37. Merci, Émilie

Les mains dans les poches, Mike longeait les grilles du parc d'un pas rapide. L'adolescent avait rabattu la capuche de son sweat sombre sur sa tête, masquant son visage aux éventuels passants et aux caméras.

La nuit était particulièrement sombre à cause des nuages qui s'amoncelaient peu à peu dans le ciel, mais les lampadaires parisiens déversaient une lumière jaune sur l'asphalte, illuminant la rue et les façades comme en plein jour. Un vent frais soufflait par intermittence, agitant l'air trop lourd de ce soir d'été.

L'agent s'arrêta une seconde pour regarder de chaque côté de la route avant de traverser, puis s'engouffra sans hésiter dans une berline qui stationnait tous feux éteints.


-Attention à l'ordi, lui lança Jason en guise d'accueil.


Mike déplaça le portable posé sur le siège passager avant de s'asseoir puis de claquer la portière.

La pyramide du parc Monceau s'affichait sur l'écran dont la lueur éclairait l'habitacle. Comparée à celles d'Égypte elle n'était pas très grande, mais mesurait tout de même huit mètres de haut; on pouvait voir le monument sous différents angles grâce aux multiples caméras que l'agent venait d'installer. La vision nocturne colorait l'image en noir et blanc, intensifiant cette dernière couleur.


L'adolescent se mordit la lèvre, nerveux. Quand le preneur d'otage avait donné rendez-vous à Thomas près d'une pyramide, il avait subitement repensé au parc où il avait retrouvé le jeune hacker le matin même. Ce dernier lui avait dit que c'était un endroit où il allait étant enfant, en famille, et Mike se souvenait y avoir justement vu une structure triangulaire nichée entre les arbres.

Sur le moment sa déduction lui avait parut d'une logique irréfutable, mais maintenant qu'il ne restait plus qu'à attendre de voir s'il avait raison les doutes l'assaillaient. Il pouvait très bien s'être trompé, et la crainte d'un nouvel échec après l'évasion de Thomas lui nouait les tripes. Finalement il devait compter uniquement sur sa chance et son intuition, ce qu'il détestait.

Au moins d'ici quelques heures, il serait fixé.


-Plus qu'à attendre maintenant... lâcha-t-il en soupirant, avant de reculer son siège au maximum pour avoir plus de place.


Sarah avait décidé de surveiller le domicile des Gaudry avec Émilie, dans l'espoir qu'un des protagoniste de l'affaire s'y rende. Le parc et l'appartement étaient les deux seules maigres pistes dont l'équipe disposait; le traçage des échanges avec Rouge 17 avait mené à une fac parisienne, dont le réseau informatique s'était révélé aussi ouvert qu'anonyme. N'importe qui avait put l'utiliser, et l'appel reçut par Thomas avait transité par la même voie menant les techniciens du GCHQ à une impasse.


Zara ainsi que les autres gradés impliqués dans l'opération avaient donné ordre qu'ils récupèrent le programme et Thomas Gaudry en priorité, mais ils avaient refusé d'envoyer des renforts. Ils avaient dut juger qu'expédier trop d'hommes dans une mission clandestine en France risquait de causer un scandale international. L'équipe devait donc discrètement intercepter le jeune hacker, avant d'appeler la police française pour qu'ils se chargent d'arrêter l'agent de Rouge 17 et de retrouver Anthony Gaudry.

Ce plan bancal était sûrement le résultat d'un consensus entre bureaucrates, puant l'improvisation et la peur de l'incident diplomatique à plein nez.


Au moins la directrice de CHERUB avait obtenu que les agents soient tous armés, puisque les risques de la mission avaient été revus à la hausse depuis le kidnapping. Et Mike s'était fait un devoir de remplir son sac à dos ''opération'' en suivant les nouvelles consignes: bâton télescopique, poing américain, bombe au poivre et même un pistolet Walther PPK. Cette dernière arme n'était qu'à n'utiliser qu'en dernier recours.

En plus de tout ça l'adolescent gardait un taser et un couteau sur lui. Si Rouge 17 ou des hommes de main venaient, ils seraient bien reçu...


