Les ordinateurs du centre de contrôle des missions étaient puissants, et ils disposaient d'une connexion très haut débit. Pourtant très peu d'agents avaient dut se risquer à jouer dessus au lieu de travailler. Mike se demandait même s'il n'était pas le premier à y installer un jeu vidéo.
Tandis qu'il téléchargeait les fichiers nécessaires, le reste de l'équipe effectuait des recherches sur leur cible. On l'avait chargé d'un travail plutôt agréable: évaluer ses besoins pour approcher Thomas Gaudry.
En effet, bien que les jeux en ligne fassent souvent payer un abonnement mensuel, ils vivaient en bonne partie de la vente d'avantages virtuels contre de l'argent réel, et Star Wars The Old Republic ne faisait pas exception. Or il était primordial que le personnage de Mike atteigne au plus vite le stade qui lui permettrait de d'approcher leur cible. Thomas Gaudry avait des mois d'avance, et jouait beaucoup. Se hisser à son niveau ne serait pas une mince affaire...
L'agent avait donc passé une bonne partie de la matinée à lister tout ce qui pourrait lui être utile, aboutissant à une facture salée: plus d'une centaine de livres.
-Tant que ça? s'étrangla Sarah en voyant le chiffre qu'il lui présentait. Comment tu peux payer autant pour un simple jeu en ligne?
Mike soupira. La question était finalement assez légitime quand on ne connaissait pas le sujet. De plus, malgré le budget assez élevé de CHERUB, les contrôleurs se montraient de plus en plus vigilants sur les notes de frais. Comme dans toutes les administrations, l'heure était aux économies...
-Aucun de ces boosters n'est nécessaire en soit, expliqua-t-il patiemment. Mais ils vont me permettre de gagner plusieurs semaines dans ma progression: je monterais mes niveaux plus vite, je récupérerais un meilleur équipement et donc de je serais plus rapidement capable d'approcher Thomas...
La contrôleuse de mission reposa la feuille imprimée comme si c'était un serpent particulièrement venimeux, mais elle ne souleva plus d'objection.
-On te fais confiance, appuya Jason. Achète tout ce qu'il te faudra.
L'agent hocha rapidement la tête et allait retourner à ses recherches, quand Sarah reprit la parole.
-Attends, il faudrait qu'on discute de Thomas. L'antenne du MI6 à Paris nous a envoyé de nouveaux éléments dont on a extrait des choses intéressantes...
Mike se rassit, un peu étonné.
-C'est du rapide, commenta-t-il.
-Cette mission est suivie en haut lieu, expliqua Jason en rajustant machinalement un plis de sa chemise. Mes supérieurs se sont assurés que nous aurions toutes les ressources nécessaires pour la mener à bien. CHERUB et le CGHQ prennent Rouge 17 très au sérieux...
C'était logique. D'après ses recherches, les pertes que pouvaient causer les hackers risquaient d'être colossales, et toucher aussi bien le citoyen lambda que des investisseurs pesant des millions de livres. Et pas mal de politiciens ou d'amis de gens haut-placés avaient beaucoup d'argent investit dans les structures visées par Rouge 17...
À l'autre bout de la table la contrôleuse de mission se racla la gorge pour attirer l'attention.
-L'essentiel de ce que nous avons reçu concerne le passé de Thomas. Comme on le savait déjà, il vit sous la tutelle de son demi-frère, Anthony Gaudry. Nous avons maintenant un meilleur aperçu de son parcours familial.
La jeune femme s'empara d'une des feuilles posée devant elle.
-Thomas est né le 5 mars 1997, de père inconnu. Sa mère, a épousé Lionel Gaudry quatre ans plus tard, un ingénieur informatique brillant. Ce dernier avait déjà un fils d'un premier mariage, Anthony, âgé actuellement de vingt-huit ans et consultant en sécurité. En 2009, le couple a eu un accident de voiture mortel, et Thomas est alors passé sous la garde de son demi-frère. Ce dernier travaille, mais dispose aussi d'actions et de biens hérités de son père. Il gère également le patrimoine de son frère jusqu'à sa majorité. On essaie de creuser de ce côté pour identifier ses actifs, mais les frères Gaudry pèsent entre un et trois millions d'euros.
