5. Sam
Guidé par Lauren, Samuel avait entrepris de faire le tour du campus, beaucoup plus étendu qu'il ne l'aurait cru. La jeune fille connaissait parfaitement les lieux et s'orientait sans hésiter, détaillant chaque lieu et lui livrant des bribes de la vie à CHERUB. Sans elle, le jeune invité aurait sans doute été complètement perdu.
Le campus disposait de toutes les installations sportives imaginables, et même d'un dojo aussi beau qu'impressionnant. Des bâtiments de différentes époques coexistaient, le plus ancien étant une petite chapelle que Lauren disait antérieure à l'organisation elle-même. Il y avait aussi des locaux d'habitation pour les "juniors", trop jeunes pour effectuer l'entraînement, et un autre réservé aux études.
L'agent éludait parfois certaines questions, celles qui auraient pu permettre de connaître l'emplacement du campus par exemple, mais Samuel en apprit beaucoup, et les informations ne tardèrent pas à se bousculer sous son crane. Bien qu'il n'en ait pas vraiment conscience, tout ce qu'on lui disait était soigneusement calculé pour lui en apprendre un maximum sans lui laisser la moindre preuve tangible ou le moindre début de piste sur l'organisation. Même s'il lui venait l'envie de crier son aventure sur les toits, il passerait simplement pour un gamin avec trop d'imagination. De plus CHERUB surveillerait ses mouvements durant quelques semaines, et quiconque chercherait plus loin risquait les pires ennuis avec la justice britannique et le MI5 pour violation de secret d'état.
Une fois le "tour du propriétaire" effectué, le duo finit par s'installer au sommet d'une petite colline qui surplombait le stade, à l'ombre d'un petit bois. De là haut, on pouvait voir une bonne partie des installations et le bâtiment principal, où l'invité s'était réveillé un peu plus tôt. La journée était belle, et le campus en dessous d'eux était plein de vie. Un petit univers perdu au milieu de la campagne anglaise, avec ses propres règles et ses codes.
-Alors, qu'est-ce que tu penses de tout ça? attaqua finalement Lauren.
Samuel ne répondit pas tout de suite, observant les agents qui profitaient du temps ensoleillé pour faire du sport ou qui marchaient sur les pelouses, soigneusement entretenues par les punis.
-J'ai la trouille, avoua-t-il. Tous ces moyens, cette histoire d'agents secrets... Je me demande si j'ai une chance d'être à la hauteur.
-Ne dis pas de bêtises! se récria aussitôt sa guide. Zara ne t'aurait jamais fait venir si elle ne croyait pas que tu avais ce qu'il faut pour intégrer CHERUB. La question c'est surtout, est-ce que toi, tu en as envie?
-Bien sûr, répondit-il aussitôt avec une conviction qu'il aurait aimé ressentir.
Il se plongea dans le silence, tâchant de cacher sa mine préoccupée à son accompagnatrice.
Lauren avait mis le doigt sur le cœur du problème. Une partie de lui voulait vraiment venir ici et devenir un de ces agents qui s'exerçaient en contrebas. Mais une autre lui interdisait de se précipiter avec enthousiasme, par peur de ne jamais être des leurs. S'il n'était pas retenu, la déception lui ferait mal, trop mal. Il avait déjà tant perdu... Est-ce que ça en valait bien le risque, celui d'être rejeté parce qu'il n'était pas assez bon?
Sentant son trouble, sa guide posa une main apaisante sur son épaule.
-CHERUB a été la chance de ma vie. Fais de ton mieux, c'est tout ce qu'il faut pour réussir et devenir des nôtres.
Samuel redressa la tête, surpris par ce contact amical et ces encouragements.
-Je... Merci. Tu as passé les tests toi aussi? C'est comment? demanda-t-il pour changer de sujet.
-Je n'ai pas le droit de t'en parler, répondit-elle aussitôt en remettant sa main sur son genou. Et puis mon cas est un peu particulier. Mon frère avait déjà intégré l'organisation quand je suis arrivée ici.
