Jeudi 16 avril 1812, Netherfiel - partie 2

En fin d'après-midi

Ce qui aurait dû être une petite sieste d''une heure se révéla davantage un gros somme et je m'en excuse. J'ai tant de chose à écrire suite à ta missive et pourtant je n'ai pas eu la force d''en écrire plus ce matin. J'espère que tu ne m'en tiendra pas rigueur.

En ce qui concerne la toilette de Georgiana, je ne doute pas un instant qu'elle ait été ravissante. Je te connais suffisamment bien pour savoir que ton affection pour elle n'aura en rien altéré ton jugement. Le bleu, dis-tu ? Quelle excellente idée ! Une couleur si noble, qui contraste merveilleusement avec l''ennuyeuse parade de jaunes éclatants que tu décris si bien comme une "armée de canaris". Georgiana a dû resplendir dans cette teinte douce et élégante, attirant les regards sans effort, avec cette grâce naturelle qui la distingue si souvent des autres. Pense-tu que le marquis ai-jeté sous dévolu sur elle grâce aux choix de sa robe ? Cela aurait été fort dommageable quand on connait les nombreuses qualités de Miss Darcy. Enfin, l''idée que le marquis ait été charmé en partie par cette robe, m'amuse. Certes, une tenue peut sublimer une silhouette, attirer l''attention, mais je suis persuadée que ce ne sont pas uniquement les atours de Georgiana qui ont captivé cet homme. Ses nombreuses qualités, sa sensibilité ou encore sa réserve empreinte de douceur, ne sont-elles pas des atouts bien plus puissants que la soie ou le satin ?

Je souris en songeant à Darcy, ton cher époux, se retrouvant face à l''inattendu spectacle de sa sœur, arrivant au bras du marquis. D'autant qu'il l''a réinvité. Ah ! Je peux imaginer ce moment où, malgré tout le contrôle de Fitzwilliam, son visage a dû trahir une légère crispation. Darcy sait se contenir, bien sûr, mais on ne peut empêcher les liens du cœur et je devine sans peine combien l''idée de voir sa jeune sœur courtisée le perturbe. Cependant, il ne peut ignorer que Georgiana ne pourra pas vivre en éternelle célibataire. Le temps où il veillait sur elle comme sur une enfant fragile est révolu, bien que je sache à quel point il lui est difficile de l''accepter. À un moment, il lui faudra mettre son humeur taciturne de côté, pour permettre à Georgiana de trouver un bonheur qui lui est propre. Mais pour cela, Fitzwilliam devra apprendre à tempérer son instinct protecteur et à voir en Georgiana non plus la petite sœur vulnérable, mais une femme en devenir, capable de faire ses propres choix. Avez-vous eu l''occasion d''en discuter avec Darcy ? J'imagine que tu as dû lui en parler, mais je crains qu'il soit encore réticent à l''idée de voir sa sœur convoler. Néanmoins, si quelqu'un peut lui faire entendre raison, c'est bien toi. Ton calme et ton intelligence sauront, je n'en doute pas, dissiper les réticences de ton mari. Il n'est jamais facile pour un frère, surtout un frère aussi aimant que Fitzwilliam, de se détacher de cette image d''ange gardien, mais il te sera sans doute reconnaissant de l''accompagner dans cette réflexion.

Je ne peux m'empêcher d''imaginer Georgiana, rayonnante sur la piste de danse, capturant les regards admiratifs et, malgré sa timidité, éveillant chez bien des prétendants une lueur d''intérêt. Quelle joie cela doit être de la voir ainsi, à l''aube de ses premières aventures sentimentales ! Pourtant, mon cœur se serre à l''idée qu'elle souhaite renoncer à cette idylle naissante. Quelle tristesse que des craintes puissent l''amener à rejeter une chance de bonheur. As-tu évoqué les inquiétudes de Miss Darcy avec son frère ? Il me semble essentiel qu'il soit au fait des pensées qui agitent le cœur de Georgiana, même si je crains qu'il ne soit guère prêt à la voir quitter la maison si rapidement. Mais toi, Elizabeth, tu as ce don de raisonner ton époux avec une finesse et une affection que nul autre ne possède. Je suis certaine qu'avec ta sagesse, vous trouverez ensemble les mots pour soulager le cœur et l''esprit de Georgiana et lui permettre ainsi de vivre le bonheur qu'elle mérite. Le marquis, si ses intentions sont sérieuses, pourrait être un parti honorable, mais bien sûr, tout cela dépendra de la volonté de Miss Darcy.

Penses-tu que le marquis ait pu percevoir la crainte ou, pire encore, l''hostilité de Miss Darcy à son égard ? Quelle tragédie ce serait si une telle méprise venait ternir ce qui pourrait être une belle relation naissante ! Je frémis à l''idée qu'un malentendu ou un simple geste involontaire puisse être interprété comme une distance volontaire de la part de Georgiana. Je prie que le marquis, s'il est attentif, ait su lire au-delà de cette réserve apparente, cette timidité qui, chez elle, n'est jamais de la froideur mais plutôt un signe de sa délicatesse et d'une certaine vulnérabilité. Il serait en effet fort dommageable qu'il en vienne à douter de ses sentiments ou à se méprendre sur sa nature si douce.

