18. Traqués


Les pas dans le couloir se rapprochaient rapidement.

De là où il était, Samuel ne pouvait qu'imaginer les silhouettes menaçantes de leurs poursuivants, de l'autre côté du mur auquel il était adossé. La fusillade et la course-poursuite avaient comme amplifié ses sens, réveillant un instinct enfouit dans les méandres de son ADN. À cet instant, il était comme un animal traqué, percevant chaque bruit, chaque nuance de son environnement.

Il se sentait... Apeuré. Excité. Invincible. Vulnérable.

Vivant.

Le faisceau d'une lampe d'assaut traversa soudain la porte de la pièce, balayant le mur en face des deux fuyards. Sam eu l'impression que son cœur s'arrêtait de battre. Il ferma les yeux, comme si cela pouvait le rendre invisible...

Après une seconde qui lui sembla durer une éternité, les pas reprirent, s'éloignant. Deux autres agents passèrent devant l'entrée de leur cachette, sans même ralentir.

Il rouvrit les yeux.

Des tirs crépitèrent à l'extérieur, le faisant sursauter. Puis le silence retomba, aussi lourd que les ténèbres qui les entouraient. Les secondes devinrent bientôt des minutes, sans aucun signe qu'on les cherchait.

Leurs poursuivants étaient partis, jetant à peine un rapide coup d'œil vers leur cachette, sans les voir. Samuel lâcha un -discret- soupir de soulagement. Il avait vraiment cru qu'ils allaient être pris...

La tension avait été si forte qu'il avait même cessé de respirer pendant un moment, et ses jambes étaient douloureusement ankylosées. Il fit un petit mouvement de la cheville pour détendre ses muscles, mais le bout de sa rangers heurta le sac de matériel qu'il avait posé à ses pieds, le faisant tomber sur le sol. Le son mat lui sembla résonner aussi fort qu'un gong chinois.

-Pas de bruit, murmura Mike. On ne bouge pas.

Mortifié, Sam ne répondit rien, s'appliquant à rester parfaitement immobile et silencieux.

Heureusement, sa maladresse ne semblait pas avoir alerté qui que ce soit.

Le déluge de sensations qu'il avait ressenti lors de la fusillade se calma progressivement, laissant place à une profonde fatigue. Il avait les lèvres sèches et ses protections avec lesquelles il avait pourtant couru sans mal pendant la fusillade lui semblaient maintenant peser des tonnes.

Le temps semblait s'étirer démesurément. Le silence qui régnait était presque total, et ses yeux s'adaptèrent peu à peu à la pénombre, lui permettant de discerner vaguement les contours de la pièce.

Il put aussi réfléchir à la situation de son équipe depuis l'assaut, qui n'avait rien de réjouissante. Excepté Mike, tous les agents censés l'escorter avaient disparu. De plus les VIP étaient l'unique objectif de l'exercice; nul doute que leurs assaillants n'allaient pas arrêter de les traquer...

Décidément les choses semblaient mal engagées pour l'équipe Delta, et pour lui par extension.

Plusieurs minutes s'écoulèrent sans qu'aucun des deux adolescent ne bouge ou ne dise quoique ce soit. Samuel s'ennuyait ferme, sa cheville le grattait, et il avait terriblement soif.

-Reste ici, lâcha soudain son dernier coéquipier. Je vais vérifier que la voie est libre.

Sans rien ajouter, l'adolescent quitta la pièce et disparu dans le couloir, fusil pointé devant lui. Samuel entendit ses pas décroitre, puis le silence retomba. Resté seul, le garçon récupéra l'embout en caoutchouc relié à sa gourde et bu deux longues gorgées d'eau avec délice. Il hésita à en prendre plus, mais son stock se réduisait dangereusement, et il décida de se rationner.

Livré à lui-même dans le noir, il se demanda soudain quelle heure il était, et cette pensée en amena une autre.

Fouillant dans son pantalon de treillis, il en sortit un smartphone neuf et activa l'éclairage de l'écran d'une pression sur le bouton de verrouillage. La lumière l'aveugla un instant, tant ses yeux s'étaient habitués à l'obscurité. Dépité, il découvrit qu'ils étaient si loin de tout que l'appareil ne captait rien.

Il avait reçu ce téléphone à son troisième jour sur le campus. Tous les agents de CHERUB étaient dotés de ces smartphones modifiés, capables d'émettre sur tous les réseaux et toutes les bandes. On lui avait aussi expliqué qu'ils pouvaient fonctionner dans des zones où les mobiles classique ne recevaient plus aucun signal des antennes relais.

Déçu, le garçon rangea l'appareil. De toute façon, il n'avait aucun numéro des membres de l'équipe; sa liste de contacts se limitait à une douzaine de noms, dont la moitié étaient pré-enregistrés par les techniciens du campus.

-C'est dégagé, on peut y aller.

Samuel faillit pousser un cri de surprise. Mike était apparut à côté de lui sans faire le moindre bruit.

