15. Exercice de Combat en Milieu Urbain


Serrés les uns contre les autres à l'arrière d'un camion militaire bâché, une quinzaine d'agents essayaient tant bien que mal de discuter malgré les bruits du moteur et les cahots de la route.

La mission contre Rouge 17 s'annonçait pour bientôt, mais Mike n'avait pas cherché à éviter l'exercice tactique du week-end. D'abord parce que ses amis avaient sacrifié leur sortie à Londres pour l'accompagner, ensuite pour une raison moins avouable: connaissant Kazakov, il n'avait aucun doute sur le fait qu'échapper à la punition prévue ne lui offrirait qu'un sursis avant d'écoper d'une autre sanction encore plus lourde à son retour de Paris.

-Je suis le seul à qui cette ballade rappelle le programme d'entraînement initial!? cria soudain Peter, assez fort pour se faire entendre de ses voisins.

-Aucune idée, répondit un agent derrière lui. Perso je pionçais pendant les trajets!

Le regard de Mike se perdit dans le vague au souvenir des mois les plus éprouvants, mais aussi les plus importants de sa vie. Il ne pouvait qu'approuver ce que disait le garçon derrière eux... En effet malgré l'inconfort bruyant des camions, le manque de sommeil durant le PEI faisait que les recrues s'endormaient dès qu'elles passaient plus de dix minutes sans bouger. Apprendre à résister à la fatigue et à se reposer dans n'importe quelles conditions était en fait une partie importante de la formation, et l'une des plus dures. Les choses les plus simples devenaient difficiles.

Malgré ce détail, Peter n'avait pas tort... Leur petite équipe avait instinctivement adopté l'ordre qu'ils avaient l'habitude d'utiliser des années plus tôt, alors qu'ils n'étaient encore que des recrues en T-Shirt bleu ciel.

Assis tout au fond du camion, Mike subissait moins de courant d'air que ses camarades, mais il était collé contre le métal froid de la cabine, un inconfort relatif qui lui convenait. Peter était installé juste à côté de lui, épaule contre épaule avec Erwan. Émilie se trouvait à la limite avec l'équipe suivante, discutant en français avec un agent plus jeune du nom d'Alfie, dont c'était également la langue natale.

Quelques années plus tôt, ça aurait été la place de son équipière, Kathleen, mais cette dernière était en mission et ne participait donc pas à l'exercice avec eux.

Mike avait essayé un moment de suivre la discutions des deux francophones, mais il avait vite dut abandonner. Il y avait trop de bruit parasites pour qu'il puisse reconnaitre les mots d'une langue étrangère. Presque mélancolique, il regarda les sept passagers alignés à sa gauche. Ils portaient tous le même treillis sombre dépourvu d'insigne, mais les points communs s'arrêtaient là. Leur groupe était un vrai échantillon de l'organisation: des jeunes de dix à dix-sept ans de toutes les origines, portant le même uniforme et tassés à l'arrière d'un camion militaire en route pour l'inconnu. Tout un symbole.

À côté de lui, Peter avait les yeux rivés sur son smartphone, comme la plupart des autres agents.

Finalement, après quelques minutes dans ses souvenirs, Mike se décida à sortir son lecteur de musique, enfonça ses écouteurs dans ses oreilles et sélectionna sa playlist du moment. Les bruits du véhicule ne furent bientôt qu'une lointaine rumeur noyée dans les accords punk rock de "Rise Against", et l'adolescent ferma les yeux. La route risquait encore de durer un moment...

Le camion ne s'arrêta qu'une heure plus tard, alors que l'après-midi touchait à sa fin. Il y eu quelques secondes d'attente silencieuse dont les agents se servirent pour ranger ce qu'ils avaient dans les mains, puis un instructeur leur cria de débarquer. Habitués à la manœuvre, les adolescents descendirent rapidement, emportant avec eux les pesants sacs de toile qu'on leur avait remis à leur départ. Ils contenaient des protections pare-balles intégrales noires, accessoire indispensable à la plupart des exercices de terrain et qui pesaient près d'une quinzaine de kilos. Installé au fond, Mike fut le dernier à débarquer et sauta hors du camion, découvrant autour de lui un paysage familier.

