XXVIII

L'odeur du passé et de la poussière emplissaient la pièce tandis que les vieux livres entassés de part et d'autres de la petite boutique apportaient ce charme antique qui vous serrait la poitrine ; l'odeur de la cire brûlée et du thé chaud flottait dans l'air et les deux individus qui comblaient le vide n'interagissaient point, tous deux perdus dans l'atmosphère mystérieuse de ce lieu. L'homme était assis sur une chaise, une tasse fumante dans la main et il se délectait du goût fruité de celui-ci tout en écoutant les gouttes de pluie ruisselant le long de la vitrine. Le chibi était assis sur la table, les jambes croisées, le visage emmitouflé dans son gros manteau. C'était pourtant lui qui avait pris l'initiative de venir et maintenant qu'il était là, les mots restaient coincés dans sa gorge. Seokjin était calme, il paraissait attendre que son interlocuteur pose la question qui lui brûlait les lèvres or le rosé ne bougeait point.

- Il n'y a rien de mieux qu'une bonne tasse de thé dans ces temps-là. Le froid hivernal, les marchés qui se multiplient et l'esprit de fête qui emplit le coeur des gens, le tout mêlé à la douce saveur de la cannelle et aux notes de pomme...

Il avait dit cela tout naturellement, cela ne sonnait pas comme une tentative de combler le silence.

- Et si tu me racontais ce qui te tracasse ? Tu sembles bien perturbé.

Jimin leva les yeux vers l'antiquaire qui lui souriait avec bienveillance et hocha timidement la tête.

- Vous lisez dans mes pensées, avoua-t-il d'une petite voix.

- Je n'en suis pas capable, je l'ai deviné par ta venue. Si tu n'avais pas quelque chose à me demander tu ne serais pas ici. Il marqua un temps de pause dans lequel il but une gorgée de thé. Laisse-moi deviner, tu veux me demander quelque chose en rapport avec ton humain, je me trompe ?

- Non... Vous êtes doué.

Seokjin rit allègrement et secoua la tête.

- Je n'ai rien dit de spécial tu sais. Dis-moi donc ce qui perturbe ton coeur, je t'écoute.

Jimin lui sourit un peu timidement, puis il baissa la tête et fixa ses mains qui serraient le bas de son pull dans l'espoir d'évacuer le stress qui montait. Enfin, il prit une grande inspiration et dit d'une traite :

- J'aimerais savoir quel est le moyen de reprendre ma taille normale.

Il avait parlé si vite et si bas qu'il aurait juré ne pas avoir été entendu, pourtant l'antiquaire le regardait avec de grands yeux sérieux et ses lèvres s'étiraient progressivement vers le haut.

- C'est donc ça... laissa-t-il échapper.

- Ma question était-elle bizarre ? demanda le chibi qui ne comprenait pas la réaction de Seokjin.

- Absolument non. Il secoua docilement la tête. Il n'y a pas si longtemps, j'ai observé les astres et ils m'ont dit que vos liens étaient très forts.

- Yoongi et moi ? Vraiment ?

- Oui, vous avez beaucoup d'affection l'un pour l'autre.

Le chibi avait les yeux brillants de joie et sans s'en rendre compte ses poings se serrèrent dans un signe de victoire, il était très content d'entendre de tels mots.

- Tu sais Jimin, continua Seokjin après avoir bu une nouvelle gorgée de thé. Je comprends ton envie très forte d'avoir des réponses mais je ne peux malheureusement pas répondre à ta question. Toi seul doit y parvenir.

- Je sais... murmura le rosé qui se remémora les paroles de la femme du volcan et ses lèvres formèrent une moue déçue. Je me doutais bien que vous alliez me répondre de cette manière là mais j'ai quand même espéré que vous m'éclaireriez au moins un petit peu.

- Tu m'en vois navré... L'antiquaire s'inclina respectueusement. Je t'aurais bien aidé mais je suis un homme de parole, même si je ne suis plus un chibi je compte toujours respecter le pacte que nous avons fait dans le volcan. Et ce même pour mes anciens petits camarades.

