Chapitre X - Glacer le sang

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🏅 Si le nombre de votes se termine par 2, une rencontre ! Reste à savoir si elle sera bonne ou mauvaise...

Choix des lecteurs :

Pour ce qu'ils vont trouver dans le temple :

🏅Le temple est désert, mais un danger rôde... (je me suis inspiré d'une recommandation de Garnath concernant le Balrog du Seigneur des Anneaux, un passage en est fortement inspiré ;)

Pour ce qui est de la réaction des personnages :

🏅Inspecter le temple tous ensemble et avec prudence.


ATTENTION « TRIGGER WARNING » : chapitre particulièrement sanglant !

Éclair refusa d'avancer davantage. Jondo avait beau tirer sur sa corde, la bête s'obstinait. Par expérience, le fermier sut que rien ne la ferait changer d'avis.

À côté, il vit que le cheval de la chevalière se rebellait également. Ses oreilles étaient rabattues dans sa crinière hérissée. Sagrymor, à bout de force, tenta une menace, en vain. Quelque chose les effrayait.

Ils n'allaient tout de même pas rebrousser chemin aussi proche du but ! Peu importe ce que cachait ce temple forestier, Jondo voulait en avoir le cœur net et en finir avec toutes ces conneries. Il arracha sa serfouette du dos d'Éclair, et avant même que Sagrymor ne pût l'ordonner, il avança vers la bâtisse. Étonnée par ce soudain élan du fermier, Sagrymor le retint quand même par le bras pour calmer son ardeur et l'inciter à être discret.

Laissant leurs bêtes dans les sous-bois, la chevalière prit la tête du cortège, l'épée à la main. De l'autre, elle trainait la maraudeuse ligotée et Jondo fermait la marche. Tous avançaient sans bruit, les yeux scrutant le moindre mouvement dans les broussailles. Même la jeune scarifiée restait étonnamment silencieuse. Sa nervosité était palpable, mais Sagrymor ne sut dire s'il s'agissait de peur ou d'excitation. Elle ne cessait de jeter des coups d'œil au fermier.

Ils débouchèrent sur une clairière au milieu de laquelle était érigé le temple. Ses murs de pierre massifs s'élançaient vers les cieux. La bâtisse était construite en une gigantesque forme circulaire surplombée d'un dôme recouvert de tuiles argentées. Sous le soleil qui amorçait déjà depuis quelque temps sa descente, les plaques d'argent réfléchissaient l'azur du ciel comme autant de miroirs. En hauteur, sur les parois du temple, plusieurs vitraux étaient brisés. Ceux encore intacts scintillaient de reflets bleus rassurants. Tous affichaient le symbole de la déesse de la guérison et de la protection : deux mains en coupe tenant une sphère parfaite. Le vent sifflait à travers les ouvertures, tel le feulement d'un prédateur se préparant à fondre sur eux. Pourtant, il n'y avait toujours aucun mouvement.

Ils contournèrent le bâtiment pour accéder à son entrée et s'arrêtèrent net, tous les trois.

Devant eux, là où auraient dû se trouver les battants de chênes massifs du temple, il n'y avait qu'un trou béant dans l'édifice. Les restes de la porte gisaient éclatés dans l'herbe tout autour. Les renforcements en acier étaient tordus tels de noirs serpents agonisants. Les énormes gonds en fer forgé avaient disparu sous les gravats ou bien pendaient mollement en hauteur, grinçant à chaque bourrasque qui s'engouffrait dans la cavité.

Outre, la désolation de cette vue, c'est surtout l'intérieur du temple qui pétrifia les trois compagnons. Dans le bain de lumière bleuté des vitraux, le pourpre des mares de sang prenait une teinte violacée putride. Des giclées sanguines striaient et tachetaient les murs jusqu'au plafond. Des organes éclatés tapissaient le marbre du sol et recouvraient le mobilier détruit tandis que des viscères dégorgés pendaient aux poutres. Les pédiluves sacrés reflétaient le vermillon dilué de leurs eaux sur les murs tout autour, donnant l'impression que les parois de pierre se contractaient et se relâchaient au fur et à mesure des courants d'air. On eût dit l'intérieur d'une bête à moitié crevée.

Une de ces bourrasques arriva au visage des trois visiteurs. Tous, sans exception, blêmirent face à l'odeur âcre et ferreuse de la pourriture.

