8. Le Problème Ward



Après quelques heures d'étude studieuse des documents rassemblés par l'équipe, Mike estima qu'il en avait assez appris pour la journée. Laissant ses collègues continuer à organiser la logistique de la mission, il quitta le centre de contrôle en premier. L'après-midi touchait à sa fin, mais le soleil brillait encore au dessus des arbres.

En principe aucun document ne devait sortir du bâtiment sécurisé, mais cette règle était assez mal appliquée, et l'agent avait emporté des photocopies du rapport sur Thomas Gaudry. Le dossier n'était pas épais: quelques bulletins scolaires, des photos de documents d'identité, la liste de ses contacts téléphoniques des derniers mois fournie gracieusement par le GCHQ, et bien sûr les sites qu'il fréquentait. Étrangement il n'avait pas de profil Facebook, sans doute sur les conseils de son frère. Y créer un compte revenait à écrire son propre rapport de surveillance, listant à la fois son réseau de connaissances, ses points d'intérêt et ses activités. Une ressource bien utile pour un service comme CHERUB, mais dont Thomas n'avait malheureusement pas l'intention de les laisser profiter.


Lors de ses premières missions, Mike avait trouvé un peu déroutant de rencontrer les gens dont il avait étudié le profil. C'était comme s'il les connaissait déjà sans les avoir jamais croisé, ni qu'ils puissent seulement se douter de tout ce qu'il savait sur eux. Mais avec un peu d'expérience, l'adolescent s'était vite aperçut qu'un dossier ne permettait presque jamais de connaitre quelqu'un. Il y avait un décalage subtil entre l'image qu'on pouvait se construire grâce aux informations et la véritable personne.

Concernant Thomas, ils n'avaient pas beaucoup de matière. Il avancerait donc en bonne partie à l'aveugle... Tout allait reposer sur sa capacité à créer un lien à travers un jeu vidéo. L'agent ne se faisait pas trop de souci de ce côté; après tout, les jeux massivement multijoueurs étaient fait pour encourager la coopération entre les utilisateurs.


Plongé dans ses pensées, Mike était finalement arrivé devant sa chambre sans vraiment faire attention au trajet. Il sortit ses clés et les tourna dans la serrure. Le loquet se coinça aussitôt puisque la porte n'était pas verrouillée. Contrairement à son habitude, il avait complètement oublié de fermer derrière lui, pressé de se rendre au briefing. Même si à CHERUB, une serrure ne représentait pas un grand obstacle pour grand monde...

Mais pour cette fois, son visiteur n'avait même pas eu à se donner la peine de crocheter la porte. Assis sur son lit, Peter pianotait sur son portable.


-Fais comme chez toi, grogna le maître des lieux, sans grande conviction.


Sur le campus, les concepts d'intimité et de vie privée étaient comme les extra-terrestres: tout le monde en avait entendu parler, mais personne ne pouvait prouver qu'ils existaient. Après tout ils étaient tous des espions.

Sans compter qu'après des mois d'entraînement où les agents vivaient ensembles vingt-quatre heures sur vingt-quatre, la gêne et la pudeur avaient à peu près totalement disparues.


-Alors, cette mission? demanda son visiteur sans même lever les yeux de son téléphone.


Mike soupira et referma la porte derrière lui, avant d'aller poser le dossier de Thomas Gaudry sur le bureau.


-Si tout marche comme prévu, Paris cet été.


En théorie, les agents ne devaient rien révéler des opérations à venir, mais en pratique... Les responsables de formation et les contrôleurs de mission fermaient les yeux tant que les détails confidentiels n'étaient pas évoqués.


-Paris hein? commenta simplement Peter. Je vois. Émi rêvait d'y aller depuis... En fait je crois que je l'ai toujours entendu en parler.


L'adolescent semblait calme, mais Mike connaissait trop son ami pour ne pas remarquer que quelque chose n'allait pas. Et la cause de son trouble était plus qu'évidente...

Sans rien répondre, il s'assit sur son fauteuil de bureau et attendit la suite.

Un silence inconfortable s'installa. Contrairement à son habitude, Peter n'était ni souriant, ni enjoué. Il tripotait nerveusement le bas de son T-Shirt noir, les yeux dans le vague.


-J'ai quelque chose de pas facile à te demander, lâcha-t-il enfin. C'est Erwan qui m'a conseillé de t'en parler franchement mais... Merde, j'ai aucune foutue idée de comment te dire ça.


Son interlocuteur décida de l'aider un peu.


-Tu veux savoir si il risque de se passer un truc entre Émilie et moi? suggéra-t-il.


Embarrassé, l'adolescent passa la main dans ses cheveux roux.


-Ouais. Quelque chose comme ça.


Mike hocha la tête. Il s'attendait à ce que son ami vienne lui parler de ce sujet, mais pas si vite. Bien qu'il essaie de se donner un style"cool" et décontracté, Peter était un garçon sensible. Il essayait tant bien que mal de le cacher, mais vivait mal la rupture avec Émilie. Rien d'étonnant à ce qu'il s'inquiète de leur mission commune.


-T'as pas besoin de demander, lâcha finalement Mike avec franchise. Je sais ce que tu ressens pour elle, et j'ai pas l'intention de me mettre entre vous. Tu me fais confiance?


Peter sourit, toujours gêné.


-Toujours.Désolé de t'avoir parlé de ça, c'est juste que, ce midi quand elle est allé à te chercher à manger, j'ai commencé à me faire des films. Bref. Merci mec.

-T'inquiètes.Et j'étais bien content d'avoir un truc à grailler! Tu me connais,si j'ai pas mes trois repas par jour...