Son regard se perdit dans le vague quelques secondes, alors qu'elle se partait dans ses souvenirs. Sa première venue au campus, sa première mission, ses amis et même le fait d'être végétarienne... La personne qu'elle était devait tout à CHERUB.
Lauren poussa soudain un gros soupir. Être agent opérationnel avait été toute sa vie jusqu'à présent, et malgré l'exemple de son frère James, elle ignorait si elle arriverait à passer si facilement à autre chose. À devenir adulte.
-Bon sang, cet endroit va vraiment me manquer, lâcha-t-elle avec tristesse.
À côté d'elle, l'adolescent se sentit aussitôt plein de compassion. Lui arrivait seulement sur le campus, mais Lauren était déjà sur la fin de l'adolescence. Bientôt elle ne pourrait plus travailler pour CHERUB, puisqu'elle ne serait plus mineure et ne pourrait même pas se faire passer comme telle. Bien qu'ils ne se connaissent que depuis moins d'une demi-journée, Samuel se sentait plus proche d'elle que de qui que ce soit d'autre depuis des mois. Dans ce nouvel univers du campus, elle était un peu son ange gardien.
Comme elle un peu plus tôt, il posa soudain sa main sur son épaule, un geste qui la fit sursauter.
-Tu t'en sortiras très bien, lança-t-il avec toute la conviction dont il était capable.
D'abord surprise, elle éclata soudain de rire.
-C'est toi qui me réconforte maintenant? lâcha-t-elle avec bonne humeur.
Samuel retira sa main, rougissant immédiatement. Il s'était montré bien plus familier qu'il aurait dut et se traita mentalement d'idiot. Elle avait raison de se moquer de lui, son geste était tout simplement ridicule.
-Désolé, lâcha-t-il d'un ton bougon.
Son accompagnatrice comprit aussitôt son erreur, et la rectifia.
-De quoi tu t'excuses? lâcha-t-elle en replaçant une de ses mèches blondes. C'est moi qui raconte mes angoisse à un T-Shirt orange et... Oh merde! J'ai complètement oublié de t'expliquer ça!
L'uniforme que Samuel voyait partout ne se différenciait que par les couleurs des hauts, mais il n'avait pas posé la question tant il lui en venait sur les lieux qu'ils visitaient, si bien qu'ils n'avaient pas abordé ce sujet primordial.
Ravi de changer de sujet, il la pressa de continuer.
-En gros il y les oranges comme toi, les invités, expliqua-t-elle. Personne n'a le droit de leur parler sans l'accord de Zara. Ensuite il y a les T-Shirt rouges, ceux qui n'ont pas encore passé le programme d'entraînement initial, et qui vivent au bâtiment junior. Pendant la formation on porte le bleu ciel, puis on décroche le gris quand on devient agent opérationnel. Le bleu marine distingue ceux qui ont accomplis une performance exceptionnelle en mission. Quand au noir il récompense un acte héroïque sur le terrain.
Elle avait lâché cette dernière information avec fierté et marqua une courte pause avant d'ajouter:
-Ne me demande pas comment j'ai eu le mien, c'est secret défense. J'allais oublier les T-shirt blancs. Ce sont les anciens agents de CHERUB. La plupart des instructeurs le portent. Voilà, je crois que je t'ai tout dit. Des questions?
Samuel réfléchit, concentré. Il risquait sûrement de s'emmêler entre les couleurs, mais il avait saisit les grandes lignes de l'organigramme.
-Non, je ne crois pas, lâcha-t-il enfin.
Il y eu un silence qui dura de longues minutes. L'adolescent semblait s'être plongé dans ses pensées, et Lauren ne le dérangea pas. La journée avait de quoi lui donner sérieusement à réfléchir... Sans parler de la perte de ses parents, quelques mois plus tôt.
Une intoxication au monoxyde de carbone, dans leur sommeil. Samuel avait trouvé leur corps au matin.
La famille avait passé quelques années en Russie, puis aux États-Unis, suivant le travail de son père, traducteur. Ils venaient de rentrer au Royaume-Uni, le pays d'origine de la mère, quand l'accident était survenu. Les économies des parents étaient toutes passées dans l'achat d'une maison, et Samuel s'était retrouvé du jour au lendemain dans un orphelinat miteux, seul au monde.