Inconscient des pensées qui avaient fait naître un sourire carnassier sur le visage de l'adolescent, Jason demanda soudain avec entrain:


-Alors? Qu'est-ce qu'on fait pour passer le temps en planque?


Mike se tourna vers lui, agréablement surpris de la question. C'était une des choses qu'il appréciait le plus chez son collègue; malgré leur différence d'âge il ne le prenait pas de haut, et ne rechignait jamais à reconnaître son peu d'expérience du terrain.


-On parle en général. Et puis tu as de la musique? À manger? Une bouteille?

-Bien sûr, répondit Jason. Toute ma playlist est sur l'ordinateur, j'ai récupéré des sandwich et des gâteaux à l'appartement ainsi qu'un thermos de thé. Du vrai thé anglais.


L'adolescent hocha la tête. Un vrai pro. Lui même avait tout le nécessaire dans le sac à dos qu'il préparait toujours en mission, et qui était présentement posé sur la banquette arrière de la berline. C'était une belle voiture, fournie par le MI6 pour crédibiliser la couverture de banquier de Jason, ce qui était appréciable. Pour une fois ils disposaient d'un véhicule confortable pour planquer.

Soudain une question gênante vint à l'esprit de l'agent.


-Et ta bouteille vide? demanda-t-il.

-Euh... J'ai un thermos plein de thé. Mieux vaut plein plutôt que vide. N'est-ce pas? conclut-il avec son habituel accent guindé.


Mike soupira. Pas si pro finalement.


-Alors à moins que cette voiture soit pourvue de toilettes je te déconseille de boire, lança-t-il en regardant à nouveau l'écran de l'ordinateur.


Jason resta perplexe plusieurs secondes avant de comprendre à quoi était censée servir la fameuse bouteille vide.


-Oh. Je vois, finit-il par lâcher avec une grimace dégoutté.

-Et inutile de demander, je ne partage pas la mienne, ajouta fermement son voisin.


La moue choquée de son collègue fit rire Mike.


Les agents du GCHQ étaient formés pour travailler au Doughnut, surnom de leur quartier général, un bâtiment de bureaux. Jason portait ce soir le même costume cravate que lorsqu'il allait à la banque qui lui servait de couverture, pas vraiment une tenue adaptée pour une opération de terrain. Mais malgré cela il semblait être heureux de ne plus être coincé derrière un bureau.

Un jour il avait confié à Mike qu'il avait voulut s'engager dans l'armée en sortant du lycée, mais qu'un obscur problème d'audition l'en avait finalement empêché. Il avait donc poursuivit ses études jusqu'à intégrer le GCHQ et sans doute cherché toutes les occasions possibles de travailler sur le terrain depuis...

Réfléchissant à tout cela l'agent se rendit compte qu'il ne savait pas grand chose de la vie privée de son collègue.


-Tu as de la famille? demanda Mike sans préambule.

-J'ai perdu mes parents juste après avoir rejoint dans l'agence, répondit Jason après quelques instants. Rupture difficile il y a quelques mois, mais j'ai une grande sœur et deux neveux qui entrent au collège cette année. Et toi?


L'homme ne réalisa pas tout de suite son erreur, mais après quelques secondes de silence il mit la main devant sa bouche. Il venait de se rappeler que tous les agents de CHERUB étaient des orphelins.


-Oh mince, lâcha-t-il, au comble de la gêne. Pardonne moi, je...


Il s'interrompit, cherchant ses mots. La question maladroite ravivait de mauvais souvenirs, mais Mike aimait bien Jason, et il ne voulait pas le laisser patauger dans son embarras.


-C'est rien, assura-t-il. Vraiment.


Sans vraiment savoir pourquoi il ajouta:


-Mes parents sont morts dans un accident de voiture quand j'avais douze ans, ainsi que mon frère. Aujourd'hui, ma famille c'est CHERUB.

-Toutes mes condoléances. Je suis désolé.


L'agent hocha la tête, vaguement mal à l'aise. Il n'aimait pas beaucoup en parler.

À nouveau, le silence se fit. Au loin, le tonnerre gronda, peut-être annonciateur d'un orage à venir. Pourtant la rue déserte était parfaitement paisible, éclairée par la lueur électrique des lampadaires.


