3. Planète CHERUB
Samuel s'était réveillé dans un lit étranger, complètement nu. Il n'avait aucune idée de comment il avait put arriver là. Son dernier souvenir était son passage à l'infirmerie de l'orphelinat londonien où il avait échoué presque deux mois plus tôt, ensuite plus rien. Le trou noir.
D'abord perplexe, il fit le tour de la chambre où on l'avait amené. La fenêtre donnait sur une pelouse parfaitement entretenue, un parking et un long mur d'enceinte. Un paysage qui ne donnait aucun indice sur l'endroit où il pouvait se trouver...
La tête pleine de questions, il enfila les vêtements posés en évidence près du lit: un caleçon blanc, des chaussettes neuves, pantalon de treillis, des rangers luisantes ainsi qu'un T-Shirt orange orné d'un logo et des initiales "C.H.E.R.U.B".
Une fois habillé, il se décida à s'aventurer dans le couloir, puisque la porte de la chambre n'était pas fermée à clé.
À peine sortit, il tomba nez à nez avec un garçon un peu plus âgé. Ses cheveux noirs étaient coupés courts, et il avait une petite cicatrice à la lèvre. L'inconnu portait un uniforme identique au sien, à un détail près: son T-Shirt n'était pas orange mais gris.
-Euh... Bonjour, lança Samuel, gêné. Ça va sûrement te sembler étrange mais je ne sais pas où on...
Il ne termina pas sa phrase. L'adolescent ne lui en laissa pas le temps.
-Je n'ai pas le droit de parler aux orange.
Son interlocuteur haussa un sourcil. Manifestement il parlait de la couleur de sa tenue. Était-ce une sorte de blague? Il décida d'insister tant la scène semblait absurde.
-Qu'est-ce que je dois faire? Je ne sais même pas où je suis!
Il avait haussé le ton à cause du stress, et l'autre le fusilla du regard avant de tourner rapidement la tête à droite et à gauche, comme s'il craignait que quelqu'un vienne.
-Je n'ai pas le droit de parler aux orange, insista-t-il avant de désigner le bout du couloir de l'index, puis le sol avec le pouce.
-D'accord. Bah... Merci? lâcha Samuel avant de s'éloigner dans la direction indiquée, en sentant dans son dos le regard du garçon au T-Shirt gris.
Cette rencontre lui laissait l'impression troublante d'avoir soudainement été transporté dans un autre monde aux règles étranges.
Le bâtiment dans lequel il se trouvait semblait très grand, avec des dizaines de portes, toutes semblables à celle de la chambre où il s'était réveillé. En suivant le couloir, il finit par trouver des ascenseurs.
Le pouce vers le bas devait sûrement vouloir dire "descendre" déduisit-il avant d'appuyer sur le bouton d'appel.
Quelques secondes plus tard, les portes coulissèrent. Samuel leva lentement la tête. Une espèce de géant noir au crane rasé se tenait déjà à l'intérieur, vêtu du même uniforme que lui et d'un T-Shirt blanc orné du logo de CHERUB. Le jeune garçon déglutit en baissant les yeux sur les rangers du colosse, pratiquement aussi grosses que son torse.
-Bon... Bonjour, lâcha-t-il d'un ton mal assuré. Est-ce que...
-Je n'ai pas le droit de parler aux orange, le coupa fermement l'homme.
Tout en parlant, il bloqua la fermeture des portes de la cabine, et lui désigna le sol du pouce.Il devait bien descendre... L'idée de se retrouver enfermé dans un si petit espace avec le géant ne plaisait pas beaucoup à Samuel, mais il ne voulait pas se risquer à contrarier la montagne de muscle. Mal à l'aise il pénétra donc dans l'ascenseur, sans insister pour avoir des réponses cette fois.
Il jeta un rapide coup d'œil à son reflet alors que les portes se refermaient en coulissant. Bien qu'ayant eu onze ans le mois précédent, il avait toujours un visage d'enfant encadré de boucles blondes. Conjugué à sa petite taille, il paraissait plus jeune qu'il ne l'était en réalité et n'avait qu'une hâte: grandir et enfin ressembler à un adolescent.
La descente de l'ascenseur jusqu'au rez-de-chaussée ne dura que quelques dizaines de secondes, mais elle lui parut prendre des heures. Le géant à côté de lui fixait la porte, silencieux.
L'ouverture des portes sonna comme une délivrance pour le petit garçon, qui se rua presque hors de la cabine.
