Oh, comme je redoute la réaction du marquis de Lashdrew ! Imaginer sa déception, son ressentiment peut-être... Cela me glace le sang. Qui sait jusqu'où pourrait le pousser l'humiliation d'un refus aussi catégorique ? Un homme de sa stature, habitué à obtenir ce qu'il souhaite, pourrait voir cette situation comme une véritable déchéance. Que Dieu nous préserve qu'il ne nourrisse des pensées de vengeance, qu'il ne laisse sa fierté blessée éclater en un dédain pour notre douce Georgiana ! Cette pensée me tourmente, je l'avoue. Mais voilà que je me mets à réfléchir comme maman ! Par tous les saints, Lizzy, si tu m'entends dire que "mes nerfs me lâchent" ou quelque autre réplique digne de notre chère mère, je te prie, rappelle-moi à l'ordre !

Je me rends bien compte que je m'emporte, et pourtant... comment rester sereine quand on pense à tout ce qui pourrait arriver ? Nous savons toutes deux combien une déception amoureuse peut être source de rancune, surtout dans les milieux où le prestige et la réputation priment au-dessus de tout.

Quant à toi, Lizzy, je comprends plus que jamais ton désir d'être aux côtés de Darcy en ce moment délicat, de pouvoir, si possible, apaiser ce cher marquis. Ta présence, avec ton esprit si fin serait sans doute le meilleur baume pour apaiser tout ressentiment que le marquis pourrait éprouver, en lui rappelant que ce refus ne signifie pas une offense mais plutôt un choix difficile pour Georgiana. Mais hélas, comme tu le dis toi-même, cela est malheureusement impossible. Être tenue à distance, privée de toute possibilité de défendre l'honneur d'une jeune fille que nous aimons comme une sœur, c'est un supplice des plus cruels. Peut-être m'inquiète-je plus que nécessaire, et peut-être que cet homme saura, en fin de compte, accepter le refus de Georgiana avec la dignité et la discrétion qui conviennent à un gentleman.

Cette échange privée et inattendue avec Georgianna me peine moi aussi. Je ne peux m'empêcher de ressentir une profonde tristesse en pensant à la façon dont elle dissimule ses véritables émotions derrière ce masque de bonheur contraint. Miss Darcy, si douce et sensible, semble porter en elle une peine silencieuse, une sorte de résignation qui m'émeut profondément. Quelle injustice qu'une jeune femme aussi pure et délicate se prive ainsi du droit d'aspirer au bonheur, comme si elle devait s'en excuser, comme si elle ne méritait pas qu'on l'aime et qu'on la considère à sa juste valeur. Comment peut-elle en arriver à penser qu'elle n'est pas digne de l'attention du marquis ou de n'importe quel autre gentleman ? Cela me semble presque impensable, et pourtant, voilà la réalité cruelle que ce masque dissimule. Georgiana semble enfermée dans des pensées sombres qui la persuadent qu'elle ne vaut pas l'affection ou le respect des autres, qu'elle doit accepter une existence faite de renoncements et de retenue. Elle s'imagine devoir rester à l'écart, s'éloigner de Londres, comme si ce simple fait de se montrer heureuse était un privilège qu'elle ne méritait pas. Quelle tristesse de voir une jeune femme de son âge, à l'aube de sa vie, se charger ainsi d'un fardeau si lourd ! Ce sentiment d'indignité, cette idée de n'être pas à la hauteur, me brise le cœur. Elle se refuse le droit de rester à Londres, parmi ceux qui l'apprécient, simplement parce qu'elle a laissé s'installer en elle ce doute affreux, cette conviction qu'elle n'a pas sa place dans cette société. Quelle vision déchirante que de voir une jeune femme si gracieuse et aimable se contraindre à l'effacement, à la solitude, à cause de souvenirs amers et de fausses croyances.

Comment la convaincre que son passé ne la définit pas, qu'elle a droit, elle aussi, à l'amour et au respect ? J'espère de tout cœur qu'avec le temps, avec notre soutien et notre amour, Georgiana finira par voir en elle la femme exceptionnelle que nous voyons tous.

J'ai hâte de connaître cette nouvelle idée que tu évoques et j'espère de tout cœur que cela soulagera notre douce sœur.

Je t'embrasse tendrement.

Avec toute mon affection la plus sincère,

Jane