Chapitre VI - Avoir une couille dans le potage

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🏅 Si le nombre de votes se termine par 8, rien ne va se passer comme prévu !

Choix des lecteurs :

🏅 Il devait y avoir une action longue et une courte. Il y a toutefois eu égalité et je n'ai pas eu envie de retirer la deuxième ex æquo. Nous avons donc trois choix gagnants !


4. (proposée par DanielleLikhana et quelque peu remaniée par moi 😉) Sagrymor et Jondo passent la nuit à discuter et se chamailler. Le lendemain, ils ne vont pas être frais !

7. Talion réapparait.

8. (proposée par Ahmeiral) Le ventre de Sagrymor cri famine. Elle va se retrouver à manger ces fameux navets.


Les bandelettes arrachées à une vieille chemise de lin s'agitaient tels des serpents marins dans l'eau bouillonnante de la marmite. Le grand récipient léché par les flammes était imposant au centre de l'âtre de la chaumière.

Un frisson parcourut l'échine de Sagrymor. Rien que d'être assise dans cette masure miteuse lui donnait l'impression d'être souillée. Elle ne put réprimer une grimace en observant un cafard traverser la pièce pour aller se réfugier dans la commode d'où Jondo avait sorti cette vieille chemise qui servirait de bandage. La chevalière reporta instinctivement son regard vers la marmite. Elle priait intérieurement tous les Dieux pour que l'ébullition suffise à assainir les bandes de tissus.

Au moins l'odeur était-elle désormais supportable. Le bouquet de menthe, mélisse et basilic sauvages que lui avait confectionné le paysan et qu'elle s'était aussitôt fourré dans les narines masquait tout juste la puanteur. Le mélange d'effluves lui causait un mal de tête atroce que la fatigue de la journée ne faisait qu'accroitre.

Sagrymor était soulagée que Jondo soit un hôte silencieux. Du peu qu'elle en avait entendu, la chevalière était persuadée qu'il était incapable de débiter quoique ce soit d'intelligible. La moindre ineptie de plus et, c'est certain, les veines sur ses tempes allaient exploser.

Elle se contentait de regarder le jeune homme s'affairer tranquillement autour d'elle. Il surveillait le feu, égouttait les bandelettes une par une pour les faire sécher sur un fil et sortait de temps à autre vaquer à de quelconques occupations extérieures.

La chevalière avait dû demander l'aide du fermier pour retirer son armure. Elle savait parfaitement l'assembler et l'ôter par elle-même, bien que les spalières étaient toujours assez difficiles. Mais cette fois, avec son bras gauche inerte, c'était impossible.

Hormis une multitude d'entailles supplémentaires, l'armure en elle-même n'avait pas été endommagée. Ce qui n'était pas le cas de Sagrymor. La griffe dans son dos était plantée sur presque deux pouces entre son omoplate et sa clavicule droite. C'était un miracle qu'elle n'ait rien percé de vital. Jondo l'avait retirée au moyen d'une pince, sans sourciller. Sous la directive de la chevalière, il avait ensuite appliqué un tison chauffé à blanc sur l'orifice afin de forcer la cicatrisation. Mordant dans un bâton, Sagrymor n'avait pu retenir un grognement plaintif. Elle respira à plein poumon pour s'éviter l'odeur de chair grillée qui venait s'ajouter aux autres pestilences du foyer. Le nez de Jondo, lui, ne frémit même pas.

Le jeune fermier s'affaira alors au bras mutilé de la chevalière. Cette dernière avait vu juste en ne voulant pas retirer la cubitière : dès qu'elle fut ôtée, le sang se déversa. Le bras avait bien été perforé de part en part juste au-dessus du coude. La quantité de sang ne laissait pas croire à une artère meurtrie, malgré tout une multitude de veines avaient été sectionnées, régurgitant leur précieuse sève pourpre. Il était urgent d'endiguer le flot.

Les bandelettes séchées, elle appliqua elle-même le bandage, prenant soin de bien comprimer la plaie. Jondo l'observait d'un œil morne.

— Ça ne vous fait rien tout ce sang ?

Le paysan haussa les épaules. Le sang avait visiblement autant d'effet sur lui que les mots.