-Où est-ce qu'on irait? demanda son protégé en récupérant le sac de matériel, le cœur battant.

La lumière du téléphone avait fortement réduit sa capacité à voir dans le noir, et il devait cligner des yeux pour discerner son interlocuteur.

-Émilie se doutait qu'on allait atterrir sur ce terrain, lui expliqua ce dernier. Donc on a établi un point de regroupement avant l'exercice, au cas où. C'est là-bas qu'on va.

-Tu ne veux pas voir ce qu'il y a dans le sac avant?

L'agent hésita quelques secondes.

-Il faut rester en mouvement, décréta-t-il finalement. Nos poursuivants devaient être concentrés sur Erwan quand ils sont passés la première fois, mais s'ils s'aperçoivent qu'il est seul, ils risquent de revenir fouiller le bâtiment. Et parle moins fort. La nuit, le bruit et la lumière sont les meilleurs moyens de se faire repérer.

C'était logique, mais le conseil n'en était pas moins précieux. Le premier réflexe quand on était dans le noir, c'était de s'éclairer; une erreur qui pouvait coûter cher...

Sam suivit Mike dans le couloir, vers l'air libre. Ce dernier avait épaulé son arme mais gardait son canon braqué vers le sol. Il avançait à petits pas rapides et silencieux, que son cadet essaya en vain d'imiter. Sans doute le genre de trucs qu'on apprenait lors du programme d'entraînement initial...

L'agent sortit en premier dans la rue, balayant rapidement les environs du regard en tournant sur lui même avant de lui faire signe de venir. Samuel s'exécuta avec plaisir, goûtant l'air frais de la nuit et la douce lueur des étoiles, à peine affaiblie par quelques nuages.

Alors que le duo se mettait en marche, il remarqua soudain une longue traînée de peinture jaune sur la tempe droite de son coéquipier, là où la munition simulée avait frappé son casque.

-Qu'est-ce qui est arrivé aux autres? demanda Samuel à voix basse, fixant la marque colorée avec inquiétude.

-J'espère qu'Erwan court toujours, répondit distraitement son équipier. Si on a de la chance, Peter et Émilie ont juste été désarmés, et on les reverra au point de ralliement. Sinon c'est qu'ils sont gardés prisonniers quelque part... À la place de nos assaillants c'est ce que j'aurais fait.

Le silence retomba. Mike avançait sans se presser et en rasant les murs, ce qui convenait parfaitement à son protégé. L'attaque du fast-food avait été si inattendue et brutale qu'il se sentait en permanence observé, traqué. Il n'avait pratiquement pas vu leurs assaillants, seulement des silhouettes floues et des lumières de lampes d'assaut. La menace des agents adverses semblait comme privée de visage, tapie partout et nulle part à la fois. Elle était dans les ombres de la nuit et les formes que Samuel croyait parfois y voir, disparaissant dès qu'il y fixait ses yeux.

Pourtant la progression des deux garçons se fit sans encombre, et Mike finit par s'arrêter à l'angle d'une rue, désignant une clôture en fer forgé placée entre deux larges immeubles. Derrière les barreaux, la silhouette sombre de plusieurs arbres tranchait avec le décors sans vie du reste de la ville.

-On va couper par le parc, annonça l'agent. Le point de regroupement est juste derrière.

Sam acquiesça distraitement, s'en remettant totalement à la connaissance des lieux de son guide. Un besoin familier commençait à se faire sentir, de plus en plus pressant... Celui de soulager sa vessie. Ce qui risquait d'être plutôt compliqué, vu la quantité de protections qu'il portait à cet endroit stratégique.

Suivant Mike, le garçon traversa la rue au pas de course, puis il se cacha avec lui dans l'embrasure d'une porte. Estimant que la voie était libre, son aîné longea ensuite les grilles jusqu'à un portail, déjà entrouvert. L'espace était trop étroit pour passer de front, mais l'agent s'y glissa facilement. Samuel lui passa le sac de matériel avant de pénétrer à son tour dans le parc.

Deux bosquets avaient été plantés de part et d'autre d'une allée de gravier, tandis qu'un peu plus loin, la vue se dégageait. On pouvait apercevoir un terrain de jeu pour enfants, muni de balançoires et même d'un tourniquet, n'ayant sans doute jamais servit.

Mike s'avança sans hésiter, mais son protégé se dandina d'un pieds sur l'autre.

-Il faut que j'aille pisser, lâcha-t-il, gêné.

L'agent fit demi-tour et revint à son niveau.

-Sérieux? Tu peux pas te retenir encore cinq minutes? demanda-t-il avec une pointe d'agacement dans la voix.

Sam secoua négativement la tête. Il devait vraiment y aller... Fataliste, son compagnon mit un genou à terre près d'un arbre et s'y adossa.

-Fais vite.

