche d'ailleurs mon prénom et je me demande si je ne vais pas lui faire regretter son manque de rigueur. Ce n'est pas parce que mon prénom est d'origine chinoise qu'il faut à ce point mal le prononcer. Une honte.
— Li Hua ! C'est bon, sors de ta cachette ! J'en ai marre ! s'écrie-t-il.
Ça fait cinq minutes, même pas, que je suis cachée. Satori est un grand flemmard lorsqu'il n'obtient pas ce qu'il veut, et il est facilement frustré. Ce que je peux comprendre puisque je suis la meilleure au cache-cache. Il n'a jamais réussi à me battre.
Après quelques minutes à le faire poireauter, je sors du buisson et cours à sa rencontre.
— T'es trop nul ! je m'exclame en le voyant assis au bord de l'engawa.
Satori croise les bras et fronce les sourcils.
— Où t'étais cachée ?
Je souris et l'embête :
— Nulle part.
— Li Hua !
— Li Hua, je répète parce qu'encore une fois, il n'arrive pas à prononcer correctement mon prénom.
— C'est la même chose.
— Non ! Tata, dis quelque chose ! j'interpelle ma tante qui se trouve à l'intérieur de la demeure.
Ma tante pousse la porte coulissante qui mène au salon, elle affiche un grand sourire. Je trouve qu'elle ressemble à papa. Papa me manque beaucoup, comme maman. J'aimerais qu'ils rentrent de leur voyage, même si tata m'a dit que c'était impossible.
— Ma chérie, ton prénom n'est pas simple à prononcer. Je te l'ai déjà dit. N'en veux pas trop à Satori.
C'est à mon tour de bouder face à son sermon.
— Tu n'es jamais de mon côté, je marmonne. Tu préfères Satori ?
Tata rigole, sa main devant la bouche, ses longs cheveux noirs tombent en avant. Elle est vraiment jolie. Ses joues rosissent.
— Je vous aime tous les deux, ma chérie.
— Non, je suis ta préférée ! je m'exclame.
Satori fait la moue tandis que tata s'accroupit à ma hauteur.
— Chen Li Hua, je trouve que tu es bien égoïste aujourd'hui, dit-elle en me pinçant la joue.
Je m'écarte d'elle, passant ma main sur ma joue douloureuse. Tata aura beau dire ce qu'elle veut, je sais que je suis sa favorite. Après tout, Satori ne fait même pas partie de ma famille, c'est juste mon voisin. Ses parents s'entendent très bien avec ma tante et je crois qu'ils m'apprécient. Moi aussi, je les aime bien. Ils prennent soin de moi quand tata doit partir travailler et qu'elle ne peut pas me garder comme elle est seule.
Elle me répète souvent d'être reconnaissante envers eux, que je dois leur montrer ma sympathie.
Satori, lui, je le connais depuis quatre ans maintenant, c'est mon meilleur ami. On se dit tout. Même si on se chamaille souvent, je l'adore. Je me souviens quand je suis arrivée au Japon et que je ne parlais pas un mot de japonais, c'était la honte. Satori m'a beaucoup aidé, tout comme ses parents.
J'avoue, je les considère comme une sorte de deuxième famille.
Après la mort de papa et maman, il ne me restait plus que tata. Je ne comprends pas trop pourquoi mais elle pleure souvent lorsque je parle d'eux. Elle affirme souvent que j'ai les yeux de maman et le caractère de papa. J'aimerais bien de nouveau avoir un papa et une maman, moi aussi. Je ne suis pas jalouse de Satori, mais je l'envie.
— Satori ?
Son regard se tourne vers le mien tandis que je regarde l'étang des carpes koï, plus loin, elles nagent tranquillement sous l'eau claire. Tata est retournée dans le salon, je crois qu'elle regarde la télévision.
— Tu penses qu'on sera toujours ensemble ?
— Bien sûr, répond-il du tac au tac. T'es ma meilleure amie, Li Hua.
— Li Hua, je le corrige à nouveau.
Il me tire la langue, je fais de même.
— Jamais rien ne nous séparera.
— Promis ?
Je lui tends mon petit doigt. Il s'empresse d'enrouler le sien autour.
— Promis.
「愛」
Li Hua
Préfecture de Miyagi, Japon
2012
Après la fin de mon club de piano, je m'empresse de ranger mes affaires dans mon sac et quitte la salle en quatrième vitesse. Il n'y a pas beaucoup de monde pour l'instant comme nous sommes en début d'année, alors ça m'a permis d'être libérée plus tôt par mon professeur. Je pense que les élèves ont du mal à se projeter dans un cours de musique, pourtant on ne fait rien de très compliqué. Bien que je sois plutôt douée, ça ne m'empêche pas de progresser. Grâce au piano, j'ai d'ailleurs pu obtenir une bourse et rentrer à Shiratorizawa.
Au vu de mes notes, ça aurait été compliqué si j'avais voulu y aller sans. Mes chances d'être avec Satori auraient alors été complètement nulles, surtout qu'on s'était dit de ne jamais se séparer. Promesse nulle pour les gamins idiots qu'on était. Je n'aurais jamais dû promettre ça car Satori et moi prenons bien trop au sérieux ce serment débile.
La lanière de mon sac sur l'épaule, je me dirige vers le gymnase, où les garçons doivent être en train de s'entraîner. C'est déjà la troisième année que je suis à Shiratorizawa et je n'ai jamais manqué de les voir jouer au volley. Je trouve que ce sport est assez ambivalent sur le plan physique et intellectuel. Honnêtement, je le trouve assez poétique, surtout lors de combinaisons comme la réception, la passe ou encore le smash. Je ne m'y connais pas bien, mais j'adore les regarder.
Comme à mon habitude, je monte dans les gradins pour ne déranger personne. Je ne suis même pas censée être ici, alors je me fais discrète, le coach sait à quel point ça me tient à cœur de soutenir Satori et son équipe.
Je dépose mon sac sur l'un des sièges en plastique inconfortables et m'appuie contre la barrière pour mieux les observer. En contre bas, Goshiki chuchote quelque chose à Satori tandis qu'il se retourne d'un coup vers moi. Le sourire aux lèvres, je le salue. Tout à coup, son équipe fait de même et prise de court, je me rassois, cachant tant bien que mal ma gêne grandissante.
Non pas que je ne les apprécie pas, au contraire, je les adore, mais les interactions sociales et moi, faisons deux, voire trois. Pourtant, Satori me répète souvent que je devrais plus m'ouvrir aux autres parce que, je cite, « personne ne va me manger ». Je sais bien que je ne risque rien avec eux, je n'ai d'ailleurs aucune peur des gens en général, je n'aime juste pas ça.
Rapidement, j'envoie un message à ma tante pour qu'elle ne s'inquiète pas si je rentre plus tard que la fin des cours. Comme je lui ai dit que je finissais plus tôt le club de piano en cette période de l'année, je préfère ne pas l'inquiéter. Elle qui m'a tout donné, je lui dois au moins ça.
Lorsque les garçons ont enfin oublié ma présence, je m'autorise à m'approcher des barrières pour me pencher dessus afin de mieux voir leur entraînement. En temps normal, regarder quelque chose qui ne m'intéresse pas m'ennuierait au bout d'un certain temps mais avec cette équipe, ce qui est sûr, c'est que ça n'arrivera jamais.
Je me souviens encore de Satori clamant haut et fort lors de notre rentrée de première année qu'il allait être le meilleur bloqueur de Shiratorizawa. Je pense que l'entrée d'Ushijima dans le club l'a vite calmé : il fait partie du top trois des meilleurs attaquants du Japon... Quelque chose comme ça, je me suis renseignée parce qu'il m'intriguait au début. Force a été de constater qu'il n'était pas la brute que je m'imaginais.