Construit pour l'entraînement des SAS, les forces spéciales britanniques, le village de combat était un des lieux préférés de Kazakov pour organiser des exercices. Il s'agissait d'une petite ville d'un petit kilomètre carré, sans le moindre habitant, bâtie spécialement pour les simulations militaires et truffée de caméra. Depuis le parking en terre battue où le camion s'était arrêté la zone formait une étrange masse grise hétéroclite, où les pavillons côtoyaient des buildings d'une vingtaine d'étages. Tout autour, une herbe rase poussait sur une lande déserte.

Peter et Mike s'y trouvaient encore en manœuvre pas plus tard que la semaine précédente, ce qui leur offrait un relatif avantage. La zone était finalement assez grande vu la surface des bâtiments et il était difficile de s'y repérer sans carte, mais ils avaient encore en mémoire plusieurs points remarquables.

-Rangez vous par équipes, et au trot! cria Kazakov d'une voix de stentor, mettant immédiatement fin aux bavardages.

Avant qu'ils quittent le campus, l'instructeur avaient répartis les agents présents en quatre unités, mais un minibus civil semblait les avoir rejoint en route. Tandis que Mike rejoignait Peter, Émilie et Erwan, il regarda avec intérêt quatre jeunes recrues en T-Shirt bleu ciel en descendre. Le prochain PEI n'avait pas encore commencé, alors que faisaient-ils sur le terrain?

-L'exercice du jour va consister en une mission d'escorte et d'extraction de VIP, annonça l'ukrainien. Les quatre recrues derrière moi seront dispersées dans chacune de vos équipes. Vous devrez les ramener aux points de rendez-vous demain matin à 8 heures. Bien sûr vous pouvez vous planquer jusque là, ou chercher le ravitaillement indiqué sur la carte que je vais vous remettre. L'équipe qui me ramènera le plus de mes recrues gagne. Vous pouvez capturer ou éliminer celui d'une autre équipe; au moindre impact sur sa tenue, je considère que le VIP est hors jeu. Chefs d'équipes, sortez du rang!

Les quatre agents s'exécutèrent aussitôt.

Malgré les apparences, CHERUB n'était pas une organisation militaire. La discipline y était stricte, mais les agents ne saluaient pas, et ne portaient pas de véritables grades. La hiérarchie suivait les T-Shirt; ainsi trois des quatre chefs d'équipes étaient vêtus de noir sous leur treillis. En plus de Peter, il y avait une jeune fille, sans doute d'origine pakistanaise, et un garçon au visage pâle comme la mort. Mike identifia facilement le dernier leader: Jake Parker, un agent de seize ans au T-Shirt bleu marine qui avait tiré à bout portant sur Peter la semaine précédente. L'adolescent grimaça, espérant que son meilleur ami ne chercherait pas à profiter de l'exercice pour se venger. L'équipe de Jake les avaient littéralement taillés en pièces lors de leur dernier affrontement, et ils risquaient bien de recommencer...

L'instructeur distribua des cartes de la zone aux quatre leaders.

-Je serais particulièrement attentif à vos qualités de commandement des troupes et à vos stratégies, leur dit Kazakov avant de s'adresser aux autres agents. La plupart d'entre-vous connaissent déjà les règles de bases ici, mais je vais vous les rappeler au cas où. Il est interdit de tirer à moins de trois mètres, de torturer ou de s'acharner sur un adversaire. En dehors de ça tous les coups sont permis pour remporter la victoire. Vous utiliserez des munitions simulées, donc personne n'enlève ses protections, même pour boire ou aller pisser. Souvenez vous que je vous regarde à travers les caméras, et je n'hésiterait pas à venir moi même sortir les fautifs du terrain en cas d'infraction!

CHERUB avait longtemps employé des fusils de paintball pour ses exercices, des armes à air comprimé projetant de simples billes de peintures à une distance relativement courte. Mais depuis plusieurs années, les instructeurs avaient régulièrement recours à des munitions simulées, développées pour l'entraînement des marines américains. Contrairement aux précédentes, les billes de peinture étaient projetées par des balles spéciales, chargées dans de vraies armes. Bien plus puissantes, elles étaient aussi nettement plus douloureuses et pouvaient causer de réels dommages physiques, obligeant les agents à porter des gilets pare-balles et des casques qui les faisaient ressembler aux forces d'intervention de la police, modèle réduit. Un équipement pesant, multipliant les efforts... Mike aimait avoir une véritable arme, précise et avec une meilleure portée, mais il y avait une contrepartie: se faire toucher donnait l'impression d'avoir pris une vraie balle.