— Et votre bras, ça va ? s'enquît Sagrymor.

La chevalière ne savait pas pourquoi elle avait soudainement ce besoin de combler le silence. Peut-être pour détourner son attention des éclairs de douleurs qui remontaient le long de son bras gauche.

— Ouais, ouais, répondit nonchalamment Jondo.

Il s'était à peine contenté d'appliquer un lange sur son avant-bras lacéré. Lange non ébouillanté, malgré les recommandations de Sagrymor. Tout comme il s'était contenté, pour soigner son visage boursoufflé, d'y passer un coup d'eau fraiche.

— On ne peut pas dire que vous soyez un sensible vous, s'amusa Sagrymor. Vous faites ça pour m'impressionner ?

— Non, ça, j'suis ben costaud. Y'a un jour, le toit là m'est tombé sur l'panard, dit-il en désignant une large poutre du plafond au bois plus clair que les autres.

Il se leva pour retirer une de ses bottes. Plaçant son pied boueux aux ongles noircis sous le nez de Sagrymor, qui eut au passage un réflexe de recul, il lui présenta une vilaine cicatrice qui partait du genou et s'étirait jusqu'à la cheville.

— Ça pissait l'sang d'partout ! J'y ai bandé et l'jour qui suit j'bêchais mon champ comme qui rigole, poursuivit-il fièrement.

La chevalière resta songeuse. Observant plus attentivement Jondo, elle remarqua que cette cicatrice était loin d'être la seule présente sur la peau tannée du fermier. Il y en avait une multitude, de toutes tailles et formes. Rien que sur les parties visibles de son corps, il devait en avoir autant qu'elle-même !

Elle s'était dit que les Dieux avaient dû bénir le jeune homme d'une résistance incroyable à la douleur, mais il semblait que cela n'avait rien de divin. C'était un don naturel du paysan. Un don qui s'avérerait utile, sans nul doute.

Jondo renfila sa godasse et sortit dans la nuit, laissant la chevalière à ses pensées. Il revint avec un seau de navets qu'il entreprit de découper.

— Les diablotins n'ont pas eu l'air de vous effrayer. Vous avez l'habitude de les confronter, j'imagine ?

— J'en vois d'temps à aut' qui rôdaillent par ci, mais c'tait ben la première fois qui m'saute surl'poil comme tantôt ! répondit Jondo, sans relever la tête.

— Ils n'ont jamais tenté d'assaillir votre demeure ? Je n'ai pourtant pas noté de sceau protecteur sur vos murs... ajouta Sagrymor étonnée.

— Si si, j'en ai que'qu'z'uns d'seaux, voyez-y bien, pourquoi donc ? dit le fermier en désignant un seau de navet à ses côtés.

Sagrymor ne prit pas la peine de relever l'idiotie.

— Ça fait longtemps que vous habitez ici, Jondo ?

— Aussi loin que j'm'en r'mémore ouais.

— Avant l'Exode ? insista Sagrymor.

— J'sais pas c'que ça veut-y dire ça, affirma-t-il en déversant ses dés de navets dans la marmite.

— L'Exode, bourrique ! s'énerva la chevalière. Quand les Seigneurs Démoniaques ont envahi les Terres Habitées de leurs nuées de démons !

Aucune réaction de Jondo. Cela devenait une habitude des plus agaçantes.

— Mais enfin, voyons ! Vous avez bien dû fuir une cité ? Un village ? Un trou du cul quelconque de bouseux dans votre genre, que les démons auraient assailli non ?

— J'sais po d'quoi c'est-y donc que tu bagoules. J'ai toujours été ici là par moi-même seul, fit Jondo en haussant les épaules à nouveau.

— Et vous n'avez jamais eu l'idée de rejoindre une communauté lorsque vous avez vu ces créatures errer la campagne ?

— Avant d'te jointer toi, ça f'sait des plombes que j'y ai po croisé aucuns aut' gens, se défendit Jondo.

Impensable. Ce paysan aurait survécu au plus grand cataclysme que l'humanité ait connu. Seul et sans même essayer de se cacher. Sagrymor n'y comprenait rien. Elle scrutait le jeune homme qui touillait sa préparation sur le feu, cherchant un quelconque indice sur le mystère qui l'entourait.