Ushijima est tout sauf un être grossier, pour mon plus grand bonheur, je n'aurais jamais supporté un tel caractère. Je dirais qu'il est plutôt réservé, observateur et surtout qu'il ne parle pas beaucoup. J'ai l'impression de me voir en miroir à chaque fois que je me fais la réflexion. Bon, il est aussi doté d'un égo extrêmement puissant, mais il reste gentil, avec moi en tout cas. En soit, il a souvent brisé les espoirs d'équipes fortes. Les gens pensent souvent, et à raison, que c'est un tyran, il ne fait pourtant rien pour se débarrasser de cette étiquette.
Pour Satori, c'est un peu l'inverse, il est l'extraverti dans un groupe d'amis. Il est bruyant, solaire et un peu fou sur les bords. C'est également pour cela que nous sommes amis : nous ne nous ressemblons absolument pas.
Je suis la lune. Il est le soleil.
Je suppose que cette envie de s'intégrer aux autres provient de son harcèlement, puisqu'il a été rejeté par la plupart de ses amis au collège, soi-disant à cause de son apparence. Je l'ai toujours compris, en quelque sorte, puisque pour ma part, on se moquait de mon accent. Je n'y ai jamais prêté attention avec mon fort caractère mais pour Satori, ç'a été tout l'inverse, il pleurait souvent à cause de ça.
Certaines fois, quand il venait à la maison pour qu'on fasse nos devoirs ensemble, ses yeux étaient rouges et gonflés. Je me souviens de l'avoir réconforté des dizaines de fois, et je le fais encore aujourd'hui, cela arrive cependant moins souvent. Je me doute qu'il me cache parfois son état pour ne pas m'inquiéter parce que d'entre nous deux, ça a toujours été moi la plus solide émotionnellement. Lui, il a la capacité émotionnelle d'une balle de ping-pong, c'est-à-dire, pas très grande.
Je profite d'ailleurs de leur entraînement de volley pour déchiffrer la partition que nous a donné notre professeur. Elle est simple pour que même les débutants puissent y arriver et je ne m'en plains pas : dès que ça devient trop dur, je ressors des cours de piano avec un mal de crâne. J'attrape un crayon dans ma trousse et commence mon travail. Je griffonne quelques notes à la va-vite.
Le temps passe à la vitesse de l'éclair car soudain, une main vient ébouriffer mes cheveux. Je me dégage de ce contact malaisant et lance un regard noir à la personne qui a osé me toucher. Je m'adoucis lorsque je remarque que ce n'est que Satori. Satori et sa mauvaise manie d'être trop tactile avec moi.
— Pas la peine de me lancer ce regard, il fait semblant de bouder en s'asseyant à côté de moi.
— Fais gaffe, tu risques de mourir sur place.
Mon sérieux lui arrache un rire tandis qu'il essaie de me prendre dans ses bras. Je fais un bond.
— Pour ça, tu risques de perdre tes bras, j'ironise.
— T'es pas sympa ! Je veux juste te prendre dans mes bras et tu me fuis comme la peste !
Je grimace, on n'est peut-être pas au fait qu'il ait la peste, ou pire.
— Tu t'es pas douché, c'est la même chose. Je ne veux pas d'un câlin transpirant, collant et puant.
Satori se met à rire à gorge déployée ce qui, comme à chaque fois, attire l'attention de tous les joueurs, dont celui du coach. C'est ce que j'adore chez lui, il est extravagant, bruyant et surtout, légèrement timbré.
— Je suis blessé, il fait la moue. Pourquoi tu ne veux jamais de mes câlins ?
Je grimace, range mes affaires et jette la lanière de mon sac à dos sur l'épaule.
— Je déteste les câlins !
Je dévale les escaliers des gradins, un grand sourire aux lèvres, en hurlant presque :
— Le dernier arrivé doit payer la prochaine sortie !
Je ne jette aucun coup d'œil derrière moi, mais je suis sûre que Satori a rassemblé ses sacs pour me courser. Rien que de mieux qu'une compétition pour me remonter le moral. Satori et moi faisons régulièrement la course, notamment pour des petits paris débiles, juste pour s'amuser.
Je déboule la première sur la route de campagne qui mène à notre patelin, non loin de Shiratorizawa. Notre lycée se trouve en plein cœur de la ville de Sendai mais dès qu'on s'éloigne légèrement, notre petit patelin apparaît. Je tourne à un carrefour après un café en manquant de renverser un passant, puis descends à toute vitesse la rue en contrebas, respirant comme un bœuf. Je n'ai jamais été très douée dans le sport, et je sens bientôt que mes poumons risquent tôt ou tard de me lâcher. Mais c'est inconcevable que je perde, parce que je ne perds jamais.
Le petit vent souffle dans mon visage et mes cheveux, rendant ma course plus difficile qu'elle ne l'est déjà. Mes jambes me portent un peu par miracle alors que j'augmente les foulées.
Devant nos résidences, j'arrive la première. Côté sud se trouve la mienne, au nord se trouve celle de Satori. Je tente de reprendre ma respiration alors que mon cœur décide de battre comme un effréné, les jambes me chatouillent aussi. Mes mains se posent sur mes genoux en guise de support, j'espère pouvoir faire rentrer l'air un peu plus rapidement.
Satori me rejoint quelques secondes après, aussi pimpant que lors de notre départ. J'ai l'impression d'avoir couru un marathon mais pour lui, c'était une promenade de santé. Il ne paraît même pas essoufflé, ce petit effronté.
「愛」
Satori
Li Hua semble à bout de souffle, alors que tout va bien de mon côté. De toute manière, elle n'est pas sportive et rien que de s'échauffer lui fait perdre ses moyens. D'après mes souvenirs, elle n'a jamais réellement aimé le sport, courir, sauter, se dépenser, très peu pour elle. Elle préfère s'adonner à des hobbies moins fatiguant comme le piano, les jeux vidéo.
Je suis d'accord qu'elle n'a pas une tête à jouer aux jeux vidéo et pourtant, c'est une vraie geek. Mais elle aime bien cacher cette facette de sa personnalité aux yeux de tous, que je suis d'ailleurs la seule à connaître. Ce qui me va parfaitement, j'aime être le seul à la connaître aussi bien. À savoir ce qu'elle aime ou déteste réellement.
Au lycée, c'est une autre personne : elle est réservée, peu sociable, introvertie mais avec moi, elle fait tomber son masque et devient la Li Hua que j'adore, celle que j'adore embêter et taquiner. En cours, elle pourrait presque devenir froide, voire méchante, bien que ce n'est pas dans son intention de tenir des propos blessants, ou durs. Elle s'en rend compte, mais ne s'excuse pas pour autant.
Je ne pense pas qu'elle soit arrogante, elle est plutôt rongée par une peur bleue de montrer ses émotions. C'est comme si elle s'autocensure pour éviter d'être déçue par quelqu'un, parce qu'elle place beaucoup d'estime dans son entourage. Ses amis se comptent d'ailleurs sur les doigts d'une seule main. Je compte moi, Semi, Ushijima, Tsutomu et Kenjiro.
Par exemple, dans notre classe, elle ne s'est fait aucune amie, ce qui lui vaut bien des moqueries, dont elle s'en fiche royalement. Son casque est souvent vissé sur ses oreilles, si bien qu'elle se coupe du monde et ne se préoccupe plus de rien. À vrai dire, elle ne s'est jamais embêtée avec les critiques : ça lui passe bien au-dessus. Déjà les deux dernières années passées, elle n'a jamais cherché à sociabiliser, elle préfère passer son temps avec nous, ceux en qui elle a confiance. Si je devais la décrire, je dirais qu'elle est imperméable à tout le monde.
Li Hua ne se laisse pourtant jamais marcher sur les pieds : si elle a quelque chose à dire, elle le dira pour le meilleur ou le pire, allez savoir.
— J'ai gagné, déclare-t-elle avec un sourire de vainqueur. Encore.
Je ne lui révèle évidemment pas que j'ai fait exprès de ralentir l'allure pour qu'elle puisse arriver la première.
Je pose ma main sur son épaule et approche mon visage du sien. Je pourrais contempler pendant des heures ses yeux noirs, d'une harmonieuse forme en amande.
— Tu es partie avant moi, tricheuse.
Elle me tire la langue.