-Parlons d'autre chose, lança Jason avec conviction. Alors, toi et Émilie ça avance on dirait?


Mike se tourna vers lui, surprit de la question.


-Euh...Tu veux dire quoi par là? tenta-t-il dans un bluff qui n'aurait même pas convaincu un T-Shirt rouge particulièrement crédule.

-Disons que si je n'avais pas remarqué votre façon de vous regarder, le fait que Sarah m'a dit que vous étiez occupés à vous embrasser pendant que Thomas filait à l'anglaise m'aurait suggéré qu'il se passait peut-être quelque chose entre vous deux.


L'agent rougit instantanément et se dandina sur son siège.


-Elle a vraiment dit ça? gémit-il.


Si la contrôleuse de mission mentionnait cet incident dans son rapport, les deux agents risquaient de sévères sanctions une fois de retour au campus. Une bonne centaine de tours de stade au minimum, voir une mission de recrutement ou une suspension opérationnelle.


-Mot pour mot, confirma Jason sans se départir de son sérieux habituel. Elle avait l'air vraiment furieuse.


Bon. Tout n'était peut-être pas perdu... Elle était leur supérieure, donc responsable de leurs actes. Oui, avec beaucoup de chance, peut-être qu'elle n'avait pas expliqué les détails de l'évasion du hacker à Zara.


-Mais tu ne m'as pas répondu, insista Jason. Alors toi et elle...?

-Je ne suis pas sûr d'où on en est, lâcha mollement Mike. C'est compliqué.

-Ahhhh... L'amour. C'est toujours compliqué, lâcha sentencieusement son voisin, avec un soupir lourd d'expérience.


L'agent acquiesça distraitement. En fait il ne savait pas quelles suites auraient le baiser échangé dans la chambre. Émilie l'attirait, ça c'était sûr. Mais est-ce qu'il voulaient vraiment sortir avec elle et former un couple une fois de retour au campus? Et elle, est-ce qu'elle le voulait? Ne pas savoir ce que lui-même désirait était tout à la fois déroutant et agaçant pour Mike.


Voyant son compagnon de planque à nouveau distrait et préoccupé, Jason s'empara de l'ordinateur.


-Metallica? ACDC? demanda-t-il en ouvrant sa playlist.


Mike hésita. Son collègue essayait de faire son éducation musicale, mais il ne distinguait pas encore très bien chacun des groupes, même si les noms célèbres lui évoquaient forcément vaguement quelque chose.


-ACDC, trancha-t-il finalement.

-Bon choix, commenta Jason avec un clin d'œil alors que retentissaient les premières notes de ''Back in black''.


L'heure suivante fila plus vite que Mike ne l'aurait cru. La rue résidentielle était parfaitement calme, et le parc plus paisible encore si c'était possible. Quand à l'orage, il tardait à éclater.

Mais alors que l'heure du rendez-vous approchait, l'agent se sentait de plus en plus tendu. Il avait l'impression que le temps s'étirait démesurément. Seulement trois minutes depuis la dernière fois qu'il avait vérifié l'heure sur l'horloge de l'ordinateur?


Il venait d'étouffer un bâillement quand il remarqua soudain une ombre bouger sur une des caméra. Affichant aussitôt l'image en plein écran, Mike fit signe à Jason que quelque chose se passait.

Il y avait bien quelqu'un qui se déplaçait de buisson en buisson, évitant l'allée de terre. C'était une silhouette vague, difficilement identifiable à cause de la distance.


-Presque trente minutes en avance, remarqua l'officier du GCHQ. Ça ressemble à un repérage.


Dégainant son portable, il appela Sarah et annonça sans préambule dès qu'elle eut décroché:


-On a quelqu'un près de la pyramide.

-On le connaît? demanda la contrôleuse de mission.

-Dur à dire mais le parc est fermé au public depuis un bon moment, donc ce type n'est pas net. Je vais m'approcher et l'observer en attendant votre arrivée.

-Reçu, on fais au plus vite. Thomas Gaudry est la cible principale, essayons d'agir discrètement tant qu'on est pas sûr qu'il est ici. Et surtout... Soyez prudents.