Avec hésitation, se sentant plus faible que jamais, Sagrymor avança. Elle tira un coup sec sur la corde de la maraudeuse qui était restée pétrifiée, pour l'intimer à la suivre. La jeune scarifiée en était sûrement arrivée à une conclusion identique : aucun maraudeur ni même diablotin n'aurait pu accomplir un tel carnage.

Aussi improbable que cela puisse paraitre, Sagrymor se devait toutefois de vérifier s'il y avait des survivants. Surtout, elle devait essayer de trouver quelque matériel de premiers secours pour sa plaie.

Le bruit de leurs pas résonnait d'une teinte humide dans la dépouille du temple. Chandeliers cassés, os émiettés, livres éventrés, guenilles arrachées, verres brisés, bancs pulvérisés : tout se mélangeait dans cette bouillie sanguinolente. Des pans de mur interne entiers avaient été démolis. Les cuisines n'étaient reconnaissables qu'au fantôme d'un incendie qui les avait dévorées de l'intérieur. À l'étage, des lits au matelas de paille volatiles pendaient dans un équilibre précaire au-dessus du vide laissé par l'éboulement du sol des quartiers de vie.

Sagrymor reconnut l'apothicairerie dans un recoin et s'y rua, abandonnant la maraudeuse. Le petit cabinet avait été saccagé au même titre que le reste du temple. Une fosse commune de fioles fracassées gisait à terre, imprégnant l'air tout autour de vapeurs enivrantes. Parcourant rapidement les étagères, la chevalière récupéra tout ce qui put l'être : trois rouleaux de bandes intactes et quelques boitiers de baumes.

En revenant sur ses pas, Sagrymor remarqua la maraudeuse qui était tombée à genou. La jeune femme tremblait de tout son être, mais souriait néanmoins. Complètement cinglés ces sauvageons, pensa la chevalière avant de chercher Jondo du regard.

Le fermier se tenait au pied d'une statue de la déesse Phylae, au centre d'une salle de méditation, elle aussi éventrée. La statue avait été amputée de ses bras et ébréchée à plusieurs autres endroits. C'était un miracle qu'elle soit encore debout. À en voir l'équilibre précaire de sa base abimée, la moindre bourrasque suffirait désormais à la faire basculer.

Jondo l'observait avec une attention que la chevalière ne lui connaissait pas. Un regard teinté de mélancolie, semblable à celui d'un endeuillé sur la tombe d'un être cher. Interloquée par ce constat, elle ne réalisa pas assez vite que le fermier tendait son bras.

— Non ! souffla la chevalière aussi fort qu'elle osa se le permettre.

Trop tard. Une simple caresse du paysan, et la statue amorça une chute dont elle ne se relèverait plus jamais. Le bruit de fracas retentit à travers le temple tel le tonnerre dans la vallée d'une montagne. Chaque pierre de la bâtisse vibra et la secousse délogea de nouveaux gravats du plafond tout autour dans un vacarme assourdissant.

L'écho du grondement plana dans les airs pendant un instant d'éternité avant d'être à nouveau englouti par le silence.

— Imbécile ! expira Sagrymor, suivit aussitôt par une exclamation de la maraudeuse qui devait signifier la même chose.

Jondo n'eut pas le temps de hausser les épaules, qu'une résonance sourde se fit entendre au loin. Des coups lourds et massifs, chacun espacé de plusieurs battements de cœur. Ils s'intensifiaient au point qu'il n'était plus nécessaire de les ouïr : ils vibraient dans les os. Cela se rapprochait.

Vint alors un grincement strident contre la pierre extérieure du temple, telle une lame que l'on trainait sur la roche.

Sur le côté du temple d'où provenait le bruit, une ombre voila les vitraux les plus haut placés. À travers une fenêtre brisée, Sagrymor vit une masse de couleur sombre se mouvoir. Il n'y avait plus de doute : la chose imposante qui avait saccagé la bâtisse revenait.

— Vite ! Venez !

Une voix retentit tout juste à travers le crissement et le martèlement. Tout au fond du temple, derrière une colonne renversée, Sagrymor distingua la silhouette d'un jeune homme leur faisant signe. Sans hésiter, la chevalière empoigna la corde de la maraudeuse et ordonna à Jondo de suivre.