— Bien sûr que non. T'es un garçon, donc physiquement tu cours plus vite, c'est tout à fait juste pour moi d'être partie légèrement avant.
Face à son argument, je ne peux décidément pas riposter et puis, elle est bien trop mignonne avec cette bouille.
— Je m'avoue vaincu.
Ses yeux se mettent à pétiller. Décidément, c'est le jour et la nuit son comportement.
— Tu veux faire une partie de Mario Kart avec moi ?
Étant donné que je ne peux rien lui refuser, qu'on habite à deux pas l'un de l'autre, et que sa tante et mes parents s'entendent si biens, je suis obligé d'accepter, et sûrement pas à contrecœur. Jamais je ne lui dirai non si c'est pour la voir encore sourire un peu plus longtemps.
Nous rentrons par le portillon qui se trouve à côté d'un grand portail en faux bois. Son allée m'a toujours impressionnée : les pavés gris et blanc contrastent avec l'herbe verte taillée, des petits poteaux lumineux éclairement le chemin et un grand cerisier, bientôt en floraison, nous accueille à droite de la résidence. L'étang des carpes est plus loin sur la gauche.
Cette maison, avec la mienne, a toujours été l'une de mes préférées. D'un, parce que Li Hua et sa tante génialissime y habitent et de deux, parce que c'est chaleureux et accueillant.
Nous pénétrons dans la résidence alors que le fūrin, le carillon japonais, nous accueille en même temps que la tata de Li Hua, Yu Xin. C'est une jeune femme déjà éprouvée par la vie, elle a perdu sa sœur et son beau-frère en une soirée. Pourtant, elle sourit tout le temps, c'est le même sourire que Li Hua, le même que sa maman qu'elle m'a déjà donné l'occasion de voir en photos. Ça doit être de famille d'avoir un aussi beau sourire.
— Regardez-vous, nous sermonne-elle, vous avez encore fait la course ? Vous n'êtes plus des enfants.
Je sais bien qu'elle ne dit pas ça pour nous rappeler à l'ordre, car elle prend toujours plaisir à nous inciter à garder nos âmes d'enfants aussi longtemps qu'on le peut. Yu Xin nous invite ensuite à dîner et ce qu'elle prépare est toujours aussi délicieux, le goût des plats est relevé à la perfection. Ce n'est cependant pas son métier ; elle est professeure dans une école primaire, non loin de notre lycée.
Après avoir terminé de manger, nous aidons Yu Xin à débarrasser puis montons dans la chambre de Li Hua. Comme à son habitude, elle ouvre la fenêtre et fait brûler de l'encens. Sa chambre est tellement paisible que je pourrais y passer des heures à contempler le plafond sans jamais m'ennuyer. Ses murs sont peints d'une couleur blanc cassé qui ne tue pas les yeux, et un luminaire projette une douce lumière sur ces derniers. Je m'installe sur son lit double et l'observe poser l'aiguille du tourne-disque sur le vinyle. A force de venir chez elle, je connais toutes les musiques de chaque CD qu'elle possède, toutes en mandarin.
Li Hua m'a un jour dit, quand nous étions plus petits, que ce tourne-disque était l'un des rares objets qui lui restait de ses parents quand l'incendie les a emportés. Depuis qu'elle l'a, elle en a toujours pris soin, elle le chérit comme si c'était la chose la plus précieuse au monde. Comme si cela pouvait la rapprocher un peu plus de ses défunts parents.
Elle ne m'en parle pas souvent et nous n'abordons d'ailleurs pas vraiment ce sujet de bon cœur. Je sais que c'est une discussion sensible : n'importe qui serait bouleversé de se remémorer de tels souvenirs, et jamais je ne la forcerai à me confier quoique ce soit qui toucherait de près ou de loin à ses parents. C'est une partie d'elle qu'elle laisse profondément enfouie dans son être.
Plus jeune, je ne comprenais pas ce qu'elle venait faire dans notre quartier : j'ai connu Yu Xin en premier, car elle habite depuis longtemps au Japon et y est ici pour son travail, mais Li Hua a débarqué de nulle part, et ça a été la tempête dans ma vie. Yu Xin était en effet la plus à même à s'occuper de la jeune enfant turbulente qu'elle était. Je me souviens encore du jour où sa tante nous a présentés, ce jour-là, Li Hua m'a regardé droit dans les yeux en me traitant « d'idiot » en mandarin. Je ne sais pas ce qu'il lui a pris mais nous sommes devenus inséparables quelques heures après, je suppose que c'était sa façon à elle de me dire « enchantée de te rencontrer ».
Je n'ai compris que bien plus tard la raison de sa venue, le pourquoi du comment, alors qu'elle et moi avions déjà bien entamé notre adolescence. Je regrette toujours amèrement les paroles qui m'ont traversé l'esprit, et qui n'auraient jamais dû s'y former. J'ai été trop curieux, mais Li Hua n'est pas rancunière, elle ne m'en a jamais voulu d'en savoir plus sur elle. Elle m'a toujours expliqué ce que je souhaitais entendre, dans les limites de son consentement.
Dehors, le soleil commence déjà à tomber alors qu'une petite brise agréable s'engouffre par la fenêtre, faisant remonter l'odeur de l'encens. Je profite d'un instant pour admirer la vue qu'on a depuis sa chambre : l'énorme terrain verdoyant, le grillage, puis une forêt à perte de vue, l'horizon se teintant d'orange. Les cigales chantent, et la douceur de ce moment m'apaise.
Sans prévenir, Li Hua me lance les manettes de sa console tandis qu'elle en prend aussi une paire et s'installe à côté de moi ; nous sommes tous les deux à plat ventre, le nez vers la télévision posée sur sa commode. Elle l'allume, puis lance Mario Kart. C'est notre jeu préféré depuis que nous sommes des gosses, et c'est un peu notre rituel d'y jouer. A chaque fois, je la laisse prendre de l'avance sur la course et gagner. J'adore la voir rigoler et clamer qu'elle est la meilleure et que je devrais vraiment m'améliorer.
— T'es toujours aussi nul, remarque-t-elle après avoir gagné une énième course, celle-ci était sur le Circuit Étoile, son préféré.
— Et toi trop forte, j'ironise.
Elle me lance un regard entendu — elle adore que je la complimente sur ses exploits — puis éteint la télévision et range les manettes dans un tiroir. Elle revient à mes côtés, s'étalant de tout son long sur le lit.
— J'en reviens pas.
Je tourne mon visage vers elle, constatant qu'elle me fixait déjà. Mon cœur loupe un battement, elle est si belle.
— De ?
— De tout ça, sa voix se perd dans un murmure.
Je souris, confus quant à sa réponse.
— Je suis censé deviner à quoi tu penses, moi ? Je ne suis pas devin.
Li Hua se contente de m'observer, comme elle le fait toujours lorsqu'elle ne veut pas me répondre. Je décide de la taquiner un peu.
— Madame joue la carte du silence ? Qu'est-ce qu'il se passe dans ta petite tête ?
Bingo. Elle hausse un sourcil et réplique :
— Tais-toi donc, veux-tu bien ? Et arrête de m'appeler madame.
— Oui, m'dame.
Elle me lance alors un regard dégoûté, puis reprend sa neutral attitude, comme j'aime l'appeler.
— Au fait, tout se passe bien au lycée ?
Je ne relève pas son changement de sujet, bien qu'il signifie qu'elle me cache quelque chose, je ne cherche cependant pas plus loin. Si elle veut me parler de n'importe quoi, elle le fera, elle sait que je suis à l'écoute et disponible.
— Parfaitement. Ushijima est un amour avec moi, il n'arrête pas de m'engueuler sur le terrain, de m'envoyer des ballons dessus et de pratiquement me trucider sur place. Je pense que je le vis bien : la preuve, je suis en un seul morceau. Et mes coéquipiers sont géniaux, je n'aurais pas pu rêver de mieux.
— Je ne te demandais pas ça, son ton est tranchant.
— Tu n'as pas non plus répondu à ma question.