De nombreux agents avaient le même genre d'histoire, mais ça n'avait pas rendu Lauren insensible pour autant.
La veille, Zara lui avait remis un dossier complet sur Samuel. Sur le papier, il répondait parfaitement aux critères de CHERUB, parlant couramment le russe en plus de l'anglais, orphelin sans attache et au dessus de la moyenne lors des tests scolaires. Mais la directrice s'inquiétait de savoir s'il était mentalement prêt à intégrer l'organisation. Suivant la procédure, un agent de son âge avait été infiltré dans l'orphelinat pour se lier à l'adolescent et l'évaluer. Mais Samuel semblait trop renfermé pour que cette approche ait donné satisfaction, et Zara avait donc demandé son avis à Lauren.
Pour le moment, la jeune femme se heurtait au même problème que l'agent de l'orphelinat: elle ne parvenait pas vraiment à savoir ce qui se passait dans la tête du garçon. Un atout certain pour un espion, mais qui l'empêchait de mesurer son état.
Mais après tout, les tests de recrutement de l'organisation étaient aussi là pour ça.
-Allez viens Samuel, lança-t-elle en se levant. C'est l'heure d'aller manger, et crois moi, la nourriture ici est tellement bonne que...
-Tout le monde m'appelait Sam avant la mort de mes parents, la coupa soudain l'adolescent. Plus personne ne le fait maintenant. Ma vie... Mon ancienne vie me manque. Ils me manquent.
Il avait lâché ces mots sur un ton neutre, comme vidés de toute émotion. C'était un simple constat, même plus douloureux.
Lauren resta quelques instants immobile, sans rien trouver à dire. Finalement elle se rassit à côté de lui.
-J'ai commencé à oublier leur visage. La nuit, je les entends étouffer. Ils sont morts comme ça, pendant que je dormais paisiblement dans ma chambre. Quel genre de personne laisse mourir ses...?
Sa voix se brisa, et il plongea la tête dans ses mains, cachant son visage et ses sanglots silencieux.
-Tu n'es pas responsable, Sam, lâcha-t-elle finalement en posant à nouveau la main sur son épaule. Tu ne pouvais rien faire.
Le garçon ne réagit pas tout de suite.
-J'aurais dû le savoir, murmura-t-il enfin. Me réveiller.
-Non.
-J'aurais dut le sentir. J'aurais dut me réveiller. Pourquoi je ne me suis pas...
-Arrête. Rien de tout ça n'est ta faute.
Inconsciemment, Lauren avait commencé à le bercer et à lui caresser les cheveux, comme le faisait James avec elle après la mort de leur mère.
-Rien de tout ça n'est ta faute, répéta-t-elle plus fermement.
Ils restèrent ainsi un moment l'un contre l'autre. Sur les terrains de sport en contrebas, un agent poussa un cri de joie. Le soleil brillait toujours, sans se soucier lui non plus du malheur du jeune garçon.
La vie continuait sur le campus.Et pour tout le monde.
Samuel finit par se calmer. Il finit par s'éloigner d'elle et essuya maladroitement ses joues, sans parvenir à effacer ses larmes.
Lauren avait le cœur serré. Ce gamin n'avait juste pas eu de chance. Sa vie d'avant était finie, et elle aurait voulu l'aider.
Mais elle hésitait sur ce que ça impliquait; était-il prêt, ou est-ce que CHERUB ne risquait pas de le briser? Se remettrait-il d'un échec? D'un autre côté, Zara serait peut-être disposée à lui trouver une famille d'adoption. Mais était-ce vraiment ce qui lui manquait?
La directrice attendait son avis pour après le déjeuner, et elle savait de moins en moins ce qu'elle allait pouvoir lui dire.
-Je crois que j'ai faim, lâcha soudain Samuel de la même voix que quelques minutes plus tôt, s'appliquant manifestement à masquer son accès de tristesse.
Lauren lui sourit avant de se lever.
-Allez,viens, je te montre le chemin, lança-t-elle en lui tendant la main.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top