— Quel âge avez-vous Jondo ?

— J'sais po ben, rétorqua le fermier en lâchant un bouquet d'herbes dans la marmite. C'est comment que ça marche-t'y donc c't'affaire d'âge ? Faut'y compter à chacune nouvelle pâlotte ?

Il entreprit un savant calcul au moyen de ses doigts. Sagrymor ne prit pas la peine de l'instruire sur l'annualité d'un anniversaire. Elle sentait bien que c'était peine perdue. La chevalière se pencha plutôt en avant pour mieux voir son visage. En ignorant la crasse et les hématomes, elle ne lui donnait guère plus d'une trentaine d'années. Elle aurait pu être sa mère ! Cette pensée la rendit aussitôt nauséeuse.

— Six ! s'exclama presque joyeusement Jondo.

— De quoi six ?

— Bah j'ai six d'âge ! répondit le jeune homme en déposant un bol fumant devant la chevalière.

Sagrymor sentit son mal de tête s'accentuer et préféra déporter son attention sur le récipient face à elle. Une forte odeur terreuse de navets s'en dégageait.

— Vous n'avez point de pain ou de viande à tout hasard ? demanda Sagrymor avec une moue.

— Non m'dame !

Le fermier ne se fit pas prier et se rua sur son propre bol tel un chien enragé. La pièce fut rapidement envahie de bruits gutturaux, de langue qui claque, de dents qui mastiquent et autres sons d'aliments humides se perdant dans la cavité buccale de l'ogre.

Avec réticence, Sagrymor plongea sa cuillère dans le potage et avec dégoût, l'approcha de sa bouche. Elle ferma les yeux un instant et chercha à engloutir au plus vite. Elle les rouvrit, stupéfaite.

C'était sublime.

Un parfait mélange d'aromates venait contrebalancer le gout terreux du navet. Une certaine acidité cassait la fadeur du légume et venait titiller les papilles et briser l'amertume d'une feuille de laurier qui elle-même condimentait à merveille la chair étonnamment sucrée des navets. Le tout fondait sur la langue, s'évanouissant dans un nuage de légèreté fumée. Un délice.

— Ma foi... c'est excellent Jondo ! Je ne crois pas avoir jamais mangé de navets si gouteux... Comment avez-vous fait ?

Jondo, son visage caché derrière son bol, esquissa un geste vague, l'air de dire que ce n'était rien. Sagrymor, l'imita avec plus de retenue tout de même, dévorant cuillérée sur cuillérée de ce divin potage. Il y avait tout de même en fin de bouche une subtile âpreté qui dénotait avec le reste.

N'en revenant toujours pas de ce prestige culinaire, Sagrymor étudia les alentours à nouveau, cherchant un indice sur le secret de cette réussite. Elle s'arrêta sur la marmite.

Sa cuillère tomba au sol.

— Jondo... Rassurez-moi ? Vous aviez changé l'eau de la marmite pour votre potage ?

— Ah ça non, c'est ben trop long à vider et y remplir ! Mais parole, y restait po un seul bout d'tissu, j't'assure !

Le cri de Sagrymor retentit à travers la chaumière.

La porte de la masure claqua et la chevalière jaillit dans l'obscurité nocturne. Le bruit de vomissements résonna dans le ciel étoilé, entrecoupé seulement par des tirades de grossièretés à l'attention du fermier, qui se contenta de se resservir.

☆☆☆

Le matin arriva bien trop vite.

Sagrymor s'était époumonée jusque tard dans la nuit. Quand elle se rendit compte que le fermier s'était endormi, comme bercé par le flot d'insultes, cela n'avait fait qu'attiser davantage la colère de la chevalière. Un malheureux tronc d'arbre mort avait fait les frais de cette furie. Une furie qui s'était déversée sur lui à grands coups d'épée. L'arbre déchu, ne trouva répit que lorsque la chevalière fut prise de spasmes intestinaux qui la forcèrent à déverser autre chose que de la rage.

Le matin arrivé, elle se réveilla au milieu de son carnage de copeaux de bois où elle s'était écroulée. Elle se rendit alors à la rivière pour se détendre et pratiquer sa séance de méditation matinale.