Li Hua mordille sa lèvre inférieure, semblant sûrement peser le pour et le contre.
— Très bien, s'avoue-t-elle vaincue. Je pensais à notre amitié, à ce qu'elle sera l'année prochaine quand on ne sera plus ensemble. Je sais que ce pari de rester ensemble était pourri, mais il me tient vraiment à cœur. Plus que ce que je ne voudrais.
Je la sens se tendre à côté de moi. C'est pareil pour moi, je ne veux pas qu'elle s'éloigne ou pire, qu'elle parte loin. Ce serait difficile à supporter, pas insurmontable, mais pénible. Et puis, ces nouveaux sentiments qui me chatouillent depuis le début du lycée m'empêchent de penser correctement. Ils me mettent dans un ultimatum sans fin.
— À toi.
Sa voix s'est radoucie. Li Hua n'aime pas montrer ses sentiments trop longtemps, c'est déjà un miracle qu'elle le fasse devant moi.
— Juste des gars de ma classe qui s'amusent de ma coloration, je désigne mes cheveux rouges. Rien de très grave. J'ai l'habitude à force.
— Je vais quand même les défoncer.
Le sérieux dans sa voix m'arrache un rire tandis qu'elle me fusille du regard. Mes yeux tombent sur ses lèvres, sur lesquelles je remarque un discret sourire, et j'aimerais tellement pouvoir...
— Ce serait une mauvaise idée, à mon humble avis, je remonte mes yeux dans les siens.
— Ou la meilleure que j'ai jamais eue.
— Allez savoir, je complète la fin de sa phrase, essayant en vain de calmer les battements de mon cœur.
「愛」
Satori
Préfecture de Miyagi, Japon
2012
Mon regard vagabonde sur les cerisiers tout juste fleuris, leurs pétales s'envolant au gré du vent. Assis dans le café proche de chez moi, je repense à Li Hua, à ce qui a failli se passer la semaine dernière lorsque j'étais chez elle. Je ne sais pas pourquoi, mais mon cerveau a décidé qu'elle ne quitterait pas mes songes. C'en est presque cauchemardesque. Je ne me lève plus le matin sans me demander si elle va bien.
Ushijima, face à moi, claque des doigts devant mon visage pour me faire redescendre sur Terre. Je secoue la tête. Semi, à côté de lui, arbore un sourire narquois. Pas besoin de lire dans les pensées pour savoir ce que pensent ces deux-là.
— Je me demande si je ne deviens pas fou.
Le sourire de Semi s'agrandit, devenant plus sincère, et échange une œillade entendue avec notre capitaine. Je n'aime pas beaucoup leurs regards.
— Mon cher et tendre Tendō, tu es piqué, déclare Semi dans le plus grand des calmes. Il suffit de te regarder pour le dire.
Je ne peux m'empêcher de sourire à mon tour, après tout, je n'ai jamais cherché à le cacher : Li Hua ne voit juste pas les signes que je lui envoie.
Ushijima et Semi sont vraiment de bons amis, ils ne m'ont jamais jugé sur mes sentiments, ni sur moi-même. Ils me voient comme je suis : Satori Tendō, pas le « mec bizarre » de dernière année. Ils ont toujours été là pour moi, si on ne compte ma voisine dans le lot, dans les bons ou les mauvais moments. Donc c'est avec une aveugle confiance que je me suis confié à eux sur ce que je ressentais.
J'ai d'abord dû moi-même les accepter, et ça été plus compliqué. Je suis passé par une puissante phase de déni, où je rejetais l'idée même d'aimer, autrement qu'en amitié, Li Hua. Je persistais à me convaincre que j'étais juste un ado en manque et pourtant, force a été de constater que ce n'était pas le cas. Puis, j'ai accepté ces sentiments, plus ou moins ; parfois, j'essaye toujours de me persuader que tout ça n'est qu'une illusion. La réalité me rattrape vite fait dès que je revois Li Hua, dès que mon cœur s'emballe à chaque fois que mon regard se pose sur elle.
— Quand comptes-tu lui dire ? intervient Ushijima, sirotant son café.
J'écarquille les yeux et le dévisage, c'est bien la chose la plus idiote que je n'ai jamais entendue.
— Tu rigoles ? Jamais je ne pourrais lui révéler, ça reviendrait à tirer un trait sur notre amitié. Et honnêtement, je préfère qu'elle me voie comme son meilleur ami plutôt que de briser mon cœur si elle refusait mes sentiments.
Semi lève les yeux au ciel, tandis qu'Ushijima me juge, pensant certainement que je suis un beau crétin d'avoir peur de si peu.
— Objectivement, t'en sais rien, Li Hua ne parle jamais de ses sentiments, que ce soit à moi ou à Semi, ni à aucun autre d'ailleurs. On ne peut donc pas savoir si elle ressent la même chose ou non.
— Objectivement, t'as raison, mais je ne peux pas me résigner à le faire.
— T'as une occasion en or, idiot ! s'exclame Semi. Je veux dire, elle n'a d'yeux pour personne à part toi, elle rejette tous les mecs qui s'approchent d'elle alors qu'elle est magnifique. Merde, ouvre les yeux.
Je cherche quelque chose à répliquer, n'importe quoi pour le faire taire et éviter de me mettre dans l'embarras. Je déteste être celui qui se fait sermonner parce que d'habitude, c'est moi qui connais les points faibles des gens que je côtoie. Pas l'inverse.
S'il y a bien une personne que je n'arriverai jamais à cerner entièrement, c'est Li Hua. Ses yeux expriment tout et rien à la fois, je sais quand elle me cache quelque chose, mais impossible de dire si c'est bien ou mal, si ça la rend triste ou non. Chez les autres, c'est naturel. Si Ushijima est contrarié, je le sens, si Semi est trop excité pour un lundi, je le remarque. Li Hua, c'est le contraire, c'est une femme qui cache parfaitement ses émotions sous un visage neutre.
Ce que je sais aussi, c'est que derrière ses airs de dure à cuire, se cache une femme qui est généreuse, bienveillante.
— Ok, j'admets, je lui dirais peut-être... Un jour.
Semi paraît sur le point de s'arracher les cheveux.
— Un jour ? Un jour ?! répète-t-il. T'es en train de nous dire que ça pourrait être demain comme dans quelques années ?
Je soupire, résigné, cette idée ne m'enchante pas : la fin du lycée approche à grands pas.
— Si tu ne lui dis pas avant la fin de la floraison des cerisiers, je ne suis plus ton ami.
C'est à mon tour de dévisager Semi, je regarde Ushijima qui ne sait plus où se mettre, puis à nouveau mon ami.
— T'es pas sérieux ?
— On ne peut plus sérieux. Je ne vais pas poireauter jusqu'à ce que tu veuilles bien lui confesser tes sentiments ! Accepte.
Je lève les yeux au ciel en mangeant un bout de gâteau pour combler le silence.
— Arrête de faire la moue, demande Ushijima sans se départir de son air supérieur.
Je vais lui faire bouffer son petit sourire.
S'ils veulent jouer comme ça, on va jouer. Je repose la cuillère avec une lenteur calculée sur la table.
— C'est simple, pour vous, de dire ça comme si de rien n'était, je réplique. Semi, t'enchaînes les filles parce que tu ne sais pas te poser et toi, Ushijima, tu t'en fous de la moindre fille qui peut t'approcher parce que t'es tellement concentré sur le volley que t'en deviens aveugle.
La fin de ma phrase est ponctuée par un soupir plus que mérité, ça fait du bien.
— Je sais que c'est pas simple parce que vous attendez depuis longtemps que les choses entre Li Hua et moi avancent, mais je sais aussi que vous me soutenez. Et c'est tout ce dont j'ai besoin.
Je m'adoucis, mon but n'était pas non plus de les engueuler, juste de leur faire prendre conscience que chacun est différent. Chacun appréhende ses sentiments différemment. Mes deux amis semblent comprendre mon état d'esprit car aucun d'eux ne poussent le sujet plus loin, ne me pousse dans mes retranchements. Je sais qu'ils ne souhaitent que mon bonheur et que pour cela, ils sont même prêts à me crier de me réveiller.