-C'est mon deuxième prénom.


Jason raccrocha, puis sortit un petit pistolet du holster sous sa veste, le même modèle que celui de Mike. Il s'agissait de l'arme de James Bond dans ses derniers films, ironiquement.


-Toi tu restes dans la voiture, lança-t-il d'un ton sans réplique.


Tout en parlant il vérifia son chargeur avant d'armer le pistolet en tirant la culasse d'un mouvement sec.


-Tu plaisantes? Je viens avec toi, protesta l'adolescent en attrapant son sac sur la banquette arrière.

-Non. J'ai besoin que tu surveilles les caméras, lâcha Jason avec autorité en rengainant son arme. On reste en contact radio.


Il descendit du véhicule et claqua la porte. Résigné, l'adolescent le suivit du regard alors qu'il se dirigeait vers les grilles qui entouraient le parc. Se hissant à la force des bras, Jason posa les pieds sur l'obstacle puis se laissa souplement tomber de l'autre côté. La manœuvre ne dura pas cinq secondes.


Pas mal pour un technicien de bureau, pensa l'agent.


Puis il se concentra sur les caméras.


-Je vois la cible, annonça Mike main sur son oreillette pour activer le micro intégré. Il s'est rapproché de la pyramide. Un grand type avec des lunettes... Ce n'est pas un des Gaudry. Sûrement notre kidnappeur.

-Alors tu avais vu juste... Bonsoir Rouge 17.


L'adolescent ressentait un agréable picotement électrique dans la nuque. Malgré toutes les précautions de leur adversaire, l'équipe avait finalement prit un coup d'avance. Grâce à lui...


-Il s'est posté devant la porte de la pyramide, annonça l'agent. Je te le surveille.

-Trop aimable, répondit Jason.


Le tonnerre gronda, tout proche, et Mike leva les yeux par réflexe, juste à temps pour voir un second éclair zébrer le ciel. Peut-être bien qu'ils allaient avoir droit à l'orage finalement. Le matériel allait résister à la pluie, mais ça risquait de leur compliquer la tâche...

Il allait à nouveau baisser les yeux vers l'écran, mais un mouvement de l'autre côté de la rue attira soudain son attention. Un passant. L'agent reconnu aussitôt l'adolescent aux longs cheveux noirs qui longeait les grilles du parc, jetant sans cesse des regards nerveux derrière lui, une sacoche d'ordinateur en bandoulière.


-J'ai un visuel sur Thomas Gaudry. Je l'intercepte, annonça-t-il.

-Compris. Je me rapproche de la pyramide pour garder notre suspect à l'œil. Fonce!


Sans perdre plus de temps, Mike sortit de la voiture et se dirigea droit vers le hacker d'un pas décidé. Ce dernier le repéra au bout de quelques secondes et s'immobilisa, l'expression d'un animal traqué sur le visage.


-C'est toi... lâcha-t-il, hésitant manifestement à partir en courant.

-On s'occupe de Rouge 17, lança l'intéressé en ralentissant l'allure. Viens. C'est finis.


Mais l'adolescent recula d'un pas et leva une main pour lui faire signe de ne pas s'approcher plus près.


-Tu ne comprends pas, ils ont mon frère! lâcha-t-il, au bord de la crise de nerf.

-Je sais, répliqua Mike en faisant un pas vers lui. Calme-toi. On s'en charge, mais tu ne dois pas leur donner le progra...


Il n'y avait qu'un mètre entre eux quand Thomas plongea soudain la main dans sa sacoche. Il en tira un revolver chromé qu'il braqua sur le torse son ami, abaissant le chien avec son pouce pour l'armer dans un déclic menaçant.


-Je dois aller à ce rendez-vous, lâcha-il, comme pour s'excuser. Et je ne peux pas te faire confiance. Je ne sais même pas qui tu es vraiment!


Une décharge d'adrénaline traversa l'agent à la vue de l'arme. Il y eut un court moment de silence, et de grosses gouttes de pluie froide commencèrent soudain à tomber. Après quelques secondes, Mike leva doucement les mains, paumes ouvertes.


-Tu ne vas pas me tirer dessus, dit-il tranquillement.


