Elizabeth

Chère Élizabeth,

Je sais que tu aurais préféré que je t'appelle par un des nombreux surnoms qu'on utilisait... Mais je n'en ai même pas la force. Parce qu'utiliser ces surnoms, ce serait essayer une nouvelle fois d'atténuer la réalité. D'oublier pour un instant que tout va mal. D'imaginer que tout va bien.

Or ce n'est pas le cas. Ouvre les yeux.

Je voulais commencer par toi dans mes lettres, car tu dois être celle qui se demande le plus pourquoi j'ai fait ça. Pourquoi j'ai... Pourquoi je vais me suicider.

Parce que dans ta tête, j'allais très bien. Alors je suis désolée, mais non. J'aurais aimé te maintenir dans ces illusions enfantines, mais même ça, je n'en ai plus la force.

Je n'ai plus la force de rien.

Je sais que tu aimerais rester dans ta petite vie tranquille où tout tourne autour de toi, mais j'ai tout raté. Désolée.

Je n'ai plus la force de me retenir.

Je ne sais pas si tu comprendras un jour a quel point tu me faisais mal. À quel point, de mon vivant, tu me brisais.

J'ai utilisé l'expression "de mon vivant" car aujourd'hui je suis morte. Desséchée. Meurtrie. Blessée. Tuée.

Je ne reporte pas la faute ou mon choix sur toi. Pas du tout. Tu n'y es pour rien.

Tu fais simplement partie des milliers de conséquences qui ont conduit au suicide.

Chaque fois que tu m'ignorais. Chaque fois que tu t'éloignais. Chaque fois que tu me laissais. Seule.

Je le suis toujours. Seule. Cela n'a pas changé.

Encore une fois, cela n'est pas ta faute. Tu es intelligente, tu comprends très bien que tout cela est beaucoup plus compliqué que le "c'est la faute de machin ou de machine".

C'est la faute de tout le monde, de toi, d'elle, de lui, de moi, de personne.

Tous ces engrenages me donnent le tournis. Tu te rappelles au théâtre ? Quand on faisait des exercices et qu'on devait "s'emboiter" sur l'action de l'autre ? Ça me fait penser à cela.

J'aimerais que ces engrenages disparaissent. J'aimerais remonter le temps. 

Les périodes d'insouciance me manquent. J'aimerais être encore une petite fille, gambader partout en secouant mes petites tresses, avoir deux trois amies, une famille sans problèmes et ne connaître du monde que six ou sept lieux.

Mais c'est impossible.

J'aimerais aussi réfléchir à comment je m'habillerais le lendemain sans sentir tous mes complexes rejaillir. J'aimerais marcher dans la rue sans me sentir mal.

Mais je n'y arrive pas. Je n'y arrive plus.

Je vois d'ici tes yeux briller. Je vois d'ici les larmes couler sur tes joues. Alors pleure. Mais pas trop. Je n'en vaux pas la peine.

Je t'adore, et je t'adorerais toujours quoi qu'il nous arrive,

Anaïs.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top