Je suis encore bien dans mes illusions, dans mes rêves où Li Hua comprend enfin les sentiments que j'ai à son égard et qu'ils soient réciproques. Malheureusement, il se pourrait qu'elle ne soit pas réceptive à mes signaux. Comme quoi, je vous l'avais dit, elle ne fait pas attention à ce qui l'entoure.
Après une après-midi passée ensemble, je rentre chez moi, laissant Ushijima et Semi à leurs occupations au café, c'est-à-dire parler de volleyball à tout va et faire les commères sur les filles de notre lycée. Si je ne connaissais pas aussi bien Ushijima, je ne penserais pas qu'il soit le type de mec à avoir des critères pour une fille, pourtant, c'est bien le cas. Il est même beaucoup plus exigeant que Semi ! Monsieur veut qu'elle soit comme ça, Monsieur veut qu'elle se comporte comme ça. Ses critères se transforment plus en liste de courses. Semi est moins regardant ; tant que la fille en question succombe à ses charmes, il est heureux.
Pour ma part, je ne vois que Li Hua depuis bien longtemps et les autres filles ne m'approchent pas. Je les ai déjà entendu chuchoter à notre sujet, soi-disant qu'on irait bien ensemble, le couple bizarre. Lorsque nous étions en première année, deux filles se sont moquées de nous et Li Hua a pété un câble ce jour-là.
Deux ans plus tôt, Shiratorizawa
Li Hua est à côté de moi, fronçant les sourcils pour se concentrer sur ses exercices de mathématiques. Elle a toujours la même tête lorsqu'elle se plonge dans une matière difficile, pourtant, elle est nulle. Je veux dire, nulle en cours et en mathématiques, elle a simplement réussi à entrer à Shiratorizawa grâce à sa bourse en piano, qui est plutôt prestigieuse. Les études ne sont pas faites pour elle et pourtant elle a décidé d'affronter monts et tempêtes pour me suivre. Elle mâchouille le capuchon de son stylo à bille alors que sa jambe tressaute.
Moi, je suis plus concentré sur les deux filles au fond de la classe qui ne font que nous observer depuis le début de cette année, je me demande d'ailleurs bien pourquoi. Je ne leur ai jamais adressé ni la moindre parole ni le moindre regard. Je comprends que je puisse attirer l'attention avec mes cheveux teints ou avec mon caractère extravagant, mais Li Hua ? Non, elle se fond d'habitude dans la masse, elle ne se fait pas remarquer. Pourtant, là, c'est l'inverse.
Le professeur n'étant pas encore arrivé, les conversations se font vives, peu discrètes. Je prie pour qu'il pointe prochainement le bout de son nez où je n'arriverais pas à me calmer.
— Tu les as vu, marmonne une des deux, ils sont toujours collés ensemble, toujours à rire comme des imbéciles.
— Ouais, répond l'autre, trop bizarre. Ils iraient bien ensemble.
Mon cœur s'emballe tandis que mes mains deviennent moites, je baisse la tête en essayant d'inspirer et d'expirer doucement, comme Li Hua m'a toujours appris quand on était gamins. C'est peine perdue, mes oreilles ont décidé de n'écouter qu'elles. Li Hua semble avoir perçu l'anxiété qui me frappe car à cet instant, sa main s'enroule autour de mon poignet tandis que ses yeux trouvent les miens. Il n'y a pas une once de jugement dans son regard, juste un calme olympien.
— Fais pas attention à ces idiotes, Satori, murmure-t-elle pour que je sois le seul à l'entendre. Elles ont tort.
Elles continuent de parler avec une voix plus forte, s'en fichant qu'on puisse les écouter ou non. J'espérais qu'en entrant au lycée, les problèmes ne me suivraient pas, mais je dois être malchanceux, ou peut-être juste que c'est moi le problème ? Li Hua soupire une fois, puis deux, sa poigne se resserre.
— T'as grave raison, ils feraient un bon petit couple, les deux bizarres.
Elles éclatent de rire alors que Li Hua se lève soudainement, sa chaise tombe à terre dans un énorme boucan. Elle se tourne vers les deux filles, un silence de mort règne désormais dans la classe, et les assassine du regard. Elle ne m'a toujours pas lâché et son contact est brûlant. Je pense que si elle continue à me tenir de cette façon, mon corps va s'embraser d'une minute à l'autre.
— Si vous avez quelque chose à dire, les deux pestes, venez-nous le dire en face et de préférence sans la queue entre les jambes, si vous voyez ce que je veux dire ?
Sa voix est assurée et ne tremble pas une fois. Elle m'a toujours impressionné : sa capacité à faire taire les autres est surhumaine. Les deux filles semblent outrées que Li Hua ait osé élever la voix.
— Qu'est-ce que tu vas faire, hein ? réplique une des deux.
Elle prend une grande inspiration, tentant sûrement de se maîtriser.
— Tu ne devrais pas me tenter, répond-elle. Je vous ai déjà aperçu vous moquer de certains élèves. Vous pensez que ça va vous rendre moins transparentes aux yeux des garçons ? Que vous allez être populaires ? Que tout le monde va aimer vos caractères de harceleuses ?
Elle laisse un sourire s'installer sur ses lèvres.
— Croyez-moi, personne ici n'aime les harceleurs, n'est-ce pas ?
Elle fixe chacun de nos camarades tout à tour, ils n'ont pas d'autre choix que de hocher la tête. Je suis certain qu'elle pourrait tous les trucider. d'une seconde à l'autre. Elle m'a toujours protégé quand j'étais en danger, pas l'inverse, comme on pourrait le penser.
— Si l'un d'entre vous a un problème avec Satori, qu'il la ferme. Je pense que vous êtes capable de vous comporter comme des lycéens, et non comme des petits gosses de primaire qui cherchent à embêter les autres, non ? s'adresse-t-elle à nouveau à l'ensemble de la classe.
Tout le monde a les yeux rivés sur Li Hua mais elle ne cille pas.
— Bien.
Elle conclut son monologue par le claquement des pieds de la chaise qu'elle remet au bon endroit, son froncement de sourcil a disparu et a laissé place à un visage impassible, le genre d'expression faciale qui me fait flipper chez elle.
Le professeur débarque dans la classe en demandant le silence, ce qui met définitivement fin aux discussions, mais pas à mon angoisse. Le regard de Li Hua ne m'a pas quitté depuis qu'elle s'est assise, cependant elle a lâché mon poignet lorsque notre enseignant est arrivé.
— Quoi ? je marmonne à son égard.
Elle hausse les sourcils comme si la réponse était évidente.
— Je lis pas dans tes pensées, j'ajoute.
Je relève soudainement la tête, croisant le regard réprobateur de Monsieur Takeda.
— Monsieur Tendō Satori, intervient le professeur, si vous n'avez donc rien de mieux à faire que de vous faire remarquer avec votre camarade de classe dès le début de cette année, je suppose que nettoyer le gymnase pendant une semaine ne posera donc aucun problème ?
Son ton ne me laisse pas de marge de réplique, Li Hua se cache le visage dans les mains, sûrement exaspérée que je l'ai mise dans une telle situation.
Je souris comme un idiot en arrivant dans ma rue — notre rue. Ce jour-là, je suis définitivement tombé amoureux d'elle.
「愛」
Li Hua
Préfecture de Miyagi, Japon
2012
La fin de floraison des cerisiers est arrivée et si je ne faisais pas un minimum attention, je me retrouverais sans doute avec des pétales partout dans la chambre. Il ne pleut pas beaucoup en ce moment et les températures sont douces, avoisinant environ les vingt-et-un degré, on supporte donc bien un petit gilet. Mon pull à capuche trop grand pour moi me tient d'ailleurs chaud alors que ma fenêtre est grande ouverte. A cause du vent froid qui s'y engouffre, je suis en train de mourir de froid, mais je préfère cela plutôt qu'une surchauffe de mes pauvres neurones. Mes cahiers de cours sont grands ouverts sur mon lit et moi, en tailleur, j'essaie en vain de mémoriser les informations les plus importantes.