L'intéressé ne se le fit pas dire deux fois, et s'avança au milieu des mauvaises herbes. Une fois au pied d'un tronc, il posa le sac de matériel à côté de lui et tenta d'ouvrir sa tenue pare-balle pour se soulager. Déjà en pleine lumière, l'opération n'aurait rien eu d'évident. Mais dans le noir, en voulant faire le plus vite possible, elle relevait de l'exploit pur et simple.

Samuel batailla avec sa coque de protection pendant deux bonnes minutes, avant d'enfin réussir à satisfaire son besoin naturel.

Il était en train de se rhabiller, quand les lueurs bleutées de deux lampes d'assaut apparurent soudain à l'autre bout du parc.

Totalement pris au dépourvu, le garçon se plaqua au sol, au milieu des buissons, et rampa derrière l'arbre sur lequel il venait de se soulager, cherchant à se faire le plus petit possible. De là où il était, il pouvait voir Mike de l'autre côté du chemin, reculant dans le bosquet pour être moins visible. Il s'immobilisa derrière un gros épineux, son fusil épaulé et prêt à servir. Fixant son VIP, il leva sa main droite et posa son index sur la visière de son casque. Silence.

Après quelques secondes, le faisceau d'une lampe balaya la cime des arbres. Peu après, Sam entendit crisser le gravier de l'allée. À mesure que les pas se rapprochaient, les lumières s'amplifiaient de plus en plus, accélérant le rythme cardiaque du garçon. Parfaitement immobile, couché au sol, il s'obligea à garder les yeux ouverts. L'odeur d'urine fraiche lui agressait ses narines, mais il était si effrayé qu'il ne lui serait même pas venu à l'idée de froncer le nez. Les faisceaux lumineux balayaient le sous-bois à un rythme régulier, si près qu'il en fut éblouit. Soudain, il remarqua avec horreur le sac de matériel, laissé négligemment près de l'arbre derrière lequel il s'était tapis. De couleur kaki, il n'était pas trop visible au milieu des mauvaises herbes, mais si un de leurs poursuivants venait voir de plus près...

Un premier agent passa sans même regarder vers les bois, son arme pointée vers la grille du parc. Une seconde silhouette caparaçonnée le suivait, mais s'arrêta à un petit mètre du VIP. Terrifié à l'idée d'être découvert et qu'on lui tire dessus, ce dernier était parfaitement immobile.

-Attends un peu, supplia une voix masculine. J'ai mal partout...

Sam reconnu la voix du garçon que Mike avait abattu devant la porte du fast-food. Pétrifié, il regarda le camarade de l'adolescent faire demi-tour et se planter à côté de lui.

-Allez, on a pas toute la nuit! lança ce dernier avec agacement.

-Juste deux secondes, réclama son coéquipier. Ces protections pèsent des tonnes!

De l'autre côté du chemin, tapis dans l'ombre du bosquet, Mike visait les deux agents. À cette distance, il n'avait aucune chance de les rater, mais ils seraient alors repérés... Heureusement, pour le moment, aucun des deux agents ne semblait avoir remarqué quoi que ce soit.

-Jake va nous faire continuer à chercher jusqu'à ce qu'on trouve le dernier VIP, alors arrête de pleurnicher comme un T-Shirt rouge et avance!

-Relax Zack, râla le second agent. Sérieux, je croirais entendre Kazakov!

L'autre garçon l'attrapa sans ménagement par l'épaule.

-Lui il t'aurait déjà botté le cul. Tu veux que j'essaie?

La menace sembla décider le récalcitrant, qui poussa un gros soupir avant de se remettre en marche. Mais il ne fit que quelques pas avant de s'arrêter à nouveau.

-Tu trouve pas qu'il y a un truc qui sent mauvais? demanda-t-il soudain en reniflant.

Le dénommé Zack ne se retourna même pas.

-Ouais, tu pues la flemme, je peux la sentir d'ici. Allez bouge!

-Crétin, marmonna son coéquipier avant de le suivre.

Les deux agents continuèrent leur route, sans se douter qu'ils venaient de passer juste à côté de ceux qu'il cherchait. Samuel resta immobile un long moment, même après que Mike se fut décidé à bouger. Ce dernier dut venir le chercher.

-Ils sont partis, lui lança-t-il en l'aidant à se relever. Sans ton envie pressante, on serait allés droit dans leurs bras. On a eu de la chance...

Son coéquipier ne répondit rien, mais sourit faiblement sous son casque, luttant contre un fou rire nerveux qui faisait trembler ses épaules. Cette petite victoire l'avait grisé, mais il avait eu vraiment la trouille... Même s'il ne l'aurait avoué pour rien au monde.

Suivant son guide, il repartit à travers le parc, vers leur destination: un grand bâtiment carré de l'autre côté de la rue. La structure aurait put passer pour un simple entrepôt, si elle n'avait pas été collée à une haute tour ronde et étroite qui la dominait à plusieurs dizaines de mètres.

Sam ne put s'empêcher de chercher le sommet des yeux, et son regard se perdit dans les étoiles.

C'est une belle nuit, remarqua-t-il pour la première fois en souriant.

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