Ils étaient arrivés dans un grand hall, où plusieurs adolescents discutaient. Les jeunes gens portaient tous le même uniforme, avec des couleurs différentes: noir, bleu marine et gris. Le colosse les ignora, traçant droit vers les portes vitrées qui permettaient de sortir du bâtiment. Samuel le suivit des yeux avec soulagement. Le hall donnait sur des allées bien entretenues et une énorme fontaine, surmontée d'une statue identique au logo des T-Shirt.
Définitivement, il avait atterri dans un autre monde. La planète CHERUB...
Sans se faire d'illusion, il s'approcha du petit groupe.
-Bonjour, lança-t-il.
-Je n'ai pas le droit de parler aux orange, répondit aussitôt l'un des garçons.
La plus âgée du groupe, une adolescente blonde qui portait un T-Shirt noir lui fit un sourire amical.
-Je n'ai pas le droit de parler aux orange, répéta-t-elle gentiment à son tour avant de lui désigner un bureau qu'il n'avait pas vu jusque là.
Sans doute la réception. Une femme âgée y était assise, et triait des papiers.
-Merci, lâcha Samuel avec reconnaissance avant de se diriger vers le bureau.
Contrairement à tous ceux qu'il avait rencontré jusqu'ici, la femme ne portait pas d'uniforme, mais un tailleur sombre.
-Bonjour, lança timidement le jeune garçon. Est-ce que vous pouvez me parler?
La réceptionniste rassembla les documents devant elle avant de se lever.
-Bonjour Samuel. La directrice t'attends, viens, suis moi.
Rassuré qu'on puisse enfin lui adresser la parole et lui dire quoi faire, l'intéressé s'empressa de lui emboiter le pas.
Sa guide lui fit traverser plusieurs bureaux, qui ressemblaient à ceux d'une administration. Samuel n'eut pas vraiment le loisir d'observer les lieux; ils ne tardèrent pas à arriver devant une grande porte où la réceptionniste frappa. Une voix féminine invita à entrer.
La pièce était grande, lumineuse et meublée sobrement. C'était le bureau d'une personne importante sans aucun doute. Quand la réceptionniste avait évoqué la directrice, Samuel s'attendait à rencontrer une femme âgée et sévère. Mais celle qui se tenait de l'autre côté du bureau était tout l'inverse.
Dans la quarantaine, elle avait un visage bienveillant, qui inspira aussitôt confiance au jeune garçon.
-Bonjour Samuel, lança-t-elle chaleureusement en se levant de son fauteuil. Je suis Zara Asker, directrice de CHERUB.
Elle contourna son bureau et s'avança vers lui. Comme sa secrétaire elle ne portait pas d'uniforme, mais sa tenue restait très décontractée: une simple chemise claire et un jeans.
-Bonjour madame la directrice, répondit son interlocuteur en serrant maladroitement la main qu'elle lui tendait.
-Oh, appelle moi Zara. Je ne suis pas encore assez vieille pour les "madame la directrice", lâcha-t-elle avec amusement. J'imagine que tu as beaucoup de questions, et je vais essayer d'y répondre. Asseyons nous.
Au lieu de retourner à son fauteuil, Samuel eu la surprise de voir son hôte s'installer sur un sofa près d'une fausse cheminée, à l'écart du bureau. Un peu gêné, il s'assit en face d'elle.
Cette femme était plutôt déroutante. D'un côté, son style décontracté et son attitude chaleureuse avaient tout pour mettre son "invité" à l'aise. De l'autre, toute la mise en scène qui entourait son arrivée ici lui laissait un sentiment d'insécurité et de menace vraiment stressant.
-Tu te demande sûrement comment tu es arrivé ici, attaqua-t-elle.
Le garçon réfléchit quelques secondes avant de répondre.
-En fait, je me demande surtout pourquoi...
Il regretta aussitôt ce qu'il venait de dire, craignant d'avoir été désagréable. Mais Zara ne sembla pas s'en formaliser, au contraire.
-C'est très avisé de ta part. Pour te répondre, ton profil a retenu notre attention. Notre organisation recrute sur un certain nombre de critères, que peu de candidats remplissent. J'aimerais donc t'offrir une place parmi nous.
Samuel s'agita sur sa chaise. La proposition était incroyablement directe, et il détourna les yeux, observant quelques secondes les photos affichées sur les murs. Des paysages, beaux mais qui ne disaient pas grand chose de son hôte. Son regard s'arrêta sur le cadre posé sur le bureau, trop large pour un simple portrait. Sans doute une photo de famille.
-Je ne sais même pas ce que vous faites, avoua-t-il.
La directrice lui sourit, largement, comme si elle attendait cette question.