Je n'ai jamais été très douée ni à l'école ni en sport, autant dire que le lycée privé de Shiratorizawa était quasiment hors de portée, avant qu'ils n'ouvrent un club de piano et décident que les étudiants les plus doués pourraient y rentrer. Cela a été mon année de chance et c'est par ce biais que j'ai accédé à ce dernier, je ne me voyais de toute façon pas aller à Karasuno. La proximité de la maison de ma tante m'arrangeait grandement et il y avait aussi Satori que je ne pouvais pas laisser seul, surtout à cause de ce pari débile qu'on a fait huit ans en arrière.
Qu'aurait fait Satori sans moi ? Cette question me taraude sans cesse et je crois bien devenir folle parfois mais en y réfléchissant bien, Satori n'a besoin de personne pour se défendre, je suis juste trop protective. Depuis qu'on est petits, je suis celle qui le protège parce qu'il pleurait tout le temps quand on lui faisait une remarque, aussi insignifiante était-elle. J'ai pris l'habitude de réagir au quart de tour quand ça le concerne, même si je ne devrais pas. J'ai remarqué que ces derniers temps, il commençait à être plus lui-même avec les autres. L'équipe de volley de Shiratorizawa lui a fait beaucoup de bien.
Ma tante toque à la porte et je jette un coup d'œil à mon téléphone, il affiche vingt-deux heures trente. Une heure à laquelle tata devrait déjà être couchée. Sans que je ne réponde, sûrement pour vérifier que je ne dorme pas sur mes leçons, elle ouvre la porte et passe la tête, avant de sourire et d'entrer. Elle referme la fenêtre sans un mot, il doit probablement faire un froid de canard dans ma chambre, même si je ne le remarque pas.
— Je ne pensais pas que tu étais encore réveillée, je venais vérifier.
Elle prend soin de refermer le battant et s'installe à mes côtés, observant ce que je suis en train d'apprendre.
— Que de souvenirs, marmonne-t-elle avec une grimace.
Sa main vient trouver mes cheveux et masse délicatement mon crâne.
— Tu n'es pas obligée de continuer, Li Hua, si tu es fatiguée, arrête-toi là et reprends demain. Tu veux bien ?
Tata a toujours su lire entre les lignes, entre les mots que je ne prononce pas.
— Je te l'ai jamais dit, mais t'es ma tata préférée.
Elle rigole et je vois maintenant à quel point elle ressemble à maman, c'en est presque dur.
— Ils me manquent, je dis sans réfléchir.
Sa mine s'assombrit, je me dépêche d'ajouter :
— Désolée, oublie, il ne vaut mieux pas qu'on parle de ça.
Son index enroule une mèche de cheveux, elle secoue la tête.
— Non, parlons-en, ils le méritent bien. Tu n'es pas encore allée voir l'autel, n'est-ce pas ?
Cet autel, tata l'a fabriqué peu après le mort, mais je n'ai jamais mis les pieds dans cette pièce. L'idée même de les revoir en photos me repousse, je ne veux pas les voir sourire alors qu'ils ne sont plus à mes côtés.
— Non, je... Je ne peux pas.
Elle embrasse délicatement mon front et je me détends dans ses bras, j'aime son contact. Elle est la seule personne avec qui je m'autorise ce genre de moments, parce que je ne veux être vulnérable devant personne d'autre.
— Ce n'est pas grave, murmure-t-elle. Moi-même, au fond, je sais que j'ai créé cet autel à cause du manque que j'ai ressenti, que je ressens parfois toujours. Je pense qu'il est bon de se rendre compte que des êtres qui nous sont chers nous manquent, pour qu'on puisse mieux avancer, faire notre deuil.
Elle marque une pause tandis que je médite ses paroles qui coulent sur ma peau, je n'arrive pas bien à les comprendre. J'ai l'impression d'avancer, mais de me sentir coupable d'être heureuse.
— Faire son deuil, reprend-elle, coupant court à mes pensées, ce n'est pas oublier une personne, mais se rappeler à quel point on l'a aimé, se rappeler d'elle, et quand même aller de l'avant. Pour continuer de vivre pour ceux qui ne le peuvent plus.
Ma tante prend une grande inspiration.
— Enfin, on a beau parler, ce n'est jamais facile.
Je ne peux que hocher la tête.
— Je ne t'oblige à rien, Li Hua, mais les souvenirs de nos proches sont ceux qu'on doit chérir le plus, nous seuls pouvons le faire. Personne ne se souviendra d'eux autrement.
Personne ne se souviendra d'eux autrement.
Je crois que c'est ce qui me décide à cet instant.
— Merci, tata.
Je la sens me serrer dans ses bras, ses bras qui m'ont toujours porté alors que j'étais l'enfant la plus insupportable qui puisse exister.
— T'es douée pour les discours, en fait, quoique, c'était un peu déprimant.
Elle se permet de rire à nouveau et je fais de même.
— Si tu as compris où j'ai voulu en venir, c'est l'essentiel. Je t'aime fort, ma petite Lili.
Je souris face à son surnom mais plus encore, la manière dont elle a dit si naturellement je t'aime. J'aimerais pouvoir en faire autant parce que je l'aime tellement, mais les mots ne sortent pas, ils restent bloqués. Tata ne relève pas mon manque de communication, se contentant de me bercer dans son étreinte.
Le lendemain, de retour en cours, il faut que je parle à Satori, c'est un besoin vital. Dès que je le repère près d'Ushijima et Semi, je lui fonce dessus, pas au sens propre. Mes mains se posent sur ses épaules et le retournent plutôt violemment, je ne prends même pas le temps de les saluer.
— Satori ! Tu viens chez moi ce soir ?
Ma question a plus sonné comme une affirmation, voire un ordre. Satori semble pris au dépourvu car un blanc suit ma prise de parole, puis il accepte. Je ne lui laisse pas le temps de répondre car déjà je suis partie, rejoignant les toilettes. Je remets en place mes cheveux et inspecte ma peau que j'ai légèrement maquillée ce matin. Parfait, tout est en place.
Quelques autres étudiantes sont présentes dans la pièce mais aucune ne semblent s'apercevoir de ma présence.
— Chen ?
À l'entente de mon nom de famille, je sursaute, faisant éclater la bulle d'excitation dans laquelle j'étais. Mes yeux trouvent la fille qui vient de m'appeler, je ne l'ai jamais vu, ou alors je n'ai jamais fait attention à elle. J'opte plutôt pour la deuxième option. Elle semble être en troisième année comme moi ; son visage me dit tout de même quelque chose.
— Oui ?
Son regard passe de moi, à ses mains puis à ses pieds qui se balancent de droite à gauche, drôle de façon de parler à un inconnu. Ses joues rougissent d'un coup, non, son visage s'enflamme, tandis qu'elle me tend une petite carte.
— Je sais que tu es proche de Tendō alors j'aimerais te demander si tu pouvais lui donner ça, s'il te plaît.
Je ne sais pas pourquoi, mais le nom de Satori dans sa bouche me tend. Je fixe avec dédain la carte mais me raisonne : Satori n'est pas ma propriété privée, enfin, j'aimerais bien que plus aucune personne mal intentionnée ne l'approche car je ne veux plus jamais qu'il souffre. Ça m'étonne d'ailleurs qu'elle ait le béguin pour Satori, et pas pour un autre. Les étudiants l'évitent la plupart du temps.
Je ne comprends pourquoi je pense cela, je m'en fiche de qui il fréquente, tant qu'on ne lui fait pas de mal.
— J'aimerais juste que tu lui donnes...
— Oui, j'ai compris, mon ton est sec.
Je lui prends la carte des mains.
— Je lui donnerai.
Je quitte précipitamment les toilettes, sur les nerfs.
En classe, je ne cesse de triturer la lettre, la tournant de droite à gauche. Je ne l'ai pas ouverte et ne compte pas le faire, cela ne regarde que Tendō, même si je suis bien curieuse de savoir ce qu'elle contient. Une lettre d'amour ? Rien qu'à y penser, je frissonne de dégoût.