La main de Thomas tremblait légèrement, peut-être à cause du poids du revolver mais surtout à cause du stress. Mike estima la distance qui les séparait.


-Je dois aller à ce rendez-vous, répéta le hacker, pressant. Alors ne m'oblige pas à...


L'agent profita qu'il avait levé les mains à la hauteur de l'arme pour en attraper le canon et le diriger vers le ciel, tout en se baissant juste assez pour sortir de la ligne de tir. Appliquant les techniques mille fois répétées au dojo du campus il arracha sans effort le revolver à son propriétaire et recula de deux pas. Tenant l'arme à deux mains, parfaitement stable sur ses jambes, il la braqua sur le torse de Thomas, plus par réflexe que par réel besoin. Ce dernier le fixait, sonné. Le mouvement complet n'avait pas duré trois secondes.


La pluie tombait maintenant plus fort, et un éclair zébra le ciel, suivit par le grondement du tonnerre.


-C'était quoi ton plan? demanda durement Mike avant d'abaisser l'arme. Te pointer au rendez-vous avec un faux flingue et menacer Rouge 17 pour récupérer ton frère? Je te croyais plus malin que ça.


En effet même s'il s'agissait d'une bonne imitation, il sentait au poids du revolver qu'il s'agissait d'une simple réplique, telle qu'on en vendait dans n'importe quel magasin. Thomas serra les dents. L'eau ruisselait sur ses cheveux et son visage.


-C'est tout ce que j'ai, lâcha-t-il avec colère. Alors rends-moi le!


Il s'avança en essayant de reprendre l'arme mais l'agent le repoussa sans effort de sa main libre.


Malgré lui, il comprenait ce que ressentait le hacker, d'autant plus qu'ils étaient tout les deux orphelins et qu'ils avaient été amis, même s'il n'était plus sûr qu'ils le soient encore.

Les choix de Thomas avaient mené à cette situation et il était prêt à tout pour sauver son frère, la seule famille qui lui restait. Il devait essayer, faire quelque chose même si les chances de réussir étaient nulles. N'importe quoi plutôt que ne rien tenter.


Mike ne pouvait pas lui en vouloir, mais il devait lui barrer la route; aller au rendez-vous et remettre le programme à l'homme aux lunettes ne permettrait sûrement pas de récupérer Anthony, et signerait sans aucun doute l'arrêt de mort des deux frères.

Mais comment expliquer ça à l'adolescent qui le fixait avec une colère désespérée?


-Thomas... commença l'agent.


Mais un nouveau coup de tonnerre lui coupa la parole.

Ce n'était pas un grondement mais une détonation sèche et claire, aussitôt suivit par par une seconde, plus puissante.

Il n'y avait pas eu d'éclair. Ce n'était pas l'orage.


C'était des coups de feu.


Profitant de la distraction de l'agent, Thomas bondit et lui asséna un coup de poing en pleine visage. Le choc surprit Mike qui recula de deux pas et se mit instinctivement en garde, sans lâcher le faux revolver.


-Laisse moi tranquille! cria le hacker avec désespoir avant de revenir à la charge.


Le coup avait légèrement fait siffler les oreilles de l'agent, mais il faisait figure de simple claque comparé à ce qu'il devait encaisser au dojo. Cette fois il attendait l'attaque et exécuta un Oi zuki, une technique de karaté consistant en un direct, exécuté en avançant d'un pas pour gagner en force. Mike atteint son adversaire en plein plexus solaire, chassant l'air de ses poumons et le propulsant de plusieurs pas en arrière avant qu'il ne tombe à la renverse sur le trottoir.

C'était un point extrêmement douloureux, même chez un combattant aguerri et l'adolescent serait calmé pour plusieurs minutes.


-Jason? lança Mike en activant fébrilement son oreillette.


Pour toute réponse, de nouveaux coups de feu résonnèrent. Une fusillade nourrie se déroulait dans le parc... Au moins ça voulait dire que l'agent du GCHQ était encore en vie et ripostait.

Dopé par l'adrénaline, réfléchissant à toute vitesse, Mike s'avança vers Thomas, qui essayait péniblement de retrouver son souffle. Sa sécurité passait en priorité.