Bien sûr, Miss Hall ou Miss Loyd pourrait en tirer parti mais... vraiment Lizzy, s'il existe un véritable attrait entre Georgiana et le marquis, il serait souhaitable que cette attirance soit visible aux yeux de la société. Le bal, les soirées, ces grands moments où tout est scruté, jugé, et où chaque regard échangé peut prendre une signification infinie... Ils sont le théâtre où les cœurs se dévoilent, même parfois à leur insu. Si une affection sincère existe entre eux, alors qu'elle brille en pleine lumière, qu'elle émerge avec la pureté que seul un lien véritable peut inspirer. Je comprends parfaitement les réticences de Georgiana. Ah, quelle pression ! Un mariage de raison, n'est-ce pas une triste réalité pour tant d'entre nous ? Nos familles, notre situation, tout semble conspirer pour nous rappeler que l''amour est un luxe, que l''union ne doit pas seulement satisfaire le cœur mais aussi le rang, la fortune, l''héritage. Il est vrai, je le reconnais, qu'il faut des mariages de raison dans notre société, sinon celle-ci sombrerait probablement dans une décadence où l'égoïsme et les passions incontrôlées mèneraient à des comportements indignes. Mais... est-ce là le destin auquel nous devons toutes nous résigner ? Georgiana est dotée de tant de qualités, de tant de sensibilité et de douceur, et elle a la chance rare d'appartenir à une famille qui ne manque pas de ressources. Cela devrait lui permettre de faire un choix, non par devoir ou par obligation, mais par inclination sincère. Elle n'est pas, comme tant d''autres jeunes femmes, obligée de se plier aux attentes rigides d''un mariage dicté uniquement par la nécessité. Non, Lizzy, Georgiana peut aspirer à quelque chose de plus élevé, quelque chose de plus vrai. Elle peut aspirer à l''amour, à cet amour qui fait battre le cœur plus vite, qui inspire la confiance et la sécurité. Celui avec un grand A, celui qui fait que le mariage devient non pas un contrat froid, mais un lien sacré, une union des âmes aussi bien que des cœurs. Je ne peux m'empêcher de penser à la malheureuse influence qu'un homme tel que Wickham a pu exercer sur elle. Cet homme vil et sans scrupule, qui a semé tant de troubles dans son cœur, a laissé une empreinte bien plus profonde qu'il n'aurait jamais dû sur l''esprit de Georgiana. Il est donc naturel que sa confiance ait été ébranlée, que ses craintes aient grandi depuis cet épisode malheureux. Mais il est aussi essentiel qu'elle comprenne que tous les hommes ne sont pas comme lui, que tous ne sont pas animés par des intentions égoïstes, malveillantes ou destructrices. Il existe des hommes dignes de sa confiance, de son amour, des hommes qui sauront la respecter et la chérir comme elle le mérite.

Maudit soit Wickham ! Me voilà qui blasphème... me voilà bien audacieuse à m'emporter ainsi ! Pardonne-moi, je crains de ne plus toujours savoir maîtriser mes émotions. Mère m'a expliqué que ce tumulte en moi n'était que le fruit des "vapeurs" dues à ma grossesse. Je n'en doute pas, et pourtant, ces sentiments débordent si souvent que je peine à garder le contrôle de mes paroles. Mais je m'égare, encore une fois...

Je compte sur toi, Lizzy, pour aider Miss Darcy à voir au-delà de ses peurs, pour lui rappeler que l''amour véritable est possible, même dans une société aussi contraignante que la nôtre. Tu as cette sagesse, ce discernement, et surtout cet amour inconditionnel pour elle, qui feront que tes paroles sauront apaiser son cœur troublé. Parle-lui, convaincs-la qu'elle mérite plus qu'un simple mariage de convenance, qu'elle a droit à un amour qui transcende les attentes de la société. J'espère que vos échanges l''aideront à voir l''avenir avec plus de sérénité. Quelle tristesse de penser qu'elle puisse se voir comme un fardeau pour Fitzwilliam alors que son amour pour elle est incommensurable ! Comment peut-elle douter une seule seconde de l''attachement profond que son frère lui porte ? Ton époux donnerait absolument tout pour assurer le bonheur de sa sœur. N'est-ce pas là le propre des Darcy, après tout ? Cette loyauté sans faille, cet amour protecteur presque étouffant parfois, mais si sincère et inébranlable. Mais peut-être est-ce justement cela qui trouble Georgiana ? Se sent-elle écrasée par cette affection si entière qu'elle en oublie sa propre valeur ? Cela me fait mal de l''imaginer ainsi, mais parfois, n'est-ce pas l''excès de soin qui finit par créer le doute ?

Lizzy, je t'en prie, promets-moi que tu trouveras un moment pour parler à Darcy de tout cela. Il est si fier, si réservé dans l''expression de ses sentiments, que je crains qu'il ne réalise pas combien Georgiana a besoin d''entendre qu'elle n'est pas un poids pour lui. Une simple parole de sa part pourrait apaiser ses craintes. Si seulement il pouvait lui dire, avec cette tendresse qui se cache derrière son apparente austérité, combien il souhaite son bonheur, non pour son propre soulagement mais pour elle seule, peut-être que son cœur trouverait un peu de cette paix qui lui manque tant. Je sais que tu sauras toucher cette corde sensible chez ton époux et l''encourager à faire preuve de plus de transparence avec sa sœur.

Oh Lizzy, ne vois-tu pas combien cette situation me préoccupe ? Je me sens si impuissante à distance. C'est étrange, n'est-ce pas ? Me voilà attachée à cette intrigue de cœur naissante comme une jeune péronnelle. Je t'avoue que tu as éveillé ma curiosité, et bien que cela soit, comme tu le sais, un très vilain défaut, je l''assume pleinement. Comment pourrais-je ne pas me sentir concernée ? Georgiana a encore tout à apprendre des émotions humaines, des joies et des peines de l'amour, et je me prends à rêver que, malgré ses peurs, elle pourra un jour goûter à ce bonheur profond qui dépasse toutes les convenances et les calculs.

Je t'embrasse tendrement et je suis impatiente d'apprendre comment tout cela évoluera.

Avec toute mon affection la plus sincère,

Ta sœur, aimante et dévouée,

Jane 

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