— Qu'est-ce que c'est ? murmure Satori en se penchant vers moi.
Il apparaît dans mon champ de vision et j'ai un sursaut, je vérifie que notre professeur ne nous surveille pas et lui répond :
— Rien d'intéressant.
Un raclement de gorge se fait entendre alors que les chuchotements des élèves cessent, je relève la tête vers notre enseignant.
— Monsieur Tendō et mademoiselle Chen, combien de fois vais-je devoir vous rappeler à l'ordre ? Si vous aimez tant parler, faites-le donc en nettoyant le gymnase. Décidément, vous ne changerez jamais, marmonne-t-il dans sa barbe.
Il continue son cours comme si de rien n'était tandis que je jette un coup d'œil assassin à Satori. Monsieur Takeda n'a jamais supporté les bavardages dans sa classe et pour une raison inconnue, il m'a moi et Satori dans son collimateur depuis notre entrée à Shiratorizawa. À croire qu'une cible est dessinée sur nos fronts...
— C'est ta faute, idiot, j'articule avant de me concentrer à nouveau sur la leçon, ignorant totalement la mine indignée de mon meilleur ami.
J'ai caché la carte dans mon sac, pesant le pour et le contre. Bon sang, qu'est-ce que ça peut bien me faire ? Je m'en fiche si une autre fille ressent quelque chose pour Satori.
Quelques heures plus tard, nous voilà en train de nettoyer le gymnase désert à cette heure-ci. J'ai déjà prévenu ma tante qui, habituée à nos punitions, n'a pas cherché à me sermonner. Nous passons la serpillère sur les terrains lorsque Satori s'exclame — j'aurais préféré qu'il se taise.
— C'était quoi cette carte ?
Une partie de moi refuse de lui révéler mais je ne peux pas m'y contraindre.
— Une fille me l'a donné pour toi...
Ma phrase était inaudible.
— Quoi ? la voix de Satori résonne dans le gymnase.
Je soupire, puis lâche la serpillère sans me préoccuper de sa chute, et monte dans les gradins pour récupérer le centre de mes préoccupations. Je redescends aux côtés de Satori et la lui tends. Il fronce les sourcils, puis examine l'enveloppe blanche. Il la prend et l'ouvre, tandis que je continue ma tâche, sans trop le fixer. J'ai le temps de faire un tour du terrain quand j'entends du papier froissé et un juron de Satori. Satori ne jure jamais.
Je me retourne vers lui, à la recherche de la moindre réponse dans son regard, mais je n'y vois que du dégoût, le même que celui que j'ai ressenti quand j'ai pensé aux possibles sentiments de cette fille envers lui. Ses points se contractent et il jette à terre l'enveloppe et la lettre dans un mouvement sec.
— Satori ?
Il fait rouler ses épaules en arrière puis prend une grande inspiration.
— Tu n'as pas regardé ce que la lettre contient ?
Je secoue la tête : je ne pourrais jamais trahir sa confiance.
— Tant mieux. Y'avait rien d'intéressant de toute manière dedans.
Je suis bouche bée tandis qu'il se déplace vers la poubelle la plus proche et déchire les morceaux de papiers avec une colère peu habituelle. Je me demande bien ce qu'il y avait dans cette lettre, je ne le saurais sûrement jamais. Satori est une tombe lorsqu'il se referme sur lui-même, un peu comme moi. C'est le seul point commun qu'on partage. En dehors de ça, nous sommes très différents, peut-être même trop.
Je n'ai pas fait attention, mais il est désormais proche de moi, à quelques centimètres tout au plus.
— C'était une déclaration d'amour ? je tente.
Sa main passe dans mes cheveux, joue avec. Il enroule son index autour d'une mèche. J'ai honte de dire que j'apprécie peut-être trop ce contact que je ne devrais.
— Ouais, mais ça m'importe peu.
Je déglutis, qu'est-ce que c'est censé vouloir dire ? Je ne sais pas lire dans les pensées, alors pourquoi Satori n'est-il pas content ?
— Qu'est-ce qu'il y a ?
C'est la seule question que j'arrive à poser sans paraître bizarre, ou trop curieuse.
— Rien du tout, je suis content que tu n'aies pas lu la lettre, elle ne valait pas le coup.
Je réalise que ce que je ressentais tout à l'heure n'était pas du dégoût, mais de la jalousie.
— Pourquoi tu veux que je vienne chez toi d'ailleurs ? sourit-il, reprenant sa bonne humeur. Tu nous as tous les trois surpris.
Je rigole, bien que je ne me sente toujours pas soulagée.
— Juste... Viens, ok ? Pose pas de questions. J'ai encore le droit d'inviter mon meilleur ami, non ?
Cette fois-ci, il ébouriffe mes cheveux alors que je m'éloigne.
— D'accord, ma meilleure, je viendrai.
Je ne sais pas pourquoi, mais quand nous quittons le gymnase, un drôle de poids s'est installé sur mon cœur. Je dois parler à Semi, ou à Ushijima, ou au deux. Je veux savoir ce que cache Tendō, pourquoi il semblait si repoussé par la lettre et vraiment pas intéressé.
Quand nous atteignons ma résidence, je prends Satori par la main et l'emmène dans la pièce où je n'ai jamais mis un pied, là où repose les cendres de mes parents. J'ai le ventre noué et j'ai l'impression qu'à tout moment, je pourrais rendre mon repas de midi. Ma tante m'a prévenu que ce serait difficile, mais je n'imaginais pas à quel point. Satori ne semble pas comprendre, il me suit cependant sans broncher.
Dès qu'il comprend où on est, il emprisonne un peu plus fort sa main dans la mienne.
La pièce est plutôt petite mais au fond, contre le mur, se trouve l'autel où reposent mes parents. Il n'y a que deux fenêtres à notre gauche qui, à cette heure-ci, ne laissent plus la lumière rentrer. Le parquet au sol est luisant, signe que ma tante vient souvent ici.
— Li Hua...
Je ne suis pas certaine de vouloir parler, je veux juste pouvoir leur rendre hommage ne serait-ce qu'une fois depuis qu'ils sont partis.
Satori se place à mes côtés alors que j'avance plus proche de l'autel, nos mains toujours entrelacées. À nous deux, nous allumons l'encens, ça me redonne un peu de courage de constater que Satori est à mes côtés, me soutenant. Je ne savais pas que le contact de Satori pouvait être aussi rassurant, à vrai dire, je l'ai toujours repoussé puisque je déteste les interactions physiques. Je pense que je me suis lourdement trompée...
Une fois que l'encens brûle, nous nous mettons à genoux devant l'autel, je prends le temps de détailler la photo encadrée de mes parents. Je me souviens de celle-ci : nous étions en vacances sur l'île d'Okinawa et ils m'avaient demandé de les prendre en photo. Malheureusement, j'étais jeune et je ne savais pas comment m'y prendre avec l'appareil. Après plusieurs essais infructueux, j'ai réussi mais ils étaient en train de rigoler.
Les larmes me piquent les yeux, mes mains moites tremblent, se resserrant sur la jupe de mon uniforme scolaire.
— Tu ressembles à ta maman...
Sa phrase reste en suspens, nous ne nous regardons pas dans les yeux, observant tous les deux le cliché figé dans le temps. Je ne le quitte pas un instant, ayant peur que si je cligne trop fort, il disparaîtrait pour de bon.
— Elle est magnifique.
Je me risque à jeter un coup d'œil dans sa direction mais il me fixait déjà. Si mon cœur bat déjà à toute allure, désormais, il est prêt à sortir de ma cage thoracique.
— Pourquoi tu me regardes comme ça, Satori ? je murmure.
「愛」
Satori
Pourquoi ? C'est une très bonne question. J'ignore moi-même ce que je suis en train de faire. Je n'ai qu'une envie : c'est l'embrasser, partager sa peine et alléger ce fardeau qu'elle porte depuis si longtemps. Supporter ces douloureux souvenirs avec elle et qu'ensemble, on puisse aller de l'avant. Le faire ici devant ses défunts parents n'est pas une bonne idée, si bien que je me retiens.