Derrière la colonne, la silhouette avait disparu par une trappe ouverte. Sagrymor y poussa ses deux compagnons sans ménagement. La lumière diminua soudainement dans le temple. Jetant un regard furtif, Sagrymor vit une ombre gigantesque entraver toute l'entrée. D'un coup d'œil, elle reconnut les bras ballants et osseux aux griffes acérées, les pattes courtaudes et les cornes jaillir du crâne : un diablotin, mais d'une taille colossale. Le grincement de la trappe se refermant se noya sous le rugissement de la créature.

Descendant deux par deux la volée de marches, Sagrymor ne pouvait s'empêcher de penser qu'ils venaient de s'enterrer vivants. S'engouffrant dans les pénombres, elle poussa ses deux compagnons vers une lueur en contrebas. La vibration causée par les pas de la bête au-dessus libérait des nuages de poussière.

Ils débouchèrent sur une cave au plafond bas et arrondi. L'humidité était aussi lourde que l'odeur de renfermé. L'éclairage faible dévoila des caveaux tout autour, et des barils perdus sous d'épaisses toiles d'araignées. À la lueur de quelques bougies, deux silhouettes encapuchonnées dans de modestes capes brunes se détachèrent des pénombres. Un vieillard, au visage aussi émacié que sa barbe blanche était hirsute et un grand jeune homme vigoureux, à la mine aussi sombre que les cheveux qui encadraient son visage émacié... recouvert de scarifications circulaires !

La maraudeuse, toujours ligotée, hurla et se jeta sur lui sans hésiter, prête à mordre. Le jeune scarifié l'esquiva au dernier moment d'un pas sur le côté et lui asséna un coup rapide au niveau de la nuque. La femme s'écroula face contre terre, sans demander son reste. Les yeux clos, elle ne se releva pas.

— Ignas ! s'offensa le vieil homme.

— Navré maester. Le coup est superficiel, rassurez-vous.

Le jeune scarifié parlait avec un lourd accent qui n'était pas sans rappeler celui de la maraudeuse.

— La violence a coutume d'engendrer la violence¹ mon garçon.

Le disciple se contenta de baisser la tête en signe de pardon.

Au-dessus, un grondement sourd indiqua que la créature s'adonnait à de nouvelles destructions. Dans les catacombes, tous levèrent un regard inquiet vers le plafond duquel s'écoulaient des filets de gravats.

— Le froid frissonne, la peur tremble. Aussi, je vois que vous avez fait connaissance avec notre invité quelque peu envahissant, commenta le vieil homme.

— Quel carnage ! Je n'ai jamais vu de diablotin de cette taille, comment cela est-il possible ? demanda Sagrymor.

— Qui vient sans qu'on l'invite, s'attable sans qu'on le serve²... C'est bien un diablotin, mais il n'a plus rien d'un « lutin », s'amusa le vieillard. Et vous devriez savoir, chère Chevalière de l'Aube, que lorsqu'il s'agit de Mal, tout est possible en ce bas monde.

Sagrymor ne parut pas étonnée d'être ainsi identifiée. Son armure était un symbole à lui tout seul qui ne laissait aucun doute quant à son identité. Elle reporta néanmoins son attention sur les deux individus et notamment le jeune homme scarifié. Sa main empoignait toujours le manche de son épée et elle resserra instinctivement son emprise dessus.

— Par le nom connaît-on l'homme³. Permettez que je fasse les présentations en ces conditions si peu propices, fit le vieillard comme s'il avait senti la soudaine méfiance de la chevalière. Je me dénomme Sophos, humble serviteur de Phylae et voici mon apprenti, Ignas.

Il tendit une main vers le jeune homme scarifié qui s'inclina légèrement.

— C'est un maraudeur, fit simplement Sagrymor.

— L'instinct, chez les femmes, équivaut à la perspicacité des grands hommes⁴. Et quelle perspicacité ! Vous faites honneur à votre ordre, chevalière.

Sagrymor ne sut s'il s'agissait d'ironie, mais n'apprécia pas le ton. Elle allait pour répliquer, mais fut prise de court.

— Là où les serviteurs de Virtae tels que vous, ne voient que le manichéisme de la moralité, nous autres serviteurs de Phylae ne portons pas de jugement. Plus on juge, moins on aime⁵. Nous ne cherchons que rédemption. Rédemption qu'Ignas a trouvée en nos murs.

— Vous vous portez garant de lui ?