-Désolé, lui dit-il avant de le charger en travers de son dos comme il l'aurait fait avec un soldat blessé.


L'adolescent n'était pas en état de résister, et il ne pesait pas trop lourd. Sans faire attention à l'orage qui mitraillait la rue de millions de gouttes d'eau froide, Mike porta son ami jusqu'à la voiture. Là il ouvrit le coffre.

Le hacker fit mine de résister, mais il encore trop affaiblit et l'agent le poussa à l'intérieur sans véritable effort, s'emparant de sa sacoche d'ordinateur au passage.


-Désolé, répéta-t-il.

-Mike... Le rendez-vous... Je dois... supplia péniblement Thomas.


L'agent referma le coffre sans le laisser finir. Il n'avait pas le temps d'expliquer au garçon qu'il faisait ça pour son bien. C'est à ce moment qu'il se rendit compte que les coups de feu avaient cessé, laissant place au vacarme de l'orage.


Sans perdre un instant, il ouvrit la portière conducteur et jeta le faux revolver sur le siège passager, avant de poser la sacoche de Thomas dessus. Puis il attrapa l'ordinateur, toujours ouvert.

La porte menant à l'intérieur de la pyramide était désormais ouverte, et un homme était adossé à un arbre, immobile. L'agent plissa les yeux et zooma au maximum, mais la pluie battante limitait la visibilité des appareils... Quelle poisse. Impossible de savoir s'il s'agissait de Jason.


Abandonnant l'appareil, Mike attrapa son sac de mission et ouvrit la poche avant. Il en tira une paire de gants fins en cuir qu'il enfila rapidement, puis un pistolet et ses munitions. D'un geste bien rodé il introduisit le chargeur dans l'arme, puis fit passer une balle dans la chambre en tirant sèchement la culasse en arrière avant de la relâcher, produisant un claquement caractéristique. La lumière du jaune plafonnier se reflétait sinistrement sur la carcasse noire du Walther PPK, désormais prêt à cracher la mort.

L'agent empocha un second chargeur, et sentit soudain un léger un vertige en prenant conscience de la vitesse à laquelle les choses avaient tourné au chaos. À moins qu'il ne s'agisse simplement du contrecoup de l'afflux d'adrénaline...

Tentant de maîtriser le cocktail de panique et d'énergie extrême qui se déversait dans son cerveau, il respira profondément.


Il devait se concentrer sur son entraînement.


Réfléchir, reprendre le contrôle.


Les ordres étaient de sécuriser Thomas, ce qu'il venait de faire. Normalement ils auraient ensuite dut laisser la police française se charger de l'homme aux lunettes, mais les choses ne s'étaient pas passées comme prévu. La priorité était de récupérer Jason, qu'il soit mort ou vivant.


Enfilant son sac, il claqua la portière et se dirigea vers les grilles du parc, l'arme au poing. Malgré la pluie battante il ne chercha pas à rabattre sa capuche sur son visage, pour garder un maximum de champ de vision et de mobilité.


Soudain une voix familière retentit dans son oreillette.


-C'est moi... annonça Jason. J'ai pris une balle, mais je survivrais. Par contre il va falloir me porter.

-T'es vivant! lâcha Mike, soulagé. J'ai mis Thomas dans le coffre, j'arrive. Et le type aux lunettes?

-Il m'a repéré, je sais pas comment. On a échangé quelques tirs et il est entré dans la pyramide. Je suis presque sûr de l'avoir touché tout à l'heure... Mais c'est un pro.


Tout en écoutant son coéquipier, l'adolescent escalada la grille et se laissa tomber dans le parc. L'homme qu'il avait vu au pied de l'arbre était donc bien Jason.


-J'arrive tout de suite.


Malgré la présence des lampadaires allumés le long de l'allée principale, l'essentiel du parc était plongé dans le noir.

Baissant la tête pour réduire sa silhouette, Mike franchit la centaine de mètres qui le séparait de la pyramide au pas de course restant dans l'ombre. La pluie froide lui fouettait le visage sans qu'il s'en soucie. Il sentait le poids rassurant de son pistolet au bout de son bras.