Mike siffla. L'image mentale qu'il s'était construite de sa cible venait de prendre un sacré coup de pinceau. Plus intéressant encore, ni Thomas ni son frère ne semblaient manquer d'argent. Pourquoi travailler avec Rouge 17 dans ce cas? Par goût du risque? Par conviction?
Alors qu'il réfléchissait encore à ces nouvelles informations, Émilie sortit soudain du silence studieux qu'elle observait jusque là.
-On devrait changer complètement d'angle d'approche, suggéra-t-elle.
Son camarade fronça très légèrement les sourcils. Ça ne lui plaisait pas du tout... Si la stratégie du "jeu vidéo" était abandonnée, il ne servait plus à rien...
Avec un effort de volonté, il s'abstint d'intervenir, attendant la suite.
-Notre cible a une faille qu'on ne pourrait pas exploiter dans le scénario de couverture d'origine, poursuivit-elle après un signe de tête d'encouragement de la part de Sarah. Thomas est orphelin. Mike aussi a perdu ses parents, c'est quelque chose qu'on peut utiliser pour les rapprocher en un minimum de temps.
L'intéressé étouffa un discret soupir de soulagement. Pas question de l'éjecter de la mission finalement... Quand aux adultes, la proposition sembla les faire réfléchir.
Malgré leur jeune âge, les agents de CHERUB étaient très impliqués dans la préparation des missions, et il arrivait souvent qu'un agent fasse remarquer un détail décisif ou suggère une stratégie sur la conduite à tenir. Les contrôleurs prenaient toujours ces suggestions au sérieux, même s'ils décidaient finalement seuls de la tactique mise en œuvre.
-C'est une excellente idée, lâcha-t-elle avec enthousiasme. En abandonnant le voyage scolaire, Émilie, Jason et moi on devrait jouer le rôle de la famille ayant recueilli Mike après la mort de ses parents. Ça ne nécessite pas beaucoup d'aménagements de la couverture, et on pourrait s'installer directement à Paris, sans attendre les vacances d'été... Qu'en penses-tu? Après tout tu es le principal concerné.
L'adolescent réfléchit. C'était le genre d'approches classiquement mises en œuvre par l'organisation, et qui avait mainte fois prouvée son efficacité. Les personne fragilisées par un drame ou un deuil faisaient vite confiance aux agents qui prétendaient avoir connu la même chose qu'eux, sans se méfier. La raison d'être première de CHERUB.
-Je suis partant, lâcha-t-il. Mais il va falloir que je commence à jouer dès maintenant si je veux être prêt dans les temps. Sans parler de la mise à niveau de français et d'informatique...
-Je vais parler à ta responsable de formation pour que tu sois dispensé de cours, lâcha distraitement Sarah. Jason, un avis?
L'intéressé sourit poliment et leva les mains.
-J'avoue que j'ai peu d'expérience de l'infiltration, alors je vous fais complètement confiance. J'appuierais l'idée auprès de mes supérieurs.
Mike nota mentalement l'information. Il n'avait pas eu vraiment l'occasion d'échanger avec Jason, et ne savait finalement pas grand chose à son sujet. Dans la trentaine, son costume et son apparence soignée suggéraient déjà qu'il ne travaillait pas sur le terrain. D'après Émilie, c'était un spécialiste en informatique, ce qui semblait logique vu leur mission. En revanche le reste de ses compétences étaient un mystère.
Sans doute qu'ils en apprendraient plus en travaillant à ses côtés.
Un bâillement incontrôlable le prit soudain, suivit d'un gargouillement de ventre parfaitement audible.