-Le contraire m'aurait inquiété. Nous sommes un département secret de l'Intelligence Service. CHERUB offre à des enfants comme toi la meilleure éducation possible et un cadre de vie agréable. Nous prenons aussi en charge tes futures études, et nous t'aiderons à démarrer dans ta vie d'adulte. En échange, nos pensionnaires doivent accepter de devenir des espions et d'effectuer des missions pour nous.
Samuel resta immobile de longues secondes, tentant d'assimiler ces nouvelles informations. La tranquillité et le sérieux avec lequel son interlocutrice détaillait le fonctionnement de son organisation avait quelque chose de désarmant. Comme s'il n'y avait rien de plus normal qu'une agence d'espions en culottes courtes. Planète CHERUB, toujours...
Manifestement son discours était bien rodé, ce qui mit son interlocuteur en alerte.
-Je ne suis pas sûr de bien comprendre, lâcha-t-il.
-Laisse moi t'expliquer. Les services secrets enquêtent souvent sur des gens très méfiants. Même avec la meilleure couverture du monde, un agent infiltré risque toujours d'être démasqué. Mais un garçon comme toi? Personne ne le soupçonnera d'être un espion. Tu peux faire des choses qu'aucun adulte ne pourrait réussir. C'est la raison d'être de CHERUB.
Des enfants espions... L'idée semblait si incongrue que Samuel ne put se retenir de lâcher:
-Mais je suis un ado normal. Pas... James Bond!
Zara acquiesça avec patience. Sans doute attendait-elle aussi cette contradiction.
-Comme je te l'ai dit, nous avons certains critères de sélection. Nos recrues doivent être intelligentes, en bonne condition physique et n'avoir aucun lien familial. Si tu réussis nos test, ce sera à nous de te former pour devenir un agent de CHERUB. Qu'en dis-tu?
Le jeune garçon s'agita sur une chaise. L'orphelinat dans lequel il avait atterri deux mois plus tôt était sales, mal entretenu, et bon nombre de ses nouveaux camarades n'étaient que des brutes. Manifestement CHERUB n'avait pas ce genre de problèmes. Il n'y avait qu'à regarder le bureau de Zara, ou la statue devant le bâtiment. Mais était-ce une raison de se précipiter sur la proposition pour autant? Reconnaître qu'il n'avait aucune meilleure alternative, une décision par défaut en somme?
-Je ne sais pas encore. J'imagine que les missions sont dangereuses non? Et si la vie ici ne me convient pas?
Sans doute que peu de potentielles "recrues" tergiversaient autant, et Samuel guetta la réaction de la directrice. Mais celle-ci ne s'offusqua pas, et lui répondit d'un ton rassurant:
-Sache qu'un comité d'éthique sélectionne soigneusement les missions pour éviter les plus dangereuses. Cela fait des décennies qu'aucun agent de CHERUB n'est décédé en service, et les blessures graves sont rares. Nous sommes une agence secrète, pas un commando d'intervention. Tu es libre de refuser n'importe quelle mission, et l'organisation se chargera de te trouver une famille d'accueil si la vie d'agent ne te convient plus. Il n'y a que des volontaires ici.
Tout ce que disait Zara semblait décidément très attirant. Mais malgré lui, Samuel restait méfiant. Même si rien dans l'orphelinat ne lui manquerait, il ne voulait pas foncer sur une proposition aussi étrange.
-Tout ça a l'air génial, lâcha-t-il avec franchise. Mais je crois que j'ai quand même besoin d'y réfléchir un peu avant de vous rejoindre... Après tout ça impactera toute ma vie!
Une fois encore, la directrice se montra étonnamment compréhensive avec lui. Sans doute percevait-elle à quel point ce qu'elle lui avait dit pouvait le désorienter. Les derniers mois avaient étés difficiles.
-Je me doutais que tu ne me donnerais pas ta réponse tout de suite. J'ai chargé un de mes agents de te présenter un peu le campus et la vie dans l'organisation. Tu pourras passer nos tests de sélection dès cet après-midi, après quoi tu retourneras à Londres pour réfléchir quelques jours.
Présenté ainsi, Samuel ne pouvait qu'être d'accord. Il avait encore des questions, mais Zara semblait être arrivée au bout de l'entretien, et la personne dont elle parlait aurait tout son temps pour satisfaire sa curiosité.
La directrice utilisa l'interphone de son bureau pour inviter sa secrétaire à faire entrer l'agent qui serait son guide. Quelques instants plus tard, l'adolescente blonde qu'il avait croisé dans le hall franchit la porte.
-Samuel, je te présente Lauren Adams.
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