Il lui sourit et se leva pour aller remplir sa tasse à présent vide. Jimin le regarda faire silencieusement, il ne pouvait cacher sa décéption et pensait être venu pour rien mais les derniers mots de l'antiquaire lui avaient rappelé quelque chose qu'il avait failli oublier. C'était dur à croire mais Seokjin était bien le troisième chibi de l'histoire, le seul qui avait réussi à reprendre sa taille normale. Imaginer qu'auparavant il était aussi petit que lui et qu'à présent il était un splendide jeune homme indépendant, qui semblait avoir toutes les clés en main pour réussir et qui gérait sa propre boutique... Sa vie devait avoir drastiquement changé et était sûrement devenue bien plus belle après un tel changement, pourtant quelque chose manquait.

En effet, maintenant que Jimin était en pleine réflexion, il s'était rendu compte que pas une seule fois, l'antiquaire n'avait évoqué son propre humain.

- D'ailleurs ! exclama soudain Seokjin en revenant vers lui. Désires-tu boire quelque chose ? Ce thé est vraiment délicieux, je te le conseille fortement. Il est à la pomme et à la cannelle.

- Pourquoi pas.

Sa réponse rendit l'antiquaire tout joyeux et il s'empressa de chercher une tasse ou un récipient quelconque possédant la taille idéale parmi ses objets bizarroïdes. Après deux minutes de recherche, il trouva un dé à coudre qui faisait une tasse parfaite pour un chibi et il la nettoya soigneusement avant d'y verser le thé chaud qu'il tendit au rosé du bout des doigts.

- Est-ce que je peux vous poser une autre question ? reprit Jimin, hésitant.

- Bien sûr, sauf s'il s'agit de quelque chose dont je ne peux parler.

L'antiquaire prit place à nouveau sur sa chaise et reporta son regard attentif vers le chibi.

- Je sais que vous ne voulez rien dire sur comment est-ce que vous avez repris votre taille normale, commença le rosé qui cherchait les bons mots en même temps qu'il parlait. Mais je vous avoue que je serais curieux de savoir comment vous avez vécu, que ce soit en tant que chibi ou encore avant. Vous vous souvenez de tellement de choses qui me sont totalement floues, j'aimerais vraiment connaître le point de vue de l'un de mes pairs à ce sujet.

- Je vois... Eh bien je suppose que je peux bien t'en parler, même si je doute que ce sera aussi intéressant que tu le penses.

Le regard de l'antiquaire se leva vers la petite fenêtre au plafond, comme s'il essayait de replonger dans le passé. Alors qu'il commençait à raconter son histoire, son ton de voix changea et se fit plus doux, la nostalgie l'envahissant. Jimin l'écoutait le plus attentivement possible.

- Avant notre mésaventure dans le volcan, je vivais dans ce village tout comme Namjoon et toi. J'étais le fils d'une famille aisée, je suivais des cours à domicile ce qui faisait que j'avais une éducation supérieure à celle des autres enfants de mon âge. J'aimais beaucoup l'astronomie et regarder les étoiles, on me considérait comme un enfant sage et rêveur.

- Encore maintenant c'est l'impression que vous donnez, osa interrompre le chibi, un sourire aux lèvres.

- Ton compliment me va droit au coeur. Je disais donc... Mes jours étaient assez remplis entre les leçons d'écriture et l'apprentissage des bonnes manières. Mes parents étaient très stricts, je devais toujours être poli et bien habillé, serviable et aimable. Je ne sortais que rarement et devait observer chaque soir par la fenêtre, le triste spectacle des autres enfants qui jouaient entre eux. J'étais seul, je n'avais aucun ami et étais probablement destiné à ne jamais en avoir...

Il s'arrêta quelques secondes pendant lesquelles lui et le chibi purent entendre la pluie frapper la vitrine de la petite boutique.

- Ces bandits sont ensuite venus perturber la tranquilité du village, clamant haut et fort qu'ils avaient besoin de trois enfants et que quiconque leur en apporterait un serait récompensé par une somme généreuse. Les parents de Namjoon étaient des artisans d'une atroce méchanceté, ils le forçaient à travailler jusqu'à l'épuisement et le battaient tous les jours. Ils ne lui avaient jamais montré une once d'amour et, intéressés par l'argent, n'avaient pas hésité à l'abandonner.