Alors qu'il arrivait près de son objectif, un éclair illumina brièvement la pyramide et ses alentours. Jason gisait au pied d'un grand arbre, à quelques mètres du monument triangulaire. Tous ses sens en alerte, l'agent se précipita vers lui.


-Jason? Ça va? demanda Mike en s'agenouillant près de lui, arme pointée vers la porte ouverte de la pyramide.


Le costume d'ordinaire impeccable de son collègue était trempé et déchiré. Examinant rapidement le blessé, l'agent s'aperçut que ce dernier avait utilisé sa manche de chemise pour se faire un bandage de fortune à la jambe droite.


-Comme quelqu'un qui a pris une balle, répondit Jason en grimaçant. J'ai mis un garrot mais ça fait un mal de chien.


Mike soupira de soulagement. Au moins il n'était pas en danger de mort. Il avait fait exactement ce qu'il fallait pour ce genre de blessure.

Rassuré sur ce point, il concentra toute son attention sur la situation, examinant les options.


-Il faut que tu préviennes Sarah. Moi je vais m'occuper du type aux lunettes, décida-t-il finalement.


Il fit mine de se redresser, mais Jason lui attrapa le bras.


-Tu plaisantes j'espère!? Hors de question que tu...


Mais l'adolescent se dégagea.


-S'il s'échappe on perd notre seule piste vers Rouge 17 et Anthony Gaudry. J'y vais.


Malgré les protestations de Jason, l'agent s'élança vers la pyramide.


Il s'arrêta contre une des faces du monument et s'agenouilla, le temps de sortir une petite lampe torche de son sac. Il appuya deux fois sur le bouton pour que la lampe clignote rapidement, produisant une puissante lumière bleutée. C'était une tactique de combat nocturne pour aveugler et désorienter l'ennemi.

Mike longea ensuite le mur jusqu'à la porte, la crosse de son pistolet calé sur le poignet de la main qui tenait lampe tactique, éclairant ainsi sa zone de tir. Du sang avait éclaboussé les pierres près de l'ouverture, preuve que Jason avait bien blessé son opposant... Une balle avait fait sauter la serrure de la porte de métal.


Sans hésiter, l'agent fit passer sa lampe au delà du mur, éclairant l'intérieur de la pyramide sans s'exposer.


Une puissante détonation retentit aussitôt, suivie d'une deuxième après un instant. Ensuite le claquement sec d'une arme à court de munitions résonna.


Mike n'hésita pas et s'engouffra dans la pyramide avant que le tireur ne puisse recharger.


La lumière bleuté clignotait à toute vitesse, et le cerveau de l'agent enregistra une foule de détails en un instant. La sensation froide de ses vêtements trempés de pluie lui collant à la peau, l'odeur de poussière et de renfermé, la pièce vide au sol de béton nu. La traînée de sang qui tâchait la dalle, menant à un homme adossé contre un des murs, face à la porte, braquant un revolver vers lui. Ses lunettes rectangulaires reflétaient la puissante lueur de la lampe, qui éclairait chaque détail de son visage et de ses cheveux argentés. Il était plus âgé que Mike ne l'aurait cru, la cinquantaine peut-être, avec des rides marquées autour de la bouche.


Soudain un flash illumina dans la pièce en même temps qu'une détonation assourdissante résonnait dans l'espace confiné. Une douleur aussi violente qu'un coup de fouet cingla le visage de l'agent, et avant même d'avoir compris qu'il était touché, il avait déjà pressé la détente de son pistolet à deux reprises. Il vit son assaillant tressauter dans kaléidoscope irréel, éclairé par la lumière clignotante de la lampe.


L'adolescent se colla au mur, autant pour réduire la surface de tir que pour ne pas s'effondrer, et tira une dernière fois par réflexe, sans même viser. Puis il pressa le bouton de la lampe, jusqu'à ce que le clignotement cesse.

Un peu de poussière flottait dans l'atmosphère de la pièce, arrachée par le dernier tir de Mike, qui s'était perdu dans un mur.