-...Tu passes ton temps à grogner encore plus fort que ton estomac,compléta Ward avec un grand sourire. On se demande où tu stocke tout ce que tu bouffe!


Il se leva, de bien meilleure humeur que quand il était entré. Mike aussi se sentait soulagé d'avoir mis les choses au point avec son ami. Encore une fois, Erwan avait donné le bon conseil: communiquer.


-N'empêche il faut vraiment que je te trouve une nana avant que vous partiez à Paris, juste au cas où, lâcha pensivement Peter.


Difficile de dire quelle était la part de sérieux dans cette remarque.


-Dommage que j'ai déjà mon T-Shirt noir, réussir une mission aussi difficile ça me vaudrait sûrement une promotion, ajouta-t-il avec cette fois un franc sourire.

-Eh! protesta l'intéressé. J'ai déjà eu des copines je te signale!


Son visiteur haussa les sourcils, moqueur.


-Des...?Je me souviens seulement de la folle furieuse avec qui tu t'étais mis il y a un an. Comment elle s'appelait déjà?

-Ellen,lâcha Mike, embarrassé à ce souvenir. Et il y avait aussi la fille de la mission à Dublin!


Peter s'esclaffa sans remords.


-J'étais là je te rappelle! Vous vous êtes juste bécoté pendant toute la soirée et tu connais même pas son prénom vu que tu l'as jamais revue... Disons une copine et demi, et je suis généreux. En additionnant les deux tu as été en couple pendant quoi, deux semaines?

-Plutôt dix jours en fait.


Il y eu un court silence, puis les deux adolescents éclatèrent de rire.

De l'avis général, la vie amoureuse de Mike était peu productive, pour ne pas dire désertique. Sa -brève- histoire avec une autre agent de leur âge rencontrée en mission avait vite tourné au vinaigre: Ellen était une jolie fille, mais l'adolescent avait découvert qu'elle était aussi possessive, obsessionnelle et jalouse. Il avait rompu au bout de quelque jours, juste après l'avoir surprise en train d'essayer de pirater ses mails, et il l'évitait soigneusement depuis. Heureusement, ils n'avaient pas les mêmes amis, et c'était plutôt facile.


-Bon, c'est pas tout ça, mais il me reste du boulot, lâcha l'agent en regardant sa montre. Je te met pas dehors, mais j'ai pas put me doucher après mes tours de stade au soleil, et je dois aller voir Jennie... Sinon je vais encore ramasser.

-Hourra pour Kazakov, ironisa Peter. Pas de souci. On se voit plus tard!


Il se dirigea vers la porte, mais s'arrêta avant de l'ouvrir, le regard fixé sur la peinture de Saint-Michel qui trônait au dessus du lit.


-Faut vraiment qu'on te trouve une nana, lâcha-t-il. Sinon tu vas finir dans les ordres avec ta déco de moine!

-Dégage l'irlandais, répondit l'intéressé avec amusement. Je te rappelle qu'on a un devoir de math à boucler pour demain matin.

-Merde, c'est vrai!


L'adolescent disparu dans le couloir en lâchant une bordée de jurons que ses ancètres n'auraient sûrement pas renié.

Resté seul, Mike regarda à son tour la peinture au dessus de son lit.


Au premier plan, l'Archange y était représenté en armure, le visage caché sous un casque argenté à visière en croix, une longue épée enflammée dans les mains. Ses grandes ailes blanches étaient déployées derrière lui. Il était en plein combat avec une sorte de serpent difforme aux crocs démesurés, le diable sans doute possible. La pointe de la lame était figée par le peintre, prête à donner le coup de grâce au monstre.

Derrière eux, des anges et des démons s'affrontaient au loin, sur un fond de ciel apocalyptique.

Peter n'avait pas tort, ce n'était clairement pas le genre de tableau qu'on s'attendrait à trouver dans une chambre d'adolescent. Pourtant il avait longtemps été le seul élément personnel de la pièce. Et ce pour une bonne raison...


Une vibration soudaine dans sa poche de treillis détourna l'agent de sa réflexion. L'agent sortit son portable, découvrant un SMS d'Émilie.


On a finit les couvertures jason a trouvé un apart génial à louer ^^tu veux que je passe avec les photos?


Mike fronça légèrement les sourcils. La proposition n'avait rien d'anormal en soi, mais la discutions avec Peter était encore fraîche. Après quelques secondes d'hésitation, il répondit:


Merci mais j'ai pleins de trucs à faire là, on voit ça demain?


Il se leva et enleva son T-Shirt sale avant d'aller dans sa salle de bain. Son portable vibra à nouveau.


Ok


Court, voir laconique, presque sec. Ou juste efficace? Rien n'était plus agaçant que d'essayer d'interpréter des doubles sens de textos. Il nageait en pleine paranoïa...


L'agent haussa les épaules et regarda son visage dans le miroir. Il avait plutôt bonne mine, pas de manque de sommeil ou de soleil, un miracle en Angleterre. Mais son expression était préoccupée

Sa main passa machinalement dans ses cheveux noirs, fraichement raccourcis à la tondeuse. Une mission consistant à passer du temps sur un bon jeu vidéo, il aurait dut se douter qu'il y aurait un piège...

Avec de très jolis yeux verts en guise d'appât, il fallait bien le reconnaitre.


-Non mais à quoi je pense moi? grogna-t-il avec agacement en direction de son reflet.


Il se détourna du miroir. Jennie Kenning n'allait pas attendre toute la soirée qu'il vienne la voir, et après son silence radio du matin, il avait plutôt intérêt à filer droit. Car si Kazakov avait la punition facile, sa responsable de formation ne se défendait pas mal non plus. S'il ne voulait pas gagner des tours de stade, c'était le moment de se dépécher.

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