Chapitre 39 - Mourir à petit feu
Mai 1942,
Les jours se sont rallongés. La journée, le soleil brille, la nuit, le ciel est éclairé au loin. J'ai peur de ce qu'il se passe là-bas, derrière les montagnes. Je ne veux pas savoir, car je m'imagine que Thomas est là. À quelques kilomètres de moi seulement.
Sa dernière lettre m'inquiète et me préoccupe au plus haut point. Je ne sais pas quoi penser et je ne sais comment lui répondre. Il m'a demandé de me montrer patiente et d'attendre de ses nouvelles, mais ça devient de plus en plus difficile. Chaque jour est un calvaire supplémentaire.
Chaque jour paraît se rallonger encore plus que celui d'hier. C'est horrible. Insoutenable. Vivre ainsi dans l'attente. L'angoisse. La peur. L'anxiété. Ne plus pouvoir être en mesure de vivre en paix. Sereinement, même en étant à des kilomètres, loin des conflits.
Et moi qui ai eu la folle idée de vouloir y participer, mon dieu, quand j'y pense, je n'aurai même pas tenue. Je n'aurai été qu'un fardeau de plus parmi tant d'autres.
Puis est arrivée la lettre d'Antoine, guère rassurante non plus. D'un certain côté, je lui suis reconnaissante d'être toujours là, mais de l'autre, comment pourrais-je y croire ?
Croire qu'à la fin de toute cette histoire, on saura se retrouver. Tous.
Thomas, Antoine, Georges et moi.
Certains ne se reverront jamais.
Certains ne rentreront jamais.
Nous en avons pleinement conscience et pourtant, cela ne semble chagriner ou effrayer aucun de nous. Nous avons saisi toute la pleine mesure de cette guerre et nous savons, à présent, que nous ne serons pas épargnés.
Thomas l'a dit : À quel prix ?
Rentrer pour se souvenir. Rentrer pour être hantés. Rentrer pour ne plus se reconnaître.
Tout ça fait peur. L'après-fait peur quand on a connu que ça, des jours durant.
Je devrais sans doute répondre à Antoine. Mais là aussi, mes mots se perdent. Je ne sais quoi lui raconter si ce n'est les banalités d'usages. Je me sens bien inutile à être la seule derrière à ne rien faire. À part attendre. Attendre que la guerre ne se perde elle-même à travers le désastre et l'horreur qu'elle aura causée et les mémoires qu'elle aura marquées.
J'attends qu'un beau matin, on vienne me dire "Tu peux repartir chez toi." Voilà bien longtemps que j'ai quitté mon chez moi. Je ne saurais y retourner. Y retrouverais-je ma famille ? Non, certainement pas. Je ne retrouverais rien de ce que j'y ai laissé.
Souvent, je me dis que la guerre marque les hommes, mais elle frappe aussi les femmes. Suffisamment pour leur laisser des marques à elles aussi. Bien qu'à peine visibles, elles sont tout de même là. Tel un souvenir, une trace d'un passage violent et inoubliable. A jamais nous devrons vivre avec tout ça. Avec les souvenirs de cette époque-là.
À jamais je devrais vivre en ayant retenue que la peur. Le désarroi. Le malheur et la douleur.
Je ne veux pas vivre comme ça et pourtant, je ne sais pas quoi faire pour y remédier. À vrai dire, je ne peux rien faire. Je me sens impuissante.
Et c'est cette impuissance qui me tue, moi, à petit feu, faute de mourir sous les coups de la guerre.
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