Un bruit de sabot non loin, la tira de son état de transe. Un pas lourd bien familier.

Elle ouvrit les yeux pour découvrir Talion à quelques pas d'elle, en aval de la rivière. Son poitrail luisait de sang frais qui dégoulinait le long de son pelage noir. Il respirait avec force et avançait faiblement. La chevalière se rua à son encontre.

Sagrymor s'empara de sa tête avec une fougue retenue. Elle couvrit la bête de douces caresses et lui susurra quelques mots réconfortants. La blessure causée par la serfouette était importante. Fort heureusement, Talion était puissant et ses muscles contractés avaient empêché les pointes d'atteindre les organes.

Sans perdre un instant, Sagrymor amena le cheval dans la rivière pour lui rincer abondamment les plaies. Elle farfouilla ensuite dans les sacoches toujours accrochées à la selle et extirpa un petit récipient en terre cuite. À l'intérieur luisait une pommade d'un ivoire satiné. Elle racla l'intégralité du contenu de ses doigts et l'appliqua directement sur les blessures de Talion, sans oublier son égratignure à la croupe. Ce baume ne le guérirait pas, mais empêcherait la plaie de s'infecter et favoriserait sa cicatrisation.

En retournant à la chaumière, elle vit Jondo qui revenait avec deux seaux pleins de navets de la direction du champ sur les flancs de la colline. Absorbée dans sa méditation, Sagrymor ne l'avait pas entendu se lever et partir travailler. Préférant ne pas être trop rancunière par rapport à sa tentative d'intoxication de la veille, elle l'interpella :

— Jondo ! Il semblerait que la nuit vous ait été plus clémente qu'à mes intestins. L'Enfant-Rêveur en a-t-il profité pour vous réapparaitre ?

— Non, po d'gamin.

La chevalière tiqua quant au manque de respect frôlant le blasphème, mais laissa couler.

— Tant pis. Il faut que nous prenions la route, nous ne pouvons pas rester ici à attendre en vain. Si j'ai bien compris de ce que vous m'avez dit hier soir, vous n'avez jamais bougé d'ici. Vous ne connaissez donc pas le bourg le plus proche n'est-ce pas ?

Jondo secoua la tête.

— C'est bien ce que je pensais. Allez empaqueter vos affaires pendant que je planifie notre route. On part d'ici peu.

Laissant le jeune fermier grommeler en trainant des pieds, Sagrymor récupéra quelques parchemins dans une de ses sacoches. Elle tomba sur l'ancien feuillet indiquant la Colline Divine et s'arrêta dessus un instant. Tant de mal pour l'obtenir pour en arriver là. La pensée la désolait, et elle chiffonna le précieux papier. Il n'était plus d'aucune utilité désormais.

Elle sortit finalement une carte usée de la contrée de Valvert et étudia les différentes possibilités qui s'offraient à eux.


Voici les choix pour le prochain chapitre :

1. À quelques lieux au sud, au milieu d'une orée isolée, se trouve un temple de Phylae, déesse de la Protection, Prudence, Endurance et des Soins. S'il est toujours debout et habité, ce serait le lieu parfait pour soigner leurs blessures. Il faudrait au moins trois jours de marche pour le rejoindre.

2. Plusieurs lieux à l'ouest, au-delà des bois, se trouve un petit village agricole du nom de Vivecombe. Quand bien même le village serait déserté, il y a de fortes chances pour qu'ils y trouvent des vivres et autres nécessités de voyage. Il faudrait environ deux jours de marche pour le rejoindre.

3. Loin au nord-ouest, bien au-delà des forêts, se trouve une des Cité-Sainte de Valvert : Ormuraille. Sagrymor y est passée rapidement avant d'arriver à la Colline des Dieux. La cité résiste, un noyau de survivants assez conséquent tient fermement plusieurs quartiers avec l'aide des Dieux. Il règne toutefois une ambiance assez particulière. Il faudra quatre jours pour la rejoindre.

4. Choix proposé(s) par les lecteurs (si vous proposez un autre choix un minimum cohérent dans l'histoire, je le rajouterai ici)

Fin des votes dimanche 04/10/2020 à 22h (UTC +2). Chapitre suivant le 07/10 au plus tard.

À vos votes !

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