— Pourquoi ? répète-t-elle, la voix tremblante.
L'incertitude plane entre nous deux. Ses cheveux ébènes retombent le long de ses épaules, cachant une partie de son visage. Je remets une mèche derrière ses cheveux et remarque ses yeux humides.
— Tu me fais confiance ? je demande.
Elle n'attend pas et hoche la tête. Je prends ça pour une confirmation et décide de l'attirer dans mes bras, la serrant aussi fermement que je le peux. Li Hua se tend d'abord — je sais à quel point elle hait le contact — puis se relaxe lentement, comme si elle percevait mon intention derrière cette étreinte. Je ne veux plus juste l'enlacer en tant que meilleur ami.
Li Hua s'accroche à moi, ses mains agrippent ma chemise blanche. Ses lèvres sont pincées et cette vision me fend le cœur, elle ne devrait pas se retenir de montrer ses émotions, pas dans un moment comme celui-là.
— Ne te retiens pas, s'il te plaît. Merde, Li Hua, tu as le droit d'être triste, de pleurer, de hurler.
Elle enfouit son visage dans mon torse et explose en pleurs, prise de hoquets interminables. Je contracte mes mâchoires pour ne pas pleurer à mon tour parce que je sens également les larmes monter ; aucun être humain au monde ne pourrait être insensible. Je lui caresse doucement le dos de haut en bas, essayant de l'attirer encore plus contre moi.
Je tourne la tête vers la photo de ses deux parents et les remercie d'avoir mis au monde Li Hua parce que même dans les moments les plus sombres, elle est toujours restée à mes côtés. Ce soir, c'est à moi d'être là pour elle.
Je vous promets de prendre soin d'elle.
C'est la première fois que je les vois : Li Hua ne m'a jamais montré de photos d'eux, le peu que j'ai vu d'elle, petite, c'était elle et sa tante, rien d'autre. Elle cache ce passé comme si elle avait peur de s'en souvenir, de ne pas pouvoir le surmonter. Moi, je crois en elle parce que je l'ai toujours fait.
— Tu es forte, Li Hua, je marmonne dans ses cheveux.
Elle secoue la tête et s'accroche encore plus fort à moi. Tout son corps tremble et je suis terrifié à l'idée de ne pas pouvoir la réconforter.
— Juste...
Elle renifle.
— Reste comme ça, s'il te plaît.
— Bien sûr, aussi longtemps que tu le souhaites.
J'embrasse son front tandis qu'elle se calme peu à peu. Dès que sa respiration revient à la normale, je sèche ses dernières larmes de mes pouces. Ses yeux sont rouges et gonflés et ses sourcils froncés alors pour plaisanter, mon index rencontre la ride entre ces derniers.
— Satori ? sa voix n'est qu'un murmure, je la tiens à nouveau contre moi.
— Mmh ? je marmonne.
Elle me pousse légèrement par les épaules pour nous séparer.
— Je...
Je crois entendre le début d'une phrase mais elle se reprend bien vite :
— Merci.
— Toujours.
Elle esquisse un sourire et ne cherche pas à continuer la conversation. J'aimerais qu'elle me dise ces fameux trois mots que j'attends depuis si longtemps. J'aimerais qu'elle ressente ce que je ressens lorsque je l'aperçois à la volée au coin d'un couloir au lycée, qu'elle se rende compte qu'elle n'est plus simplement ma meilleure amie.
Je la reprends dans mon étreinte et cette fois-ci, elle paraît à l'aise, ses bras s'enroulent même autour de ma taille.
— Je dois te dire quelque chose... je chuchote.
Mon cœur bat la chamade, je suis un idiot de vouloir lui avouer maintenant mais je n'en peux plus de patienter. J'aimerais le clamer haut et fort.
— Je...
— Moi aussi, elle me coupe l'herbe sous le pied.
Je me fige, pas sûre de comprendre où elle veut en venir.
— Moi aussi, répète-t-elle, toujours en me regardant dans les yeux. Je ne sais pas pourquoi, c'est fou, n'est-ce pas ? Ça fait quelques jours que je me pose des questions et puis quand cette fille m'a donné cette lettre pour toi, j'étais jalouse. Je ne pouvais pas accepter que tu regardes une autre fille. C'est pathétique, non ?
Je reste stoïque, déboussolé, ai-je bien entendu ? Suis-je en train de rêver ? Ce n'est pas pathétique, loin de là, parfois, j'ai déjà ressenti cette jalousie lorsqu'elle était proche de Semi ou Ushijima, sans jamais oser le révéler.
— C'est réciproque... Je veux dire, mes sentiments.
Les larmes recoulent à nouveau sur ses joues, mes mains rencontrent ces dernières.
— Pourquoi tu pleures ?
Elle hausse les épaules alors je l'attire encore une fois dans mes bras, je crois que je ne pourrais me lasser de la tenir comme ça.
「愛」
Li Hua
Satori et moi restons un long moment dans les bras l'un de l'autre, aucun n'a envie de mettre fin à cette étreinte apaisante. Je ne veux pas le quitter mais d'un côté, je sais qu'il vaut mieux qu'il rentre chez lui ce soir, pour que chacun puisse remettre ses idées en place. Nous nous sommes dit beaucoup de choses et ça nous a rapproché. Je ne suis pas encore sûre de la direction que prendra notre relation mais ce qui est certain, c'est que je me battrai pour nous.
Je ne mettrai pas un mot sur ce que je ressens parce que c'est trop complexe, je veux vivre au jour le jour et ne pas regretter. Je ne veux pas non plus me voiler la face : je considère Satori bien plus que comme un simple meilleur ami, mais mettre un nom sur notre relation me semble trop bizarre. Alors pour l'instant, je ne considérerai pas que nous sommes ensemble, mais quelque chose qui se rapproche plus ou moins.
Plus tard dans la soirée, je m'allonge sur mon lit, hésitant à lui envoyer un message. Apparemment, il a lu dans mes pensées.
Satori | 21h34
J'ai envie de te voir.
Je déglutis, moi aussi, j'ai envie de le revoir et qu'il me retienne dans ses bras comme il l'a fait plus tôt. Mais est-ce raisonnable ? Je veux dire, non pas que je ne veuille pas, mais j'ai peur de me précipiter.
Satori | 21h35
N'aie pas peur, Li Hua, fais nous confiance, ok ?
Je lis cette phrase à la volée et je sais que j'ai besoin de lui, maintenant. Je balance mon téléphone sur les couettes et me jette en avant. Je traverse le salon alors que ma tante est train de préparer son travail de demain.
— Où tu vas comme ça ? m'interrompt-elle avec un grand sourire.
— Je crois que j'ai trouvé l'homme de ma vie.
Dis comme ça, ça a l'air niais, vraiment niais, mais j'en ai marre d'enfouir mes sentiments.
— Je l'ai toujours su.
— Tu étais au courant ?! je m'exclame, impatiente.
— Tu es comme ma fille, Lili, évidemment que je remarque si un garçon te plaît, surtout quand il s'agit de ton meilleur ami. Allez, va, retrouve-le.
Je lui rends son sourire et me précipite à l'extérieur, je suis à peine arrivée dans ma cour que mon corps rencontre celui de Satori. Il ne m'a jamais autant manqué qu'à cet instant. Il m'étreint avec force et je fais pareil. Notre pari débile n'a jamais pris autant de sens qu'aujourd'hui : lui et moi, ensemble et quand bien même nous sommes loin l'un de l'autre, nous ne le serons jamais vraiment.
Moi qui craignais que ce pari ruine tout lorsque nous aurions atteint l'université, je me suis lourdement trompée. La distance n'équivaut pas à la solitude.
— Ne me quitte pas, Li Hua.
— Promis.
— Promis ?
— Promis, je murmure. Satori ?
Il marmonne quelque chose d'inaudible dans mon cou.
— C'est Li Hua.
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