- Namjoon... murmura Jimin, les yeux larmoyants.

Il n'imaginait pas que son ami avait vécu une enfance aussi triste, surtout en sachant que celui-ci ne semblait pas s'en souvenir puisque la gardienne du volcan avait effacé leurs souvenirs.

- Pauvre enfant... compatis l'antiquaire en hochant tristement la tête. Je ne l'ai rencontré qu'une seule fois dans ma jeunesse et cette vision m'avait profondément marquée. Mes parents avaient l'habitude de leur acheter des objets de valeur et je me souviens les avoir aperçus en plein échange dans le salon de notre maison. Ce jour-là, leur fils était venu avec eux et malgré les cicatrices et les bleus qui recouvraient ses jambes, il gardait un grand sourire sur ses lèvres. Je n'ai malheureusement pas eu l'occasion de discuter avec lui mais je savais à vue d'oeil qu'il s'agissait d'un garçon en or. Heureusement, il vit bien mieux à présent.

Les deux individus se regardèrent en souriant, puis le chibi osa poser la question qui lui brûlait les lèvres.

- Connaissiez-vous mes parents ?

A son grand regret, Seokjin secouait la tête.

- Comme je ne sortais pas, je ne pouvais pas connaître tous les habitants du village, tes parents compris. Je ne peux malheureusement pas t'aider, je suis désolé.

- J-Je vois... C'est pas grave, ne vous excusez pas.

Jimin tenta de ne pas montrer sa tristesse, au fond ses parents ne devaient pas être de bonnes personnes non plus puisqu'ils l'avaient abandonné aux bandits tout comme les parents de Namjoon. De plus il ne se souvenait pas d'eux alors c'était peut être mieux ainsi, pourquoi se casser la tête à se remémorer des choses douloureuses alors qu'il pourrait vivre dans l'insouciance totale ? Pourtant, au plus profond de lui, il ressentait encore la saveur des petits plats de sa mère et leurs tendres sourires. Une larme coula le long de sa joue, même s'il savait qu'il allait avoir mal, il voulait tellement connaître la raison de son abandon. Pour lui c'était totalement insensé que des géniteurs laissent tomber leurs enfants ainsi.

- Attends, fit soudain Seokjin en fronçant les sourcils. Ça me revient. Je crois que tes parents étaient pâtissiers... Oui, j'ai le souvenir d'avoir mangé une de leurs tartes à la crème. Je crois que c'est la seule chose que je peux te dire, navré...

- C'est déjà bien comme ça, merci beaucoup.

Le rosé essuya ses larmes, tout allait bien. C'était mieux s'il oubliait, au fond ces personnes peu importe combien elles étaient proches faisaient désormais parti de son passé.

- Et qu'est-ce qu'il vous est arrivé après ? demanda-t-il. Qu'ont fait vos parents ? Vous ont-ils livré aux bandits ?

- Non, c'est moi qui les ai suivis de ma propre initiative. Ses mots surprirent grandement le chibi dont les yeux s'étaient écarquillés, l'antiquaire commença à rire. Je comprends ta réaction mais je n'avais pas le choix. J'en pouvais plus d'être enfermé, je rêvais de voyages et de grands espaces...

- C'était donc ça ou rien ?

- Effectivement, j'ai pris la bonne décision. Je ne regrette pas mon choix.

- Je n'aurais jamais pensé, souffla Jimin en posant son dé à coudre faisant office de tasse sur la table, il avait fini par boire tout le thé en à peine quelques minutes tant il était plongé dans le récit de Seokjin. Vous vous souvenez de tellement de choses, vous avez de la chance.

- Hm... murmura l'homme en le servant à nouveau. Je n'appellerai pas ça de la chance. Pour te dire la vérité, je vous ai un peu menti à tous les deux lorsque je vous ai raconté notre histoire. Le fait est que la gardienne du volcan a effacé vos souvenirs, mais pas les miens.

Jimin resta silencieux mais sa bouche s'ouvrit de stupéfaction, il attendait des explications que l'antiquaire ne tarda pas à lui donner.