— Mes erreurs passées ne seront jamais lavées et resteront à jamais des fardeaux, mais ce ne sont plus elles qui me définissent désormais, intervint l'ancien maraudeur avant que son maester ne puisse répondre.

Son accent rocailleux apportait une certaine solennité à sa voix grave. Bien que toute la misère du monde semblait peser sur ses épaules et tirer sur ses cernes, une partie parvenait tout de même à se déverser dans chacun de ses mots. Derrière ses mèches brunes, son regard brillait de cette obscurité caractéristique de ceux qui ont tout perdu si ce n'est la rage.

Sagrymor soutint le regard du jeune scarifié, jugeant du mieux qu'elle put sa sincérité. Elle finit par se détendre, et en signe de bonne foi, remit au fourreau sa lame.

— Je connais mal les coutumes de Rougedune, mais il me semble qu'elles ne dévient pas de celles de Valvert en ce qui concerne les présentations. La politesse est une monnaie qui ne ruine personne⁶, après tout. Si l'un se présente, la bienséance veut que l'autre en fasse de même n'est-il pas ? s'enquît le vieillard, l'œil malicieux.

— Je suis Sagrymor, chevalière de l'Aube Rouge Écarlate. Voici Jondo, cultivateur de navets. Quant à celle étalée à vos pieds, nous l'avons faite prisonnière hier. Pour ce que j'en sais, elle n'a pas de nom.

— Elle se dénomme Aska. Je... faisais partie de son clan, ajouta le jeune scarifié devant le regard inquisiteur de la chevalière. C'est la fille ainée du chef de clan. Pour eux, je suis un... déserteur.

Ce jeune homme dissimulait clairement quelque chose au sujet de la captive voire de lui-même. Sagrymor écouta, mais quand bien même elle aurait voulu braver ce soi-disant ancien maraudeur, elle n'en avait plus la force. La tête lui tournait et elle sentit ses jambes lâcher.

— Je pense que nous pouvons en rester là. Aurais-tu la bonté d'assister notre invitée avant qu'elle ne s'effondre sous le poids de son armure, Ignas ? Les douleurs légères s'expriment ; les grandes douleurs sont muettes⁷. Je crains que cette cuirasse ne nous dissimule un mal important.

Ignas s'approcha de la chevalière et la retint de justesse alors qu'elle s'écroulait. Après l'avoir allongée et ôter son armure, le scarifié retira les bandages purulents, dévoilant l'ampleur des dégâts.

Jondo en fut le premier étonné. Il se remémora alors le soupir de Sagrymor la veille au coin du feu. Était-elle souffrante à ce moment ? Avait-elle attendu de lui qu'il la soigne comme il l'avait fait pour la maraudeuse ? Et surtout, pourquoi se posait-il ces questions et pourquoi ce vieillard le regardait-il ainsi ?

— Ignas, je te laisse prendre soin au mieux des plaies de notre invitée. Je pense devoir m'occuper de notre cultivateur de navets. On n'a rien à craindre de ceux qui crient, ce sont les silencieux qu'il faut surveiller⁸.

Toujours avec un sourire ridé au coin du visage, Sophos intima Jondo à retirer sa chemise. Apposant une main sur sa joue et une autre sur le trou qu'avait laissé le carreau d'arbalète, le maester ferma les yeux. Une lueur bleutée jaillit de ses paumes. Jondo sentit aussitôt de la fraicheur apaisante sur ses joues et une chaleur réconfortante sur son épaule. Quelques instants plus tard, la lueur s'arrêta.

La peau du visage de Jondo semblait avoir récupéré son élasticité, son oreille ne sifflait plus et seule une cicatrice étoilée demeurait de sa blessure à l'épaule.

— Le fou écoute le bruit, le sage écoute le silence. Alors, maintenant, si vous me disiez qui vous êtes vraiment, cher ami taciturne ? demanda Sophos.

Jondo fut un peu surpris de cette question.

— Bah j'suis Jondo quoi.

Devant le silence insistant du vieil homme, Jondo se sentit obligé de combler.

— Bah j'y fait pousser des navets dans mon champ à que'ques jours d'ici-là.

Toujours aucune réaction de Sophos, si ce n'était ce regard empli de bienveillance et d'attente. Alors Jondo déblatéra tout ce qu'il put : la chevalière, l'éclair, l'histoire d'Élu, leur quête pour sauver le monde, sa serfouette qui pulvérise des diablotins, mais pas des chevaux, l'Enfant-Rêveur et les rêves dont il ne se rappelait jamais, la maraudeuse et l'apparition d'un étrange pouvoir qui l'avait fait souffrir.