Immobile, l'homme aux lunettes gisait sur le côté, son revolver tombé près de lui. Il avait reçut une balle dans l'épaule et une autre dans la hanche. Son ventre était ornée d'un bandage de fortune, sans doute suite à la fusillade avec Jason. Mais malgré ses blessures il respirait toujours, fixant Mike de ses yeux bleus, les pupilles réduites à deux points noirs à cause de la lumière crue de la lampe.


Gardant son arme braquée vers lui, l'agent toucha sa joue gauche, d'où irradiait une douleur cuisante. Il observa ensuite le dessus de sa main. Un peu de sang avait éclaboussé son gant, mais sa mâchoire fonctionnait, signe que la balle n'avait sûrement qu'éraflée sa joue. Le type avait dû vider une chambre pour que son adversaire entende le déclic et croit son revolver vide. Si il n'avait pas été ébloui, il l'aurait tué, sans aucun doute.


Les oreilles de Mike sifflaient douloureusement à cause des détonations, mais il lui semblait entendre Jason crier son prénom. À un autre moment il aurait peut être répondu, mais à cet instant précis, la rage d'être blessé balayait tout le reste.


S'avançant jusqu'au responsable de sa blessure il fit glisser son revolver hors de portée d'un coup de pied avant de reculer d'un pas, pointant son pistolet sur lui.


-Où est Anthony Gaudry? demanda-t-il en français d'une voix dure.

-Va te faire foutre, répondit l'homme dans la même langue en grimaçant une moue méprisante.


Mike fit un infime mouvement de poignet et pressa à nouveau la détente. La balle frappa à quelques centimètres de la tête du blessé, faisant exploser la pierre. L'agent braqua à nouveau son arme sur l'homme, qui avait seulement cligné des yeux.


-Dernière chance, lâcha-t-il, glacial.


Au dehors, le tonnerre gronda. Son sang battait douloureusement à ses tempes. Malgré la menace, l'homme continua de le défier du regard, en silence.

Hors de lui, Mike s'avança et lui asséna un coup de crosse en plein visage avant de lui envoyer son pied dans les côtes, tout près de sa blessure par balle, arrachant à sa victime un grognement de douleur.


-Anthony Gaudry! hurla l'adolescent en collant son arme sur la tempe du blessé.


L'autre le fixa un instant, puis ferma simplement les yeux. Insensiblement, le doigt de Mike commença à appuyer sur la détente...


Soudain une lumière s'encadra dans la porte de la pyramide. Ébloui, l'agent braqua son arme dans cette direction, par réflexe.


-Mike! cria Émilie. Tu es blessé!?


L'agent baissa le pistolet, mais ne répondit pas. Son équipière traversa la pièce pour venir jusqu'à lui et toucher doucement son épaule.


-Ça ira Émilie, marmonna l'agent. Juste une égratignure.

-Viens, on doit partir, dit-elle. On te soignera dans la voiture.


Mike détourna le regard pour fixer l'homme aux lunettes. Celui-ci ne les quittait pas des yeux, observant la scène en silence.


-S'il ne me dit pas où est Anthony, je vais le tuer, lâcha l'agent en braquant à nouveau son arme sur lui.


Mais Émilie s'interposa, effleurant doucement sa joue blessé. Mike fixa ses yeux verts, incapable de détourner le regard.


-La police se chargera de lui, il n'ira nulle part dans cet état, lui dit-elle doucement. Tu ne vas tuer personne. C'est fini. On rentre chez nous.


Mike resta immobile quelques secondes, puis il se pencha légèrement en avant, appuyant son front contre celui de sa coéquipière. Son bras se baissa, laissant son arme reposer contre sa cuisse.

C'était comme si toute sa rage l'avait soudain quitté, ne laissant derrière elle qu'une fatigue immense. Il savait ce qui se passait; l'adrénaline refluait, violemment.


Le prenant par la main, l'adolescente entraîna son ami vers la sortie de la pyramide. Mais alors qu'ils allaient en franchir le seuil, une voix s'éleva derrière eux.


-Merci, Émilie, lâcha l'homme aux lunettes.


Elle s'arrêta puis se retourna à moitié. Ses yeux semblaient lancer des éclairs.


-J'espère que vous pourrirez dans une cellule pour très longtemps, lança-t-elle avec une colère froide. Parce que si je vous recroise, c'est moi qui vous tuerais.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top