-Désolé, lâcha l'adolescent, penaud.
-Je crois que ton estomac essaie de nous dire quelque chose, s'esclaffa Sarah, avant de regarder sa montre. C'est vrai qu'il est déjà 13 heures... Dépêchons nous d'aller manger. Une heure de pause devrait largement suffire; ensuite on se remettra au travail pour changer notre couverture.
Comme la veille, Émilie et Mike sortirent les premiers du bâtiment de contrôle des missions, et se dirigèrent d'un pas souple vers le réfectoire.
-Je n'arrive toujours pas à m'habituer à ce que tu sois toujours mort de faim comme ça! lança-t-elle, faussement indignée.
Son camarade haussa les épaules. Malgré son appétit d'ogre, il était mince, presque maigre, avec une musculature sèche et nerveuse.
-Mon corps ne stocke pas, j'y peux rien, j'ai beau manger à m'en faire exploser le ventre, je ne prends pas un gramme... Et j'ai toujours faim.
-Le rêve, soupira l'adolescente.
L'agent décida de la taquiner un peu.
-Oui, tu la sens l'injustice génétique? railla-t-il.
-Eh!
Elle chercha à lui asséner une claque derrière la tête, mais Mike connaissait bien la jeune fille, et il s'attendait à une attaque de ce genre; il se mit hors de portée avec un petit rire.
-Trop lente, commenta-t-il. Tu devrais...
Il n'eut pas le temps de finir sa phrase. Émilie partit comme une fusée vers le bâtiment principal. Avec un temps de retard, l'agent se lança à sa poursuite.
-Trop lent! cria-t-elle par dessus son épaule, hilare, sans ralentir sa course.
Mike ne répondit rien. Il était plus long à accélérer, mais l'adolescente était moins rapide que lui. Au bout d'une dizaine de secondes, il commença à combler son retard, et arriva à son niveau alors qu'ils dépassaient le bloc junior. Mais Émilie n'avait pas dit son dernier mot: elle lui fit un croche-patte qu'il n'évita que de justesse avec un petit bond. En représailles, il se déporta brusquement et poussa sa coéquipière d'un vigoureux coup d'épaule. Cette dernière jura, et faillit s'étaler dans l'herbe.
Son adversaire en profita pour reprendre de l'avance, qu'elle ne pourrait plus rattraper vu le peu de distance qui les séparaient de leur objectif. L'agent ne ralentit qu'une fois au niveau de la fontaine qui trônait devant le bâtiment principal. Son adversaire arriva quelques secondes plus tard, la mine boudeuse.
-Qu'est-ce que j'ai gagné? demanda Mike en reprenant son souffle.
-Le droit de rester en vie jusqu'à ce que je t'écrase, répondit l'adolescente, essoufflée.
Après quelques secondes, ils se mirent tout les deux à sourire largement.
Les petits défis de ce genre et les chahuts amicaux étaient courants sur le campus, participant à une saine ambiance de camaraderie et de compétition entre les agents. Une façon efficace de se maintenir motivés et en forme...
L'estomac de Mike se remit soudain à gronder, ce qui fit secouer la tête à Émilie.
-J'arrive toujours pas à croire qu'un glouton comme toi soit aussi mince et court aussi vite. C'est pas juste!
-C'est le loto de la génétique. Et si ça peut te consoler, tu as plutôt bien tiré ton épingle du jeu, ajouta-t-il d'un ton sérieux.
Elle planta ses yeux dans les siens, fronçant les sourcils.
-Est-ce que c'était un compliment, Mike Wagner?
-Euh...
Mal à l'aise, l'adolescent détourna les yeux et rougit légèrement, ce qui fit bien rire son amie.
-Si je dis que oui, tu me files ton dessert? demanda finalement ce dernier avec un grand sourire.
-Aucune chance, décréta Émilie, lapidaire, avant de se diriger vers le réfectoire.
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