Chapitre 5 - Thomas, je m'en vais

Je suis restée assise un long moment sur ma chaise, faisant face à l'immensité de la feuille blanche, la plume tremblante. Je ne sais pas quoi écrire. Je ne sais pas quoi lui dire. Nous sommes le 25 juin 1940, trois jours après que la France soit tombée.

Je n'ai pas les mots. Pas le courage, ni la force de lui dire. Je ne peux pas me permettre. Je ne pourrais lui dire « Reviens Thomas, la guerre est finie ». C'est faux. L'armistice n'arrête rien, bien au contraire. Ce n'est qu'un acte nous incitant à continuer. À continuer de se battre autant pour ceux qui sont morts, que pour ceux partis là-bas. Partis à la guerre. Je continuerai à me battre pour Thomas autant de temps qu'il le faudra.

Dans le village, certains courent partout en agitant les bras et en disant « C'est fini ». Certains courent partout en criant « Nous n'avons plus rien à craindre ! » mais la vérité, ô la vérité est toute autre.

La vérité fait peur. La vérité fait mal. La vérité est que rien n'est fini. La vérité est que l'on doit s'attendre au pire. Car le pire est à venir.

Le diable n'est plus à nos portes, il est dans nos vies à présent.

La France est tombée mais une partie d'elle va se relever.

Je pense souvent à Thomas, de temps en temps, j'achète le journal. Je le fais pour savoir. Pour savoir ce qui se passe ailleurs. Ce qui se passe pour lui. Je veux savoir ce qu'il fait. Ce qu'il fera. On parle de bombardements non loin de Berlin, encore une fois. On parle de morts, encore une fois. On parle de ces avions qui partent, sans jamais revenir, encore une fois.

Et là, j'ai peur pour lui.

Thomas part dans ces avions. Il pourrait être n'importe lequel d'entre eux.

Je ne veux pas. Je ne veux pas qu'il soit « n'importe lequel ». Je veux qu'il soit « lui ». Je veux, moi aussi et dans mon profond égoïsme, qu'il soit « Thomas ». Un nom. Un visage. Un être humain. Pas seulement un pion sur l'échiquier meurtrier de la guerre.

Je veux qu'il soit bien plus que cela, sans en être le Roi.

« - Tu écris encore à Thomas à ce que je vois ? »

La voix de ma mère me fait sursauter et ma main dérape sur la feuille blanche laissant un profond trait noir. Maintenant, la feuille jusqu'à présent immaculée de blanc, ne l'est plus. Il y a une vilaine rature en son centre.

« - Dis-moi maman, tu crois que Thomas reviendra ? Je veux dire, la guerre est finie non ? Il reviendra alors ?
- Tu sais Élise, les choses... sont compliquées. Dans ce monde, rien n'est simple.
- Mais c'est possible non ? Qu'il revienne...
- Si c'est de la volonté de Dieu... Thomas reviendra. Sinon, c'est qu'il a encore des projets pour lui. »

Dieu toujours Dieu. Depuis le début de ce conflit, ma mère s'en est entièrement remise au tout-puissant, attendant désespérément un miracle comme si cela pouvait se produire.
Mais il n'y a aucun miracle à l'horizon. Juste un profond désespoir d'avoir tout un tas de prières laissées dans un coin, prenant la poussière.

Moi, je ne crois pas. Je ne crois pas en Dieu. Je ne crois pas en une entité supérieure car si vraiment il existait, il ne nous aurait pas fait ça. Il ne nous aurait pas séparés. Nous n'avons jamais rien fait et pourtant, c'est nous qui nous retrouvons punis. Je trouve cela totalement injuste. Les affreux gagnent, les gentils perdent.

Comme l'un de ces mauvais livres que lisait Thomas. Je me souviens encore de sa réponse quand je lui ai dit que c'était nul que les méchants gagnent à la fin : « Tu sais Élise, dans la vie, on ne gagne pas toujours sur tout. Sinon, tout serait trop simple. Les échecs permettent d'apprendre. On en tire toujours une leçon ». Dis-moi Thomas, y a-t-il une leçon à tirer de cette immondice ? Que peux-tu apprendre, toi qui dors à côté de la mort quotidiennement ? Hein ? Dis-moi Thomas... Qu'as-tu appris de la guerre ?

« - Si tu comptes lui écrire, dépêche-toi Élise, ton père est en train de préparer nos affaires.
- Quoi ? Nous partons ? Pourquoi ? Pour aller où ?
- Cesse d'être curieuse. Nous partons, c'est tout ce que tu as besoin de savoir. Écris ta lettre, prépare tes affaires. Dis à Thomas que nous l'embrassons aussi. »

Non. Je ne veux pas partir. Je ne veux pas tout quitter comme ça. Je ne veux pas m'en aller. Si je pars, je laisse tous nos souvenirs derrière moi. Thomas, viens me chercher. S'il te plaît. Viens me chercher et prends-moi avec toi.

Si seulement tu le pouvais...

« Thomas,

Ce soir je m'en vais. »

Et je présume que c'est la dernière lettre que je lui écrirai avant longtemps à présent.

Excuse-moi Thomas mais je n'abandonnerai pas. Moi aussi, je me battrai pour la liberté.

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