Tandis que les chefs d'équipes rejoignaient leurs subordonnés du jour, Kazakov fit signe aux recrues en T-shirt bleu ciel de s'avancer. L'agent remarqua particulièrement l'un d'eux qui semblait très jeune et frêle, peinant à porter son sac de protections.

-Nathaniel Winter avec l'équipe Alpha, annonça l'instructeur en désignant à chaque fois l'unité à rejoindre. Linda Traynor, équipe Bravo. Maximilien Jordans, équipe Charlie. Samuel Flint, équipe Delta.

Mike échangea un regard inquiet avec Peter en voyant s'avancer vers eux le petit garçon blond qu'il avait repéré. Il semblait à peine avoir dix ans et regardait nerveusement autour de lui... Des quatre recrues, c'était celui qui lui avait semblé le moins solide. Même si l'exercice était censé leur apprendre à escorter un "Very Important Person", le terme qui désignait un individu de valeur pour une opération, souvent un otage ou un politicien sans expérience du combat, leur équipe partait avec un désavantage sur les autres.

-Oh, et j'allais oublier: la ou les équipes perdantes passeront la journée de demain à s'entraîner avec moi, et leurs leaders me rédigeront une dissertation complète sur le combat urbain moderne. Des questions? demanda sèchement Kazakov une fois les recrues intégrées aux groupes.

Après quelques secondes de flottement où les agents s'imaginèrent à quoi pouvait ressembler un dimanche punitif sous les ordres de l'ukrainien, Jake Parker prit la parole.

-Quand est-ce qu'on commence monsieur?

L'instructeur eut un méchant sourire.

-Ça a déjà commencé. Équipez vous et allez vous chercher vos armes. Vous perdez du temps!

Cette information déclencha aussitôt une agitation désordonnée parmi les agents, qui ouvrirent leurs sacs et commencèrent à enfiler les protections le plus vite possible.

-Nos armes sont là, expliqua Peter à ses coéquipiers en désignant un point sur sa carte, avant d'enfiler son casque. C'est à l'autre bout du terrain.

Mike accéléra la cadence à laquelle il s'équipait. Chaque équipe ses propres armes cachées quelque part dans la ville, mais la première à y arriver pourrait se mettre en chasse pour espérer débusquer ses concurrents sans défense. Pas question de perdre du temps...

Habitués à ces exercices, les quatre agents furent rapidement équipés. Malheureusement pour eux, leur VIP était à peine parvenu à enfiler ses jambières, et se battait pour insérer sa tête dans le trou du gilet prévu pour son bras... Mike jeta un regard inquiet vers les autres équipes avant d'aller l'aider.

On perds du temps, pensa-t-il.

Ses coéquipiers l'aidèrent à habiller leur VIP, à une vitesse désespérante.

Bravo partit la première, suivie de près par Alpha, l'unité menée par Jake Parker. Charlie termina sa préparation en même temps que Delta, et les deux équipes se jetèrent des regards méfiants avant de se perdre de vue dans les rues. Leurs camarades de quelques heures plus tôt étaient maintenant ennemis jusqu'à la fin de l'exercice... CHERUB encourageait fortement la concurrence, et les affrontements étaient souvent acharnés. Celui du jour ne ferait pas exception. Mike avait une motivation supplémentaire: tous ses amis étaient là à cause de lui. Il devait tout faire pour qu'ils ne soient pas dernier, et cette idée le stressait désagréablement. Heureusement ce n'était pas à lui qu'incombait le fardeau de commander...

Guidée par Peter, l'équipe Delta s'avança au petit pas de course entre les bâtiments silencieux du village de combat. La zone simulait différent type de bâtiments, bureaux, entrepôts, habitations... Tous dépourvus de vitres pour éviter les éclats de verre lors des fusillades. Des carcasses de voitures étaient stationnées un peu partout, et les rues portaient les stigmates de centaines d'affrontements: impacts de balles, peinture, carcasses de grenades... Les façades n'étaient pas couvertes, laissant le béton à nu.

L'équipe était à mi-chemin quand les agents durent finalement s'arrêter de courir pour ne pas perdre leur VIP.

-Juste une minute, supplia ce dernier, à bout de souffle.

-On y est presque, l'encouragea Erwan. Ne t'arrête pas.

Poursuivant leur progression plus lentement, ils finirent par arriver à leur objectif. Il s'agissait d'un faux fast-food, étrangement dépourvu de la moindre enseigne mais surmonté d'un hamburger géant. Ils entrèrent par une porte en aluminium, criblée d'impact balles, qui grinça sinistrement.