— Je vois, je vois, fit le maester l'air songeur. C'est grand malheur que d'annoncer le premier les malheurs⁹. Navré, d'être celui qui vous l'apprend, cher Jondo, mais votre quête ne se termine pas ici. Il n'y a plus grand-chose à sauver en cet humble temple.

Le vieil homme avait dit cette dernière phrase avec un trémolo dans la voix. Une larme s'était amoncelée au coin de son œil.

— Oh non... mais c'est qu'j'y ai pas qu'ça à faire moi-là.

— Je le sais bien mon enfant, et j'en suis désolé. Vous vous retrouvez bien malgré vous au centre d'un tourment qui nous dépasse tous. Dans le plus profond désespoir, la chandelle fait renaître l'espoir. Une petite flamme qui peut raviver l'Humanité ou la précipiter dans les ténèbres à tout jamais.

Le vieil homme posa sa main tendrement sur l'épaule de Jondo. Ce dernier ne réalisa qu'à ce moment les gouttelettes de sang qui mouchetaient la barbe blanche de l'ancien.

— Le sacrifice que l'on vous demande est aussi injuste qu'il est nécessaire, je vous l'assure...

Sagrymor s'agita un peu plus loin. C'est tout juste si Ignas ne dut pas la plaquer au sol pour l'empêcher de bouger.

— Nous ne parvenons pas à comprendre les pouvoirs que les Dieux ont confiés à Jondo. Il faut que l'on sache avec quelles armes nous pouvons nous battre ! Saurez-vous nous aider maester ?

— Les armes ne sont pas toujours nécessaires pour se battre, ma dame chevalière.

— Dites ça à vos frères dont les entrailles tapissent votre hall, laissa échapper la chevalière.

À peine avait-elle prononcé ces paroles qu'elle le regretta amèrement. Une lueur de colère enflamma les iris d'Ignas, mais son maester le tempéra d'une main sur l'épaule.

— Voyez comme les mots peuvent être plus affûtés qu'une lame ?

Sagrymor eut alors l'impression d'être à nouveau la petite fille qu'elle avait été au monastère de l'Ordre, des années auparavant, se faisant gronder par les précepteurs pour une bêtise qu'elle avait commise. Elle baissa les yeux de honte.

— Je ne puis vous assister malheureusement. Tout ce que je puis vous dire est qu'un pouvoir, quel qu'il soit, n'est jamais sans prix. Plus ce pouvoir est grand, plus son tribut le sera.

Alors qu'il parlait, Ignas ferma de nouveau ses yeux fatigués et appliqua ses paumes bleutées sur les plaies de la chevalière. Des gouttes de sueur perlaient de son front qui se plissa sous l'effort.

— S'il n'y a pas de prix à payer, c'est que cela ne vaut rien¹⁰. Lorsque nous autres serviteurs de Phylae utilisons nos pouvoirs pour soigner, nous en payons de notre propre vitalité. Je pense qu'il en va de même avec notre ami Jondo ici présent.

Un silence s'installa entre eux, interrompu uniquement par le halètement d'Ignas. Les plaies de la chevalière, que ce soit celle au coude où son énorme blessure violacée et purulente à l'épaule, se refermaient à vue d'œil. Sagrymor était ébahie. Elle avait maintes fois eu vent des miracles que pouvaient prodiguer les serviteurs de Phylae, mais elle n'y avait jamais assisté en personne. Elle sentait déjà sa force revenir en elle.

Alors que la lueur bleutée s'estompa, la chevalière nota quelques cheveux blancs dans la longue chevelure brune du jeune homme. Elle était persuadée qu'ils n'y étaient pas quelques instants plus tôt. L'ancien maraudeur reprenait son souffle comme s'il venait de courir et essuya d'un revers de manche la sueur sur son visage. Sagrymor ne sut quoi dire. Elle se contenta d'un sourire embarrassé. Ignas soupira et le lui rendit.

— Comme je le disais, je ne puis vous aider, mais je sais qui pourra. Conseiller, c'est presque aider¹¹, n'est-ce pas ?

Tous reportèrent leur attention sur Sophos.