- Pendant notre profond sommeil, il se trouve que je me suis réveillé en avance. Elle a été très étonnée et ne comprenait pas ce qui s'était passé, elle a réessayé de m'endormir mais sans succès. J'étais déjà sous forme de chibi mais elle affirmait qu'il restait des fragments d'enveloppe corporelle à l'intérieur de mon être, que mes souvenirs ne pouvaient donc pas être altérés. Selon elle, mon âme était trop pure pour son volcan. Mon désir de liberté, le fait que je sois venu de mon plein gré... Je pense qu'elle mentionnait ces éléments en particulier, bien qu'elle ne m'en ai jamais donné la raison.

- C'est donc pour cela que vous vous souvenez de tout.

- Oui. Tu as dit qu'il s'agissait de chance, pour moi il s'agit plus d'une opportunité. C'est en me souvenant de mon passé que j'ai la force d'avancer aujourd'hui, de prendre ma vie en main et de profiter de chaque instant.

Il présenta de la main tout ce qui les entourait, un grand sourire aux lèvres.

- Et cette boutique représente tous les efforts que j'ai construits depuis.

- Félicitations, murmura le chibi en tapant des mains. On ressent tout ça.

L'antiquaire le remercia du regard puis, en voulant s'appuyer contre l'étagère derrière lui, son dos rencontra un livre qui dépassait du reste des ouvrages et qui était rangé de manière négligée. Il s'occupa de le remettre à sa place, veillant à ce que l'harmonie que l'arrangement des objets qui accompagnaient les livres soit conservée et en même temps, il reprit la parole.

- Il y a encore une chose que la gardienne du volcan m'a dite, je me souviens partiellement des mots exacts mais il me semble que c'était : <<Toi qui est venu de ta propre initiative, qui possède un cœur d'une pureté inégalable, vis la vie que tu n'as pas pu mener. Voyage, découvre, rencontre, laisse ta trace où que tu ailles, souviens-toi de ton histoire, de votre histoire à tous les trois. Eveille la véritable personne qui est en toi et guide tes frères du volcan, les chibis aux cheveux roses et violets.>>

Jimin hocha la tête, il était évident que Seokjin avait respecté tout ce que la gardienne lui avait dit. L'homme se justifia :

- Une fois sorti du volcan et une fois ma taille revenue à la normale, j'ai entrepris un tour du monde qui m'a fait découvrir tant de nouvelles choses, tant de cultures, tant d'univers différents. J'ai commencé parallèlement une carrière d'écrivain, ces ouvrages derrière moi sont mes productions personnelles. Je me suis empressé d'écrire notre histoire également, je veux pouvoir me souvenir de notre progression. J'ai ouvert ma propre boutique par après, avec tout ce que j'avais trouvé au cours de mon périple.

- Vous pouvez être fier de vous, vous avez accompli tout ce que vous vouliez dans la vie. Je vous admire vraiment !

L'antiquaire lui sourit tendrement et d'un doigt, il ébouriffa affectueusement la chevelure rose bonbon.

- Vous êtes comme des petits frères pour moi, je suis plus qu'heureux de vous avoir revus après toutes ces années. Je me sens beaucoup moins seul à présent.

Son expression devint triste et comme s'il essayait de le cacher, il tourna subitement la tête.

- Seokjin... murmura Jimin qui prit son courage à deux mains après que l'antiquaire eut prononcé ces mots. Où est votre humain ?

Les sourcils du jeune homme se froncèrent et il baissa le regard, ne s'attendant pas à cette question. Il toussota légèrement et secoua la tête, comme s'il cherchait à écarter une mauvaise pensée.

- Je me doutais bien qu'un jour vous me poseriez la question, il est vrai que cela doit vous étonner que je sois seul dans cette boutique, vous qui passez vos journées en compagnie de votre humain, de l'être qui vous est destiné...

Il marqua un temps de pause dans lequel il poussa un long soupir. Jimin continuait de l'observer d'un oeil inquiet, il commençait à regretter. Peut être qu'il aurait dû garder cette réflexion pour lui.

- Mon humain... murmura Seokjin en regardant la petite fenêtre du plafond. Ça fait si longtemps qu'il ne fait plus partie de ma vie.

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