Leurs armes les attendaient à l'intérieur, posées autour d'une table: quatre fusils d'assaut AKS-74U, une variante plus compacte du célèbre kalashnikov. Chacun des agents en récupéra un, ainsi que trois chargeurs pleins et une lampe tactique qu'ils fixèrent sous le canon de leurs armes. Mike introduisit le chargeur en forme de banane avec une satisfaction évidente. Désormais il n'était plus sans défense.

-Il y a des dépôts de matériel sur la carte, expliqua Peter en armant son fusil. Les autres équipes savent aussi où ils se trouvent, et sans équipement on va se faire écraser. Mike et Erwan, vous protégerez...

-Sam, compléta le petit garçon en remarquant l'hésitation de leur chef sur son prénom.

-Sam. Émi et moi on récupère un maximum de matériel et on se rejoint ici. Des questions?

Mike fit non de la tête, avant de s'approcher des larges ouvertures pour surveiller la rue. Il faisait encore trop clair... Erwan sembla hésiter à dire quelque chose, mais Émilie fut la plus rapide.

-On ne devrait pas se disperser... Il suffit de se retrancher quelque part et de laisser les autres s'entre-tuer, non?

-Mauvais plan, répliqua le chef d'équipe. On se feraient déloger.

-J'ai vu un immeuble facile à défendre pas loin, insista la jeune fille. C'est la stratégie la plus prudente.

Peter grimaça sous son casque, et passa son fusil en bandoulière avant de répondre. Surveillant toujours les alentours, son meilleur ami jeta un regard par dessus son épaule. Les choses semblaient s'envenimer entre ses deux amis.

-C'est une position évidente. Sans matériel ni munitions, n'importe quelle équipe mieux équipée pourra nous sortir de là, alors on doit aller en récupérer. C'est clair?

-Tout à fait clair général Ward. Après tout comment un stratège légendaire comme toi pourrait se planter? ironisa-t-elle.

Avant que Peter ne réplique, Erwan jugea plus prudent de calmer le jeu en se plaçant entre ses deux camarades.

-Eh, on est tous dans le même camp, vous vous rappelez? Évitons de nous tirer dans les pattes avant qu'on ait rencontré le moindre ennemi.

-Il faudrait un vote, réclama Émilie en faisant la sourde oreille.

-Désolé ma belle, mais il y a une hiérarchie, et c'est moi qui commande, ricana son ex petit-ami. Pas de vote!

-Comment tu m'as appelé!? cracha l'adolescente qui semblait sur le point de se jeter sur lui.

Mike ferma les yeux. Il n'avait pas voulu prendre parti jusque là, mais il fallait calmer le jeu au plus vite. Quoi qu'il pense de la stratégie d'Émilie, ils ne pouvaient pas se permettre cette chamaillerie. Il s'approcha donc lui aussi, et tira la jeune fille en arrière d'une main ferme.

-Ça suffit, lâcha-t-il. On a une mission, et personnellement je n'ai pas envie de passer mon dimanche avec Kazakov. Le chef a donné un ordre, on l'exécute.

L'adolescente le fusilla du regard, mais elle ne se dégagea pas, jetant un coup d'œil inquiet vers le fond de la pièce. Le village de combat était truffé de caméras; il valait mieux pour eux que les instructeurs n'assistent pas à ce qui venait de se passer... Et ils perdaient trop de temps.

Toujours en colère, elle arma sèchement son fusil d'assaut et le mis en bandoulière.

-Compris, mais pas question de passer l'exercice en binôme avec toi, lâcha-t-elle finalement à destination de son ex petit-ami.

-Tu sais quoi? T'as raison, répondit froidement Peter. Mike et Sam avec moi, on part sur le dépôt le plus proche. Vous n'avez qu'à prendre la carte. Rendez-vous ici dans trente minutes, avant la tombée de la nuit.

Agacé par cette dispute stérile, Mike lâcha la jeune fille. Erwan secoua la tête, mais ne fit pas de commentaire et récupéra le plan. Sa binôme désignée sembla sur le point de dire quelque chose, mais elle se ravisa.

-Parfait, finit-elle par lâcher.

Le chef d'équipe hocha la tête, et fit signe à ses deux camarades de le suivre.

-Delta, en avant! lança-t-il d'une voix faussement enjouée en sortant du fast-food.

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