— Les Dieux étant affaiblis, il semble bien que seul l'Enfant-Rêveur puisse communiquer avec vous au moyen des rêves de Jondo. Je soupçonne que son silence ne soit pas de son fait, mais plutôt du fait de notre ami Jondo, ici présent...

— Ce n'est pas possible, il m'a affirmé qu'il ne se souvenait pas d'avoir rêvé, interrompit Sagrymor.

— Êtes-vous en mesure de vous remémorer tous vos songes à votre réveil, chevalière ? Les rêves sont bien moins tenaces que les cauchemars, ne trouvez-vous pas ? Moi-même, j'ai l'habitude de me taire sur ce que j'ignore¹².

Sagrymor ne se donna pas la peine de démentir. Les yeux cernés du vieux moine faisaient écho à ses propres cernes. Il savait pertinemment que cela faisait belle lurette qu'elle ne rêvait plus.

— Qui voyage ajoute à sa vie¹³. Avant d'être maester en ce temple, j'étais en pèlerinage plusieurs années durant. Comme tu aurais dû l'être toi aussi, Ignas, en d'autres circonstances...

Le jeune homme rendit à son maester un sourire triste emplit de compréhension.

— Lors de mes errances, j'ai croisé la route d'un être, disons... singulier. Elle est la gardienne d'une bibliothèque du désert, ces précieux trésors des sables qui renferment la mémoire de notre race. Elle possède des compétences inégalées en termes de savoir. Si quelqu'un peut vous aider à communiquer avec l'Enfant-Rêveur, ce sera elle.

— Où se trouve-t-elle ? s'enquît Sagrymor.

— Sur vos terres natales, mon enfant. Dans les sables reculés de Rougedune. Elle se présente sous le nom de Capella.

Sagrymor assimila toutes ses informations. Le choix était limité. Chaque jour, les dieux s'affaiblissaient un peu plus. Chaque jour, des hommes et des femmes sombraient face aux forces démoniaques. Comme l'avait dit Sophos, Jondo était la clé pour sauver le monde, mais aucune indication n'avait été donnée par les Dieux quant à l'usage de cette clé. Si partir dans les contrées reculées et hostiles de Rougedune pouvait les mettre sur la piste, il ne fallait pas hésiter. Seul problème : Rougedune se trouvait à l'autre bout du monde. Il avait fallu plus d'un an à Sagrymor pour venir jusqu'en Valvert depuis les terres ensablées.

— Le monde aura périt avant que nous puissions apercevoir les premières dunes, soupira Sagrymor.

— Chaque chose en son temps, mon enfant. Vous oubliez que nous ne pouvons pas exactement sortir d'ici, du moins en un seul morceau. Avant d'atteindre la rivière, il faut contourner l'ours, sourit Sophos.

Sagrymor balaya la pièce du regard. Une maraudeuse inconsciente, un vieillard fébrile, un Jondo toujours aussi ahuri et un ténébreux jeune homme dont elle se méfiait. Cela n'allait en effet pas être une mince affaire de sortir ne serait-ce qu'une seule personne de ce maudit temple.


¹ et ⁹ citations d'Eschyle

² proverbe écossais

³ citation de Chrétien de Troyes

⁴ et ⁵ citations d'Honoré de Balzac

⁶ citation d'Alfred de Musset

⁷ citation de Sénèque

⁸ citation d'Henning Mankell

¹⁰ citation d'Albert Einstein

¹¹ citation de Plaute

¹² citation de Sophocle

¹³ proverbe berbère

Voici les choix pour le prochain chapitre :

1. Ils sortent tous, aussi discrètement que possible.

2. Ils attendent que le monstre s'en aille et tentent une sortie.

3. Ils sacrifient Aska, en la donnant en pâture au monstre et en profitent pour s'échapper.

4. (Remaniée par AdrianMestre75) Jondo en a marre qu'on le prenne pour une bille. Il part avec sa serfouette pour se mesurer au monstre, malgré son inexpérience au combat.

5. Ignas ou Sagrymor ou les deux (au choix, vous me direz) sortent pour distraire l'attention du démon, pendant que les autres s'enfuient.

6. Choix proposé(s) par les lecteurs (si vous proposez un autre choix un minimum cohérent dans l'histoire, je le rajouterai ici)

Fin des votes dimanche 01/11/2020 à 22h (UTC +2). Chapitre suivant le 04/11 au plus tard.

À vos votes !

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